AMBITIEUSE
Ambitieuse, personne qui a de l’ambition et qui désire passionnément réussir.
Aenor s’assoit au bord de la fenêtre de sa chambre, elle surplombe une étendue verte et boisée, mais à l’horizon, tout ce qu’elle voit d’ici, c’est l’immensité de l’océan. Sa beauté, sa puissance, sa dangerosité. L’insulaire préfère les journées de tempêtes aux journées calmes, les mouvements de l’océan pendant les tempêtes électriques l’apaisent. Un sourire flotte sur ses lèvres tandis qu’elle serre entre ses bras le premier coussin à sa disposition.
« Bientôt. »Elle se laisse dériver quelques minutes, observant les vagues se fracasser contre le sable de la place. Elle s’imagine, auprès de quelques personnages d’une importance capitale, prendre des décisions qui ne devraient pas être les siennes de par son sexe, son appartenance au mauvais côté de la médaille. Elle s’en sait capable, il lui faut juste trouver les bons pions à bouger, les bonnes cases à cocher et tout est possible. Dans ses mains, elle ouvre son journal, observe son écriture, qui s’améliore de jour en jour avec les entrainements, elle relit les phrases qui la motivent, lui donner l’énergie, lui donne du courage. Elle jette le coussin sur son lit, marche jusqu’à son bureau, déterminée. Elle écrit, encore et encore, tout ce qu’elle voudrait dire, tout ce qu’elle retient, cette force qu’elle a à l’intérieur et qu’elle préserve pour le moment opportun, celui qui lui permettra de se hisser vers le ciel, laissant derrière elle les rôles traditionnels imposés par sa mère. C’est avec cette volonté qu’elle écrit des lettres, à Argella, à Torrhen, à Rhaenys. La jeune femme écrit inlassablement et les mots arrivent dans sa tête comme la tempête qui fait rage à l’extérieur. Lorsqu’elle s’arrête finalement, elle remarque son écriture qui se bâcle au fur et à mesure que les mots s’accumulent sur le parchemin. Elle prend un parchemin vieilli, observe l’amélioration de son écriture. Elle est mieux, mais toujours pas parfaite.
« Bientôt. Très bientôt. »Elle sourit, attrape les parchemins et les dépose doucement dans les flammes qui rugissent dans le foyer. Aenor regarde son écriture s’enflammer, certaine qu’un jour, ses lettres seront enfin envoyées, qu’on lui trouvera des qualités. S’ils ne les trouvaient pas, elle leur montrerait, à tous, ce dont elle était capable. Et elle se sentait capable de beaucoup.
POSSESSIVE
Possessive, personne qui éprouve un besoin de domination excessive sur une autre personne et/ou une autre chose.
Le soleil est haut dans le ciel, presque au-dessus de leur tête lorsqu’ils s’enfoncent en riant dans les petits bois près de leur domicile familial. À cette époque, Aenor est âgée de huit ans, Artus n’est pas vraiment plus vieux qu’elle. Ce n’est pas la première fois que les enfants s’aventurent ensemble dans les endroits cachés de l’île, ils la connaissent presque par cœur. Dans les bois, la température est fraîche, l’air s’engouffre entre les arbres, mais les feuilles cachent la forêt des rayons du soleil. La jeune fille marche juste derrière son neveu, elle observe autour d’elle, puis de temps en temps, lève les yeux vers le haut des arbres. Elle sent la pluie dans l’air. Bientôt, l’eau s’abattra sur les feuilles en douce mélodie.
« Tu sais ce qui est bien avec la guerre ? C’est qu’à force, il ne restera que les femmes pour diriger. » « Pourquoi tu dis ça ? »
« Parce qu’elles n’ont pas le droit d’aller à la guerre. » Elle plonge doucement la main dans le sac qu’elle transporte, il contient un gouter et une surprise. Elle sent, du bout des doigts, la surface dure de l’objet qu’elle convoite. Artus s’arrête et se tourne dans sa direction.
« On devrait rentrer. »
Il l’a senti, lui aussi, la pluie. Aenor regarde derrière elle, puis se retourne vers le garçon.
