Les échos de l'avenir

Noirétang, demeure des Ardoises
An -10 Mois 10

L’hiver était là, recouvrant de son manteau blanc les terres du Nord et bien plus encore. Le monde semblait un peu plus paisible. En tout cas aux yeux du Forrester c’était le cas. Les fer-nés n’osaient plus naviguer dans les eaux glaciales, afin d’affronter les nordiens en net avantage lors de cette saison. Il était donc rare d’avoir de nouvelles tentatives d’attaques sur les côtes des Roches. Cependant, une partie des forces restait toujours dans les parages, la prudence était mère de sûreté. Les soldats et cavaliers font alors face à la morsure du froid dans leur camp, bien que soutenus par les villageois alentour.

Aymeric, quant à lui, s’estimait actuellement chanceux. Avoir un titre noble pouvait avoir certains avantages, comme celui d’être invité durant quelques semaines par Lord Ardoise, dans sa demeure. En vérité, il y avait bien plus que cela. On lui avait demandé de prendre l'aîné, Lanner pour écuyer. C’était la première fois qu’il aurait un jeune apprenti à ses côtés, cela le rendait un peu nerveux en un sens. C’est pourquoi il était là, afin de mesurer les compétences du garçon, et potentiellement le préparer à ce qui pourrait arriver une fois l’hiver passé. S’il pouvait éviter de voir mourir un jeune héritier qui était sous sa responsabilité, cela l’arrangerait, autant pour sa réputation que pour son mental.

Cela faisait quelques jours qu’il partageait le quotidien des Ardoises et il ne pouvait qu’affirmer que l’ambiance était à l’opposé de son enfance. Après une longue matinée d’entraînement avec le jeune Lanner, qui avait un certain potentiel, Aymeric lui avait accordé quelques heures de repos. Il n’avait jamais entraîné un aussi jeune homme, il se montrait donc à la fois prudent et rustre, ne souhaitant pas non plus le ménager.

Après s’être sustenté, il entendit dans les couloirs de Noirétang que la benjamine était introuvable. Aymeric ne s’était pas plus inquiété que cela, elle avait été présente au matin, certainement qu’elle jouait un petit tour pour attirer l’attention comme n’importe quelle enfant. Il avait alors quitté le domaine et s’était rapproché d’un petit bosquet, non loin de là, sa cape en fourrure l’entourant bloquant le froid. S’installant sur un tronc d’arbre couché, il sortit un petit couteau de sa sacoche, avec lequel il vint sculpter un petit objet en bois. En dehors des batailles et des chevaux, c’était son petit passe-temps. Il avait appris à faire cela lorsqu’il était enfant et qu’il se sentait seul.

Alors que l’objet prenait la forme d’un renard, il entendit un bruit non loin de lui. Aux aguets, il surveilla les alentours et tomba sur un regard aussi glacé que le sien, voire un peu plus troublant. Il l’a reconnaissait, c’était la benjamine que la gouvernante recherchait tout à l’heure. Elle semblait aller bien, il lui demanda alors, un peu direct, ne sachant pas vraiment s’y prendre avec les enfants :

- Que fais-tu là, petite ? N’as-tu pas peur de sortir de ta demeure par ce temps enneigé ?

Il retourna dans le même temps à son activité, gardant du coin de l'œil la demoiselle. Au moins, elle n’avait pas réellement disparu, comme il l’avait supposé, elle était certainement partie se cacher, mais aussi loin, ce n’était clairement pas pour plaisanter.

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Son hôte l’avait emmené ici le premier jour de son arrivée. Depuis, lorsqu’il n’est point occupé à entraîner le jeune Lanner, ou à s’occuper de sa monture, il se rend ici. Pas seulement puisqu’il s’agit d’un lieu sacré où il peut s’adonner à la prière, il n’en use point autant que cela. Mais plutôt pour l’ambiance qui s’en dégage. Il n’aurait jamais pu penser cela autrefois, mais le Bois-Aux-Loups lui manquait. Combien d’heures ou de jours y avait-il passé ? Bien plus que dans sa demeure familiale en tout cas. A l’époque, il connaissait les zones des bois par cœur. Où étaient les dangers, les meilleurs points de vue, les habitudes du gibier. Saurait-il encore se repérer après toutes ces années ? Seuls les dieux le savaient.

