O mon beau saule pleureur aux feuilles en cascade, pourquoi fais-tu pleurer ces larmes de jade ?

- Et voilà le dernier lot de broderie, vous êtes sûre que vous ne voulez pas passer la nuit à l’auberge ? Il commence à se faire tard ! Proposais-je avec bienveillance à un de mes nouveaux associés, en lui tendant une caisse de soierie brodée.
- Non ! Ne t’inquiète pas pour nous, nous sommes habitués à dormir à la belle étoile. Bonne continuation à toi de ton côté, Lin ! Me répondit le marchand avant de rejoindre sa charrette où attend sa petite famille.
- Bon voyage à vous, n’hésitez pas à faire parler de la Compagnie de Jade !

Ils me font alors de grands signes de main pour me dire au revoir et je souris attendrie par cette vision familiale. Bien qu’un peu triste puisque je n’ai que rarement vécu une pareille relation. Je soupire rêveusement, avant de me tourner vers l’entrepôt appartenant momentanément à la compagnie. Voilà une semaine que nous avons reçu les premières cargaisons de Yi-Ti, et je dois dire que je me sens toujours autant ravie à la perspective de voir grandir ce commerce. Les relations avec les marchands de mes terres natales se passent au mieux, cela m’a réchauffé le coeur de pouvoir renouer avec mes origines, mes coutumes.

Je lève mon regard vers le ciel, calculant l’heure. Il me reste encore une quinzaine de minutes avant mon prochain rendez-vous. Je ferme alors les portes de l’entrepôt et me dirige vers les quais. Au début, je me sentais un peu timide à l’idée de rencontrer autant de monde, mais j’ai l’impression de ne pas trop mal m’en sortir. Peut-être que mon expérience au comptoir commercial de Pentos m’a donné un tant soit peu de confiance en moi. Ou plutôt, serait-ce la confiance de Dame Arianne envers ma personne qui me rend sereine ? Je ne saurais dire. Je porte ma main à mes cheveux, rencontrant l’épingle à cheveux en forme de fleur d’où pend une petite pierre de jade. Dans tous les cas, je souhaite lui montrer qu’elle peut avoir confiance en moi, que je ferais prospérer sa compagnie pour un meilleur avenir dornien.

Mes souliers foulent les planches en bois d’un des quais, alors que je m’approche du bord. Regardant autour de moi, je ne vois que des pêcheurs revenir de leur journée maritime. En attendant que l'heure arrive, je m’installe en tailleur et sort ma flûte en bambou. Regardant l’horizon, je m’autorise une petite pause harmonieuse en portant mon instrument à ma bouche, et savourant les délicieuses notes en sortant. Un doux vent m’effleure, me faisant frissonner après cette chaude mais habituelle journée. Après deux morceaux de musique, je me stoppe et regarde à nouveau le ciel. Je range ma flûte, remarquant qu’il était l’heure et me lève afin de rencontrer mon futur collègue. Alors que je m’éloigne du bord, je vois une jeune femme que je n’ai encore jamais vu dans le coin, avec une coiffe charmante et travaillée. Elle semble seule et dans l’attente. Je souris intriguée, je pense avoir mon associée.

- Bonjour, seriez-vous l’envoyée pour la Compagnie de Jade ? Lui demandais-je une fois à sa portée. Votre coiffe est superbe si je puis me permettre.

O mon beau saule pleureur aux feuilles en cascade, pourquoi fais-tu pleurer ces larmes de jade ?

Étant de nature curieuse, mais surtout aimant les belles choses, j’analyse le tissu camouflant les cheveux de ma nouvelle rencontre. J’y remarque des petits bijoux scintillants. Je n’avais encore jamais vu de finition pareille, c’est somptueux ! Je descend légèrement mon regard pour croiser celui de la dénommée Jasmyne.

- Heureuse de te rencontrer ! Je me courbe légèrement en avant pour la saluer, habitude que j’ai repris depuis que je suis en contact avec les marchands Yitish. Et je t’en prie, nous allons être associées, tutoies-moi, et appelles-moi Lin.