« On a encore le temps de se rendre aux champignons avant que la pluie ne te touche. » Elle s’empêche de le traiter de poule mouillée, puis lui fait un grand sourire. Il semble hésiter, mais Aenor le pousse légèrement dans le dos, ayant laissé la lourde pierre dans le fond de son sac pour l’instant. Ils se remettent en marche et lorsqu’elle est certaine qu’ils sont assez loin, elle sort silencieusement la pierre. Artus est content, il se penche pour attraper les champignons. Elle la tient à deux mains tant elle lui semble lourde. La jeune fille écoute le discours de son neveu, elle s’approche.
« Artus ? »« Oui ? »
- /!\ VIOLENCE /!\:
Tandis qu’il lève le visage dans sa direction, Aenor abat la pierre au centre du visage de son neveu avec une force modérée. Elle ne savait pas. Les yeux d’Artus se figent, il se tord légèrement et tombe sur les champignons qu’il tentait d'arracher. Le craquement l’a surprise. Elle se penche sur le corps d’Artus et l’observe attentivement, elle ne sait pas s’il est mort. Elle se relève en grommelant des paroles incompréhensives, puis lance, à mi-voix :
« Je ne lui aurai même pas dit pourquoi j’ai fait ça. »
Elle avait une idée, une ambition. Elle revient sur ses pas et soupire en regardant le fils de son frère, il est étendu à demi sur le côté. Ce n’est pas une position très naturelle pour mourir. Elle soupire et le pousse légèrement sur le bras pour qu’il soit sur le dos. Elle grimace. Le visage d’Artus est tordu, mais elle voit toujours son torse se bomber, prenant l’air qu’il peut. Il ne respire plus par le nez, le sang afflux sur son visage et Aenor distingue mal ses traits. Lorsqu’il ouvre subitement les yeux, elle lui sourit, tendrement, comme une mère sourit à son enfant.
« Je suis contente que tu sois éveillé. »
La jeune fille glisse doucement sa main sur la joue de son neveu, elle pousse ses cheveux qui commencent à se maculer de sang et à cacher ses yeux.
« Je sais que tu souffres. Ce n’était pas mon intention. Je veux seulement ce qui devrait me revenir de droit, quand mes frères mourront. Tu… Tu n’avais pas le droit de me le voler, tu comprends ? Tu… Tu es arrivé et tu as tout gâché. Je t’aime... mais il est l’heure de partir, maintenant. »
Aenor n’arrive pas à saisir le regard de son neveu. Est-ce qu’il a peur ? Probablement, il est tellement effrayé par tout. Maintenant qu’ils sont là, la fillette ne sait plus comment assurer ses arrières. Elle retourne le corps d’Artus et pose la lourde pierre près de sa tête. Elle fait quelques changements dans la zone de chute, notamment en plaçant une grosse branche à ses pieds comme seule explication.
Lorsqu’elle eut terminé, la pluie commençait à tomber.
Aenor abandonna son cousin à sa mort certaine et rentra, lorsqu’elle franchit l’orée, elle se composa un masque de panique et de tristesse, alertant toute sa famille de la disparition d’Artus.
MATURE
Mature, personne qui a une certaine maturité psychologique, qui fait preuve d’une certaine sagesse ou responsabilité liée à son âge.
Aenor est trop jeune pour comprendre la guerre et les enjeux de la guerre selon sa mère. Son père et ses frères partent, elle sait que c’est pour protéger les leurs, pour défendre l’Orage. La jeune fille se demande combien de père et de frère quittent ainsi leur famille, en ce moment même. Ermeline pleure. Elle fait promettre à son mari de revenir, en vie. Elle observe les gens autour d’elle se quitter, douloureusement, et elle analyse ses propres sentiments. Sont-ils légitimes ? Pourquoi ne pleure-t-elle pas le départ vers la mort des membres de sa famille ?
Loevan s’approche dans sa direction, elle contracte légèrement son corps lorsqu’il l’attire dans ses bras. Au bout de quelques secondes, elle se laisse aller, souris légèrement au contact de son père. Lorsqu’il se penche dans sa direction, un genou à terre, il plante ses yeux dans les siens.