Aymeric s’interrogeait sur cette gamine, seule, du haut de ses six ans, dans cet endroit reculé de sa demeure. Alors qu’elle lui rapporte qu’elle était venue parler aux dieux, il l’observe étrangement. Oui, quelque chose le perturbait dans son regard. Elle ne le regardait pas, fixant un point devant elle, comme si elle était absente. Mais ce n’était pas le cas. En observant plus amplement sa gestuelle, cela le frappa soudainement. Il baissa un instant la tête, peiné pour cette enfant. Un triste sourire naquit sur ses lèvres alors qu’il lui répondit d’une voix assurée pour ne pas qu’elle sente de différence dans ses paroles.

- Nul doute que tu sois une nordienne, jeune Ardoise. Courageuse et indépendante. Était-elle venue seule alors qu’elle ne voyait rien ? Pour cet âge, cela relevait du prodige. Viens-tu souvent parler aux dieux ?

Finit-il par demander, attentif à ses mouvements, au cas où elle glisse sur la neige ou trébuche d’une racine. Lors de son enfance, Aymeric n’était pas très porté sur les prières. Sans doute puisque personne ne prenait réellement le temps de l’y intéresser. Pourtant, auprès de Lord Glover, ils priaient ensemble, régulièrement. Le Forrester y ressentait une certaine forme de sérénité, celle d’écouter ce que son cœur et son corps pouvaient lui dire à travers ses échanges sacrés. Depuis, il prie en général avant et après les affrontements. Désirant se délivrer de l’horreur des batailles ou attirer la bénédiction sur lui ou ses frères d'armes.

- Ma .. Respiration ? Questionna-t-il, ne comprenant point où elle voulait en venir. En effet, elle ne sifflait pas, il était en bonne santé et il valait mieux pour un soldat. Je vais bien, je ne suis pas malade. Pourquoi me sembles-tu .. dubitative ?

Pourquoi lui avait-elle fait remarquer cela ? Cette fille était bien étrange, au-delà du fait qu’elle soit aveugle. Était-ce de naissance ? Si c’était le cas, c’était bien triste qu’elle ne puisse pas admirer la beauté de ce bois sacré.

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La dernière fois qu’il avait été au contact d’enfants, c’était auprès des Glover, alors qu’il était l’écuyer du chef de famille. De temps à autre, il lui était demandé de surveiller ses enfants. Spécifiquement jeunes, il n’avait eu que peu d’interaction avec eux. Il se sentait alors un peu gauche avec la jeune Ardoise qui possédait quelques particularités. Lorsqu’il l’a complimenta, il fut abasourdi par le grand sourire qui maquillait son visage. C’est qu’elle était très expressive, et communicante puisque cela étira un demi-sourire au soldat. Aymeric commençait petit à petit à comprendre les qualités de cette petite. Indépendante lui allait bien, alors qu’elle ne possédait point la vue, elle s’était débrouillée à l’aide de sa mémoire pour parvenir jusqu'ici.

- C’est impressionnant, petite. Les Dieux doivent te bénir de ta piété. Dit-il en levant le regard vers le Barral, face à eux, au centre du bosquet. Seulement, il serait bien plus prudent que tu ais quelqu’un pour veiller sur toi, ne sait-on jamais. J’ai entendu ta gouvernante te chercher dans les couloirs.

L’avertit-il d’un air sérieux. Si le froid pouvait être un danger, les fer-nés eux l’étaient assurément. Et qui pouvait bien savoir quand aurait lieu leur prochaine attaque ? Même si jusqu’à lors ils n’avaient jamais attaqués durant la saison froide, rien n’était certain. Ils pourraient très bien se jouer de l’effet de surprise. C’est pour cela qu’une garnison était toujours sur les côtes. Le jour où il entendrait le cor sonnait l’alerte, il devrait quitter la demeure des Ardoises. Avec ou sans Lanner, cela dépendrait de son niveau à ce moment-là.

Alors que l’interrogation pouvait se lire sur son visage, il observait la jeune fille approcher, prêt à se redresser si elle trébuchait. Un drôle de rêve ? Cela avait-il un lien avec ce qu’elle avait dit précédemment ? Il remarqua qu’elle changea de sujet sur Lanner, certainement puisqu’elle souhaitait obéir à sa mère même si elle n’était point présente.

- Eh bien, si tu le désires, tu peux m’en parler, cela ne m’embêtera pas. Décharges-toi de ce mauvais rêve, il n’est pas bon pour ton esprit de tout enfermer.

