(c) DΛNDELION

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C’était étrange pour Sybelle de se retrouver, dans un couloir inconnu, assise en tailleur à même le sol, avec la reine. Dans cette phrase, elle avait l’impression que rien n’allait, même si – pour l’instant – il n’y avait rien à signaler. Ni l’une ni l’autre n’avait décidé que le moment était mal choisi pour une petite conversation impromptue. L’insulaire observait la nordienne, sous toutes ses coutures, lorsqu’elle retira et posa sa couronne. Ce simple geste fit sourire la jeune femme. Elle ne savait pas si c’était un point pour Jeyne, mais ça l’amusait de se rendre compte que ce symbole de royauté n’était pas si important aux yeux de la reine du royaume de l’ouest. Lorsqu’elle affirma que c’était exactement ce dont elle avait besoin, Sybelle sortit de la lune où elle s’était réfugiée et lui offrit un sourire compatissant. Il lui était étonnamment facile de sourire à la reine, alors qu’elles s’étaient particulièrement bien évitées depuis son arrivée au côté de Megara.

« J’ai appris que parfois, il suffit de s’éloigner de ses problèmes pour trouver des solutions. Néanmoins, je me rends bien compte, en grandissant, que tous les problèmes ne peuvent se régler aussi facilement qu’avec cette méthode. »

Sybelle sourit tristement à cette constatation. Elle se souvenait des fois où sa mère lui avait dit cette phrase, dans des moments où elle ne trouvait pas de solution, plus jeune. Elle se rendait bien compte aujourd’hui qu’il n’était pas toujours possible de prendre le recul nécessaire à l’élaboration de la solution. Parfois, le nez tellement proche du problème, qu’il grandit… à un point tel qu’une montagne de problèmes se dessine près devant soi. Sybelle considéra, sans le lui avoir demandé, que c’était ce qu’il se passait dans la tête et dans le cœur de sa reine.

« C’est très aimable de le souligner. J’y ai mis bien des efforts, depuis longtemps. À ce jour, je me rends compte qu’il faut beaucoup plus que les efforts que j’ai fournis pour être accepter en tant que femme dans ce rôle. Et finalement, tant mieux si mon frère peut prendre ce rôle. Il s’en sortira probablement bien mieux que moi. Si ce n’est pas le cas, j’irai jusqu’à Belle île pour lui frotter les oreilles, vous pouvez compter sur moi. » dit-elle en riant légèrement.

Sybelle n’osait pas trop s’esclaffer ou lever le ton devant Jeyne. Elle faisait preuve de retenue comme elle ne l’avait jamais fait. En temps normal, elle n’avait pas peur d’être elle-même devant les gens, de leur montrer qu’elle venait d’une île magnifique où il faisait bon vivre, que l’on avait aussi le droit de s’amuser. Castral Roc lui semblait toujours austère à ceux qui aiment sourire et le grain de folie. Elle tourna la tête vers Jeyne alors que cette dernière parlait un peu de sa famille. Elle vit quelque chose dans ses yeux changer, elle ne savait pas comment l’interpréter, mais elle se contenta de sourire à la nordienne.

« Vous savez, en tant que reine, vous ne trouverez jamais d’endroit qui saura vous montrer sa réelle personnalité. À votre contact, les gens se cristallisent, ils ont peur, j’imagine. Même moi, j’ai peur. » avoua-t-elle, avec un léger rire nerveux. « Je n’ai pas peur de vous, à proprement parler, mais de votre titre, de votre pouvoir. Les gens tenteront toujours de montrer le plus de sérieux à votre approche, le plus de droiture… Que ce soit pour vous montrer du respect, ou pour vous faire sentir que vous n’êtes pas à votre place. »

Sybelle leva les yeux au ciel en prononçant les derniers mots. Elle se rendait bien compte que c’était ce que beaucoup pensaient. Jeyne n’était pas une femme de l’ouest et ils lui en voulaient pour cela. L’insulaire savait que l’alliance entre l’ouest et le nord avait été calculée, analysée et prise en considération. Elle ne comprenait pas toutes les décisions qui se prenaient au-dessus d’elle, mais elle voyait bien le potentiel des alliances entre les différents royaumes. Sybelle n’en avait que faire de la politique et des guerres. Elle préférerait cent fois mieux que tout le monde fasse la paix et reste chez soi. Elle sourit légèrement à cette pensée, puis reposa son regard sur la reine, continuant sur son discours précédent :