« Je sais qui tu es Aenor. Rends-moi fier, d’accord ? Et... ne cause pas de problèmes à ta mère. »
« Je vous aimes, père. » Une larme glisse de son œil et la jeune fille l’essuie du revers de la main avant de se jeter dans les bras de son père une dernière fois. Elle regrette qu’il soit obligé de partir. Aenor regarde ses frères, leur fait un timide signe de la main, puis retourne auprès Ermeline. La mère pose un bras sur l’épaule de sa fille et ensemble, ils observent les navires quitter le port avec émotion. L’insulaire comprend probablement mieux que sa mère les enjeux de guerre qui pousse son père a quitter sa terre et une partie de sa famille pour protéger le sort de l’Orage. En pensant à ceux qui pourraient ne jamais revenir, Aenor se demande si Artus peut toujours hériter des terres de son père. Elle tourne lentement la tête vers son neveu.
Lorsque Vertepierre deviendra un pilier important, elle sera là, avec sa mère pour tenir ce qu’il faut en place. Elle apprendra à gérer sa demeure, son monde, son île. L’île d’Estremont sera a elle un jour, mais elle ne peut pas agir n’importe comment. Il faut calculer les coups et gagner la bataille, pas seulement la guerre.
VERSATILE
Versatile, personne qui change facilement de parti, d’opinion.
Peyredragon avait été magnifique. La forteresse construite au flanc de montagne donnait une vue impressionnante à la fois sur le détroit ainsi que sur la baie de la Nera. Le voyage s’était terminé trop tôt, Aenor avait rencontré des hommes forts charmants, mais ils n’étaient pas ce qu’elle cherchait en faisant ce voyage.
« Ils sont tous de bonne naissance et puis tu as toujours dit que tu voulais voir autre chose qu’Estremont. »
« Bien sûr, mais… Je… »Elle ne sait pas comment contredire son père. C’était vrai qu’elle l’avait dit, mais aujourd’hui, elle était plus grande et elle voyait les choses d’un œil différent. Le mariage n’était pas sa priorité, au grand désespoir de sa mère. En réalité, elle avait des ambitions et un mariage, surtout en ce moment, n’aiderait pas ses plans à se mettre en place. Au contraire, un mariage lui enlèverait la majorité des cartes qu’elle avait en main pour jouer au jeu.
« Je ne veux pas épouser ces hommes. »Loevan s’arrête de marcher et tourne le regard vers sa fille, le regard incertain. Aenor, le suivant d’un peu trop près, fonce dans le dos de son père. Elle lève la tête vers lui, étonnée.
« Pardon. »« Ce n’est pas toi qui voulais faire ce voyage en direction de ces terres ? »
Il n’avait pas tort sur le fond, mais il avait tort sur l’idée dans la tête de la demoiselle. Aenor ne voulait pas d’un mariage entre nobles qui la ferait Lady d’une autre terre que la sienne. Elle avait grandi sur l’île, elle l’avait aimé, puis détesté, puis elle l’avait voulu. Elle l’avait voulu tellement fort qu’aujourd’hui, elle ne s’imaginait pas la quitter pour toujours, afin de procréer sur la terre d’un autre, des héritiers et héritières qui ne seraient pas des insulaires, qui ne connaîtrait rien à l’immense étendue d’eau qui s’étirait à l’infini. Elle voulait que ses enfants connaissent les tempêtes, les orages, la pluie. Pas la terre, la vase et la boue. Peyredragon semblait un bon point de départ pour comprendre les jeux qui se déroulaient dans les châteaux, derrière les portes fermées des plus grands dirigeants de ce monde. C’était ça, le véritable enjeu, rencontrer des gens, se montrer, faire voir de quoi elle est capable. Elle voulait seulement tremper son gros orteil dans le bassin de requin pour voir qui allait en surgir et comprendre comment se protéger et attaquer lorsqu’il le fallait.
« J’ai changé d’idée. Je ne veux plus me marier… pas comme ça. Je veux aimer quelqu’un. »En était-elle seulement capable ?
« Tu devras tout de même trouver un époux, Aenor. Tu es jeune, tu as le temps, mais il faudra te décider et… surtout, ne plus changer d’avis. »
Il pose doucement la main sur la joue de sa fille et secoue la tête en souriant. Elle ne su jamais à quoi il avait pensé exactement en la regardant de cette manière, mais elle se souviendrait toujours de ce regard : c’était ça, l’amour.
