- Nous serons de terribles cavaliers l’un pour l’autre alors, ma Dame. J’avoue que je ne comprends absolument pas les pas de cette danse, avouais-je. Je me plie à l’usage, malgré tout.

Lorsqu’il faut virevolter, je me fige. Lorsqu’il faut avancer, je m’éloigne. Lorsqu’il faut faire un pas vers la droite, je me dirige vers la gauche. Je dois avouer que la danse n’a jamais été mon point fort, et malgré tous les efforts de Mère. Je préférais largement souffrir des entraînements à l’épée de mon Oncle ou souffrir des longues et interminables leçons des Mestres, que d’avoir à tenter quelques prouesses auprès des dames.

J’ai rarement été à mon aise avec ces dernières. Quoique, je dois avouer qu’elles ont été assez rares dans mon entourage – ou du moins, je n’ai pas eu le temps de me poser la question. Nymeria et Ysilia ont été l’exception. La première a été l’amour de ma vie, éclipsant toutes les femmes de ce monde. La seconde a grandi avec moi, faisant partie d’un passé, d’un présent et, maintenant, d’un avenir. Un court instant, je repense à sa pâleur et m’en inquiète.

- Cessez de vous excuser, Dame Vaella. Je suis le plus maladroit. J’ai déjà interrompu la danse de nos voisins à deux reprises, en me trompant de pas, expliquais-je. Il nous faudrait des heures, voire des jours, pour réussir à m’apprendre cette danse. Je n’ai jamais été bon dans cet apprentissage.

La maladresse est le maître mot de cette paire que nous formions avec la Peyredragonienne. Je profite du changement des notes pour inviter à ma cavalière à quitter le cercle des danseurs.

- Je suis assoiffé, ma Dame. Que diriez-vous que nous nous désaltérons ? Je vais en profiter pour vous présenter à Dame Lyra, la mère de la Reine, promis-je. Il n’est pas question de m’en débarrasser. Je ne sais juste pas quoi échanger avec une parfaite inconnue – ayant encore à trouver un équilibre avec ma propre épouse. J’espère que cette alliance vous comble de joie, rajoutais-je durant ce court trajet.

Là, je l’abandonne auprès de ma belle-mère. Alors, je m’éclipse, cherchant des yeux Ysilia. Je ne tarde pas à la trouver, plus pâle que jamais. Alors, je m’aventure auprès d’un barde, exige un chant assez répandu dans tout Westeros, m’approche de mon amie et de ma femme à la fois et l’invite à danser. Je ne lui donne guère le choix, que ce soit du regard ou d’un ton mêlant autorité et supplique discrète. L’échange ne peut être entendu que par nos voisins immédiats.

- C’est la première danse que j’ai appris. Et si je ne me trompe pas, tu as été là durant cet apprentissage. Nos mères se sont fatiguées durant de longues heures pour nous apprendre les pas. J’ai été le pire des élèves. Combien de fois ai-je marché sur ta robe, tes pieds ou que j’ai arraché quelques cheveux par mégarde ? , soufflais-je, clôturant le tout avec un clin d’œil complice. Si tu ne retrouves pas quelques couleurs, je vais peut-être redevenir ce garçon insupportable. Gare à toi.

J’étais las de tout ce poids et je veux, pour un instant, simplement être un jeune homme qui profite d’une soirée. Est-ce possible ?

- Je suis Nelya Omble, Intendante de la Maison Impériale et suppléante au Collège Impérial, me présentais-je d’un ton calme.

Avec peu ou prou de subtilités, j’indiquais à l’homme que je ne serais pas longtemps une étrangère pour lui, pour son Roi ou pour son Royaume. Si je n’ai aucun droit sur les terres fédérées, il n’est pas rare que j’entretienne une correspondance plus ou moins abondantes avec quelques représentants, bras droits, conseillers, aide de camps et tout autre fonction essentielle ou proche des souverains régnants.

Si le Nord et les terres impériales n’ont plus grands secrets pour moi, j’établis déjà mes amitiés et mes pions au sein des autres royaumes fédérés. Mon amitié avec Mina Swann m’assure une compréhension plus ou moins bonne des mœurs et des forces de sa terre d’adoption. Mes liens ténus – mais prometteurs – avec quelques dames et seigneurs de Peyredragon ne tarderont pas à porter leurs fruits. Enfin, en la personne d’Helena Hoare, je vais peut-être avoir également un regard sur les secrets futurs du Conflans. Le Val s’ajoute tout naturellement à cette liste, et déjà je cherche à ferrer ses gros poissons.

Est-ce qu’Asher Royce est un bon allié ? Au contraire, est-il un homme rigide, austère et fermé à toute perspective nouvelle ? Torrhen semble avoir un bon avis sur cet homme, mais je préfère faire le mien avant tout. Et déjà, le Valois parle politique, cherchant à obtenir quelques réponses. Je ne réponds pas pour deux bonnes raisons. La question concerne surtout l’Orage : je ne peux pas parler en son nom, et surtout avec sa représentante juste à côté. Enfin, je suis moi-même curieuse de connaître la réponse.