« Je n’ai pas peur de vous, mais je ne suis pas honnête non plus. Je camoufle la majorité de mes émotions, calme mes sourires et rires, afin de ne pas vous incommoder. Et s’il en est ainsi pour moi, ce doit être la même chose pour beaucoup d’autres. Mais… Il n’est pas impossible que cela change, vous savez. » Sybelle acquiesça à ses propres paroles. « Vous devriez aller visiter Belcastel, c’est un endroit magnifique. De plus, la plage est sublime et les gens sont incroyablement gentils. »

Sybelle souriait tristement en observant le visage de sa reine. Elle se rendait bien compte de tout ce qui pesait dans la balance émotionnelle de la jeune femme, et, comprenais, sans le vivre, cette souffrance de voir ses deux familles se déchirer sans réellement pouvoir intervenir, ni y changer quoi que ce soit. Momentanément, elle s’imaginait être dans la situation de Jeyne. Elle ne saurait pas quoi faire s’il advenait que sa famille décidait de faire la guerre aux Lannister. Rien que l’idée a fit sourire intérieurement tellement elle lui semblait impossible (ne serait-ce que parce que la force de frappe des lions était tellement supérieure à celle de la propre famille). La jeune reine ne pouvait s’arrêter à ce détail, car dans son cas, les deux camps avaient des forces qui s’équivalaient presque. Le gagnant était donc très incertain que cela devait la rendre complètement dingue, Sybelle s’en rendait compte.

Malgré tout, la conversation était agréable aux yeux de l’insulaire. Elle avait l’impression de ne jamais vraiment avoir rencontré Jeyne, de ne jamais l’avoir réellement souhaité non plus. Cependant, à force d’échanger, l’ouestrienne regretta presque tous ces instants à fuir. Elle sourit vaguement à ce que la reine lui disait sur le destin qu’elle aurait pu avoir sans la naissance de son frère, ses pensées tourné vers ces moments ratés qu’elles auraient peut-être pu partager, si elles n’avaient pas fait d’enfantillages. Pour ce qui était de son rôle, elle ne regrettait pas la naissance de Dastan, car elle était reconnaissante qu’il prenne la relève de leur père, il était plus à sa place qu’elle ne l’aurait jamais été, constamment à se battre pour garder sa place, à cause de son genre.

Sybelle osa un peu de franchise, ne sachant pas si la reine aimerait où détesterait. Elle avait deux idées : soit elle allait aimer que quelqu’un ose lui parler des vraies choses, soit elle détesterait et quitterait simplement les lieux. La reine resta bien assise et cela fit sourire la jeune blonde, un léger sourire en coin, curieuse et surprise. Elle n’avait pas peur, en soit, de la jeune femme, car elle connaissait sa propre force et ses propres qualités. Elle savait aussi qu’elle pourrait toujours aller se cacher, avec les jumeaux, dans les bras protecteurs de Megara en cas de problèmes, cela l’aidait probablement à n’avoir peur de presque rien.

Jeyne soupire et Sybelle se demande si elle est énervée, découragée ou simplement déçue par son discours.

« Ne vous en faites pas, les choses évoluent un peu plus à chaque seconde qui passe. » affirma-t-elle, un léger sourire aux lèvres.

Elle comprenait bien que tous les mensonges et faussetés de la cour pouvait l’incommoder, elle ne savait pas totalement comment se passaient les choses dans le Nord, mais elle s’imaginait que les choses étaient bien différentes entre les deux régions. Il lui avait été difficile, même à elle qui ne venait pas d’aussi loin, de s’habituer aux courbettes et aux discours de la cour des lions. Sybelle fit un sourire à sa reine, découvrant doucement, sous toutes les couches de masques, une jeune femme beaucoup plus simple qu’elle ne le paraissait au premier regard.

« Vous vous en sortez très bien, contrairement à ce que beaucoup vous dirons. Ils le font uniquement dans l’objectif de vous déstabiliser. » avoua-t-elle, baissant les yeux un instant. Elle-même n’avait pas toujours été gentille à l’égard de la reine et elle savait que, dans ces cas-là, c’était toujours la jalousie qui parlait. « Il ne faut pas que cela fonctionne, car vous avez votre place ici, auprès du roi. Ils sont simplement jaloux. »

Elle pouvait se compter parmi le lot, mais n’insista pas là-dessus, se recomposant une image de Belle île dans sa tête, le soleil se couchant à l’horizon, les fleurs, le sable, la mer.