Puis, il avait du temps devant lui, autant consacrer un peu de celui-ci à la jeune Khayley. Il reprit d’ailleurs, se présentant officiellement en quelques sortes.

- C’est un joli prénom que tu as là, Khayley. Tu peux m’appeler Aymeric si tu le souhaites.

A sa question concernant son frère, il observa un instant le visage de l’Ardoise, tentant de comprendre dans quelle optique elle se trouvait. Elle semblait quelque peu déçue, et le Forrester fut presque désolé de devoir le lui enlever. Or, c’était ainsi qu’était les choses par ici.

- Quelques années, oui … Il doit apprendre à mes côtés, comment servir son royaume et honorer sa maison. Lui répondit-il, sentant que l’enfant ne souhaitait peut-être pas voir partir son frère. Il ajouta en reprenant son activité, creusant le bois afin d’affiner la tête du renard. Tu es proche de lui ?

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Ce qui parait impressionnant pour certains, sont d’une normalité affligeante pour d’autres, qui eux vivent ainsi. Cette petite était née avec cette difficulté de vivre, mais pour elle ce n’en était pas une, puisqu’elle s’y est habituée. Non, puisqu’elle a grandi et vit aujourd’hui avec. Puisqu’elle n’a rien connu d'autre. Elle ignore ce que c’est de voir leur monde. Elle ignore la beauté des paysages, des grandes forêts, des grandes plaines, des grandes étendues d’eau. Mais elle ignore également la brutalité des guerres et du sang qui coule sur ses terres. En réalité, sa vie est simple, elle se contente de ce qu’on peut lui offrir, de ce que ses frères lui apportent comme joie. Elle profite des bons jours dans l’ignorance totale. Mais pour combien de temps ? Qu’adviendrait-il d’elle à l’avenir ?

- C’est normal, Dame Jenny doit s’occuper de toi. Lui avait-il dit après avoir ricaner à ses paroles ironiques. Si elle ne sait pas où tu te trouves, elle doit se faire un sang d’encre, tu ne crois pas ?

Cela ne restait pas prudent pour une enfant noble de se balader seule, on ne sait point ce qui peut advenir, qui elle peut rencontrer, même si elle se rend dans les bois sacrés. Lorsqu’elle lui demanda de garder le secret sur ce qu’elle allait dire, il fut étonné. Sa mère se fâcherait-elle à ce point ?

-  Je le jure devant les Dieux. Tu es libre d’en parler avec moi.

Le geste qui suivit fit sourire Aymeric, qui ne s’attendait pas à ce qu’elle lui tende la main pour conclure les salutations. Ou avait-elle appris cela ? Ses frères sans doute. Lentement, il posa ses grands doigts contre les petits qu’elle lui tendait, et sans serrer, fit l’accolade. Alors que de son autre main, il tenait le morceau de bois et son couteau affûté.

Elle lui raconta ensuite les aventures partagées avec Lanner. Il avait bien remarqué que ce dernier était attentif à sa famille, il l’avait déjà aperçu avec sa jeune sœur avant aujourd’hui. Ces gamins avaient bien de la chance de s’entendre, il n’avait guère eu la même chance dans sa fratrie. En rivalité constante avec son frère ou bien dans l’ignorance totale de sa sœur, il ne s’était jamais senti en adéquation avec les siens. C’est en grande partie pour cela qu’il avait tout fait pour quitter au plus vite le nid familial.

- C’est bien que tu t’entendes bien avec tes frères. Mais tu apprendras bien vite que .. Le devoir est important, et que Lanner ne peut s’y soustraire. Il doit gagner en expérience afin de pouvoir revenir un jour et être capable de protéger votre demeure.

C’est ainsi que fonctionnait leur monde, les héritiers étaient entraînés très tôt dans les rouages de la guerre afin qu’ils comprennent leur rôle au sein du Royaume. Quant aux femmes, elles avaient beaucoup plus de temps auprès de leur famille en règle générale.