CURIEUSE
Curieuse, personne qui est désireuse de voir, de savoir et de connaître.
Assise par terre dans la bibliothèque de sa demeure, Aenor dépose un nouveau livre sur une pile à côté d’elle. Elle frotte doucement ses yeux douloureux. La lumière de la chandelle est trop légère pour lui permettre d’étudier pour longuement. Elle laisse tomber sa tête vers l’arrière, son crâne repose maintenant contre les rangées de livres qui s’étirent des deux côtés derrière elle. Si Ermeline était passée, elle aurait prié sa fille de prendre un fauteuil, une chaise, un coussin… N’importe quoi plutôt que le plancher de la vieille bibliothèque. L’enfant n’en faisait qu’à sa tête. Elle n’arrivait pas à se concentrer dans le confort d’un fauteuil. Elle ne savait pas pourquoi, mais chaque fois qu’elle lisait dans le confort, ses paupières commençaient à se fermer, lentement, puis de plus en plus. Sur le sol froid, elle trouvait une concentration qui n’égalait aucune solution apportée par sa mère.
En entendant les pas dans le couloir s’approcher de l’entrée, Aenor se précipita sur le fauteuil tiré – une heure plus tôt – par sa mère. Elle a à peine le temps de s’assoir qu’Ermeline passe sa tête par la porte, un sourire étire ses lèvres alors qu’elle s’approche de son enfant. La jeune fille fait semblant d’être absorbée par la lecture d’un manuscrit sur la diplomatie lorsque la plus vieille s’arrête près d’elle pour lui caresser les cheveux.
« Il est temps de ranger ton bazar, jeune fille. »
« D’accord. »Aenor prend les prochaines minutes pour ranger tous les livres, manuscrits, manuels qu’elle a sortis des rangs. Elle arrive à se souvenir l’emplacement de la majorité et laisse les autres de côté. De toute façon, elle reviendra le lendemain pour continuer, dans ses moments libres.
À peine endormie, l’enfant s’éveille. Emersen est entré dans sa chambre, une bougie à la main. Aenor fait semblant de dormir et attend. Le jeune homme prend quelques minutes, s’approche et pose deux doigts sur le front de l’enfant.
« Je sais que tu ne dors pas. »
L’enfant ouvre les yeux et découvre le visage souriant de son ami et mentor.
« Es-tu prête ? »
« Toujours. »Aenor saute de son lit, toujours habillée et suit Emersen à travers les couloirs silencieux de la demeure. Ils s’arrêtent dans leur endroit secret, qui n’est en fait qu’un bureau non utilisé, car l’emplacement n’est pas pratique. C’est dans cet endroit qu’il lui apprend tout ce qu’elle veut. Parfois, elle a l’impression qu’Emersen connait tous les domaines et d’autres fois, elle se rend compte qu’il ne s’y connait pas aussi bien qu’il le devrait pour être son mentor. En réalité, elle aime bien s’éclipser la nuit pour continuer ses apprentissages sans le regard ponctuel de sa mère pour lui dire quand elle doit s’arrêter ou continuer, mais surtout… Sans qu’elle lui dise constamment à quoi une Lady doit occuper son apprentissage. Elle veut apprendre plus de choses, toujours plus. Et sur des sujets variés.
MANIAQUE
Maniaque, personne qui a l’esprit troublé par une idée fixe.
Aenor est incapable de s’arrêter, elle a besoin de calculer, de comprendre où elle s’est plantée dans ses calculs. Debout derrière son bureau, elle trempe sa plume dans l’encre avant de recommencer à écrire. Les parchemins s’accumulent à côté d’elle, en piles distinctes. Elle écrit avec acharnement tous ses plans. Elle devra penser à les brûler. Personne ne doit jamais savoir ce qu’il s’est passé avec Emersen. Jamais. Elle n’a pas dormi depuis trois jours maintenant, alternant entre debout dans sa chambre à faire les cent pas ou debout derrière son bureau à noircir des pages de texte diffus et incompréhensible pour tous ceux qui ont tenté d’y comprendre quoi que ce soit. Elle passe le reste de son temps, debout, immobile, à la fenêtre de sa chambre à observer le ciel, l’océan. La tempête dans sa tête l’empêche de poser la tête sur l’oreiller. Elle a essayé pourtant, c’était ce qu’il y avait à faire selon sa mère : il fallait qu’elle dorme. Les cernes sous ses yeux sont noirs et profonds, elle a perdu du poids et n’avale presque rien. De la fenêtre, on dirait un fantôme tant son teint est blanc.
