- Je vois, je suppose que les chiens ne font pas des chats, comme on dit. N'hésite pas si tu as besoin d'aide avec les jumeaux, d'ailleurs. On peut sûrement venir t'aider à l'occasion.

Après tout, on dit aussi que l'union fait la force, ou quelque chose comme ça. Et Jeyne s'occupe d'enfants depuis bien longtemps, suffisamment pour ne plus savoir depuis quand exactement. Elle ne peut s'empêcher de sourire lorsque Megara lui confie que ce n'est pas la première fois, ce qu'elle doit comprendre puisqu'elles sont toutes les deux dans la même situation.

- Oh loin de moi l'idée de te juger, ce serait bien malvenu...

Elle pique un fard coupable, se sachant parfaitement esclave des envies nocturnes et sucrées qui surviennent durant la grossesse. Quant à la possibilité de faire jouer l'autorité naturelle de Lyman pour calmer Tybalt et Cadwyn, là encore, Jeyne ne peut s'empêcher d'en rire.

- Je pense en effet que Lyman sera bien plus volontaire pour jouer l'oncle gâteau que la figure autoritaire.

Elle ne se moque pas, loin de là en vérité. Il est un homme doux et c'est ce qu'elle aime le plus chez lui. Même si ça implique de ne pas spécialement savoir comment faire preuve d'autorité avec des enfants.

- Mais je me porte volontaire si tu en as besoin, en me cachant derrière une porte je suis sûre qu'ils y croiront.

Presque sûre. En attendant, il faut surtout réussir à s'asseoir. Ce qui n'est vraiment pas simple à presque huit mois de grossesse. Jeyne se console en se disant qu'au moins, Alys peut en rire et qu'elle n'est pas seule à affronter cette épreuve.

- Sans aide pour nous relever, je pense même qu'on y restera pendant un mois.

Jeyne s'écroule dans l'herbe en soufflant, laissant ses cheveux s'éparpiller comme bon leur semble sur la terre. Le ciel et les odeurs qui l'entourent l'apaisent un peu, tout comme l'air frais et les saveurs sucrées qui continuent d'envelopper ses papilles. Une vraie pause. Voilà ce dont elle avait besoin. Elle rit de nouveau lorsque Megara leur confie avoir eu des croyances naïves propres au jeune âge et essaie de se souvenir des siennes.

- Il me semble avoir été persuadée que chaque personne possédait son étoile dans le ciel, un temps. Mais je n'ai jamais su voir de constellation.

Elle hausse les épaules alors qu'Alys semble déjà loin d'elles, et Jeyne n'a aucun mal à deviner ce à quoi elle pense. La jeune femme répond au coup d'œil amusé de Megara et tend la main pour attraper celle d'Alys.

- Est ce que tout va bien ?

Elle passe rapidemment son pouce sur la peau de son amie avant de relâcher sa main, en espérant que la mélancolie ne l'ait pas attrapé trop vivement.

Ce n’est que lorsqu’elle me parle de l’Empire de Yi-Ti que je me replonge dans mes souvenirs d’enfance. J’esquisse instinctivement un doux sourire nostalgique, adoucissant les traits de mon visage torturé par mes émotions diverses. Qu’il s’agisse de son architecture, de sa grandeur, de sa végétation ou de sa culture, jusqu’à maintenant mon pays d’origine reste mon favori, loin devant Lys et Pentos. Sans que je ne le veuille, ou plutôt sans m’en rendre compte, les paroles s’extirpent de ma bouche, guidée par mon cœur.

- C’est un Royaume prodigieux .. Les cités prospèrent, et ne connaissent que peu la faim, les rues débordent sans arrêt de vie .. Au Printemps, la Mer de Jade se cache sous les milliers de fleurs de cerisier .. En Automne, elle se teinte de rouge .. On prie alors pour que le sang ne se mette pas à couler, pour que l’Empereur-Dieu soit de bonne humeur.. Au-delà des villes, la jungle est aussi vertigineuse que dangereuse, de la végétation la recouvre de la terre au ciel .. Je n'avais le droit de regarder qu'en haut d'une grande pagode. Puisqu'il est si facile de s’y perdre dans son immensité, mère disait que les monstres y habitaient .. Elle aurait dû savoir que ce n’était point de la forêt dont il fallait se méfier ..

Un bruit sourd se fit entendre derrière moi, et je reviens à moi. Clignant des yeux, comme si je sortais d’un rêve, je me rends compte de mes paroles. Je me tais alors, déglutissant difficilement en comprenant que mon Royaume me manque. Je me suis laissée emporter par mes émotions, par ma nostalgie, j’espère ne pas avoir choqué Dame Arianne ..