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La jeune Khayley rouspétait à propos de sa gouvernante, il la comprenait en un sens. Il n’avait jamais aimé être chaperonné lorsqu’il était enfant, et fuyait généralement dans les bois. Mais lui l’avait fait puisque les siens ne voulaient pas de lui, puisque les regards qu’on lui soumettait le rendait fou, hargneux. Et puis, il avait appris à se battre très tôt, et il savait courir sur de longues distances, il était donc en soi un peu plus autonome que cette petite. Bien que celle-ci soit étonnante par sa mémoire, il suffisait d’un changement, d’une perturbation pour qu’elle se perde et ne retrouve potentiellement plus son chemin.

- On ne sait jamais ce qui peut bien arriver dans ce monde. Lui dit-il un brin attentionné, bien que prévenant, ne souhaitant pas qu’il arrive malheur à cette fille. Des gens malintentionnés existent, c’est pourquoi tu dois rester sous bonne surveillance. Elle n’est pas ainsi pour te malmener.

Ce n’est que lorsque la demoiselle fermait ses yeux pour se rappeler son rêve qu’Aymeric se demandait s’il n’y avait que dans ses rêves qu’elle arrivait à “voir”. Celui-ci se mit d’ailleurs à froncer les sourcils alors que la petite lui expliquait son rêve, un grand arbre blanc ? Il pâlit même quand elle décrivit la cicatrice de l’homme dont elle avait rêvé. Une cicatrice verticale et droite sur la joue … Le visage de son père s’inscrivit dans ses pensées, lui et sa balafre qu’il l’avait tant fait craindre lorsqu’il était enfant. Il l’avait reçu lors d’une bataille avec les sauvageons, une hache ayant failli lui fendre le crâne s’il ne s’était pas reculé à temps.

Les paroles de la petite l’ébranlaient, pourtant ce n’était qu’un rêve… Il vit alors sa petite main se rapprocher de lui et déglutit lorsqu’elle toucha presque ses lèvres en continuant. Elle prit ensuite ses mains, comptant certains de ses doigts et mutique le brun la regardait comme l’on regarderait une sorcière. C’est alors qu’il sentit une légère brise se lever, son regard fut attiré par les feuilles pourpres du barral qui tournoyaient. Était-ce un présage des dieux ? Des légendes disaient que certains hommes étaient dotés de dons de voyances, à travers leurs rêves prophétiques.

- Fais-tu souvent ce genre de rêve ..?

Lui demanda-t-il, ne s’interrogeant pas plus sur ce qu’elle a vu. Il n’était pas de ceux qui souhaitaient savoir son avenir, d’autant qu’elle décrivait ici la mort de son paternel s’il comprenait bien. Cela ne lui faisait pas grand chose de savoir le futur décès de celui-ci, il n’a jamais été proche de lui, et chaque homme finissait par mourir. Non, ce qui le rendait abasourdi était qu’elle avait rêvé d’une chose pareille. Puisque pour lui, il n’y avait aucun doute, il s’agissait de son père. D’autant qu’il croyait farouchement en leurs dieux. Le plus étonnant était qu’ils avaient affublé cette petite d’une grande tâche, aurait-elle seulement les épaules pour le porter ? Pauvre petite …

- Oui, ton frère sera un bon apprenti, je n’ai nul doute qu’il reviendra rapidement. Il est sérieux et doué pour son âge.

Lui rapportait-il d’après ses précédents entraînements, il est désireux d’apprendre et ne râle pas lorsque Aymeric deviens trop exigeant. Ses mains libérées, il reprit sa sculpture, façonnant plus précisément la tête du renard, ses yeux, son museau, ses oreilles. Il entend alors la petite lui demander curieusement ce qu'il fait.

- Un renard à partir de petit bois. Généralement avec ce que les gens n’utilisent pas. Ça me détend, notamment après une journée difficile. Ou par simple envie de faire le vide dans ma tête. Lui expliquait-il humblement, avant de lui demander à son tour : As-tu un animal que tu préfères ?

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A travers ses paroles, le Forrester comprenait qu’elle souffrait de sa position, de son handicap qui l’empêchait de faire comme tout le monde, de ne pas être en permanence surveillé. Malheureusement pour elle, cela était nécessaire, il fallait faire attention à elle. Ce monde ne sera guère clément avec elle, elle sera vue comme une personne affaiblie. Seulement, à chaque faiblesse sa force. Chacun en possède, certains plus handicapant que d’autres. Lui, il avait grandi dans le mépris de sa famille et des habitants de Mont-De-Fer, ce qui l’a rendu lui-même colérique. Il a alors transformé cette colère en détermination, afin de devenir quelqu’un. Cette petite ne possédait certes point la vue, mais elle avait probablement la bénédiction des dieux, nul doute que cela lui serait avantageux à l’avenir.