Lui intimais-je, n’ayant guère l’habitude d’être appelée ainsi. Lorsque je la complimente sur sa coiffe, elle me rapporte qu’elle s’apprêtait à faire de même à mon sujet, ce qui me fait doucement rougir, je lui souris en réponse. Involontairement, je passe une main dans ma chevelure. J’ai toujours aimé prendre soin de celle-ci tout autant que de les coiffer, les tresser, les enrouler, les agrémenter de baguettes décoratives. Cela me détend, et me ramène à un temps plus paisible. Je n’ai jamais changé cette habitude, depuis que j’ai appris à m’en occuper à l’okiya. Là-bas, on nous apprenait sans cesse à prendre soin de nous afin d’avoir un physique irréprochable envers la gente masculine. Aujourd’hui, je ne le fais que pour moi-même, et c’est particulièrement plaisant. De ne rien devoir à personne.

- Eh bien, je porte une tenue traditionnelle de Yi-Ti, si ça t’intéresse ! Nous en possédons quelques-unes dans l’entrepôt, tu pourrais essayer. Pour ce qui est des cheveux, nous aurons tout le temps d’apprendre l’une de l’autre un de ces jours n’est-ce pas ?

Proposais-je courtoisement, espérant que la Compagnie perdure dans le temps, mais j’ai grand espoir, et je compte tout donner pour que l’avenir s’offre à elle. Abordant le sujet de Bourg-Cabane, je ne peux qu’acquiescer à ses paroles. Je regarde autour de moi, appréciant les habitations et échoppes hauts en couleurs, ainsi que les habitants à l’humeur joviale et altruiste. Quand j’ai reçu les premières commandes de Yi-Ti, certains d’entre eux n’ont pas hésité à venir m’aider pour remplir l’entrepôt. En échange, je leur ai promis un rabais sur les marchandises, ce qui en a fait mes premiers clients.

- J’aime beaucoup cet endroit également, c’est chaleureux et bon vivant. Je ne peux réellement te dire si nous resterons définitivement ici, nous verrons en fonction des problématiques de la Principauté, ne sait-on jamais avec les temps qui courent.. Vous serez prévenus si cela arrive, tu n’as pas à t’inquiéter de cela !

Je me plais dans mon rôle, en grande partie social et culturel. Cela me donne confiance, malgré mon cœur qui tambourine particulièrement fort en début de rencontre. Je ne peux m’empêcher de ressentir cette petite appréhension de tomber sur une personne peu réceptive. Mais cela n’a pas l’air d’être le cas avec cette jeune femme, qui semble me ressembler sur certains points.

- Bien, je vais te montrer l’entrepôt, suis-moi ! Je commence à marcher en direction du cœur du village, et je continue de lui faire la conversation sur le trajet en joignant mes mains derrière mon dos. Dis-moi, par quelle sorte de marchandises serais-tu intéressée ?

O mon beau saule pleureur aux feuilles en cascade, pourquoi fais-tu pleurer ces larmes de jade ?

Mon interlocutrice est réceptive à mes dires, et tout aussi emballée que moi quant à notre entrevue, fait qui me ravi particulièrement. Je n’aurais été point aussi à l’aise avec une personne plus réfractaire ou froide. J’ai encore bon nombre de choses à apprendre, à évoluer chez moi. Cela prend du temps, et je sens quand même une petite partie de moi reprendre en confiance. Cette Compagnie est ma chance, celle de grandir par moi-même, et de pouvoir aider mon prochain d’une certaine manière. Je ne suis pas une diplomate, ni une rebelle et encore moins une soldate, je contribue alors de la seule façon dont je suis capable, pour améliorer la vie des dorniens et apaiser un tant soit peu le coeur de ma bienfaitrice.

- J’en serais ravi ma chère ! La finesse de la couture et les détails de votre coiffe me rendent aussi curieuse qu’envieuse.

Lui disais-je avant de l’escorter vers le centre de Bourg-Cabanes afin de parler plus en détail de nos activités en commun. Sur le chemin, je l’interroge sur ses marchandises de prédilection. J’apprend qu’elle a été apprentie d’un herboriste, où elle a pu apprendre bien des choses. A la voir ainsi aussi bien vêtue, on pourrait croire qu’elle fasse partie d’une importante famille, mais le fait qu’elle ait apprit la base de l’éducation auprès de son maître herboriste dément toute ma croyance. Je devrais le savoir pourtant, on ne doit jamais se fier aux apparences.. J’ai beau faire très attention à la mienne, je n’oublie pas que la poudre de mon visage camoufle une partie sombre de mon histoire, cette petite marque que l’on m’a imposée sur l’île de Lys pour faire comprendre mon appartenance au rang inférieur. Peut-être que sous son joli sourire et son apparence originale se cachent bien des tragédies..

