Mon oncle se balance d’un pied sur l’autre, son épée tapote sa cuissarde en fer d’un tintement plus ou moins régulier. Il me répète et me susurre les mêmes leçons de sagesse, appelant le bon mestre à son aide pour le compléter ou le soutenir. Il est question d’honneur, de chevalerie, de camaraderie et surtout d’humilité. Enfin, il me rappelle la grandeur d’âme de mon père ou me prévient de la délicate situation de ma mère.

Malheureusement, je ne flanche pas. Mon regard est toujours aussi noir, mes lèvres toujours aussi scellées. Je n’ai rien dit depuis qu’on m’a annoncé qu’Orys Baratheon et son dragon ont été perçu non loin. Je n’ai rien ordonné afin d’accueillir convenablement le Prince Régent de Peyredragon, le dragonnier de l’Empire, le frère de l’Impératrice et l’oncle de la reine infante de Peyredragon. Je n’ai pas non plus quitté la tente pour le servir du décorum dû à son rang.

Il va venir jusqu’à mes pieds.
Telle est ma décision silencieuse.

En dehors de ma tente, j’entends déjà l’agitation inhabituelle de mes hommes. Le maitre chenil n’aboie plus d’ordre à sa petite troupe, la roue du forgeron ne siffle plus contre les lames émoussées des braves et des courageux, des soldats clament leur respect haut et fort. Enfin, contre son gré et avec une crainte des plus palpables, mon oncle annonce l’arrivée du Prince Régent. L’homme apparait, chenapan très ravi, benêt inconscient.

Je ne réponds pas.
Je le fixe simplement.

- Je ne partage pas de nouvelles avec ceux qui ne sont pas concernés par mes manœuvres militaires. Et vous ne l’étiez pas jusqu’à très récemment. Mais, auriez-vous lu véritablement mes missives ? Apparemment, le Val doit verser un sang considérable avant que Peyredragon accepte d'entendre mes gens et moi.

Mon ton est froid. Nulle chaleur, nulle méprise.
Je suis tout bonnement furax. Et je couve une colère froide, bien plus terrible qu’une colère de braise.

- Bien. Je vous entends. Veuillez me suivre. Je ne souhaite pas poursuivre cette discussion dans cette tente.

Sans plus un mot, sans même attendre s’il y consent ou non, s’il a soif ou faim ou non, je quitte la tente. Si le pas est maitrisé et calme de prime abord, il s’accélère au fur et à mesure que nous nous éloignons du campement. Mon lynx, mon oncle et deux gardes faucons sont à nos talons. Alors, je m’arrête. Au premier, j’ordonne de ne pas bouger d’un petit claquement de la langue. A mon oncle, je lui donne un ordre très spécifique.

- Je vais hurler. Et si vous m’entendez, Lord Corbray, vous allez me le signaler avec un hurlement. Je vais m’éloigner jusqu’à ce que je sois certain que personne, absolument personne, ne nous entende.

J’offre un regard aussi noir qu’assassin à Orys. L’enfer va se déchainer sur lui. Et il pourra en faire de même pour moi. Cependant, nos gens n’auront pas à subir nos caprices de souverains. Quoi qu’il va se passer va se régler en huis clos, avec les arbres, le ciel et les animaux de la forêt pour seuls et uniques témoins.

A nouveau, sans me préoccuper davantage du brun – s’il m’a suivi ou non, s’il accepte ou non ce huis-clos –, j’avance à grandes enjambées et hurle à intervalle plus ou moins régulières. Il a fallu trois beaux cris pour être enfin hors de portée des oreilles de tous. Du moins, je le pense. Les espions et éclaireurs ne manquent jamais dans les parages.

Et j’attendrai ici jusqu’à ce qu’Orys arrive.
Et l’armée ne bougera pas tant que je n’ai pas remis les pendules à l’heure.
Au final, je suis roi.

- Pourquoi êtes-vous ici ? A la demande de qui et dans quel but stratégique exactement ?

Telle sera ma première question.

Codage par Magma.

Mon regard se plisse aux réponses des plus déplaisantes offertes par le Dragon. Est-ce que lui, le Roi du Nord et l’Impératrice se fichent cruellement et allègrement de ma pomme ? S’il est aisé d’imaginer un Régent irrévérencieux et moqueur, l’exercice est extrêmement ardu avec les deux autres souverains: le Nordien est un homme d’honneur, la Peyredragonnienne est une femme entière. L’un et l’autre ont accepté d’enterrer la hache de guerre avec ma capitulation. En dépit des griefs passés, ils n’oseraient pas un tel impair à mon encontre et relancer des hostilités avec le Val et la Montagne.