*Mots énoncés en langue Yitish

La première vraie surprise vient d'Isla. Qui convient certes comme nous de l'impossibilité de laisser Rhaenys accomplir cette mission... Avant de se proposer, elle. Froidement. Sans émotion. De manière purement détachée. Je l'écoute jusqu'au bout. Les similitudes entre les deux femmes. Origines, langue, apparence, jusqu'aux coiffes. Leur connaissance réciproque. La supercherie, et le reste. Dispensable ? Mon cœur se serre. Est-ce vraiment ce qu'elle pense, ce qu'on lui a laissé penser ? J'ai le sentiment de n'avoir de cesse que de l'en détourner. De soutenir son importance, cruciale à mes yeux. Moi l'homme d'épée, qui ne respecte finalement que le savoir et ce qu'il implique de puissance. L'intelligence, qu'elle représente. Je suis les muscles, Rhaenys le cœur, et elle l'esprit. Orys est comme moi. Je regarde Isla, comme si je la découvre à nouveau. Tout ça pour moi, pour nous.


Non, pour Rhaenys.


C'est pour elle, qu'elle le fait. Je le comprends à leurs mots, échangés dans leur langue d'origine. Je ne saisis pas tout, mais l'essentiel est compris. Elle regarde Rhaenys, longtemps, puis Orys. Elle ne vient pas affronter mon propre regard, alors que je la regarde, front plissé, regard meurtri.


Rhaenys enfonce le clou. Et tout le temps qu'elle parle, je n'entends qu'une chose. « Tu es celle qui est la plus précieuse ». La plus précieuse. Celle qui l'est le plus.


Je baisse les yeux. Ainsi, nous en sommes là. Encore. Devant cette cruelle injustice, et cette erreur que j'ai commise sur conseil, et qui est devenue quelque chose que je ne peux plus nier, ni rejeter, ni même cacher en aucune manière. C'est toujours aussi injuste. Et dur. Cruel, aussi. Je me fiche des blessures. Je les encaisse, et je continue de tracer ma route même si je ne progresse plus qu'avec difficulté dans des torrents de sang et de larmes. Nous nous dirigeons vers une forme de synthèse, de consensus... Mais c'en est trop.


| Ca suffit. |


Mon visage déjà laid devient hideux, cicatrices fragmentant mes traits, découpant de petits morceaux de ma chair et la striant de marques tantôt blanches, tantôt rosies.


| Je n'ai rien voulu de tout ça, au départ. Je n'ai rien prémédité. Je n'ai pas prévu de tomber amoureux d'une autre femme que la mienne. |


Mauvais, je fais un signe de main par-dessus ma tête, comme pour jeter au diable vauvert tout ce que m'inspire cette situation.


| Je sais pas ce qu'elles t'ont dit ou pas, Baratheon. Mais on en est là. Je suis marié à ta sœur, et l'amant d'Isla. Mais par les dieux, j'en ai assez de cette situation! |


Je pointe un doigt rageur vers Rhaenys ; nulle haine, ni mâle intention, mais je la dénonce, moi qui ne m'énerve d'ordinaire qu'avec une rage contenue, et la plus extrême froideur.

Se retrouver en solitaire face au ciel étoilé était bien l’une des rares choses qui offrait un peu de beaume au corps à la Arryn. Celle-ci appréciait se perdre dans l’immensité d’un sombre ciel éclairé par le poudroiement des halos des étoiles. Tout lui semblait risible à côté de cette représentation ondoyante et la naguère Corbray ne comptait plus le nombre de nuits où elle s’était perdue dans l’infinité de l’espace. Être petite, si minuscule que son existence serait balayé par le moindre brise, c’était un souhait qui revenait souvent. Les étoiles et la lune ne jugeaient pas, se contentant en silence d’observer le désarroi de la douairière. Spectatrices des atermoiements de l’apathie, les gerbes sélénites étaient bien les seules à pouvoir avoir la jactance d’avoir observé les larmes de la tristesse ou d’avoir surpris une Sharra en position d’insondable apathie. Curieusement, la valoise avait toujours entretenu une relation ambigüe avec ce paysage stellaire, offrant un sentiment de sérénité nuancée d’une sombreur oscillant entre l’argenté et le grisâtre. Parfois, la lassitude culminait lorsque la sang bleu se rappelait que longtemps, l’astre de la nuit brillante était le fanal de l’espérance dans un univers enténébré. Cette pensée la mettait face à son passé, ce qu’elle fut et ce qu’elle ne sera plus, alors tout devenait plus noir.