- Nous ne pouvons malheureusement pas grand-chose contre les guerres, mais l’un de nos objectifs principaux est d’aider au mieux la population qui souffre sans arrêt des conflits de Dorne. Mais si tu croises d’autres marchands de la Compagnie en route, ils pourront certainement t’aider si tu en as besoin, voir faire une partie du trajet à plusieurs.

Une fois que la Compagnie grandira et gagnera en réputation, peut-être aurons-nous un réel rôle à jouer, mais pour l’instant nous ne sommes qu’au début de notre commerce. D’autant plus que nous devons rester prudents, entre les pirates en mer, capables de nous voler nos marchandises, ou les conflits de ces terres dont on ignore les ampleurs finales.

- C’est chouette, tu es déjà donc bien établie ! Lorsque je devrai te contacter, faudra-t-il que j'envoie un messager là-bas ?

Essayais-je de me renseigner au mieux, l’information est capitale dans notre domaine, cela peut sauver la vie de nos marchands si un jour la Compagnie est en danger. Lorsque nous arrivons devant l’entrepôt, elle me demande si je suis la seule interlocutrice. Je me tourne alors vers elle, m’arrêtant dans ma marche afin de lui expliquer.

- Pour l’instant oui, outre les marchands, je suis seule. Mais une assistante est en cours de recrutement. Mon métier est celui d'interprète, je gère les relations avec les marchands de Yi-Ti et Qarth. De plus, je me charge de la bonne réception des marchandises, de leur lieu de stockage et je renseigne les marchands de la Compagnie sur les produits quand il y a besoin. Mais je n'ai jamais fait cela auparavant, je n'étais qu'une simple servante au Palais de Lancehélion. Et toi ? Combien de temps cela fait-il que tu es marchande ?

Lui dis-je en me tournant vers la porte de l’entrepôt afin de la déverrouiller. Je ne dis pas qui je servais, ni depuis combien de temps, ne souhaitant ni attirer l'attention sur moi, ni sur Arianne. Une fois les portes grandes ouvertes, je montrais d’un signe de la main une petite table devant la bâtisse :

- Je t’en prie, installe-toi. Souhaites-tu boire quelque chose ? Du thé ou une orange pressée ?

J’aime accueillir nos marchands avec générosité, ne pas parler immédiatement de travail afin d’attiser la bonne sympathie et d’installer une notion de bonne entente.

O mon beau saule pleureur aux feuilles en cascade, pourquoi fais-tu pleurer ces larmes de jade ?

- Il semblerait que tu voyages beaucoup. En tout cas, je te félicite pour ta nouvelle acquisition, c’est un évènement à fêter !

A son jeune âge, c’est une aubaine de pouvoir s’offrir une habitation. Bien que je me doute qu’avec les circonstances actuelles, les prix immobiliers ont chuté. Mais même ainsi, ce n’est guère moi qui pourrait saisir une telle chance. D’un côté, je ne me soucis que peu de l’argent, tant que cela me permet de me nourrir et de m’abriter, c’est tout ce qui m’importe. De plus, la Compagnie me permet de faire un peu de troc, offrant une nette réduction contre une chambre dans une auberge par exemple. Comme je le fais en ce moment à l’auberge de Bourg-Cabanes.

Seulement, je n’ai pas d’endroit fixe où vivre, et cet état de fait me donne des pincements au cœur. A quand remonte le temps où j’avais un foyer ? Presque vingt ans si je ne me trompe pas. Pouvais-je réellement qualifier le palais de foyer ..? En vérité j’en doute, seuls ma mère et mon petit-frère me donnaient cette sensation. Le reste n’était qu’un nid de vipère qui a fini par empoisonner ma mère de leur venin. Stop, ce n’est pas le moment de penser à ces sombres souvenirs. Quittant mon bref moment d’absence, j’explique mon rôle au sein de la Compagnie avant de pouvoir déverrouiller les portes de l’entrepôt.