- Tu es encore trop jeune pour devenir indépendante. Commença t-il d’une voix compatissante. Cela arrivera avec le temps, en grandissant. Tu trouveras un jour ta place, quelque chose qui te plaira et tu y excelleras sans aucun doute. La clé c’est d’y croire. Ne laisses jamais les autres te faire croire qu’une chose est impossible. S’ils ne croient pas en toi, fais-le à leur place.

C’est dans cette optique qu’il avait grandi, il s’était créé tout seul son avenir, peaufinant ses relations et travaillant d’arrache-pied sur ses compétences. Peut-être avait-elle de réels dons de voyances, peut-être saurait-elle en user à son avantage, pour servir le royaume ou ce en quoi elle croira. Aymeric pouvait comprendre l’incompréhension de la mère de Khayley, une telle chose semblait invraisemblable. Sauf que cette enfant n’aurait jamais pu imaginer ce qu’elle lui avait mentionné. C’était impossible. La description de son père était effrayante, et bien qu’il n’ait pas compris une bonne partie de ses paroles, cela restait troublant. Lorsqu’elle sentit que sa voix était étrange, le Forrester ne nia pas, détestant les mensonges même auprès des enfants :

- Pardonnes-moi petite. Mais je t’avoue être surpris par tes paroles. Dis-moi, quels autres rêves as-tu fait ? Veux-tu en parler ?

Hormis son handicap, la jeune Khayley semblait bien chanceuse, elle était bien entourée, nul doute qu’ils la protégeraient convenablement, peut-être un peu trop d’ailleurs. Lorsqu’on tient à une personne, on a tendance à exagérer afin d’être certain que tout aille dans le bon sens. Aymeric esquisse un doux sourire, et ses lèvres se délièrent en une note plus chaleureuse, attendrie par les paroles de la fille.

- Je n’ai aucun doute sur le fait que tes frères soient de bons garçons. Chérie ta famille, et surtout profites de chaque instant, graves les dans ta mémoire afin de ne jamais les oublier. On ne sait jamais de quoi sera fait l’avenir.

Enfin, elle si. En quelques sortes. Il devinait que ses visions se faisaient au fil de ses rencontres, de ce qui l’entoure. Et surtout de ce que les dieux voulaient bien lui faire voir. Mais à quel dessein ? Quel était l’intérêt de lui faire voir ces choses à cet âge ci ? Pour qu’elle se rende compte de ses dons ? Devrait-il lui faire comprendre qu’elle a probablement des dons ? Et si il se fourvoyait ? Peut-être était-ce seulement le hasard …

Lorsqu’elle lui dit qu’il doit souvent tailler son bois, il hoche d’abord la tête avant de se rappeler qu’elle ne le voit pas.

- Plutôt oui, dans l’armée nous passons beaucoup de temps à attendre.

A surveiller, à préparer les chevaux, à se déplacer, à manœuvrer, à attaquer … Mais la plupart du temps, ils attendent les ordres ou bien qu’un ennemi apparaisse.

- Tu es très aventurière dis-moi ! Mais Jenny a raison, c’est dangereux.. Que dirais-tu que je te sculpte un corbeau avant mon départ ? Ainsi tu pourras en tenir un en les écoutant chanter.

Lui proposa-t-il, attendri par l’enfant. Il souhaitait réellement lui faire plaisir alors qu’il devinait que sa vie devait être bien morose, ou qu’elle allait l’être. Alors autant donner un peu de baume au cœur pour qu’elle apprécie un tant soit peu sa vie, qui risque d’être régulièrement chamboulée.

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C’était triste à considérer, mais la gamine avait raison. Outre dans un lieu qu’elle connaîtrait comme sa poche, elle ne pourrait être indépendante. Ce constat peiné le Forrester qui comprenait sans mal que la vie de Khayley serait loin d’être facile à vivre. Dénuée de vue, affublée de visions quelconque. Les dieux sont bien cruels, il devait bien l’admettre. Mais il ne croyait pas en la malchance pure. Cette enfant était ainsi pour une bonne raison, une raison cruelle, mais déterminante pour leur futur. Peut-être serait-elle considérée à la cour royale nordienne si ses visions finissent par être réellement utiles. Il observa un instant la petite blonde qui semblait attristée par son propre raisonnement. Je finis néanmoins par reprendre, espérant laisser entrevoir une petit lueur d’espoir à cette jeune fille :

- Toute chose a sa place dans notre monde. Ce qui nous arrive vient pour une bonne raison. Si tu souhaites quelque chose à l’avenir, bats toi pour l’obtenir, mais ne te montre pas impatiente, ni égoïste ou encore orgueilleuse. Le bon attire le bon. Même si le mal n’est jamais bien loin. Les dieux te montreront la voie, à toi de savoir bien les écouter, et interpréter leurs signes.