L’insulaire ne sait pas comment s’arrêter, mais lorsque son père entre, elle fait un effort pour ne pas le blesser. Il lui apporte quelque chose qu’elle aime manger, un peu d’eau, du lait chaud. Elle se force, pour Loevan, parce qu’il est inquiet. Elle ne comprend pas pourquoi dans l’instant, elle ne peut réfléchir qu’à ce qui tourne en boucle dans sa tête : ses plans, ses secrets, ses ambitions. Elle s’assoit. Elle prend le temps d’inspirer profondément pour calmer les tremblements de ses jambes, l’affolement de son cœur. Pendant un instant, elle fait semblant. Elle montre à son père qu’elle sait être raisonnable, qu’elle peut se poser et rester calme, qu’elle est toujours la même. Cependant, au moment où il franchit la porte, elle se met à marcher. Elle tourne en rond comme un lion dans une cage afin de reprendre le fil de sa pensée.
Puis d’un coup, tout s’écroule.
Elle perd son énergie, elle tombe. Réellement. Son corps s’écrase contre le plancher en bois de sa chambre.
Lorsqu’elle ouvre les yeux, quelques heures plus tard, elle voit le visage inquiet de sa mère, elle entend ses prières à mi-voix pour tenter de l’apaiser, de l’aider. Elle la rassure, elle ne quittera pas son chevet. Pendant une semaine, Aenor reste étendue dans son lit, gagnant de la force un peu chaque jour de repos, jusqu’à ce qu’Ermeline décide qu’elle pouvait reprendre son train de vie habituel. Elle n’a jamais su quel avait été son problème et lorsqu’il fut question des dizaines de parchemins griffonnés, elle ne sut pas quoi répondre. La vérité était exclue : elle mentit, disant qu’elle ne se souvenait plus de les avoir écrits.
Encore aujourd’hui, cet événement est resté secret. Ses parents ont tout fait pour que cela ne se sache pas, tâchant de préserver tant leur fille que leur nom.
PATIENTE
Patiente, personne qui manifeste de la patience, qui sait attendre le bon moment pour exécuter.
Lorsqu’elle a entendu la nouvelle, Aenor s’est précipitée dans la chambre qu’occupe le malade. Son cœur palpite alors qu’elle traverse la demeure à grandes enjambées. Elle ne sait pas si elle est heureuse ou complètement déboussolée. Son plan. Son ambition. Elle lui revient en pleine tête avec la force d’un dragon cracheur de feu. Il lui faut trouver un moyen, une solution, car bien qu’elle soit capable de faire preuve de pardon, elle ne sait pas s’il sera du même avis qu’elle. Aenor entre dans la chambre, le souffle court. Artus a les yeux ouverts, il semble légèrement perdu, comme s’il ne reconnaissait pas totalement sa chambre. Elle reste à distance, l’observant. Elle attend. Elle ne sait pas ce qu’elle attend. Peut-être qu’il parle, qu’il avoue ce qu’il s’est passé, qu’il l’accuse devant toute la famille qui commence à s’agglutiner autour du survivant. Il n’aurait pas dû survivre. Elle est contrariée. Elle devra s’en débarrasser autrement maintenant, il ne peut plus lui arriver d’accident. Aenor repense à ses différents apprentissages, à ce qu’elle connait du monde et les solutions ne semblent que des problèmes pouvant rallonger son sursis. Pour elle, le mieux, ce serait qu’il ait tellement peur qu’il n’ose le dire à personne. Jamais. Cependant, la peur s’estompera probablement avec les années. Zut.
Aenor reste à distance, toujours au même endroit, mais son regard est dardé sur son neveu. Il ne la voit pas d’où il est. Il aurait déjà du tout raconter à tout le monde. Pourquoi ne le fait-il pas ? Elle est nerveuse lorsque sa belle-sœur s’approche d’elle, tout sourire.
« Il est vivant. Tu dois être contente. »
« Bien sûr. » dit-elle, enjouée.