- Je comprends ce sentiment. Lorsque l’on est jeune, les autres nous sous-estiment ou ne nous prêtent pas attention. Pourtant, pour certains d’entre nous, c’est essentiel pour survivre.. Je ne peux donc que t’admirer pour ta franche réussite.

Lui dis-je sincèrement, en exécutant quelques pas à l’intérieur de l’habitacle éclairé par l’ouverture de la porte et de la fenêtre à l’arrière, où se trouve une table et quelques chaises. Elle semble avoir réussi par ses propres moyens, et c’est tout à fait louable. Je ne peux point dire la même chose de mon côté. Si j’en suis là aujourd’hui, c’est uniquement grâce à ma bienfaitrice, qui m'a libérée de mes chaînes autant mentale que physiquement.

Proposant à ma collaboratrice de s’installer, je m’occupe ensuite de préparer un plateau où je dépose des tasses, une boîte à thé et une théière déjà chaude. Je retourne auprès de Jasmyne qui me demande si beaucoup de marchands font partie de la Compagnie.

- Il n’y a aucun souci, ne t’en fais pas, nous sommes là pour apprendre à se connaître. Tu as été recommandé par une personne de confiance, alors je te fais entièrement confiance. Commençais-je en disposant les tasses proprement avant de m’asseoir et de vérifier la consistance de ma boîte à thé. Pour te répondre, nous ne sommes pas nombreux pour l’instant. Mais cela ne saurait tarder.

La Compagnie ne peut guère prospérer immédiatement, mais elle est en bonne voie. J’ai en tout rencontré trois marchands avec Jasmyne, et la veille deux autres. Tous motivés, avec des propositions intéressantes. Je verse délicatement une cuillère de feuilles de thé et accompagnements dans chacune des tasses. Je me saisis ensuite de la théière afin de faire couler harmonieusement l’eau chaude dans celles-ci, embaumant rapidement l’air d’un parfum de fleurs de cerisier, des fleurs n’existant que dans mes terres natales.

- C’est un thé portant le nom de “Sakura” en Yitish, l’odeur reflète celles des fleurs d’un cerisier et des feuilles de thé prisées à Yi-Ti. Elles sont très bonnes pour la santé. D’ailleurs, les fleurs de cerisier sont très utilisées dans les cosmétiques, j’ai en stock des eaux parfumés de ces fleurs si tu le souhaites. Elles ont un pouvoir hydratant, et un très bon parfum comme tu peux le sentir.

Lui proposais-je en humant délicatement les effluves de thé, un sourire nostalgique aux lèvres. Au printemps, la cité de Yin est inondée par cette odeur, les pétales roses tombant comme la neige sur les grandes allées ou sur la Mer de Jade.

O mon beau saule pleureur aux feuilles en cascade, pourquoi fais-tu pleurer ces larmes de jade ?

Je suis heureuse de rencontrer des personnes aussi enthousiastes quant au projet d’Arianne, cela me fait chaud au cœur, et j’espère que cela apportera un tant soit peu de bonheur à elle aussi. Lorsque Jasmyne propose son aide, je souris attendrie par son offre, j’acquiesce alors et lui retourne sa proposition.

- Saches que si tu as également besoin d’une quelconque aide, je ferai mon possible pour t’aider !

L’entraide, il n’y a rien de plus beau en ce monde je trouve. C’est ce qui m’a sorti de mon enfer. C’est ce qui sortira d’autres du leur, je m’en fais la promesse. J’ai grande envie d’aider cette principauté, qui souffre tant des guerres sans fin, des orphelins à foison, des dorniens mourant de faim, d’autres blessés à vie, estropiés, borgnes … Tant de souffrance à apaiser, mais je ne perds pas espoir, un meilleur avenir touchera cette terre, j’en suis persuadé, elle a juste besoin d’un bon protecteur pour survivre.