Aymeric ne s’attendait pas à être aussi ouvert envers les enfants. Sans doute puisque celle-ci était spéciale, et plutôt mature pour son âge. Sa tristesse résonnait en réalité en lui. Ils n’avaient point connu les mêmes mal-être, mais une souffrance interne reste la même, au-delà de sa provenance. A chacun d’en faire une force. Aymeric s’était nourrit du mépris de sa famille, comprenant qu’il ne pouvait compter que sur lui-même. Khayley devrait trouver elle aussi le moyen d’user ses rêves à son avantage.

Lorsqu’elle mentionne qu’elle voit dans ses rêves des batailles contre les sauvageons, le Forrester fronce les sourcils. Depuis des millénaires les nordiens font face à des vagues de sauvageons venant de l’autre côté du mur. Qu’elle en rêve ne devrait pas être étonnant, seulement étant dépourvu de vue, et n’ayant jamais assisté à une bataille, cela est d’autant plus étonnant.

- Tes frères t'ont-t-ils déjà parlé des sauvageons ?

Demande-t-il afin de comprendre ce qu’elle sait originellement à ce propos. Peut-être que sa mère a raison de réprimander les enfants, ou alors tort puisqu’ils n’y sont pour rien. Mais après tout, comment comprendre que son enfant est capable de telle vision. D’autant que, comment savoir s’il s’agit de l’avenir ou du passé ? Cependant, son père semble un peu plus compréhensif.

- C’est bien, continue à en parler à ton père, c’est important que tu ne gardes pas cela pour toi.

Lui conseilla-t-il en levant le regard vers le Barral. Il est bien qu’elle se lie aux dieux, mais il ne valait mieux pas qu’elle reste enfermée dans une relation avec ces forces. Les hommes sont d’autant plus importants. Aymeric sourit légèrement lorsqu’elle rapporte qu’elle ne souhaite pas que son frère parte.

- La vie est ainsi, faite de séparation et de retrouvaille. Tu seras triste de son départ, mais heureuse de son retour.

Il fallait qu’elle s’y prépare, inévitablement la vie fera que ses frères feront la leur. Autant que Jonquil l’a faite quelques mois plus tôt. Il finit par ricaner aux commentaires de la petite, elle semblait en connaître des choses sur les camps militaires. Sans doute que ses frères y sont pour quelque chose.

- Ca c’est plutôt le rôle des aides de camp ou des écuyers. Puisque nous autres soldats, devons nous maintenir prêts en cas d’attaque.

Lui indiquait-il sans plus de détails. Elle avait le droit de savoir, Lanner l’accompagnerait lors des campagnes, c’est là-bas qu’il s’y trouverait en priorité au début.

Aymeric comprend pourquoi la jeune Khayley n’aime pas les rassemblements, ses sens devons certainement être décuplés par rapport à sa vue. Lui-même n’aime pas ce genre d’évènement, il préfère rester dans son coin, observer les autres et boire de son côté.

- Et tu n’es pas la seule à ne pas aimer cela, je préfère les petits comités aux évènements d’envergure.

L’enthousiasme de la petite tira le sourire du soldat qui fut attendrit par celle-ci qui parut presque avoir des étoiles dans les yeux, même s’ils n’étaient pas opérationnels.

- Bien sûr, tu peux compter sur moi, jeune Ardoise.

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Chacun possède à son commencement des difficultés plus ou moins prononcées. Il fallait alors savoir s’en accommoder ou les changer à son avantage. Aymeric avait passé outre la désapprobation de sa maison, s’éloignant au plus tôt du cocon familial qui n’était qu’une prison pour lui. Si les rêves de la jeune Khayley se révélaient être des visions, elle pourrait à terme être un grand avantage si elle arrive à les décrypter et à les offrir aux bonnes personnes. Elle pourrait devenir un oracle important de sa génération. Comme l’ont toujours été ces légendes sur la vervue.