« J’ai une confiance aveugle en la princesse Megara et son jugement. Si elle vous apprécie et vous fait confiance, je peux apprendre à en faire de même. Et puis, malgré tout, cette conversation m’est agréable et… votre compagnie aussi. » dit-elle, avec un sourire. Sybelle, curieuse, avait envie d’en apprendre un peu plus sur la femme de Lyman. Elle avait tenté de l’ignorer pendant tellement longtemps qu’aujourd’hui, en sa compagnie, maintenant que le voile était tombé, elle voulait en savoir plus, raconté par la principale intéressée. « C’était comment… ? Dans la maison des Stark lorsque notre reine était petite ? Vous l’avez évoqué si brièvement… » demanda-t-elle, consciente que la question pouvait, à nouveau, plonger la jeune femme dans des pensées plus douloureuse.

La jeune femme observait sa reine, de haut en bas, de la manière la plus discrète possible. À certains égards, elle enviait cette femme. Sybelle savait que la jeune femme n’avait pas eu que de bons moments depuis son arrivée au château. Elle était consciente du poids qui reposait maintenant sur les épaules de la Stark, mais elle ne pouvait s’enlever de la tête qu’elle, au moins, pouvait compter sur quelqu’un lorsque cela comptait vraiment. L’insulaire se souvenait de Lyman, de l’homme prévenant, gentil et tendre qu’elle savait qu’il pouvait être. Cependant, elle n’était pas en mesure de deviner quelles facettes il montrait à son épouse, ni même s’il n’avait pas changé durant les dernières années et avec ses nouvelles fonctions.

« Vous ne le pourrez jamais. » dit-elle, sincèrement. « Le meilleur pour les uns est toujours, et inévitablement, le pire pour les autres. »

Sybelle savait que cette phrase n’aiderait pas la reine à se sentir mieux et cela n’était pas du tout son objectif. Parfois, même la royauté a besoin de se frotter à l’impossible, au sentiment de n’être maître de rien. Sa franchise dépassant – et de loin – sa sympathie, la jeune femme parla sans même réfléchir vraiment aux mots qu’elle employait. Elle n’avait pas besoin d’y penser, car elle pensait chacun d’entre eux. Il ne pourrait jamais y avoir deux gagnants. Si Jeyne faisait référence aux conflits entre le nord et l’ouest, alors la réplique de Sybelle se voulait encore plus véridique. Il lui faudrait, inévitablement, choisir un camp et tourner le dos à l’autre. Les rivaux ne semblaient pas sur le point de changer d’idée et elle savait… Elle savait combien il était difficile de faire flancher un lion, de le détourner de sa volonté. Sybelle ne s’y emploierait pas.

« Il est vrai que nous n’avons jamais vraiment pris le temps, avant. Peut-être devrions-nous, à l’avenir. »  

Elle le dit, mais même à ses oreilles, elle avait l’impression de sonner faux. Ce n’est pas qu’elle n’aimait pas la nouvelle reine… Mais la jalousie est un bien mauvais guide. D’un autre côté, elle doutait aussi de la véracité des paroles de l’autre femme. Était-elle honnête ? Sybelle appréciait la conversation, la situation était loufoque, mais elle ne connaissait pas assez l’ancienne Stark pour lui faire une pleine confiance. Un peu à l’image de la population de l’ouest, se dit-elle en y réfléchissant. Elle sourit a Jeyne et, en lui posant des questions sur son enfance, Sybelle espéra apprendre un peu mieux à la connaitre. Elle n’avait plus envie de faux sourires entre elles. La jeune femme était de nature gentille, sociable et joyeuse. Elle voulait d’une relation paisible, voire neutre avec la femme de son cousin, pas cette situation problématique qui n’avait fait que grandir avec les années.

« Je pensais… » commença-t-elle, avant de s’interrompre quelques secondes. «Je ne sais pas. Je ne pensais pas que vous le décririez avec autant de douceur. J’imaginais le nord plus rude, terne et glacial. Autant dans son paysage que ses gens. »

L’image qu’elle se faisait du nord était plus qu’erronée, elle était basée sur des récits de quelques personnes, ainsi que ceux lus dans les livres. Peut-être n’était-ce pas si froid qu’elle pouvait se l’imaginer, dans un foyer nordien.

« Ici ? À Castral Roc ? »

Sybelle se remémora quelques événements, rayant la majorité de ceux avec Lyman de son esprit. Ce n’était ni le moment, ni l’endroit, ni la personne avec qui aborder ces instants, aussi tendres ont-ils été.  