Déposant la théière une fois servie, je guette la réaction de mon invitée. En tant que vendeuse de parfum, elle doit s’y connaître, si elle en raffole, je ne doute pas que le reste de Westeros en sera charmé. Je l’observe s’absorber dans cette douce senteur florale m’évoquant le printemps à Yin, je peux facilement m’imaginer sous une pluie de fleurs de cerisier en plein marché à chaque fois que cette odeur attise mes papilles. Les yeux de mon interlocutrice se mettent à briller alors qu’elle donne son avis conquis. Mes lèvres s’étirent d’elles-même tant je suis contente que ma nouvelle collaboratrice apprécie les parfums de chez moi. De ma voix douce mais légèrement excitée, je lui réponds :

- Je suis heureuse que le parfum te plaise ! Cette senteur embaume la cité de Yin au printemps, je ne l'avais pas sentit depuis des années. Elle a quelque chose de réconfortant à mon sens, comme un petit nuage venant se blottir contre moi, capable de calmer les sens et de nous envelopper de bien-être.

Je ne m’attendais pas à une telle réaction en vérité, cela me conforte bien plus dans mon choix des marchandises. Enthousiaste quant à notre future collaboration, je lui soumets nos diverses marchandises.

- Ensuite nous avons bien d’autres eaux ou huiles florales aux diverses propriétés en stock. Certaines peuvent aider à la cicatrisation, d’autres à la pousse des cheveux, ou encore au bon fonctionnement digestif. Autrement, nous vendons un peu de tout, cela dépendra à l’avenir de ce que nos fournisseurs nous enverront. Actuellement, nous avons beaucoup de tissus, de soie, de riz, de bijoux. Si tu es curieuse, je t’invite volontiers à la satisfaire par la suite !

Lui proposais-je en tendant ma main vers le stock de marchandises, enveloppé de protections pour certains. Je ne fus pas le moins surprise de la demande de Jasmyne, rares sont les personnes à ne pas se questionner sur les terres étrangères d’où je viens. Après tout, peu de gens peuvent s’y rendre. Ironie lorsque l’on sait que les pays voisins à Yi-Ti vivent dans la peur d’être assujettis à cette puissance, certes déclinante mais perpétuelle. Je sais que sans ma présence, Dame Arianne n’aurait jamais pu négocier auprès de Yi-Ti pour marchander, puisque les Yitish n’aiment généralement pas les étrangers, ils sont bien trop renfermé dans leur petit monde. Certainement au souhait de l’Empereur-Dieu.

Je me lance alors dans le récit de mon enfance et adolescence, n’en citant seulement que les faits intéressants en me perdant dans mes souvenirs, l’air légèrement nostalgique et rêveur.

- Comme dit précédemment, je suis née à la cité de Yin, la capitale de l’Empire Doré de Yi-Ti. C’est une cité portuaire gigantesque, caractérisée par ses grandes allées et ses habitations typiquement Yitish, elles sont faites de bois, avec des toits courbés en tuiles et des portes coulissantes. La cité est bordée par la Mer de Jade, appelée ainsi grâce aux algues qui reflètent une légère couleur verdoyante, puis des grandes forêts, aussi dangereuses qu’elles sont impressionnantes, que l’on appelle “jungle”. La verdure y est abondante, tant que la lumière du soleil peine à y passer, comme une sorte de bulle verdâtre où la chaleur y est étouffante. Les lieux que je préférais, étant sans nul doute les jardins Yitish, ils respiraient le calme et la méditation, souvent agrémenté de petites mares aux poissons rouges et fleurs de lotus, de petites forêts de bambous et avec le traditionnel cerisier avec ses belles fleurs rosâtres. Je pris une petite pause afin d’hydrater ma gorge avec une gorgée de thé, les saveurs se bousculant dans mon palais, avant de reprendre d’une voix légèrement plus morne : Pour finir, il y a les palais, qui prennent bien plus de place que la cité en elle-même, notamment puisqu’il y a un palais pour chaque fonction, le principal où la cour se rend pour rencontrer l’Empereur-Dieu. Puis les palais habitables, un pour le souverain, et un pour chacune de ses femmes. Tout est fait dans la démesure et la simplicité en même temps.

Les palais et la cité vivent dans des mondes complètement opposés, s’en est presque effrayant. Mais quoi de plus normal pour un Empereur se prenant pour un Dieu ? Le peuple est simplement ignorant de la vérité, comme dans la plupart des royaumes d’ailleurs. J’esquisse un petit sourire ironique avant que des paroles ne sortent de ma bouche sans que je n’y ai réellement réfléchi.