« Approche-toi. Il sera content de te voir. »
Elle ne répond pas qu’elle en doute. Elle a peur de s’approcher et qu’il se décide, dans la panique, à tout avouer. La mère d’Artus pousse gentiment Aenor jusqu’au chevet du garçon. Lorsque leurs regards se croisent, quelque chose dans celui du blessé change. Il a peur. Tant mieux. Elle attrape sa main, la serre doucement entre les siennes, un sourire aux lèvres et quelques larmes qui s’accumulent devant ses yeux.
« Aenor est venue à ton chevet presque chaque jour. Elle t’aime beaucoup, tu sais. »
Artus fronce les sourcils, son visage se tord légèrement. Aenor accuse le coup, elle sait qu’il se souvient. Sancie, elle, prend ces signes pour de la douleur et se lève afin d’aller chercher quelqu’un de plus compétent pour soulager la souffrance de son fils.
« Pourquoi tu ne leur dis rien ? » demande-t-elle, allant droit au but, lorsqu’ils se retrouvent seuls dans la pièce.
« De quoi tu parles ? »
Sa voix est enrouée, il a un bandage sur une grande surface du visage. On lui a dit que la blessure n’était pas si effrayante, mais qu’il fallait la protéger pour éviter qu’elle n’empire.
« De la forêt… Je… Je m’excuse. »« C’est pas ta faute si je suis tombé. »
Son masque s’écroule. Tombé ? En s’approchant de lui, elle s’était dit qu’elle ferait semblant un instant, lui montrer qu’elle était capable de feindre, de faire croire qu’elle n’était pas coupable pour ensuite lui dire qu’elle le tuerait s’il révélait quoi que ce soit… C’était son plan, pensé à la dernière seconde, sans réellement réfléchir aux conséquences que cela apporterait.
« Mère m’a dit que tu m’avais beaucoup cherché, il y avait de la boue sur tes vêtements. Je me suis pris les pieds dans des branches et je suis tombée la tête première sur une pierre. Une grosse pierre. Je voulais prendre des champignons. Tu te rappelles les champignons ? »
Artus pose une main sur sa tête, la douleur l’élance. Aenor, stupéfaite, ne dit plus rien. Il joue la comédie. C’est sûr. Il ne peut pas avoir… oublié ? Il veut jouer avec sa tête, lui faire croire, lui montrer qu’il est plus fort qu’elle. Aenor se redresse, s’assoit bien droit sur sa chaise, comme si ça pouvait changer quelque chose. Elle le toise du regard, jusqu’à ce que la mère revienne accompagnée du mestre. Sancie pose une main rassurante sur l’épaule d’Aenor alors que cette dernière lève un regard étrange vers sa belle-sœur.
« Pourquoi n’a-t-il plus aucun souvenir ? »Le mestre lui répond :
« C’est le coup à la tête. Parfois, les souvenirs se cachent à l’intérieur du crâne. Ils reviennent généralement quelques jours plus tard. »
« Et sinon ? »« Ils ne reviennent jamais. Mais il n’est pas important de se souvenir de ce type d’événement, ne crois-tu pas ? »
« Vous avez raison. »Elle espérait surtout qu’il ne se souvienne jamais, mais elle avait un plan si les souvenirs revenaient. Aenor passa les prochains jours au chevet de son neveu, qui lui parlait de tout et de rien, l’air de complètement se remettre du coup. Son visage n’était pas si déformé qu’elle l’avait cru de prime abord, il n’avait que le nez croche, et une plaie qui descendait sur sa joue. Pendant des jours, elle joua le jeu et oublia, elle aussi, ce qu’il s’était passé.
Artus ne retrouva pas l’intégralité de ses souvenirs, sauf quelques bribes qu’il lui a racontées : les champignons, il avait pourtant le souvenir qu’ils y étaient allés ensemble, mais ensuite, le coup à la tête lui avait fait oublier le reste. Aenor eu peur durant des jours et des semaines, puis… peu à peu, elle reprit contenance et s’assura que ce type d’événement n’arriverait plus. Elle ne pouvait pas agir n’importe comment, il fallait bien s’y prendre et calculer ses coups. Elle ne pouvait pas se laisser emporter de la sorte, sinon elle finirait par perdre la partie avant même de l’avoir commencé.