« Eh bien, il est vrai que j’ai vécu quelques bons moments ici. Cependant, l’humain est drôlement fait… l’on se souvient toujours beaucoup plus des mauvais moments. » Sybelle bougea légèrement les pieds, remarquant la poussière s’accumulant sur ses chaussures. Elle ne s’était pas rendu compte à quel point le sol pouvait être sale avant de s’y laisser choir. Elle sourit à cette pensée, puis revint à sa conversation. « Mon premier long séjour, je l’ai passé ici, sous le regard des Mestres ainsi que celui apeuré de ma pauvre mère. » Elle rit légèrement. « J’ai chuté, je devais avoir dix ans. Je suis tombée en essayant de cueillir une fleur pour ma mère. J’ai passé quelques semaines à Castral Roc. Et finalement, je m’en suis plutôt bien sortie. C’est d’ailleurs dans ces semaines que je me suis rapprochée de Megara et Nymeria. »

Son nom sonnait creux, vide. Sybelle baissa les yeux sur ses mains, puis releva la tête vers Jeyne.

« Il y a eu de très bons moments, c’est vrai. » dit-elle, sans ajouter d’autres détails. Elle ne savait pas quoi raconter, elle ne savait pas ce que la reine voulait entendre.

Sybelle ne sait pas quoi ajouter à sa pensée. Elle a compris, de cela bien longtemps déjà, qu’il était impossible de convenir à tous. C’était peut-être pour cela que la blonde faisait souvent à sa tête, se contentant d’assumer les conséquences de ses gestes en temps et lieu. Elle n’arrivait à se forcer que dans de rares moments ou elle en ressentait le réel besoin, l’urgence de faire bonne figure, d’être quelqu’un qu’elle n’était pas… Momentanément, car malgré tout ce qu’elle pouvait essayer, son naturel revenait au galop et avec plus de puissance qu’elle ne l’espérait. Sa franchise et son entêtement ne faisaient que rarement bon ménage lors des moments où elle devait bien se tenir. Il lui avait toujours été difficile de cacher ses pensées et émotions lorsqu’on lui demandait son avis. La demoiselle le donnait, toujours, en choisissant ses mots, mais en ne mentant que très rarement. De toute façon, les mensonges finissent toujours par être percés à jour. À cette pensée, son cœur se serra légèrement et elle sourit tristement à la reine. Elle comprenait que cette dernière avait besoin de cette illusion, pour avancer et continuer de se battre des deux côtés sans réellement choisir. C’était peut-être ça, au fond, le problème. Un pied d’un côté qui danse avec les lions et l’autre, enfoncé dans la neige entourée de loups. Jamais d’un bord ou de l’autre, toujours coincé entre deux mondes qui refusent de cohabiter et s’entendre. Ce devait être épuisant.

Sybelle se pensait plus ou moins sincère quand elle évoqua qu’elles devraient se rencontrer plus souvent. Elle le pensait, mais elle ne savait pas si ce serait possible et qu’elles seraient les conséquences de ce rapprochement. Elle ne connaissait pas assez Jeyne pour savoir si elle était sincère. Et cela aussi, c’était dérangeant pour elle. L’insulaire avait ce problème, cette incapacité à comprendre immédiatement lorsque quelqu’un n’était pas sincère. Elle avait l’impression que si elle pouvait être assez franche avec les gens, ils finiraient tôt ou tard par l’être avec elle. Parfois, c’était le cas… mais parfois, les gens mentaient avec tant de facilité que la franchise leur faisait défaut.

« Je comprends. » répondit-elle lorsque la reine lui parla du froid. Sa pensée n’était peut-être pas aussi fausse qu’elle ne l’avait cru a première vue. « Il est important de se tenir près de ceux que l’on aime, mais encore plus lorsque la mort guette. Cela, je peux le comprendre. » Elle ne faisait pas référence au froid, elle pensait aux guerres. C’était semblable.

En racontant son histoire à la reine, Sybelle se mit à penser à Nymeria et une vague de tristesse s’abattu violemment sur elle. Un silence s’installa entre les deux femmes et l’ouestrienne l’accueillit avec bienveillance. Elle fit le point, encore une fois, sur cette tristesse qui revenait de temps en temps lui vriller la tête. Un sourire triste s’afficha sur le visage de la demoiselle alors que Jeyne se remettait en mouvement en annonçant la fin de leur entretien. Elle n’avait plus envie de retrouver Megara. Elle avait maintenant envie de solitude, de réfléchir, de remettre en question ses interrogations et cette… fausse haine qu’elle entretenait envers la reine. Néanmoins, Sybelle acquiesça, puis entreprit difficilement de se relever. Une fois sur ses pieds, elle passa les mains sur ses vêtements et baissa les yeux vers la reine.

« S’asseoir était simple… Se relever sera probablement un jeu beaucoup plus difficile. » avoua-t-elle, riant légèrement de la situation.

Sybelle tendit ses deux mains vers la femme afin de l’aider à se remettre debout.