- Expliqué ainsi, j’ai l’impression de présenter un endroit merveilleux … Mais il ne l’est seulement qu’en paysage lorsque l’on connaît la vérité. Ce monde ne connaît aucun havre de paix, seulement de belles roses aux épines acérées. Me rendant compte de mes dires brisant l’atmosphère douce, je racle ma gorge en me reprenant : Pardon, je ne voulais pas plomber l’ambiance .. Je … Mes terres me manquent, je crois …

O mon beau saule pleureur aux feuilles en cascade, pourquoi fais-tu pleurer ces larmes de jade ?

Lin se complait dans la douceur de l’instant, savourant l’atmosphère de confiance et de complicité qui s’est installée entre elles. C’est différent des précédentes entrevues passées avec les autres marchands. Elle avait la sensation de revoir une vieille amie, à qui elle pouvait faire confiance. Cela lui rappelait ses moments de joie avec Dame Arianne. La femme qu’elle pouvait considérer comme la plus précieuse de ses amies. Celle qui lui a offert une nouvelle famille. Pensant qu’il était temps, Lin ouvrit une petite boîte en bronze, des symboles Yitish gravées sur le couvercle, révélant à l’intérieur plusieurs pierres de Jade. Elle s’en saisit d’une avant de refermer la boîte et la tendit vers sa collaboratrice.

- Comme tu fais aujourd’hui partie de la famille, je t’offre cette pierre de Jade, venue de l’Empire de Yi-Ti. Tu peux la tailler comme bon te semble, en faire un pendentif, une broche, une bague, ou même un élément de ta coiffe si tu le désires ! Le but est que l’on puisse se reconnaître facilement entre nous en l’exhibant lors de nos voyages.

Lui expliqué-je en tournant légèrement ma tête, et en touchant la pierre de jade en forme de fleur liée à la pince de mes cheveux de jais. Lorsque Arianne avait proposé cette idée, j’avais été conquise par celle-ci, nous porterons ainsi le nom même de la Compagnie sur nous-même. Cela renforce d’autant plus le sentiment d’unité et de famille qui se dépeint de celle-ci. Lorsqu’elle affirme que Dorne est d’une beauté sans pareille, mais qu’elle n’est point parfaite pour autant, j’acquiesce. Il est vrai. S’il y avait une terre parfaite, bénie, sans guerre, sans famine, sans conflit, nous le saurions. Malheureusement, la nature des hommes pousse à la destruction de toutes choses.

- Il est vrai … C’est toujours les mêmes personnes qui détruisent la beauté pure. Celles dont l’ambition chasse la miséricorde. Espérons seulement que les conflits cessent au plus vite, avant qu’il n’y ait trop de victimes.

Soufflé-je avec espoir, bien que les événements actuels ne correspondent point à mes désirs. La vie pourrait être si belle ici, le mode de vie dornien enjoint au bonheur de chacun, à la liberté de chacun. J’espère donc qu’à partir de cette compagnie, je puisse mettre ma pierre à l’édifice de la future Principauté.

La question de Jasmyne me mine légèrement. Est-ce que mes terres d'origine me manquent réellement ? Ce sont les terres qui ont déchiré ma famille. Exécutant ma mère, si pieuse et empathique. Emportant mon frère si innocent loin de moi. Non, Yi-Ti ne me manque pas en tant que tel. Puisque Yi-Ti est avant tout un empire, gouverné par un homme dit Dieu, qui ne se préoccupe de rien d’autre que de sa force et de son essor. Faire la guerre pour étendre ses terres, peu importe les dommages causés. Je lui réponds alors d’un air légèrement pensif :

- En vérité oui et non … Il n’y a véritablement que ma culture qui me manque, ainsi que ma famille qui n’est plus aujourd’hui. Je n’ai malheureusement pas pu me rendre là-bas, le voyage y est bien trop long, alors je m’abreuve des nouvelles par les marchands, c’est déjà beaucoup.

Ajouté-je, en retrouvant mon petit sourire. Je me contente de peu dans la vie, tant que je garde ma liberté de faire et de penser, tant que ceux qui m’entourent se portent bien, j’irais bien.