La petite Ardoise était pessimiste, puisque jusqu’à lors elle n’avait peut-être pas été aussi bien entendue qu’elle aurait dû l’être. Il lui fallait avoir confiance, mais pour cela il fallait que les siens ne la surprotègent pas sans cesse et stimulent son esprit pour le renforcer. Bien qu’elle ne pouvait ni lire ni écrire, sa mémoire était importante, il fallait donc l’entraîner. Un rictus compréhensif se dessina sur les lèvres du Forrester qui lui répondit avec sagesse :

- Cela viendra, tu es encore jeune pour connaître ton potentiel rôle. Nous passons tous dans une phase où on se demande qui nous serons dans cinq ans, dans dix ans. Lorsqu’il sera temps, tu sauras ce qui te correspond.

Aymeric méditait sur ses paroles suivantes, au sujet des sauvageons. Ses frères ne le lui en avaient jamais parlé… Bien que les attaques de sauvageons se font rares, elles existent bien, d’autant que les adultes auraient évité d’en discuter auprès de la gamine. C’est donc que ce rêve était venu à elle, et n’était point créé par son simple subconscient. Un frisson le gagna alors qu’il confirmait ses propres doutes la concernant. Il lâcha un léger soupir en levant les yeux vers le Barral, les dieux peuvent se montrer bien cruel pour le bien de leur monde …

- Connais-tu le mythe des vervoyants ? L’on dit qu’ils ont la capacité de voir à travers le temps des événements importants. Il n’est pas impossible que les dieux t’aient offert ce don …

En contrepartie de ses yeux, voilà ce qui était bien cruel. Etait-ce puisqu’elle était née aveugle qu’ils lui ont offert ce don, ou était-ce puisqu’ils lui ont donné ce don qu’ils ont pris sa vue ? Les dieux sont parfois insaisissables dans leur manière d’être et de faire. Pourtant, il y a toujours une bonne raison dans leurs agissements. Aymeric ne savait pas si c’était réellement une bonne idée de lui avouer quelle était probablement sa capacité de rêve … Mais il n’était pas non plus bon qu’elle reste dans l’ignorance totale alors qu’elle ne comprenait rien à ses rêves. Il comptait évoquer le sujet avec Lord Ardoise, il avait droit de savoir également. Le fait qu’elle ait pu décrire Lord Forrester était un net indice sur ses capacités.

Etait-ce grâce à ses difficultés que Khayley semblait plus mature que son âge ? En tout cas, elle savait ce que la mort pouvait causer de part ses paroles. Le Forrester ne nia pas, elle avait beau être une enfant, elle n’était pas idiote pour autant, il acquiesça donc :

- Oui, certaines personnes ne reviennent jamais. Cependant, ton frère est mon premier écuyer, j’y ferai particulièrement attention, tu peux me croire.

C’était étrange pour lui de prendre un écuyer, c’était un signe indéniable qu’il prenait de l’âge et suffisamment d’expérience pour qu’on lui demande de s’occuper des futurs seigneurs du Nord. La seule responsabilité qu’il avait eu jusqu’à lors, était celle d’empêcher les fer-nés de franchir leurs lignes de défense.

- Oui, entre autres ! Répondit-il au sujet de Lanner, un air amusé sur le visage. Il s’occupera aussi de ma monture, de ma tente et de mon équipement. En échange, je lui apprendrais les qualités d’un nordien qui protège ses terres et ses gens.

Il jeta ensuite un coup d’oeil à la petite qui mentionnait qu’il pouvait au moins voir ses pieds. Pour alléger la conversation, il lâcha ironiquement :

- Cela dépend si j’ai trop forcé sur l’hydromel !

Le vent commençait à se lever, frappant les branches de leur force et fouettant la neige sur son passage. Aymeric se leva donc :

- Bon, jeune fille, il serait temps de te ramener auprès de ta nourrice avant qu’elle n’alerte toute ta demeure. De plus, il est fort probable qu’une tempête s’annonce sous peu.