Quoique, je repense aux négociations avec l’Ouest et, déjà, mon poing se serre et ma mâchoire se crispe. Il n’y a pas eu moquerie, mais de la condescendance et de l’hypocrisie. Par sa simple présence et ces quelques mots, l’homme qui me fait face confirme mes sentiments vis-à-vis des derniers événements reportés par les souverains directement ou par mes représentants à Fort-Darion.  

Je pèse et soupèse lesdits derniers événements qui m’ont méchamment faché, tente d’y trouver une réponse. Or, toutes les pistes de réflexion buttent à l’impasse. Je ne saisis nullement la logique des discours tenus par le collège impérial et les actions menées par les différents royaumes fédérés. Est-ce qu’il y a davantage que ce que mon interlocuteur veut bien dire ?

Le silence s’épaissit. Mon regard est plus noir. Mes méninges tournent à cent à l’heure. A quoi bon donner des cours d’étiquette et de respect à celui qui est mon ainé, à celui qui doit être un modèle à suivre et non un modèle à éviter et surtout à un homme déjà bien fait ? Si sa propre famille n’a pas su lui inculquer quelques notions de cour et de maintient vis-à-vis d’un souverain, je ne peux rien faire. Dès lors, j’ai à ronger mon frein, à ignorer son ton ironique, son air “moqueur” – ou flegmatique, je ne saurais pas dire.  

Finalement, je reprends la parole mais d’un ton extrêmement froid et lent. C’est le calme avant la tempête.

- Lors du dernier collège impérial, vos représentants, ceux du Nord et ceux du Conflans ont été extrêmement insistants sur le grand danger que court l’Impératrice et l’Empereur sur les terres bieffoises. Il n’a jamais été question du Mur ou du Nord, absolument jamais. Et en vertu de cette urgence, de la nécessité d’apporter du soutien au couple impérial, vous avez voté à la majorité à lancer les pourparlers avec l’Ouest et, encore à la majorité, vous avez voté les conditions. Conditions que le Roi du Nord et la conseillère impériale Isla Chelsted ont accepté de reconsidérer avec le Roi de l’Ouest, dont l’abandon des dédommagements pour le Val et la Montagne.

Je reste factuel.
Je tente de maîtriser cette voix qui tremble.

- Est-ce que les corbeaux ont tous été tué en chemin ? Est-ce que les nouvelles ne traversent pas les frontières nordiennes ? Votre présence au Nord m’étonne. Un homme comme vous ne peut l’être que si votre sœur a triomphé face à une armée supérieure à la sienne et que vos hommes ont su dominer l’une des plus grosses flottes de Westeros. Est-ce le cas, majesté ?

Mon ton est tranchant, mon regard plein de jugement.

- Enfin, je ne suis pas dragonnier, mais j’ai assez discuté dragon avec votre sœur par le passé à ce sujet-ci. Ebryon est très jeune. Le dragon an encore beaucoup à apprendre, et cela ne me semble possible qu’en présence d’un autre dragon ou chevaucher par un dragonnier très expérimenté. Un jeune dragon inexpérimenté et isolé si près du Mur, chevauché par un dragonnier avec moins d’expériences que l’Impératrice, n’est pas avisé. Et j’ai un grand mal à croire que l’Empereur mettrait l’une des forces de l’Empire en tel danger et, surtout, que l’Impératrice a si peu de considérations pour ces créatures légendaires qu’elle considère davantage comme sœurs que bêtes.

Codage par Magma.

L’horreur de la situation me frappe avec violence. L’homme a abandonné sa sœur et ses hommes face à un ennemi autant supérieur en nombre qu’en férocité. A cet instant-ci, le Roi Manfred et la Reine Eren vont jouer leurs dernières cartes face aux meutes déchainés et aux dragons enflammés de l’Impératrice et de l’Empereur. Tout l’avenir du Westeros repose dans ce dernier affrontement.

Et Orys Baratheon l’a abandonné, ou fui.

Je le devine car ses arguments ne tiennent pas et ne corroborent pas avec les derniers échanges avec les différents souverains, ou même au sein du collège impériale. Si la menace au Mur est si grande, il y a bien longtemps que tout le monde aurait envoyé des renforts pour chaque parti en présence. Les Verts auraient profité pour rajouter un nouveau front bien fort, et l’Empire aurait cherché à endiguer cette nouvelle menace ou à la tuer dans l’œuf.

Une seule et unique lettre reçue d’un Roi jamais rencontré est un argument trop léger pour justifier sa présence ici même. Stig Botley peut autant bluffer qu’être sincère. Et même s’il est sincère, quelle est la preuve qu’il a la force nécessaire pour détruire un bloc de glace connu pour avoir traversé les siècles? Personne ne l’a. Enfin, la promesse que le dragonnier se contentera de jouer uniquement les éclaireurs me conforte dans l’idée que quelque chose ne tourne pas rond.