Du coin de l’œil, je remarque que l’ambiance se détend un tantinet – mais encore trop insuffisant. Je pense que l’heure approche, celle où je dois isoler les groupuscules et leur offrir cette intimité nécessaire pour souder des liens. Je me demande si quelques demoiselles vont se retrouver grosses dans les semaines à venir – et si oui, si nous allons devoir gérer des mariages catastrophes et express. Mon regard cherche tout naturellement Lyarra, la voyant être séduite par un chevalier. Sa chaperonne remarque mon regard noir et s’empresse d’aller accomplir son devoir, en interrompant les deux jeunes gens.

Je suis interrompue subitement par le Mestre même, qui souhaite me parler vis-à-vis d’une question importante. Je fronce les sourcils, un brin surprise d’être alpaguée par cet homme dans un tel événement. Nous nous isolons un court instant, où il me susurre que j’ai quelques lettres importantes et urgents. J’acquiesce et promets que je ne tarderai pas à les traiter – ce soir, ou demain aux premières lueurs du jour. Lorsque je reviens, je ne saisis que la fin de la conversation, comprenant que l’échange s’est poursuivi en mon absence.

- Lord Asher, je me permets de vous interrompre pour un sujet tout autre et assurément décalé. Je pense qu’il est important de profiter de ces festivités pour tisser les premiers liens fraternels entre les hommes de l’Empire et des Royaumes Fédérés, et les hommes du Val, glissais-je. J’ai une dizaine de Nordiens, tous fidèles à l’Empereur, prêts à festoyer avec vos valeureux Valois avides de paix et de festins. Avez-vous quelques noms, en tête ? Si oui, pensez-vous les réunir aux portes même lorsque j’inviterai chacun à se diriger aux Jardins ? Si votre Roi peut participer, les hommes en seront surement ravis. Je vais faire au moins, avec l’Empereur.

La proposition est faite. Je ne peux pas m’aventurer davantage.

- Et, avant votre départ, je serais ravie de discuter plus amplement avec vous au sujet de l’Empire et des Royaumes Fédérés, et répondre à toutes questions ou doutes que vous pourrez avoir, conclus-je. Qu’importe sa réponse : qu’il le veuille ou non, il aura un entretien avec moi avant son départ. Comme sa fille. Comme tout autre puissant seigneur du Val présent à Fort-Darion.

La fête continuait à battre son plein à quelques mètres d'elle. Même si elle avait fini par s'installer, d'une certaine façon, à l'écart du reste des convives pour pouvoir avoir une discussion plus intimiste avec l'un des conseillers du Roi Ronnel Arrryn, elle n'avait pas pour autant perdu pied avec la réalité. Elle avait vu les couples se faire et se défaire sur la piste, le temps d'une danse, forçant ainsi le pas pour tout le monde à faire des concessions et à se rapprocher, malgré les paroles qui avaient été dites, et malgré surtout, tout ce qui n'avait pas été évoqué à voix haute. Cela semblait réellement voler au-dessus d'eux, telle la menace d'un dragon dont la gueule était fumante et prête à faire feu sur l'assemblée. Les oppositions n'étaient pas nouvelles, et elles ne pourraient pas se tarir rapidement, même avec toute la bonne volonté du monde. Et comme, la bonne volonté n'était certainement de mise ici, cela ne manquerait pas d'être une épreuve qui allait sûrement durer dans le temps et qui allait mettre les nerfs de beaucoup de gens à fleurs de peau. Pour le moment, tout le monde semblait jouer plus ou moins le jeu, mais ils n'en étaient encore qu'au temps de la fête. Cela serait sans doute une autre paire de manches, mais de son côté à elle, elle n'allait pas attendre que les choses se calment ou s'enveniment pour se mettre en marche et parvenir à faire ressortir l'Orage du lot. Ce qui ne serait clairement pas simple vu les griefs du passé si on pouvait les appeler ainsi.

Néanmoins Mina n'était pas totalement Orageoise, et la maison Swann avait fait la même chose que toutes les personnes qui répondaient aux ordres de la Couronne, elle avait participé à la guerre contre le royaume du Val et de la Montagne, là où avait péri le Roi Jehan Arryn. Lors des batailles, la mort ne venait pas à toucher le soldat de métier ou le petit paysan qui cultivait son champ. Porter une armée, c'était porté une cible sur soi, et bien souvent, cela se soldait par la mort. Mais valait-il mieux mourir avec ses frères d'arme dans l'honneur des combats plutôt que de finir sa vie, grabataire, plus ou moins sénile, dans la demeure de ses ancêtres. Dans tous les cas, la mort était une épreuve douloureuse pour la personne qui restait. Le Val avait rejoint l'Empire, et c'était pour éviter de nouvelles morts qu'il fallait renforcer l'alliance. Alors que Lord Asher Royce venait de lui parler des différentes possibilités de mariage entre leurs deux royaumes, Nelya qui s'était installée avec eux, avait proposé une autre soirée pour permettre aux gens du Val de festoyer, peut-être plus sereinement. « A vous de me dire, Lord Asher, voulez-vous continuer la fête ou préférez-vous faire de la diplomatie avec moi ?  » La réponse ne tarda pas à sortir de la bouche de ce dernier et elle dut retenir un rire quand il parla de belle-famille, il allait sans doute bien vite en besogne mais c'était également la solution à laquelle elle avait imaginé. Bien que l'Empereur avait pu émettre l'hypothèse qu'elle soit elle-même donnée en mariage dans le Val, elle estimait qu'elle pourrait être bien plus utile pour l'Orage, ailleurs que là-bas. « Alors allons-y, Lord Asher, mon bureau sera parfait pour en discuter  ».