Il n’avait pas remarqué jusqu’à lors, mais les nuages avaient tournés au gris. Il guetta si la jeune Ardoise était suffisamment couverte pour la saison. Ce serait le pompom qu’elle tombe malade alors qu’elle n’était pas sous réelle surveillance…

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Il y a toujours des instants de doute, révélant des souffrances plus ou moins profondes. A l’âge de la petite Khayley, Aymeric avait aussi ses doutes, ses appréhensions. Celle de ne jamais trouver sa place. De jalouser sans arrêt ses aînés. D’être à tout jamais, le vilain petit canard. Alors il ne pouvait que comprendre les peurs de l’enfant à ses côtés, qui ne savait pas ce que les dieux avaient prévu pour elle. Personne n’avait crû en lui pendant des années, alors il avait décidé de croire en lui-même. De se battre pour créer sa propre force, son propre avenir.

- Aie foi mon enfant. En nos dieux, et surtout en toi. Puisque personne d’autre ne pourra le faire mieux que toi-même.

Lui avait-il répondu, le regard hagard, perdu dans la pureté de la neige qui inondait les lieux. Lorsque la petite se confia à nouveau sur sa mère, il ne sut si cette dernière était fermée d’esprit ou bien avait simplement peur pour son enfant. Après tout, cela ne devait pas être simple d’élever une enfant aveugle, mais une enfant vervoyante ? Il y avait de quoi appréhender l’avenir. Puisque les responsabilités seraient d’autant plus lourdes.

- Il est normal de rêver dans notre jeunesse, c’est ce qui fait notre innocence. Cela disparaît avec le temps, nous autres adultes ne savons plus apprécier ces instants, puisque le présent nous rattrape toujours. Étrangement, la discussion avec Khayley le rendait bien philosophique et surtout bavard pour une fois. Était-ce la proximité avec le Barral qui le rendait ainsi, ou bien l’appel silencieux de l’Ardoise ? Si je devais te conseiller, je te dirais d’écouter tes parents, puisqu’avant tout, ils t’aiment et ne veulent que le meilleur, mais ne t’oublie jamais dans leurs souhaits. Garde tes futures ambitions au chaud, il n’y a que toi qui décidera de ce que tu deviendras demain.

Il ne fallait jamais oublier là d’où l’on venait. L’endroit qui nous a construit et surtout les personnes qui ont sut nous élever. Lord Glover était un homme que Aymeric pouvait considérer comme tel. Il est le premier à avoir crû en lui et à révéler ses réelles capacités. Il était bien plus un père que son père biologique, il devait bien l’avouer.

Khayley rapporta que ses rêves ne témoignaient rien d’important. Aymeric esquissa un rictus amusé. Il se souvenait d’à quel point elle avait détaillé le chef de famille des Forresters. Voir la mort n’était en aucun cas futile. La question était, quand est-ce qu’un tel événement aurait lieu ..?

- Détrompes-toi jeune fille, il n’y a rien de plus important que la sécurité et la vie de nos terres. Les sauvageons sont un danger depuis des milliers d’années. Bien que tes rêves ne soient que très brefs, s’ils se révèlent vrais, ils pourraient être d’une importance capitale s’ils devenaient plus précis. Mais n’y pense pas trop pour l’instant, profites des tiens avant toute chose.

Il accompagne ses paroles d’un mouvement du bras, venant tapoter le sommet de la tête de la benjamine Ardoise. Il n’y avait pas urgence à ce qu’elle apprenne à maîtriser son art divinatoire, elle était trop jeune pour cela, bien trop sensible. Lorsqu’elle changea de sujet, il l’accepta donc volontiers. Elle encensa son frère, et il ne put qu’acquiescer à ses propos.

- C’est vrai, il est plutôt bon pour son âge.

Elle rapporta qu’il était un peu bordélique, qui ne l’a jamais été en étant enfant ? L’armée lui apprendra la discipline, à être irréprochable. Il avait le temps lui aussi de grandir.

- Son apprentissage le rendra plus rigoureux, espérons que cela remédiera à sa désorganisation.

Aymeric ricana à ses paroles farfelues, voilà qu’elle avait retrouvé un peu le moral. C’était l’art des enfants, celui de réveiller leur insouciance en tout temps. Lorsqu’elle lui demanda de ne pas l’amener à sa nourrice mais plutôt à son frère, il finit par capituler en soupirant doucement après s’être levé :

- Faisons comme cela alors.

La petite indiqua alors la direction à prendre, qui était correcte. En effet, elle savait se repérer sans aide dans son domaine.

- Je te suis Dame Ardoise !