Il me manque un élément. Il semble que je ne vais pas tarder à l’avoir. Au loin, une petite tâche brune se dégage de la masse. Je devine bien vite la silhouette familière de mon mestre. La colère gonfle ma poitrine. Pourquoi ne m’écoute-t-on pas ? A bout de souffle, l’homme de petite stature me tend quelques lettres, toutes de souverains fédérés, de l’Empereur et de l’Impératrice.

(Mestre) - Lord Smaug m’a bien indiqué que personne ne doit vous déranger dans cet entretien, mais vous m’aviez spécifié que tout courrier de vos alliés priment sur toute obligation en cours.

Je fixe Orys.

- Votre Majesté, notre entretien n’est pas terminé. Permettez-moi de survoler ces courriers et m’assurer qu’il n’y a pas une urgence que vous auriez oublié de me faire part.

J’arrache les lettres d’un geste rageur  des mains du mestre et ouvre la première, celle de l’Empereur. Je la survole rapidement, fronce les sourcils, soupire et rend le bout de papier au Mestre.

- Je répondrai plus tard.

Je fais de même avec d’autres courriers. Enfin, j’ai celui de l’Impératrice. Là, je passe bien plus temps à lire chaque ligne que les autres. Elle est courte et succinct, mais les minutes s’égrènent. Je garde cette lettre-ci et congédie le mestre.

- Vous n’êtes plus Prince Régent. Et vous n’avez plus de droit sur Ebryon. Avez-vous une explication à me fournir, avant que je vous fasse part de ma décision vis-à-vis de vous ? Car, à cet instant-ci, je suis votre supérieur en terme de hiérarchie militaire mais aussi par le sang et les titres.

Je n’exprime nulle joie à cet état. J’établis un fait, d’un ton froid. Il y a bien longtemps que j’ai rangé orgueil et rancune dans un placard. Tout ce qui m’importe est la sauvegarde du Val et celle-ci passe par la victoire de l’Empire et l’humiliation de l’Ouest.

Je lui tends la lettre de l’impératrice, épiant très attentivement ses réactions.

Codage par Magma.

L’arrogance d’Orys est inouïe. Il se contrefiche de la loi des hommes, des dieux et même des dragons. Il a abandonné sœur, neveu, nièce et hommes et, dans cette ahurissante et stupéfiante lâcheté, il ose encore me prodiguer des conseils comme de ne pas gâcher une quelconque chance. A nouveau, il me fait le coup ! Il insulte le Val et la Montagne publiquement, de façon passive ou agressive, puis cherche à faire amende honorable sous ses airs de noble homme ! Je ne rougis pas de colère, je ne contorsionne pas plus ma bouche pour lui hurler.

Ebryon approche, mon lynx s’affole un tantinet mais retrouve vite le calme lorsqu’il sent que je ne m’inquiète pas. La bête cale son humeur à la mienne, se rapproche de moi et ose lancer un regard aussi méfiant qu’effrayé à la créature écailleuse. Aujourd’hui, elle est la fierté d’une Maison et la frayeur d’un continent. Demain, elle ne sera plus qu’une simple monture pour des êtres arrogants comme Orys Baratheon et une cible quelconque à abattre.

Car l’Homme n’aime pas être l’inférieur de quiconque ou de quoi que ce soit. Tôt ou tard, nous dompterons ces créatures et les réduiront au même niveau que les oiseaux à abattre. Je doute que je serais témoin d’une telle prouesse humaine, mais je suis persuadé que nous allons avoir droit à cette ère.

- Vous n’êtes plus un dragon, Orys. Vous ne l’avez jamais été. A cet instant-ci, en abandonnant votre sang et vos hommes, vous prouvez au monde entier ce que l’on dit sur les batards : une engeance en qui nous ne pouvons jamais avoir confiance. Que vous soyez celui qui a abandonné son poste ou que l’Impératrice vous a délogé ne changent en rien, hormis la protection de votre honneur. Là où vous crachez sur la vôtre, votre sœur a essayé de vous préserver. Là où vous fichez en l’air la stabilité de l’Empire des Royaumes Fédérés, elle tente de la maintenir.

L’homme est prêt à prendre son envol.

- Vous êtes soldats. Si vous refusez de le reconnaitre, vous êtes un déserteur. Dès lors, soldat, je vous interdis de mettre un pied près du Mur avec ce Dragon. Vous avez pour ordre de vous rendre immédiatement à Peyredragon, qui a tout droit sur la question des dragons. Vous avez largement soutenu cette initiative : ne trahissez pas vos propres mots. Si j’ai vent que vous avez désobéi à mes ordres, je vous traine en cours martial.  

La chose est dite.
Bon vent.

Codage par Magma.