Heureusement que la danse avec le Prince Régent de Peyredragon s'était vite terminée. Pas qu'il était un mauvais danseur qui s'amusait à lui écraser les pieds, mais il était évident que ce dernier avait de nombreux griefs contre le Val, et Ysilia avait peut-être capitulé en même temps que son époux, elle avait peut-être signé la constitution en même temps que Ronnel, elle n'était pas pour autant prête à accepter qu'on vienne à lui manquer de respect d'une façon ou d'une autre. Ils étaient alliés, ils allaient devoir collaborer ensemble pour le meilleur et pour le pire. Alors, elle allait mettre de côté cette soirée, envisager dans un temps plus ou moins long de rediscuter des mots qu'il avait eu concernant le Val et peut-être qu'ils parviendraient tous les deux à trouver un terrain d'entente. Pour le moment, chacun allait se séparer, trouver un nouveau partenaire de danse et espérer continuer la soirée d'une plus agréable façon que pour le moment. Cela n'avait pas empêché à Ysilia de se montrer courtoise, bien que le fond de sa pensée était en réalité toute autre. Ils s'étaient séparés au moment où l'Impératrice l'avait décidé, venant à mélanger les couples présents sur la piste pour pouvoir se lancer dans une nouvelle danse, typique de Peyredragon dont la jeune souveraine du Val ignorait tous les pas. Néanmoins, c'était comme tout le reste, la danse pouvait être différentes, mais les pas étaient toujours les mêmes, juste étaient-ils mélangés d'une autre façon. Et comme tout jeune fille de bonne famille, la souveraine avait eu l'occasion de s'exercer pendant des heures et des heures, elle espérait donc ne pas être de trop mauvaise compagnie pour son nouveau partenaire de danse. Qui lui décrocha immédiatement un sourire charmeur. Voilà qui était bien plus agréable comme accueil que le précédent, pour autant, elle se permit de répondre, juste, par un sourire délicat. Il aurait été mal vu et venu qu'on puisse penser qu'elle était prête à flirter avec un autre homme alors que son époux était non loin d'elle. Cela ferait mauvais genre alors qu'elle n'était nullement dans cet état d'esprit là. « Je vous remercie Lord Verdragon, n'hésitez pas non plus à me reprendre si vous voyez que je m’emmêle un peu trop les pieds pour vous. »

Elle glissa donc sa main dans celle de Raevor et elle le suivit sur la piste, venant à observer pendant attention, chaque mouvement. Il y eut quelques petits ratés au début, mais le jeune homme faisait des efforts pour pouvoir lui indiquer la marche à suivre et bientôt, elle finit par se prendre au jeu, passant peut-être le premier véritable moment agréable de la soirée. Elle se laissa guider et elle eut même un petit rire alors qu'elle voyait qu'il rajoutait quelques pas à leur séance de danse. Elle commençait tout juste à se détendre quand la musique toucha à sa fin et elle fut presque déçu que cela soit finalement si rapide. Néanmoins, ce n'était peut-être pas plus mal, elle avait la tête qui lui tournait encore un peu alors qu'elle avait virevolté en compagnie du Lord Verdragon. « Je vous remercie pour avoir ainsi accepté de m'enseigner cette danse quelque peu exotique pour moi, en tout cas, c'était un agréable moment, entre le Val et Peyredragon. » Elle vint à s'incliner quelque peu juste devant lui.  « J'aurai adoré une autre danse mais ... » Elle allait décliner poliment l'offre pour rejoindre son époux quand ce dernier se présenta directement à elle. « Il semblerait Lord, qu'il vous ait entendu et qu'il soit venu me rejoindre. J'espère que nous aurons une autre occasion de nous revoir. » Elle lui adressa un sourire, avant de glisser sa main dans celle de Ronnel. Elle se tourna donc vers lui, venant à se rapprocher un petit peu. « Mes pieds s'en souviennent encore de la torture dont tu étais le coupable. Mais à force de patience et d'entraînement, tu as fini par être un partenaire que je qualifierais de convenable. » Lui répondit-elle avec un petit sourire malicieux. « A force de tournoyer, j'ai eu quelque peu la nausée. Mais ce n'est rien, le mestre a dit que cela pouvait m'arriver dans mon état. » Souffla-t-elle à son oreille. « Fais moi danser et je retrouverai des couleurs en un rien de temps. Mais peut-être plus sur les pieds rougis par les tiens ... » Elle lui fit un clin d’œil avant de se mettre à danser en compagnie de son époux.

HRP: