Ce n'était pas la première fois que Megara assistait à un tel spectacle, et elle était convaincue que cela ne serait pas la dernière fois non plus. Les rouages étaient bien huilées, la mécanique était ancestrale et maintes fois utilisée, répondant à des codes et à un protocole établis il y avait déjà fort longtemps et restés depuis quasiment immuables. La rhétorique était la même : deux familles de lignée aristocratiques annonçaient au monde entier et à qui voulait l'entendre qu'elles se retrouveraient prochainement liées, dans un futur plus ou moins lointain, dès lors que serait célébré le mariage de deux des leurs. Évidemment, les choses n'étaient pas sans s'envelopper d'un decorum de plus en plus conséquent à mesure que les deux futurs époux provenaient de hautes Lignées. Que dire, alors, de ce qui se passait quand il se trouvait que l'un d'entre eux était de sang royal et directement affilié à la Couronne ? Il allait donc sans dire que la jeune femme qu'était la Princesse Megara Lannister était déjà passée par là, sans que son union n'est rien eu d'exceptionnelle dans la forme, là où le fond, lui ... Personne ne s'était attendu à ce qu'elle soit fiancée à Gareth Kenning, qui n'avait certes rien d'un reitre ou d'un va-nu-pieds, mais dans l'ascendance était autrement moins prestigieuse que celle de bon nombre de jeunes nobles homme, et, bien sûr, que celle de Megara elle-même. Mais, pour ainsi dire, dans tout l'Ouest, nul n'aurait de toute façon pu se targuer d'être à la hauteur pour l'épouser là où, pour lui trouver son égal, la Couronne aurait dû contracter quelle alliance matrimoniale en dehors des frontières du Royaume. Toutefois, il était indéniable que ses noces avaient fait jaser, tout comme elles avaient fait grincer plus d'une mâchoire. Mais rien ni personne n'avait osé évoquer publiquement l'affaire, ou en tout cas jamais devant Megara elle-même, et encore moins devant ses parents, ou même devant son frère. Chacun tenait sans doute trop à sa réputation et à son rang pour commettre pareil impair, car si les rumeurs allaient vite, les mauvaises nouvelles ne manquaient pas plus de vitesse : être exilé de la Cour, cela faisait toujours fortement tâche ...

D'une certaine façon, un tel évènement était attendu par tous dès lors que l'on naissait au sein d'une famille un tant soit peu noble. Il n'était en effet pas connu que les aristocrates n'engendraient des enfants que pour les garder éternellement auprès d'eux et ne rien en faire. Le temps de se marier survenait toujours, à moins d'un fâcheux accident entre temps. Malgré tout, entre s'y préparer et le vivre, il existait un large fossé. Et si, à l'époque, c'était Megara qui s'était retrouvée au bord du précipice, aujourd'hui, c'était à Sybelle d'endosser ce rôle d'équilibriste et de funambule. Normalement, aucun incident fâcheux n'était à prévoir ou à redouter, mais cela ne signifiait en rien que la chose était aisée à vivre et à supporter. Mais pour une fois, la jeune femme n'avait pas à craindre d'être au centre de l'attention, quoi qu'elle se savait tout de même observée et épiée. Elle ne pouvait pas s'attendre à moins que cela en tant que Princesse de l'Ouest, de surcroit devenue depuis peu, et par la tragique force des choses, sœur unique de l'actuelle Roi. Autrement dit, si ce n'étaient pas ses fiançailles qu'on célébrait, on devait quand même s'aviser de l'observer pour déceler chacune de ses réactions ou pour percevoir la moindre brèche qui permettrait de percer sa distance et d'aller lui parler, le tout pour mieux s'en vanter et s'en enorgueillir par la suite. Assise sur un fauteuil, elle posait alors des regards distraits sur les différents convives, non sans manquer de savoir adresser des sourires polis et avenants à qui les méritait. Elle n'avait ainsi pas manqué d'en adresser l'un de ses plus beaux à Loan Farman, cousin et ami de feu son père le Roi Loren. L'homme était aux anges, visiblement, de savoir sa fille aînée pouvoir épouser un jeune homme d'aussi bonne famille que celle des Lefford. Toutefois, si on demandait à Megara son opinion sur le futur promis ... Elle préféra se passer du fait d'y réfléchir. Disons que son avis était sans doute biaisé par quelque malencontreuse outrepassement de ses droits de la part du jeune homme, il y avait quelques années de cela.

En tout cas, elle se défit quelque peu de son masque de Cour et de Princesse en voyant Sybelle la rejoindre. Cette dernière, en plus d'être au cœur des festivités, se trouvait être l'une de ses dames de compagnie et, avant même tout ceci, sa cousine issue de germain, leurs pères respectifs étant cousins, là où la grand-mère paternelle de la Princesse, la Reine douairière Arcissia, se trouvait être la sœur du grand-père de la native de Belcastel, Amalu Farman, Seigneur de Belle-Île. Pour faire plus court et plus intimiste, elles préféraient toutes deux se dire cousines, sans chercher à préciser la chose plus que de raison. Elles s'entendaient bien, et cela contribuait à exposer à la Cour le visage uni de deux cousines elles aussi unies. Observant la jolie blonde s'affaler à ses côtés et l'entendant lui proclamer être déjà épuisée, Megara ne put réprimer un petit sourire amusé. ❧ Je vois ça ... ❧ Pour sûr, Sybelle n'était en rien toute engoncée dans le protocole et les petits jeux de la Cour, qui vont guindaient et vous formataient en un rien de temps si vous vous y laissiez prendre. Et c'était en partie cela que Megara aimait tant chez elle : son naturel et sa fraîcheur, tout comme sa franchise et son aversion pour les manigances mielleuses. Voyant Dastan les rejoindre et prendre place sur les genoux de Sybelle, complétement ignorant du cadre et du protocole, elle lui adressa un grand sourire, non sans lui déposer un rapide baiser sur le bout du nez. Il était plus âgé que ses fils, âgés d'une demi-année seulement, mais en posant les yeux sur lui, elle ne pouvait s'empêcher de songer au fait qu'ils auraient un jour son âge. Et qu'ils risqueraient donc eux aussi de n'avoir que faire de vous grimper sur les genoux devant toute la Cour. Et avec un père comme Gareth, il y avait fort à parier qu'ils y prendraient un malin plaisir non dissimulé !

Alors que le petit éclata de rire, Megara reporta son attention sur son aînée. Visiblement, cette chère Darya Lefford avait encore fait des ravages ... Posant le regard sur la principale concernée par les remontrances de Sybelle, Megara n'eut qu'à plisser quelque peu les yeux pour que Darya détourne les propres siens. ❧ Lady Lefford se trouve être l'une des cousines de ma mère, la Reine-Mère Jordane Lannister. Tout comme Enorya. Mais au contraire de cette dernière, nous ne partageons toutes deux aucune réelle affinité. Je ne te tiendrais donc point rigueur de ne point chercher à t'entendre avec elle. ❧ Autant poser le cadre de suite, afin que Sybelle se sente la plus libre possible de lui exposer ce qu'elle a sur le cœur. ❧ Si cela peut te rassurer, j'ai cru comprendre qu'elle était encore plus mesquine et médisante avec Lady Yennefer Marpheux. Qui se trouve être ... ❧ Elle marqua une pause, comme pour être sûre de ne pas se tromper dans ces ramifications particulières. ❧ ... tout à la fois sa belle-fille que sa belle-sœur, depuis que son frère Julian a épousé Lady Yennefer. Certaines rumeurs disent qu'avec les années, elle ne peut que constater que la jeunesse et la fougue sont du côté de Lord Stefan, mais je crois surtout à celles qui évoquent le fait qu'il lui est encombrant, se trouvant devant ses propres fils pour l'héritage de la Seigneurie de la Dent d'Or. ❧ Toutefois, comme pour rebondir sur un sujet moins pessimiste, la Princesse ne manqua pas de décocher une œillade malicieuse à sa cousine. ❧ Stefan, donc ... Je vois que vous en êtes déjà venus à vous appeler par vos prénoms ? ❧ Rien de réprobateur là-dedans, mais juste une envie de la taquiner.

C'était un jeu. Un vrai jeu, avec ses règles, secrètes et plus officielles. Un vrai jeu, avec son lot de manœuvres, de coups bas et de stratagèmes. Certains étaient passés experts dans sa maîtrise, d'autres peinaient encore, malgré les années et les années d'expérience et d'apprentissage. Certains étaient de beaux joueurs, d'autres se refusaient à la défaite en faisant preuve de mauvaise foi et de grossièreté. Certains étaient de ces joueurs qui acceptaient de partager leurs tactiques et leurs conseils à ceux qui y débutaient, et puis d'autres préféraient tout conserver près d'eux comme s'il s'agissait du plus précieux des trésors. Megara, elle, se sentait quelque peu au-dessus de la mêlée, en partie protégée par son statut princier, et grandement privilégiée par l'éducation et les enseignements qu'elle avait reçu. Sans parler du fait qu'elle était au plus près des pièces maîtresses centrales, ceux que chacun voulait atteindre, ou tout du moins approcher. Pour ainsi dire, elle faisait elle-même partie de ces pièces primordiales. Et puis, elle évoluait tout autant sur le plateau de jeu qu'elle y vivait. La Cour était son logis, pour être située au sein de la Forteresse royale de Castral Roc, berceau ancestral des Lions et des Lannister. Toutefois, cela ne devait jamais être vu comme le gage qu'elle était heureuse d'être au milieu de tout ceci et de devoir se plier à tout ceci, à toutes ces attentes, à tous ces petits jeux emplis de trop de miel et de poison à son goût. Le tout était tout à la fois trop poisseux, sucré, venimeux et acide. ❧ Tu aurais préféré que je te mentes ? Désolée, je n'ai jamais su faire, au grand désespoir de ma mère, d'ailleurs ... ❧ Si Megara ne savait en effet pas mentir, ou plutôt si elle n'avait jamais apprécié de le faire, elle était en revanche assez brillante dans tout ce qui était non-dits et secrets. Ne pas dire quelque chose ne pouvait, après tout, pas revenir à mentir. Pas plus qu'à dire la vérité, mais tout était une question de point de vue et de positionnement.

Si la Cour royale était un vrai panier de crabes, les alliances matrimoniales se trouvaient être, elle, une vraie toile d'araignée, où les fils s'emmêlaient, se tendaient et se distendaient, se brisaient aussi, parfois, non sans d'autres fois se rapprocher les uns des autres. Et évoluer sur sa surface revenait à y marcher tel un équilibriste : à tout moment il fallait s'attendre à passer au travers, tout comme à y être maintenu fermement. Plus que privilégiés lorsqu'il s'agissait de choisir ceux avec lesquels marier les leurs, les Lannister n'avaient pas manqué de s'arroger la part du lion, sans mauvais jeu de mots, dès lors que cela leur était possible. Il n'avait pas s'agit de se contenter de beaux minois, les esprits fins et précieux étant également appréciables. De quoi au moins n'offrir aucun titre à des êtres dont la qualité unique n'était que leur physique. Alors, lorsqu'en plus de pouvoir compter sur un corps bien fait et une tête bien pleine, on pouvait bénéficier d'un patronyme prestigieux ... Pour les Lignées choisies, cela revêtait les atours d'un grand honneur, d'un prestige qui ne manquerait pas d'accroître celui qui existait déjà, et d'une source d'orgueil et de vanité. Pour la Couronne, cela permettait de se garantir l'obéissance et la fidélité, en plus de la loyauté. C'était comme en profiter pour placer de délicats et subtils fers aux poignets et aux chevilles, en passant également la corde au cou de l'époux non Lannister ... Et dans les faits, cela pourvoyait déjà les générations à venir d'un certain nombre de cousins issus d'autres Lignées, de quoi contracter de futurs mariages, ou se prendre les pieds dans le tapis en essayant de replacer tout ce beau monde dans l'arbre généalogique. ❧ Elle est la seconde épouse de Lord Melwyn, qui a mis près de 5 ans à de nouveau convoler en justes noces après la perte tragique de sa précédente épouse. À ce que j'en sais, il s'est remarié par devoir et non par envie, là où Lady Darya est alors devenue la belle-mère de jumeaux âgés de déjà 13 ans en n'ayant même pas 10 ans de plus qu'eux ... La succession de son époux étant déjà assurée par Lord Stefan, en tout état de cause, aucun de ses fils ne posera jamais son séant dans le trône seigneurial de la Dent d'Or. ❧ C'était comme narrer à voix haute ce qu'elle avait appris à mesure des années. L'éducation de Megara ne s'était pas résumée à bêtement se tenir informée de qui était qui, parmi les grandes familles, mais cela avait tout de même été un enseignement important, bénéfique à la Couronne. Cela évitait d'être bien incapable de connaître un minimum de choses sur ceux qui venaient vous adresser la parole, tout comme cela permettait de rester à l'affût des convoitises et troubles internes au sein de la Noblesse, tel un berger veillant ses moutons. ❧ Vous n'avez en effet pas à vous apprécier, mais sois tout de même vigilante. Lady Darya reste la fille de Lord Edwyn Marpheux, Connétable de l'Ouest. Si Lady Yennefer peut se livrer à une vraie guerre froide avec celle qui est tout autant sa belle-mère que sa belle-sœur, c'est parce qu'elle a la protection de son époux. Or, tant que tu n'es pas mariée ... Si elle te cause ennui d'ici là, dis le moi. ❧ Elle n'avait nulle envie que Sybelle s'attire les foudres de qui que ce soit, bien qu'elle la savait suffisamment forte pour ne pas s'en écrouler de suite. Mais, tout de même.

Il était plus agréable de discuter de sujets plus légers et moins préoccupants. Et Megara savait qu'elle pouvait se permettre quelques taquineries au sujet de ce mariage à venir, car Sybelle et elle étaient suffisamment proches pour que sa cousine sache combien tout ceci n'était, justement, que de la taquinerie, et non point de la mesquinerie. Ce qui lui permettait de constater, une nouvelle fois, que sa cousine partageait bien plus de points communs avec sa défunte sœur Nymeria qu'avec elle-même, sans que cela ne lui laisse un goût désagréable en bouche. Bien au contraire. Si rien ni personne ne pourrait ramener sa cadette parmi les vivants, il était plaisant et réconfortant de constater que des gens comme elle pouvaient encore vous entourer et faire vivre, par ricochets, son souvenir. Car il ne serait jamais venu à l'idée de la Princesse de l'Ouest de vouloir jeter aux oubliettes titres et formalités, du moins, en public, là où en privé, Gareth avait dû la convaincre pendant un certain temps pour qu'elle accepte de s'y résoudre. ❧ Ce sont tout de même des futilités importantes. La Dent d'Or est l'une des Seigneuries pivots des Terres de l'Ouest. Ton fiancé en étant l'héritier, cela ne ferait pas de mal, je pense, que nul ne puisse en venir à oublier que tu seras à ses côtés le jour où il y accèdera. Mais je suppose qu'en privé, vous pourrez bien agir comme vous l'entendez. ❧ Observant finalement Lady Anya enjoindre Dastan à quitter son perchoir improvisé, elle ne put s'empêcher de sourire du fait que, malicieusement, le petit garçon marqua sa volonté propre en préférant plutôt rejoindre son père. ❧ Ce serait une bonne chose, oui. Tu n'as pas été élevée, formée et éduquée pour n'être qu'une jolie fleur bien insipide. Il serait ainsi de bon ton que, quoi que la Seigneurie de Belle Île soit destinée à échoir à ton père puis à Dastan, Lord Stefan n'oublie point que tu fus pendant longtemps la deuxième dans l'ordre de succession. Et que tu es et resteras une Farman de Belcastel. ❧ Était-ce une petite piqure de rappel en direction de Lady Stefan, pourtant absent de la conversation ? Peut-être bien que oui, car Megara sentait poindre en elle une certaine jubilation à l'idée que Sybelle puisse le remettre en place s'il se faisait trop présomptueux et mâle dans toute sa splendeur. Comme elle-même avait pu le faire quand il lui avait volé ce baiser.

Toutefois, elle crut percevoir une lueur de quelque chose dans le regard de sa cousine, sans parvenir à identifier exactement son origine, bien qu'elle posa elle aussi les yeux sur Lord Stefan, qui, égal à lui-même, ne manquait ni de charme ni de talents oratoires. Peu dupe, finalement, de la raison que l'insulaire sembla lui donner, elle se promit de chercher à apprendre plus. De Lyman, si nécessaire, puisque Sybelle avait prononcé son nom. Le tout sans manquer de donner le change et de faire mine de rien. Surtout lorsque ses fils entraient dans la danse ! ❧ Je t'assure qu'il vaut mieux ainsi. Il aurait été dommage que tu doives revoir tes plans quant à ta coiffure, ton maquillage ou ta robe en les laissant baver et s'agiter tout ce qu'ils en savaient sur tes genoux ! Tu vois ce collier ? Ce n'est pas du tout celui que j'étais censée porter, mais les petites menottes de Tybalt ont été jusqu'à arracher le fermoir de celui que j'avais initialement choisi, là où Cadwyn m'a laissée un charmant petit suçon dans le cou. Gareth a exigé que je n'en dise rien à personne, pour en assumer la responsabilité. L'orgueil masculin ... ❧ Elle secoua la tête en riant, avant de reprendre. ❧ Nous pourrons aller les voir tout à l'heure, si tu veux. Quitte à nous esquiver ... ❧ Comme une mission à deux, fort peu dangereuse et risquée, mais néanmoins fort distrayante. Le goût de la resquille, tout ça !

Peut-être était-ce parce que les Lannister tenaient leur Couronne, leur Royaume et leur Rang depuis fort longtemps qu'on n'avait eu de cesse d'enseigner à Megara à quel point, de par son sang, elle n'avait rien à envier ni à concéder aux Maisons et Lignées vassales. Et, parallèlement, rien à envier ni à concéder non plus aux autres têtes couronnées du Continent. Ainsi, elle n'avait eu que peu de cas de conscience d'instaurer barrière, distance, prudence et certaine froideur entre la foule des courtisans et elle. Et aucune réelle hésitation à pouvoir s'adresser aux Princes, Princesses, Rois et Reines des autres Couronnes de Westeros, directement lors de rencontres ou par missives, tout du moins lorsque l'opportunité s'en était présentée. Aujourd'hui, bien évidemment, les choses s'en trouvaient quelque peu changées, ou plutôt transformées. La Guerre s'en était mêlée, la diplomatie internationale en prenant donc un fort coup, puisqu'il ne pouvait plus être question d'échanger sympathies et échanges apaisés et cordiaux avec ceux qui, désormais, étaient rangés sous la barrière de l'Ennemi, sous celle de cet Empire érigé de toutes pièces. De son propre avis, ce dernier était prioritairement bâti sur la peur et la crainte insufflées par l'arme considérable que se révélaient être les Dragons de cette Lignée venue de Valyria, qui n'avait aucune antériorité en Westeros. Quant à sa légitimité ... Sans doute pouvait-on arguer que chaque Maison royale avait un jour saisi les rênes du pouvoir en effectuant une démonstration de force, frontale ou plus subtile. Mais cela avait eu lieu il y avait moult générations de cela, lorsque le continent était plus que bien morcelé. À l'époque, nul n'était donc venu tenter de s'imposer parmi des Lignées déjà plus que bien établies et dont l'influence s'étendait par delà l'échelle régionale ... Dès lors, Megara préférait s'en référer aux concepts qu'elle connaissait et à ceux dont elle était sûre de la fiabilité, n'accordant alors que peu de crédit, sans forcément verser dans l'irrespect et la condescendance, à ceux qui s’octroyaient des titres qui n'étaient pas les leurs et qu'ils s'étaient eux-même attribué sans légitimité aucune, non sans s'offusquer de ne pas recevoir le respect et la déférence qu'ils réclamaient sans bien les mériter. La jeune femme croyait plutôt dans la tradition ayant fait ses preuves, sans être fermée à la modernisation née du progrès et des avancées. Elle croyait également dans les liens du sang, de ceux qui ne peuvent être inventés et qui ne mentent pas.

C'était sans doute pour cela tout autant que pour le caractère de Sybelle qu'elle s'entendait plus que bien avec la jeune femme. Parce que leurs pères partageaient les mêmes grands-parents, et parce qu'à bien des égards, la native de Belle-Île lui rappelait sa sœur cadette. C'était aussi pour cela qu'elle ne souhaitait que rien de fâcheux n'arrive à la jeune femme, car elle s'en voudrait de l'avoir faite venir jusqu'ici, au cœur de la tanière des Lions, pour la voir être éborgnée ou estropiée sans rien faire pour stopper net tout cela. Elle ne craignait en revanche nullement qu'elle n'en vienne à trépasser : Sybelle était une Farman, une insulaire, aussi, qui, à l'image d'Arcissia Lannister, veuve du Roi Arwin et mère en deuil du Roi Loren, était dotée de bien trop de force de caractère et de courage pour se laisser tanner sans rien faire et sans répliquer. Bien évidemment, Megara ne voyait pas en sa cousine un pur duplicata de sa grand-mère, car il manquait à Sybelle l'expérience des années et de l'exercice du pouvoir, la rendant bien moins cynique et cassante que ne pouvait l'être Arcissia. Et fort heureusement ! Si la jeune femme aimait plus que tout sa grand-mère sans jamais avoir eu à subir son caractère piquant, elle savait que son aïeule avait connu son lot de malheurs et de deuils pour en arriver jusque là. Que Sybelle en soit épargné d'ici à longtemps était plus qu'à espérer. ❧ Certes mais, tout de même, fais attention. Orgueil et rancune sont parfois tenaces, et elles peuvent très bien se propager par capillarité si l'on n'y prend pas garde. Mais ... ❧ Un petit sourire mutin et espiègle vint soudainement s'accrocher à la commissure de ses lèvres. ❧ Mais je suppose que si Lady Darya en venait à tenir des propos fort discourtois envers ton fief ou ta Lignée natale, elle pourrait toujours mystérieusement se retrouver à croiser ma chère grand-mère ... ❧ Cela serait sûrement une rencontre à laquelle assister, ne serait-ce que pour être aux premières loges afin d'observer une démonstration de force dans toute sa splendeur, et une humiliation quelque peu méritée !

En revanche, son sourire perdit quelque peu de son éclat face aux propos suivants de sa cousine. Non point qu'elle s'en sentait vexée ou offensée, mais cela la confrontait au fait que Sybelle se leurrait quelque peu quant aux réalités de la vie à la Cour. Sans doute était-ce en partie dû au fait que sur Belle-Île, et à plus forte raison à Belcastel, le decorum n'avait qu'une influence et un poids limités. Prenant un instant de réflexion, pour bien mesurer ses propos afin qu'ils soient les plus clairs possible et les moins à même de faire naître quelque émotion négative dans l'esprit de sa cousine, elle laissa son regard se déployer sur la foule de convives, d'un air neutre mais néanmoins royal. ❧ Je suis née en ces lieux, Sybelle. J'y ai grandi et j'y vis depuis toujours. Je connais nombre des ficelles de ce grand jeu auquel nous prenons tous part, certains de façon volontaire et enjoué, d'autres pas. ❧ Reposant finalement les yeux sur sa dame de compagnie, elle reprit. ❧ Je ne leurre pas quant au fait que certains ont sans doute déjà à redire du fait que j'ai préféré t'avoir toi à mes côtés, parce que nous sommes partiellement du même sang, au détriment de toutes ces autres jeunes femmes nobles. Les griefs et rancunes ne me seront jamais adressés à moi, mais à toi. Certains sont donc prêts à disséquer chacun des petits pas de travers que tu pourras faire, pour les utiliser contre toi ou pour persifler à ton encontre. Je cherche donc simplement à te promulguer quelques conseils, parce que je t'aime et que j'entends bien qu'on ne te fasse pas de mal. ❧ Il n'y avait sans doute rien de mal à cela, mais dans le même temps, Megara n'entendait pas non plus transformer sa cousine ou lui forcer la main. Elle l'aimait pour celle qu'elle était, là où elle l'avait délibérément choisie. Si elle avait voulu observer d'autres traits de caractère que les siens chez l'une de ses dames de compagnie, son choix se serait porté vers ailleurs. Il n'était ainsi en rien question de la sermonner ni de lui reprocher quoi que ce soit, comme le prouvait cette douce et gracieuse main qu'elle tendait vers elle, pour se saisir de l'une des siennes, non sans lui sourire avec affection. Et parce qu'elle se refusait à une nouvelle fois perdre le sourire, elle préféra arquer un sourcil face à la question de sa cousine, et muer la douceur en taquinerie. ❧ J'ai sans doute quelque chose à reprocher à chaque membre de la Cour, Sybelle ... Mais ne t'en fais, ton fiancé ... Lord Stefan Lefford n'a commis aucun crime sordide. Du moins, à ce que j'en sache. Sans doute Lyman, mon cher frère, serait une personne plus appropriée que moi pour en apprendre plus au sujet de ton fiancé ... ❧ Se saisissant du verre posé devant elle, elle y but une gorgée, non sans adresser un petit regard en coin à sa cousine, tout aussi amusé que le petit sourire sur ses lèvres. Avant de finalement entrer elle aussi dans un sujet de conversation moins chargé en connotations.

Ses fils étaient une source de sujets de conversation intarissable, bien qu'elle n'acceptait évidemment de s'y épancher qu'avec un certain nombre de personnes triées sur le volet. Il fallait que ces dernières soient de son sang ou de celui de Gareth, ou bien qu'elles aient déjà prouvé leur valeur et leur agréabilité. Ou qu'elles portent un titre au moins aussi élevé que le sien. Ce n'était en rien faire ici preuve de snobisme ou d'élitisme, mais Megara se refusait simplement à laisser qui que ce soit évoquer ses fils avec elle uniquement pour avoir un sujet grâce auquel lui adresser la parole, par profit et envie de se faire bien voir. La jeune femme était née Lionne, au sein de la Lignée des Lannister, et comme les lionnes de la réalité, elle protégeait sa progéniture à force de coups de griffes et de coups de crocs. Ils étaient son bien le plus précieux, et non point une variable ajustable, ou des pions avec lesquels s'amuser. Fort heureusement, Sybelle cochait déjà toutes les cases lui permettant de pouvoir parler librement et quand elle le désirait de Tybalt et Cadwyn. ❧ Mon époux, fieffé vantard ? Voilà donc une nouvelle absolument inattendue ! ❧ Le regard et le sourire qu'elle échangea avec sa cousine furent plus que complices. Bien évidemment que Gareth n'était pas connu pour faire preuve d'une grande modestie, mais dans le même temps, il n'était pas non plus réputé pour parler à tord et à travers sur des sujets dans lesquels il ne s'y connaissait pas ou ne pouvait revendiquer aucune compétence ou place usurpée. Il savait simplement faire-valoir ses qualités et ses prérogatives, de façon flamboyante et orgueilleuse, ce qui n'était donc pas immérité. ❧ Oh, mais fais donc ! Je suis sûre que mon fils sera amplement ravi que tu viennes le féliciter. Cela ne fera sans doute que l'encourager à continuer, mais, hélas, trois fois hélas, je suis déjà convaincue que c'est là un chemin sans retour. Je suis persuadée que Tybalt et lui ont passé un pacte avec leur père. À trois contre une, tu te rends compte ? Prions donc les Sept que mon mon nouvel enfant ne puisse pas aussi aisément être convaincu. ❧ Cet enfant à venir n'en était encore qu'à ses prémices en son sein, mais Megara ne pouvait s'empêcher d'être heureuse du fait d'être de nouveau mère. La petite pique que lui envoya sa cousine la sortit de ses pensées quant à sa nouvelle grossesse, et elle se retint avec peine de lui tirer la langue. Une telle attitude, elle la garderait pour lorsqu'elles se trouvaient dans le cadre privé et intimiste. ❧ Figure toi que oui ! Je te rappelle que je n'ai pas besoin de toi, ou bien encore d'Enorya, pour avoir le sens de l'harmonie et de la beauté, bien que vos conseils soient toujours agréables et de bon goût. Sauf quand vous vous liguez contre moi pour me taquiner, évidemment. Auriez-vous, vous aussi, passé un pacte avec Gareth ? ❧ Une fausse question taquine, évidemment, mais qui était sans doute bien dans le ton de la légèreté qu'avait pris leur conversation. Hochant la tête pour signifier à Sybelle qu'un seul mot de sa part, et elles iraient rejoindre les jumeaux, Megara ne put s'empêcher d'observer le petit manège auquel se livra Lady Anya Farman dès qu'elle eut obtenu de sa fille qu'elle la rejoigne. Un instant, la jeune femme se sentit plongée en arrière, du temps de ses propres fiançailles avec Gareth, là où elle avait tenté de l'esquiver et de le fuir autant que possible. La Cour et le mariage étaient deux plateaux de jeu distincts mais sachant se confondre, pour le meilleur comme pour le pire, et pour peu que les règles en soient différentes de là où on venait ...

Le relief des Terres de l'Ouest était fait de diversité et d'hétérogénéité. Il y avait les montagnes, riches en or, en argent et autres précieux minerais, et dont l'abondance et la qualité des gisements n'avaient pas manqué de porter aux nues du pouvoir, de la puissance et de l'influence les fiefs des Lignées sur lesquels elles se situaient, non sans en faire des bastions renommés. Les plaines plus au sud n'étaient pas non plus sans être d'un certain attrait stratégique, assurant en grande partie la sécurité et la suffisance alimentaires des Ouestiens, et servant de carte majeure dans la main des Maisons qui régnaient en mettre sur ces terres fertiles. Enfin, le littoral de la côte ouest et ses quelques îles, dont la principale, Belle Île, fief des Farman, ne s'étendaient en rien en des centaines de kilomètres de sable fin. Les roches y étaient escarpées, déchirant la proue des bateaux qui n'y prêtaient garde. Les falaises y étaient abruptes. Les locaux et les insulaires n'étaient d'ailleurs pas sans être imprégnés de ce caractère fort et parfois orageux, ne s'en laissant guère compter et refusant de se fier à la moindre accalmie pour apaiser leurs instincts. Megara était fière d'être Princesse d'un tel royaume, tout comme elle était fière d'être tout autant issus de ces Lignées de caractère, Crakehall comme Farman et comme Marpheux, qui venaient, à ses yeux, compléter à merveille ses ascendances typiquement royales et Lannister. Elle savait combien tout ce beau monde ne s'entendait pas forcément bien, mais la Couronne les liait, parfois par le mariage, parfois par la loyauté, la fidélité et la reconnaissance méritée. Mais elle savait combien chacun demeurait toujours partiellement indompté, et combien, par exemple, une épouse de l'Ouest ne pouvait jamais entièrement nier d'où elle venait. C'était le cas de sa mère comme c'était le cas de ses deux grands-mères. Cela n'avait peut-être rien d'étonnant lorsque l'on savait à qui toutes deux avaient été mariés. Puisque Seymon Crakehall était encore bien de ce monde et ne semblait pas vouloir le quitter de si tôt, chacun pouvait à loisirs se faire une idée sur le genre d'homme qu'était le Grand Amiral de l'Ouest, ampli de franc-parler et loin de se laisser conter sonnette par ses enfants tout autant que par ses petits-enfants. Quant à Arwin Lannister ... Il avait fallu une Reine à sa hauteur pour que le Roc n'en vienne pas à se briser sous les assauts de son caractère plus que dur et exigeant. Or, Arcissia Farman ne faisait pas mentir son sang et ses origines ... Une partie de Megara était bien aise que Sybelle ait pu la côtoyer, de sorte à ce qu'elle n'avait en rien à rassurer sa dame de compagnie quant au fait que la Reine-douairière ne viendrait pas la dévorer dans son sommeil. Gareth, entre autres, était loin d'être dans la même situation ! ❧ Les filles de Belcastel sont redoutables, n'est-ce pas ? ❧ Un sourire complice illumina ses traits, alors que Megara faisait ainsi hommage à son aïeule en même temps qu'elle offrait un compliment à sa cousine.

Sans doute cela l'inclinait de plus à ne pas prendre ombrage ou vexation de la relative insouciance de Sybelle concernant les normes et les codes sociétaux. Il fallait du temps pour s'y habituer lorsque cela n'était en rien la tanière au sein duquel on était né et on avait grandi. Et si la Princesse se référait au temps de réadaptation que sa grand-mère ne manquait pas de devoir traverser à chaque fois qu'elle regagnait le Roc, on ne s'y habituait peut-être jamais entièrement. ❧ Tu n'es en effet pas sans me rappeler ma sœur. J'avais besoin de sincérité et de franchise, ainsi que de quelqu'un qui sache me tenir tête et m'offrir un point de vue différent sur le monde et sur le quotidien. ❧ Elle marqua un silence, alors qu'évoquer le souvenir de Nymeria, disparue il y avait encore trop peu de temps, n'était pas sans lui enserrer la gorge et lui broyer le cœur. Mais Sybelle et elle étaient tout de même différentes, et Megara n'entendait pas laisser à penser à sa cousine qu'elle n'était qu'un palliatif de deuxième ordre. Tout comme elle n'entendait pas marquer leur conversation d'un sceau bien trop mélancolique et létal. ❧ Et puis j'avais besoin de quelqu'un sachant me mener par le bout du nez sans être impolie, prétentieuse et pédante. Sais-tu, d'ailleurs, que tu ne peux retenir un léger frémissement de la commissure supérieure de tes lèvres lorsque tu te fais effrontée ? ❧ Elle arqua un sourcil, avant de secouer la tête en riant, non sans reprendre quelque sérieux par la suite. ❧ Merci Sybelle. ❧ Elle n'entendait pas la brimer ou la brider, mais elle appréciait que sa cousine fasse l'effort d'essayer de la comprendre et de tenir compte de ses conseils. Lui déposant un rapide baiser sur l'une des mains, elle échangea un regard complice, doux et affectueux avec elle. Pour sûr, elle ne regrettait en rien le fait de l'avoir désormais auprès d'elle en tant que dame de compagnie.

Pour sûr, aussi, les jumeaux ne manqueraient pas de bénéficier de la compagnie de Sybelle. Ce dont Megara se réjouissait et se félicitait déjà. Elle ne voulait en rien que ses fils grandissent dans une bulle stérilisée et vierge de toute présence non Lannister. D'une part parce qu'il était Kenning de par leur père, mais également parce que, plus que jamais, la Couronne de l'Ouest n'avait en rien besoin de s'isoler et de faire grandir la future génération à l'écart des autres. Cependant, cela n'évitait en rien de trier sur le volet ceux qui pourraient les approcher. Pour Megara, la solution et les critères étaient plus que simples : elle ne laisserait nulle personne qu'elle n'apprécierait pas elle-même s'approcher des jumeaux. Et cela valait également pour son neveu, quoi qu'en la matière, bien évidemment, Jeyne et Lyman resteraient ceux qui avaient le plus voix au chapitre. Pour autant, sans doute devrait-elle se méfier de Sybelle, si jamais celle-ci se mettait en tête d'enseigner à Tybalt et Cadwyn toutes les bêtises qu'on avait elle-même pu lui laisser faire, à Belcastel. À moins de vouloir affronter une potentielle autre mutinerie, en plus de celle que la Princesse imaginait déjà exister du côté de son époux, en en plaisantant. ❧ Crois-tu ? Les petites filles peuvent aussi être des plus proches et complices avec leur père, j'en suis moi-même la preuve. Mais tu as sans doute raison, puisqu'après tout, cela ne m'a jamais empêché, toutefois bien involontairement, de faire en sorte que mon père me mange dans la main et exauce tous mes désirs. Fort heureusement, je n'ai jamais été capricieuse et pourrie gâtée, sinon, imagine ! ❧ Et puis, brusquement, face à la proposition de plan que lui offrait plus ou moins sa cousine, la Princesse ne put s'empêcher de sentir l'émotion lui monter à la gorge. Tout ceci était encore bien frais, et de nombreuses embûches pouvaient être à prévoir, y compris de celles, tragiques, qui feraient plus que de simplement la chagriner. Elle ne voulait toutefois pas penser à cela et préférait se faire positiviste et optimiste. Nymeria n'avait eu personne de l'Ouest et de sa famille auprès d'elle, Megara, elle, ne serait pas dans ce cas, et elle était convaincue que cela changerait fortement la donne. En plus de la tenir à l'écart de toute tentative d'assassinat aisée. Mais avant qu'elle n'ait eu le temps de déposer un tendre baiser de remerciement sur le front de Sybelle, celle-ci était appelée par sa mère.

Alors, la Princesse de l'Ouest resta seule avec ses pensées, ses espoirs et ses quêtes, non sans qu'on vienne de temps en temps la voir, de quoi l'empêcher de voler au secours de sa cousine sans être rustre et mal avisée. Restant polie et courtoise, quoi que très guindée dans le protocole afin de ne pas laisser à penser qu'on pouvait s'installer auprès d'elle comme auprès d'une amie, elle put toutefois profiter quelque peu de sa mère puis de son époux, quoi qu'en coup de vent, tous deux étant bien plus à leur aise et donc plus à même d'avoir de longues conversations. Et puis finalement, telle une étoile filante, Sybelle revint, au pas de course mais sans manquer de grâce et d'élégance, mais avec une délicatesse faisant sans doute quelque peu défaut. Si Megara sentit les gardes alentours se tendre quelque peu, un simple regard de sa part suffit à apaiser leur vigilance : elle ne risquait rien, et tout allait bien. Jetant toutefois un coup d’œil en arrière, elle croisa brièvement le regard de Loan Farman, le cousin de son père, que ce dernier avait toujours grandement apprécié, au point de lui avoir souvent dit qu'il était de ses plus proches amis. Sans doute espéra-t-elle alors qu'il comprendrait qu'elle n'aurait rien contre le fait qu'il tienne Gareth informé de sa situation, de sorte à ce qu'il ne s'inquiète pas. Incapable de s'empêcher de sourire face à la détermination de sa cousine, Megara veillait tout de même à bien aligner un pas après l'autre, afin de ne pas avoir à compter sur Sybelle pour la relever si elle se prenait les pieds dans un tapis ou une pierre mal ajustée. À moins qu'elle n'entraîne cette dernière dans la moindre de ses potentielles chutes ! Finalement, sa cousine sembla être satisfaite de l'éloignement qu'elle venait de mettre entre elles et les autres convives, car elle se stoppa. Posant une main douce sur l'une de ses joues, Megara pencha la tête de côté. ❧ Promis, ici, personne ne viendra t'importuner ... Je suis passée par là, aussi. Alors, je te comprends. ❧ Oh que oui ...

Il était fort appréciable pour Megara d'avoir pu évoluer au sein d'une fratrie. Au-delà de la défaire de tout potentiel rôle d'unique héritière directe du trône du Royaume des Terres de l'Ouest, en un territoire où les femmes ne pouvaient hériter qu'en l'absence de frères, cela lui avait permis de ne point évoluer seule au milieu de cet univers si particulier qu'était celui de la royauté. Elle se savait avoir les épaules suffisamment fortes pour ne pas rompre sous le poids des nombreuses attentes, exigences et espérances qui accompagnaient un titre princier, mais elle ne pourrait tout de même pas présumer de celle qu'elle serait devenue si ses parents n'avaient eu d'autres enfants qu'elle. Égoïstement, elle était bien contente d'avoir eu Lyman pour être en première ligne, les protégeant alors, Nymeria et elle. Cela n'avait pas non plus exactement comme s'il avait été seul, lui aussi, car, à deux, elles avaient régulièrement eu tôt fait de lui rappeler qu'il avait des petites sœurs, et qu'elles se refusaient à le laisser monter sur ses grands chevaux avec elles. De quoi lui ramener les pieds sur terre au besoin, et de quoi, aussi, être des gravillons suffisamment importants dans sa chaussure pour qu'il n'oublie en rien que, au moins pour elles, il était Lyman avant d'être le prince héritier. Peut-être qu'une autre qu'elle aurait eu une attitude différente, à sa place. Peut-être qu'une autre aurait douloureusement ronger son frein en observant l'unique fils de Loren et Jordane recevoir la primeur des regards et attentions dues à l'héritier du trône. Peut-être qu'une autre qu'elle aurait convoité le trône et donc attendu le moindre faux pas de Lyman pour le critiquer et lui adresser de nombreuses remontrances, voire même à monter un parti secret contre lui. À coup sûr, une telle jeune femme aurait alors plus que sauté sur l'occasion des noces de Lyman avec la Nordienne qu'était Jeyne pour se faire plus que contestataire. Fort heureusement pour tous, et en premier lieu pour les trois principaux intéressés dans l'histoire, Megara n'était point ainsi. Le trône n'était en rien l'une de ses ambitions dès lors qu'il s'agissait d'envisager de pouvoir s'y asseoir légitimement, et ce même si elle ne reculerait devant rien pour le défendre, pour défendre le pouvoir de son frère et les prétentions de son neveu Martyn.

Et si, alors, des êtres tels que Sybelle pouvaient venir jouer le rôle qu'elle-même avait pu jouer auprès de Lyman, autrefois, alors ceux-là étaient les bienvenus. Pourvu, bien sûr, qu'ils n'outrepassent quand même pas les limites, là où ces dernières se trouvaient plus lâches et élastiques dans le cas de Sybelle, de par les liens du sang qui unissaient Megara à cette dernière. ❧ Oh, ne te chagrine pas trop de cela ... En tant que Princesse de l'Ouest, j'accepte d'endosser cette lourde tâche que nulle autre que moi ne semble pouvoir être en mesure de remplir. Ce sera mon grand sacrifice de martyr pour votre salut à tous. ❧ Elle ne manqua pas d'emprunter le même ton amusé que sa cousine, afin de bien souligner toute l'étendue de la double compréhension que revêtaient ses paroles. On y trouvait tout autant une part de vrai qu'une part d'ironie. Si, en effet, en tant que sœur du Roi, elle pouvait lui parler avec franchise et remontrances au besoin, cela ne lui semblait en revanche absolument pas être une tâche ingrate, rebutante ou dont elle ne s'acquitterait qu'en freinant très fortement des quatre fers. Pour la suite des propos de Sybelle, sa posture tout autant que son regard changèrent quelque peu. Si elle les accueillait avec une sensation de bonheur agréable et chaleureux, elle ne manqua tout de même pas de vouloir être parfaitement comprise par sa cousine, de par l'essence intime et franche que revêtait son remerciement. ❧ Pour cette raison là, oui ... ❧ Elle plissa le nez, mutinement, et lui tira même très discrètement la langue. Une technique qu'elle avait perfectionné à mesure des années et dont elle était désormais experte. De quoi lui permettre de sévir en toute discrétion, en étant parfaitement indétectable auprès de qui elle ne visait pas. ❧ ... mais surtout parce que tu prends cas de mes préoccupations, en premier lieu en tant que Megara. Et ensuite, seulement, en tant que Princesse. Crois-moi, jusqu'à ton arrivée ici, j'avais tout juste suffisamment de doigts sur une main pour recenser les êtres tels que toi à la Cour ... ❧Pour ainsi dire, c'était parfaitement vrai : il y avait sa mère Jordane et son frère Lyman, forcément. Auxquels on pouvait ajouter sa grand-mère Arcissia, lorsqu'elle n'était pas à Belcastel. Et puis, depuis ses noces avec Lyman, il y avait désormais Jeyne. Sans oublier Gareth, qui était d'ailleurs celui qui s'en donnait le plus à cœur joie, sans doute aucun ! Évidemment, Martyn, Tybalt et Cadwyn pouvaient être eux aussi dénombrer, mais ils étaient bien trop jeunes pour comprendre quoi que ce soit, et ils n'agissaient guère que que de délicieux poupons faisant tourner le petit monde en rond !

Un jour, il y avait eu Loren, aussi. Et il occupait alors la première place, presque à coup sûr, déterminé qu'il était à refuser qu'elle grandisse, à refuser de la voir grandir, et à refuser autant que possible de la partager avec la Couronne. Parfois, il lui avait narré des rêves au sein desquels ni l'un ni l'autre n'appartenait à la Royauté, et où ils auraient été libres de pleinement profiter de leurs journées pour ne rien faire d'autre que de passer du temps ensemble, loin de leur rôle et responsabilités respectifs. Mais Loren n'était plus et, de lui, Megara ne pouvait que garder les souvenirs du passé. Fort heureusement suffisamment heureux et puissants pour qu'elle n'ait pas à nourrir des regrets infinis et à replonger dans les larmes et la tristesse paralysante à chaque fois qu'elle songeait à lui, ou qu'il était évoqué dans une conversation. Malgré tout, cela ne l'empêchait pas d'être saisie à la gorge par l'émotion, mais cela ne survenait jamais lorsqu'elle n'était pas dans un cadre suffisamment sécurisant et intimiste. Car elle se refusait absolument de laisser la moindre porte s'entrouvrir vers sa psyché face à des courtisans qui ne rêvaient sans doute que de pouvoir s'engouffrer dans la brèche afin d'enfin être l'un des élus pouvant se targuer d'être entré dans le cercle intime de la Princesse de l'Ouest sans pour autant partager des liens familiaux communs avec elle. Mais Sybelle cochait toutes les cases qui permettaient à Megara de se sentir à l'abri de la moindre manipulation ou mesquinerie. ❧ Et bien je suppose que la vérité est ailleurs, quelque part dans un entre-deux ... ? Et pour une fois que j'étais plus redoutable et ingénieuse que Nymeria ... ❧ Toutefois, Megara n'avait pas voulu chercher à faire culpabilisersa cousine, puisqu'après tout, c'était elle qui, en premier lieu, avait évoqué le souvenir de Loren, qui, comme si souvent, avait fait renaître celui de Nymeria. Elle, et non pas Sybelle. Mais elle ne put pas réellement remettre les choses dans leur contexte car, déjà, les devoirs de la native de Belcastel, en tant que fraîchement fiancée à Lord Stefan Lefford, l'emportaient au loin. Loin de ressasser tout cela, se disant qu'elles auraient le temps d'en reparler, ou que sa cousine aurait le temps de comprendre les choses par elle-même à la force de l'observation et de la vie ensembles au quotidien, la jeune femme préféra remplacer la tristesse liée à la mort de son père par des pensées la portant à songer à ce qu'il aurait dit et fait, là, tout de suite, maintenant, s'il était encore de ce monde. Pour sûr, la moindre réception était pour lui une source inépuisable de confessions amusantes et piquantes dans le creux de l'oreille de sa fille aînée, jusqu'à parfois faire rougir de gêne cette dernière lorsqu'elle craignait qu'ils soient tous deux entendus par autrui. Quant à songer à ce qu'aurait fait et dit Nymeria ... Encore aurait-il fallu l'empêcher de discrètement se faire la malle !

Et, visiblement, là encore, l'attitude de Sybelle, à son retour, fut la preuve qu'elle partageait définitivement de nombreuses similarités avec feue la Reine éphémère du Val ! Il était rassurant de voir qu'en ce monde, des jeunes femmes de noble famille n'avait pas encore été écrasée et étouffée par le poids et la force du jeu aristocratique et de ses règles si retorses et si exigeantes. Comme il était rassurant pour Megara de savoir qu'une personne telle que Sybelle ne manquerait pas de se tenir à ses côtés dans les semaines et mois à venir. Toutefois, elle était loin d'être ravie de l'entendre lui avouer qu'elle était désolée. Parce qu'elle savait sa cousine ne point être de ces personnes qui vous lancent de tels mots à la volée, sans en saisir l'importance et la préciosité. De quoi lui permettre de savoir que, si Sybelle se disait désolée, c'était alors qu'elle l'était vraiment, et qu'il ne s'agissait donc pas pour elle de parler dans le vent pour ne rien dire. Un instant dans le flou concernant le motif du ressenti de sa dame de compagnie, cette dernière leva bien vite le voile sur la vérité. Pas de quoi pleinement libérer Megara de la compassion qu'elle éprouvait, mais de quoi pouvoir tout de même l'aiguiller. ❧ Mais c'est si brutal et soudain, et tu n'es pas prête, et tu pensais pouvoir au moins formuler ton choix avant que cela ne soit pris pour acquis. Tu pensais avoir encore le temps et assister à d'autres mariages avant que leur propre tien ne s'annonce ... ❧ Megara pouvait peut-être apparaître comme ayant parfaitement cerner les émotions de sa cousine, mais dans le fond, sans doute parlait-elle aussi pour elle. Ou sans doute ne faisait-elle que verbaliser ce par quoi elle aussi était passée. Adressant un sourire, franc, sincère, compréhensif et doux à Sybelle, elle espérait qu'en demeurant auprès d'elle, elle pourrait lui faciliter les choses. Et lui permettre de ne pas se sentir esseulée et perdue. Laissant alors ses doigts s'entrelacer avec ceux de l'une des mains de sa cousine, Megara ne manqua pas de continuer de la suivre, sans chercher à lui faire la leçon, la laissant les mener jusqu'aux jumeaux. On ne leur dit rien, on ne les stoppa pas, et la moindre question ou action dans leur direction ne manqua pas d'être tuée dans l’œuf dès lors qu'on reconnaissait le visage de la Princesse de l'Ouest. Mieux qu'une clef ouvrant toutes les portes, sans doute, car cela ne manquerait sans doute pas de leur assurer la plus grande des discrétions, dissuadant quiconque de raconter quoi que ce soit. Cependant, Megara ne manqua pas de les stopper juste avant qu'elles ne pénètrent dans la chambre des petits, après avoir traversé quelques autres pièces. ❧ Autorise-toi à oublier tout ça, si tu le désires. Ou parles-moi en tout ce que tu en voudras. Et peu importe si c'est décousu, si tu passes d'un sujet à l'autre, ou si tu changes d'avis quant à ce que tu veux faire. Cet espace est hors du temps et de l'espace, d'accord ? Les jumeaux et moi sommes là pour toi ... ❧ Sans doute qu'ils étaient endormis, à l'heure qu'il était, mais Megara, en tant que leur mère, les connaissait suffisamment pour savoir que le lien qui les unissait à elle ne manquerait pas de les tirer de leurs songes, à un moment ou un autre. Sans qu'ils ne le lui fassent trop payer en étant grognons le lendemain. Au pire, la jeune femme laisserait-elle Gareth prendre la main pour les apaiser !

Être née au sein de la Royauté avait ouvert de nombreuses portes à Megara, tout comme cela l'avait amenée à pouvoir rencontrer les grands de ce monde, qu'il s'agisse des principaux Seigneurs vassaux de la Couronne de l'Ouest ou ceux qui portaient couronne par delà les puissances et royaux étrangers de Westeros. À bien des raisons, cela pouvait aisément vous faire tourner la tête, ou vous pousser à adopter une attitude présomptueuse, pédante et supérieure, jusqu'à en dénigrer toutes celles et tous ceux qui n'étaient pas du même rang que vous et qui se situaient en dessous de vous sur l'échelle sociale. C'était là un penchant que Megara n'avait jamais adopté, d'une part parce qu'elle n'en avait jamais été encline de par sa nature profonde, et d'autre part parce qu'il aurait s'agit là d'un snobisme que ses parents ne lui auraient jamais permis d'adopter. Pas plus que ne l'aurait fait ses grands-parents, là où, de par son statut de Reine-mère, sa grand-mère Arcissia n'avait pas manqué d'elle aussi quelque peu prendre part à son éducation. À défaut, la native de Belcastel s'était située suffisamment proche dans l'entourage de sa petite-fille pour enjoindre cette dernière à ne jamais adopter certaines tendances, fussent-elles perçues comme tentantes par nombre de regards extérieurs pour qui voulait s'imaginer à la place de la jeune femme. Auprès d'elle, la Princesse de l'Ouest avait surtout entendu que les mérites et la force de caractère d'une personne étaient les critères préférentiels pour pouvoir jauger de sa valeur. Dès lors, à l'instant présent, il ne lui venait absolument pas à l'esprit de contredire Sybelle lorsque celle-ci se vantait être exceptionnelle, fusse sur le ton de la plaisanterie taquine. Parce qu'il n'y avait rien à y contredire.

En revanche, Megara ne resta point muette à l'entente de sa confession suivante. ❧ Je suis soulagée que tu te sentes désormais heureuse. Je sais combien le fait d'être choisie pour devenir dame de compagnie doit bien revêtir de nombreuses avantages et apparaître comme étant une marque de confiance et de gloire suprême, mais cela revient tout de même à vous arracher à vos foyers pour vous offrir un quotidien dont vous n'êtes pas exactement les maîtresses ... ❧ Megara n'attendait pas de ses dames de compagnie qu'elles se substituent aux nourrices de ses enfants, fort heureusement, et l'on ne pouvait donc pas dire que les journées de Sybelle revenaient à avoir les mains dans les couches, le talc pour les fesses et les langes souillés. Mais elle se devait tout de même d'assister la Princesse dans ses tâches hebdomadaires, en suivant un planning qui était celui de Megara et non le propre sien ... ❧ Cela fait partie des choses que je t'ai promises, mais Althea pourra te rendre visite dès que tu en manifesteras l'envie. Je me refuse à séparer des sœurs par caprice ou égoïsme. ❧ Car elle savait combien une sœur, à plus forte raison une petite sœur, était un bien des plus précieux, et plus particulièrement lorsqu'on partageait avec elle complicité et connivence. Elle même avait été à bonne enseigne, avec sa propre cadette. Mais leur situation personnelle, à l'instant du trépas de Nymeria, ne leur avait pas permis de pouvoir compter sur ce que Megara avait d'emblée offert à Sybelle : les nouvelles responsabilités et le nouveau rang de la plus jeune des deux sœurs Lannister avaient rendu impossible toute visite régulière. La distance avait parfait d'annihiler tout espoir en ce sens. Ce que la Princesse de l'Ouest pouvait continuer de construire entre Sybelle et elle n'aurait jamais rien avoir avec ce qu'elle avait partager avec sa cadette. Ce qui était une bonne chose, car personne ne devait réellement apprécier de n'être considéré que comme une pâle copie et un palliatif incomplet d'un être disparu. Megara se refusait à faire éprouver ça à sa cousine, là où, dans le même temps, être parfaitement consciente que cette relation serait différente de celle que Nymeria et elle partageaient lui permettait d'être certaine de ne pas se sentir traîtresse envers la mémoire de sa sœur. Mais, par les Sept, que Nymeria et Sybelle n'auraient pas manqué de faire un duo de choc au sein du Roc !

Toutes les femmes devaient se marier un jour ... En effet, c'était là une réalité concrète, tout du moins dans la large majorité des cas. Il existait bien des exceptions à la règle, mais cela se comptait plutôt sur les doigts d'une main dès lors que les échelons sociaux étaient analysés. Dans les hautes sphères, les mariages se basaient surtout sur le prestige et le gain, financier comme social, plutôt que sur l'attirance, les charmes et la beauté. Toutes épouses de grand Seigneur qu'elles pouvaient être, Megara avait déjà rencontré des femmes dont les qualités cognitives étaient plus que limitées, et donc la vacuité se percevait jusque dans le regard. Mais comme elles étaient bien nées, ou que leur famille natale se trouvait représenter bien des avantages d'alliance ... Fort heureusement pour elle, Sybelle n'était pas dans ce cas là. Ou plutôt ne manquait-elle ni de charme ni de qualités, en plus d'être issue d'une famille réputée et proche de la Couronne. C'était peut-être cela qui avait d'ailleurs fais qu'elle était désormais fiancée, plus tôt qu'elle ne l'aurait voulu, tout ça parce qu'elle cochait la large majorité des cases présentes sur les listes d'union fantasmée et parfaite. Bien qu'elle pouvait comprendre les réticences et les craintes de sa cousine, Megara savait que le bien du Royaume passait en partie par ce jeu d'alliances matrimoniales, ancestral et attendu. Celui des familles nobles, qui tissaient tout autant entre elles qu'à travers le royaume une toile d'araignée d'alliances, d'ententes et d'accords censés solidifier le réseautage et le maillage servant à la Couronne pour régner. Dès lors, la Princesse ne saurait ni ne chercherait à intervenir dans ces fiançailles, même si cela ne l'empêchait pas d'essayer d'en alléger au mieux la réalité auprès de Sybelle. ❧ Je saurais te rappeler que tu m'as manifestée ton accord ... ❧ Un léger sourire doucement amusé s'accrocha à ses lèvres, tant pour manifester une envie de plaisanter au mieux de tout ceci afin d'alléger l'humeur de sa cousine que pour signifier à cette dernière qu'elle non plus ne se parjurerait pas, et qu'elle se voulait support et soutien, en cas de besoin.

Comme d'habitude, la proximité des jumeaux avait un effet apaisant et vecteur de grand bien-être, dès les premiers instants. Tout du moins Megara ressentait-elle les choses ainsi. Et elle espérait bien que cela ne manquerait pas d'avoir le même effet pour Sybelle. Pour peu que cela lui permette, à elle aussi, de laisser de côté tout ce qui se passait en dehors des portes de la nurserie des petits princes pour ne plus penser qu'à l'instant présent auprès d'eux. Toutefois ... Toutefois, cela ne déconnectait pas Megara de toute réalité liée à ses fils, y compris lorsque cela se rapportait à des instants où ils n'étaient pas aussi paisiblement endormis. ❧ Oh que si ! À qui le dis-tu ... Ils n'ont pas leur pareil pour bien tromper leur monde. Quelle duplicité retorse ... ❧ Il y avait bien des instants où Megara observait le sommeil de ses fils comme on observait une pièce à deux face. Côté pile, c'était un moment où elle était sure qu'ils étaient paisibles, heureux et satisfaits, où elle n'avait pas à s'inquiéter de leur bien-être. Côté face, c'était un moment avant que leur énergie ne soit pleinement restaurée, afin de leur permettre de repartir de plus bel dans leurs péripéties, leurs jeux, leurs cavalcades et leurs manigances gémellaires. Toutefois, le sourire amusé qui avait pris place sur ses lèvres face à la question de Sybelle se volatilisa derechef, après s'être figé, dès lors qu'elle perçut ces vibrations dans sa voix, et qu'elle capta dans son regard cet effet miroir caractéristique d'une cornée dont la surface se recouvrait d'un mince film lacrymal dont l'épaisseur augmentait progressivement mais rapidement. Sans même y réfléchir, et sans rien dire, Megara réduit à néant la distance qui les séparait toutes deux, avant de prendre sa cousine dans ses bras, de la serrer contre elle et de passer l'une de ses mains derrière son crâne, comme elle l'aurait fait avec sa petite sœur si celle-ci s'était tenue face à elle. Sans demander de justification, sans poser de questions, sans chercher à comprendre. Cela pourrait venir, mais après. L'essentiel était ailleurs, le plus primordial aussi. ❧ Je suis là ... ❧ Physiquement, et mentalement. Pour elle. Pour tout ce qu'elle voulait.

Sans doute n'y avait-il pas d'âge pour apprendre, là où, tout au long de son existence, on pouvait se retrouver à des situations nouvelles exigeants et requérants des adaptations et des apprentissages. À moins, bien sûr, de vivre une vie monotone, où les jours se succédaient en se ressemblant, où demain était semblable à un aujourd'hui qui ressemblerait en tous points à demain. Ce n'était pas le lot de Megara, pas plus que ce n'était sans doute le lot de la majorité des personnes foulant cette terre. Pour le coup, si vous possédiez un rang, ce dernier ne pouvait qu'accentuer les choses, et non pas faire chasse gardée des tumultes, surprises et évolutions de l'existence. Même le paysan le plus démuni ne pouvait sans doute pas se prévaloir d'être l'exception à la règle, ne serait-ce que compte tenu du cycle des saisons, des aléas climatiques, et de l'influence colossal que pouvaient avoir sur sa vie les décisions prises en haut lieu. Les passages de troupes, par exemple, ou les réquisitions de grain, voire même la décision du seigneur du coin de reprendre la main sur ses terres pour y bâtir quelque construction, là où il y avait dans l'Ouest comme ailleurs bien plus de serfs que de vilains, contraints et forcés de louer la terre sur laquelle ils vivaient plutôt que d'en être eux-même propriétaires et de pouvoir au moins se prémunir d'une réaffectation de la surface les mettant, sans mauvais jeu de mots, sur la paille. Alors marchands comme paysans et comme grands du Royaume devaient garder à l'idée de toujours avoir un plan de secours ou, à défaut, de toujours garder à l'esprit qu'à tout instant, quelque chose pouvait venir faire se gripper les rouages du quotidien. Peut-être était-ce là une certitude bien plus aisée à accepter quand on était humble ou issu du bas peuple, là où l'orgueil et la vanité liés au pouvoir n'avaient que peu d'emprise. Mais des êtres tels que Megara étaient là pour prouver que ce n'était pas une vérité applicable à tous. Née Princesse, elle demeurait pourtant avide de nouveaux savoirs, et n'avait jamais reculé devant le fait de comprendre qu'elle n'avait pas encore toutes les clefs de compréhension et de connaissances, en dépit du fait qu'elle n'était plus une enfant et qu'elle avait toujours eu accès à la meilleure éducation possible, dispensée par les meilleurs éducateurs, professeurs et tuteurs de tout le Royaume des Terres de l'Ouest. Pour autant ... Pour autant, cela ne signifiait pas que la nouveauté était facile à accepter et à faire entrer dans son quotidien. Pas plus que cela ne signifiait qu'on était toujours prêt et enjoué face à tout ceci, ou que la pilule passait aisément. La montagne de certitudes que l'on pouvait posséder avait vite fait d'être profondément éraflée par les flots du changement, parfois si impétueux, indisciplinés et obstinés. Là où, comme le sable, l'eau savait s'infiltrer dans chaque interstice, même lorsque l'on fermait profondément le poing jusqu'au sang. Sans doute le mariage entrait-il parfaitement dans cette comparaison là ...

Fort heureusement, le quotidien n'était pas non plus fait d'une attente perpétuelle du prochain bouleversement qui s'en viendrait le transformer, pas plus qu'il n'était fait d'une crainte éternelle de ne pas savoir comment réagir, de ne pas savoir en être à la hauteur ou de ne pas être prêt. Il y avait des convictions qui avaient la peau dure, à juste titre, et des havres de paix qui semblaient bien plus à l'abri. Paradoxalement, le fait d'être mère était de ces choses là, pour Megara. Pourtant, aucun jour n'était comme le précédent, puisqu'un bambin évoluait à un rythme bien plus soutenu qu'un adulte, et que chaque journée passée s'achevait avec des transformations par rapport à la précédente. Que ce soit une dent qui poussait un peu plus chaque jour, des mains qui se faisaient moins pataudes, des yeux qui s'ouvraient de plus en plus, ou des vocalises qui gagnaient en assurance et en détermination ... Pour autant, lorsqu'elle était en présence de ses fils, la jeune femme avait la sensation, peut être à tord, que le quotidien qui se déroulait hors des murs de la nurserie ne pouvait et ne devait avoir que la plus infime des incidences. Auprès des jumeaux, Megara se sentait apaisée et sereine, convaincue que, eux, au moins, n'étaient pas encore entrés dans ce jeu de dupes. Ou seulement à leur façon et à leur échelle, loin, très loin des manigances de la Cour et du cérémonial protocolaire qui s'y déroulait depuis des temps immémoriaux si l'on s'en tenait aux témoignages des plus anciens nobles des Terres de l'Ouest. Et des ouvrages de la Bibliothèque royale, pour certains plus que datés et conservateurs. Dardant un regard faussement boudeur en direction de Sybelle dès que celle-ci osa un parallèle entre les jumeaux et elle, Megara n'en lui tint absolument pas rigueur, préférant en rire. ❧ Ne parle point si fort, quelque pourrait t'entendre ! Il en serait alors fini de ma couverture de douce Princesse dont la qualité principale est la beauté de son minois ! ❧ La jeune femme n'était pas dupe, mais pour certains membres de la noblesse et même de la bourgeoisie, ses attraits principaux devaient en effet résider autour de son apparence et de son titre, ceux-là étant incapables de voir plus loin, ou s'y refusant tout bonnement, convaincus que leurs certitudes étaient amplement suffisantes pour catégoriser Megara. C'était ... Regrettable. Pour eux. Et malgré ce qu'elle pouvait en dire et en prétendre, c'était aussi un peu douloureux pour elle, renvoyée à sa condition de femme et de Princesse, et ne se sentant pas forcément reconnue à sa juste valeur. C'était une question d'orgueil et d'amour-propre, sans doute, mais c'était aussi la conviction que pour certaines personnes, les choses se devaient de rester immuables, quoi que vous disiez ou fassiez.

L'essentiel, alors, était sans doute de s'entourer d'êtres qui vous comprenaient et qui voyaient pour ce que vous étiez, avec vos qualités, certes, mais avec vos défauts, aussi. Et l'un des défauts de Megara, si tant était que cela en était vraiment un, c'était probablement son empathie. En soi, rien qui ne soit répréhensible, mais pour sa propre mère, cela l'empêchait de toujours garder la tête froide et de pouvoir faire la part des choses entre le ressenti et le vécu. Entre les émotions et la chose concrète. Elle avait un cœur, Megara, et celui-ci parlait parfois pour elle avant que ne le fasse son cerveau. Sur l'instant, cependant, elle se ficha bien de savoir si elle devait s'endurcir ou non, comme l'y enjoignait sa mère depuis tant d'années. Elle envoya aux orties, sans même une once d'hésitation, toute mesure. Car s'il était sans doute fort peu princier de serrer ainsi quelqu'un dans ses bras, de par le respect du rang, de la déférence et de l'étiquette, il n'y avait en tout cas rien de mal à agir ainsi entre cousines. Et c'était ce qu'elles demeuraient toutes deux l'un pour l'autre, malgré tout. Et peut-être même en premier lieu, à l'instant présent. Alors Megara ne dit rien et ne fit rien pour adopter une autre posture. Elle tint Sybelle dans ses bras aussi longtemps que celle-ci en éprouva le besoin, en laissant tout de même suffisamment de latitude à cette dernière pour s'extirper de l'étreinte dès qu'elle le voudrait. Elle avait la sensation terrible que quelque chose lui échappait, que l'annonce d'un mariage futur ne pouvait pas tout de même mettre dans un tel état. À ce qu'elle en savait et à ce qu'elle en avait elle-même expérimenté, l'angoisse montait crescendo, tout comme les questionnements, les doutes, les peurs et la sensation de perdre le contrôle, à mesure que tout se concrétisait et que la date des noces approchait. Mais là ... Là, elle percevait qu'il ne s'agissait pas de ça. Ou tout du moins pas que de ça, sans toutefois pouvoir en présumé. Et puis, finalement, ce fut comme si elle en obtenait la confirmation de la bouche même de sa cousine. Et si c'était son cœur qui avait parlé en premier lorsqu'elle avait serré Sybelle contre elle, cette fois-ci, ce fut son cerveau qui prit la main et rafla la mise. Mais pas forcément avec pertinence et efficacité ... Car à l'annonce de potentiels secrets, son esprit ne put se détacher de l'idée du mariage, et donc du visage de Stefan, la ramenant elle-même à ses propres mystères. Se raidissant brusquement, ce fut comme si elle avait reçu un seau d'eau glacée sur la tête. Mais Megara ne repoussa pas Sybelle au loin, ne faisant qu'un pas vers l'arrière en la maintenant encore suffisamment près d'elle. ❧ C'est Stefan, c'est ça ? Il a ... Il a osé de nouveau franchir les limites de la décence ? ❧ Stefan ... Elle l'avait appelé Stefan et non point "Lord Stefan" ou "ton fiancé", ou quoi que ce soit qui y ressemble. Mais elle ne le remarqua pas, tout à ses pensées virevoltantes et quelque peu troublées. ❧ Vous n'êtes point encore mariés, alors ... S'il t'a fait quoi que ce soit, s'il a osé outrepasser le cadre de l'acceptable ou précipiter les choses alors que vos noces n'ont pas encore eu lieu ... Surtout, dis le moi. ❧ Qu'elle aille lui régler son compte. En bonnes et dues formes, de façon plus efficaces qu'autrefois.

Tout était une question d’habitudes. Peut-être. Pour peu qu’on ne se laissât pas endormir par celles-ci, pour peu qu’on ne s’en laisse pas anesthésier, les habitudes pouvaient être d’une grande aide. En cas de besoin, on pouvait se reposer sur elles pour qu’elles continuent de maintenir votre présence physique ainsi que vos réflexes, alors que votre psyché, elle, était toute ailleurs. C’était un peu comme si les rênes de vos réactions et actions se trouvaient dans les mains de l’Habitude, pendant que votre esprit, lui, voguait vers ailleurs, vers des sujets bien plus intéressants que celui au sein duquel vous étiez immergé. Megara se laissait parfois prendre à ce jeu, bien que l’Habitude n’avait pas vraiment la priorité chez elle, supplantée par le Devoir et l’Étiquette. C’était là un univers au sein duquel elle baignait depuis toujours, en plus d’y être née. De quoi la rompre à l’exercice et lui permettre de moins ressentir le fardeau quotidien qu’était l’exercice de la représentation. Pour autant, elle concevait parfaitement qu’il n’en allait pas de même pour tous, et que, d’une certaine façon, sa position était même exceptionnelle et loin d’être courante. Ce qui, en plus de sa nature profonde, la poussait à se montrer empathique envers ceux qui le méritaient, ou qu’elle estimait le mériter. Sybelle était de ces personnes-là, et ne pouvait donc qu’être là pour elle, au mieux, tout en s’adaptant aux besoins de l’instant de cette dernière. Et, d’une façon, sur l’instant, les jumeaux aussi contribuaient à cela, à leur façon, et sans même lever le petit doigt. Cela ne pouvait que renforcer l’aura de magie que Megara ne pouvait s’empêcher d’être convaincue de les voir entourés. Mais visiblement, cela avait présentement ses limites, à en voir la posture et la silhouette de la native de Belcastel.

Alors Megara serra Sybelle dans ses bras, autant qu’elle le pouvait et autant que l’y autorisait la jeune femme. Nulle étreinte suffocante, donc, mais une étreinte suffisamment ferme pour être tout autant franche et sincère qu’elle l’était réellement. Et nulle obligation pour Sybelle d’y demeurer, de s’y sentir prisonnière ou d’y voir une quelconque contrainte dû au respect du rang de celle qui la lui offrait. Cependant, ce fut bien la Princesse qui se braquait quelque peu soudainement, ou plutôt ce fut elle qui reprenait quelque peu la main, déjà prête à brandir tout coup de semonce qu’il pourrait être nécessaire d’administrer pour peu que cela soit mérité, en direction de l’être qui causait tant de turpitudes à sa cousine et dame de compagnie. Quitte à ne point entièrement maîtriser sa parole et la façon dont elle faisait référence au natif de la Dent d’Or. Mais sur l’instant, cela ne primait absolument pas, et elle ne s’en rendit de toute façon compte qu’une fois que le prénom eut franchi ses lèvres. Trop tard, donc, pour gommer la bévue, d’autant plus que son interlocutrice parut visiblement avoir très bien relevé la chose. Megara savait combien les hommes pouvaient faire de l’effet et savoir tenter d’imposer leur prestance et leur prédominance. Un instant, elle songea que, peut-être, Stefan avait pu influencer Sybelle pour qu’elle le défende et se défende d’avoir été offensée par ses soins. Et puis, presque immédiatement, la jeune femme se résolut à ne pas en croire un traître mot : sa cousine était une jeune fille qui ne se laissait guère marcher sur les pieds et qui, ayant passé l’essentielle de sa vie sur son île natale, se laissait peu influencer par les jeux de pouvoir.

Si Sybelle le lui jurait, elle la croyait d’autant plus. Mais cela ne la tirait pas d’affaires, elle. Elle se maudit presque d’avoir été si instinctive, si réactive, car pousser la poussière sous le tapis lui était impossible, pas sans offenser sa cousine ou la laisser avec moults doutes et questionnements irrésolus à l’esprit. Et elle ne pouvait lui faire cela, pas quand elle se trouvait déjà bien tourmentée, visiblement. Alors elle soupira un instant, baissa les yeux vers le sol et secoua doucement la tête de droite à gauche. Elle n’avait techniquement rien à se reprocher, et pourtant, elle se sentait encore quelque peu souillée par l’instant vécu à l’époque. ❧ Nos peaux ne se sont jamais autrement touchés que lorsqu’il m’a volé un baiser, puis que je l’ai violemment giflé. J’ignore ce qui l’a poussé à avoir une telle outrecuidance, mais je suppose qu’il n’ignore rien de ce que j’en penses. Il n’a jamais recommencé, sois en assurée. ❧ Relevant les yeux sur sa cousine, elle ne put s’empêcher d’ajouter. ❧ Nul n’en sait rien, Sybelle. ❧ Elle ne précisa pas qu’elle souhaitait qu’il en demeure ainsi, convaincue que sa cousine saurait comprendre. Et qu’elle saurait, ainsi, garder bouche close à ce sujet. En revanche, sa propre bouche, à elle, ne put s’empêcher de s’entrouvrir d’une stupéfaction qu’elle ne parvenait pas à dissimuler. ❧ Ly … Lyman ? Mon Lyman ? Mon frère ? ❧ C’était … C’était comme associé deux éléments qui n’allaient absolument pas ensemble, ou plutôt qu’elle ne parvenait pas à associer entre eux, comme l’huile et l’eau, comme la glace et le feu. Sans plus d’informations sur l’instant, son esprit échafaudait déjà mille hypothèses, présentant presque devant ses yeux plusieurs situations possibles, même si cela ne faisait pas sens pour elle. Mais Sybelle n’avait pas besoin de la voir rester à gober les mouches ou demeurée stupéfaite. ❧ Sybelle, que s’est-il passé avec Lyman ? ❧ Lyman, et non point son frère, le prince héritier, ou encore le jeune noble. Lyman, juste Lyman.

Certains concepts s'ancraient de façon inné, à l'intérieur de vous, et ce dès votre plus jeune âge. Parce qu'ils relevaient de votre éducation primaire, ou bien encore parce qu'ils faisaient partout de ces pierres de taille qui constituaient la base de votre existence, le socle qu'on y avait fait construire, petit à petit, à mesure du temps et des années. Pour finir, vous n'en veniez même pas à vous interroger sur leur présence dans votre vie, parce qu'il vous était impossible de vous rappeler un seul instant où ils n'en auraient pas fait partie. Et parce que, aux côtés de tant d'autres, ils constituaient votre paysage quotidien. Certains étaient partagés par tout le monde ou presque, ou en tout cas par un grand nombre de personnes, au rang desquels la politesse, l'affection pour ses proches, ou encore le fait de ne pas rester oisif à longueur de journées. D'autres, en revanche, portaient la marque de l'exceptionnalité, du caractère rare et particulier, quand ils se trouvaient intimement liés à votre rang, par exemple. Le fait de considérer qu'on ne pouvait l'embrasser impunément étaient de ceux là, sans doute, pour Megara. Bien qu'elle considère qu'elle ne devait tout de même pas être la seule jeune fille à qui la mère avait enseigné l'importance du consentement, elle comprenait bien que si elle avait pris tant ombrage de l'impudent acte de Stefan Lefford, c'était sans doute parce qu'elle était Princesse, et qu'on lui avait toujours dit que, d'une certaine façon, sa personne était sacrée et se devait d'être inviolable, de quelconque façon que ce soit. La Monarchie devait savoir maintenir à distance raisonnable et appréciable les autres membres de la Noblesse, ses membres n'étaient en rien leurs égaux. Et en l'embrassant comme il l'avait fait, c'était comme si l'héritier de la Dent d'Or s'était affranchi de ce concept de base, sans qu'elle ne puisse l'en empêcher ou le stopper à temps. Cela n'avait pas quitté son esprit, comme une marque d'échec, bien qu'elle n'en était pas mortifiée au point de ne pas s'en être encore remise. C'était juste ... C'était juste qu'elle n'oubliait pas et qu'elle ne pouvait pas oublier, et qu'elle savait bien le faire sentir au jeune homme à chaque fois qu'ils se retrouvaient en présence l'un de l'autre. En toute discrétion, bien sûr, pour leur bien à tous deux, et parce que cela la laissait en position de force. Après tout, si elle parlait à qui de droit, ce serait sans doute surtout lui qui aurait des ennuis. Ou pas. Après tout ce temps, après tout, que pouvait-elle savoir des retombées exactes qui pourraient choir sur les épaules de l'imprudent, lui qui n'était plus l'adolescent d'alors ?

En tout cas, maintenant, par la force des choses et par des paroles trop rapidement offertes, Megara avait mis sa cousine Sybelle dans la confidence. C'était trop tard pour reculer, trop tard pour prétendre qu'il ne s'était rien passé, et la seule chose qu'elle pouvait faire était de lui enjoindre de ne rien en dire à personne. Sans autorité déplacée ou ton trop formel, mais en disant simplement les choses et en exposant posément sa requête. Là où elle ne doutait pas que la native de Belcastel saurait respecter cette demande. Megara la vit sourire, en tout cas, et cela la soulagea quelque peu de ne pas avoir brisé quelque chose dans la perception et la confiance qu'elle pouvait commencer à vouloir placer vis à vis de son promis. Car la Princesse n'avait en rien voulu dépeindre un portrait peu flatteur de l'héritier des Lefford, là où elle ne souhaitait pas non plus que cela creuse déjà un fossé irrémédiable entre les deux jeunes fiancés. Sur ce point là, les choses ne semblaient donc pas irrémédiables, mais cela n'éclaircissait en rien, sur l'instant, l'origine des troubles et de la mine de Sybelle. Ce n'était pas le sujet, donc. Et peut-être que, finalement, à entendre la suite, la jeune mère aurait préféré que cela le soit. Parce que cela aurait été plus facile à comprendre et à gérer, là où la distance entre Lyman et elle étaient infime par rapport à celle qu'elle percevait en considérant qui était Stefan Lefford pour elle. Cela entraînait dans le domaine de l'intime, de la famille et des liens du sang. Lyman était son frère, celui aux côtés duquel elle avait grandi, certes avec de la distance due à leur différence d'éducation, quand ils étaient enfants et que lui était destiné à être éduqué en tant qu'héritier principal et masculin. Mais il restait son frère, celui-là même avec lequel elle finissait toujours par dîner, la journée terminée, entourée aussi de leurs parents et de leur petite sœur. Et de tout autre membre de leur famille proche en résidence ou de passage au Roc. Alors cela paniquait Megara, dont la psyché continuait d'élaborer une foule de situations probables et pourtant tout à fait improbables dans le même temps.

Balayer tout d'un revers de main et se dire que, peut-être, comme elle, Sybelle s'offensait d'une action passée sans que celle-ci n'ait, finalement, une réelle teneur répréhensible si la chose était observée d'un œil extérieur, ce serait trop simple, et ce serait fort discourtois et irrespectueux. Les sensibilités de chacun et de chacune se devaient d'être respectées ou, à défaut, considérées. Se dire, aussi, que Lyman avait simplement hérité de leur père serait lui faire offense tout autant que cela serait dépeindre un portrait injuste de Loren. Mais qu'en savait-elle réellement, elle qu'on avait toujours voulu préserver, parfois à outrance, et qui se leurrait sans doute énormément sur nombre des facettes du caractère de son père autant que de celui de sa mère ? Elle les connaissait avec les yeux de l'amour, et elle les observait avec ce même regard, son père, sa mère, son frère, et même sa sœur en son temps. Ses oncles, ses grands-parents, et tout le cortège de sa proche parentèle. Alors lorsque Sybelle planta son regard dans le sien, elle ne sut ni ne voulut s'en décrocher. Comprenant l'importance de l'instant comme se refusant à rester dans l'incompréhension de la situation plus longtemps. Mais, là encore, elle ne sut trop si, finalement, elle aurait préféré continuer de tout ignorer. Car les paroles de sa cousine la laissèrent stupéfaite, yeux sans doute écarquillés plus que de raison, et bouche entrouverte de demeurer souffle coupé et incapable de reprendre une respiration correcte. Elle était figée, comme le son ces statues des plus réalistes, immobiles jusque dans l'éternité car taillées à même la pierre et ciselées avec dextérité et réalisme. Son corps entier ne répondait plus, là où son cerveau n'était guère plus prolifique. Ainsi donc, ces noces étaient arrangés ... Rien de surprenant ni d'inhabituel, en somme, car Stefan et Sybelle ne se connaissaient pas et n'auraient donc pas pu tisser des liens avant même l'annonce de leur mariage. Mais la raison derrière tout cela ... Elle renvoyait Megara à sa propre situation, là où, tout comme Stefan, Gareth avait été choisi pour couvrir une infamie. À la différence près que, cette fois-ci, Lyman avait tout à voir là-dedans, tant dans l'arrangement des noces que dans la raison initiale qui les déclenchaient. Lyman ... Lyman avait eu des aventures charnelles avant son mariage. Rien qui ne surprenne la jeune femme, de par les charmes de son frère et les privilèges que pouvaient se permettre les jeunes hommes, surtout quand ils étaient nobles. Mais le fait que tout ceci ait eu lieu avec Sybelle, alors même qu'il ne pouvait ignorer que, elle, elle avait tant à y perdre ... Comment ... Comment avait-il pu être si déraisonnable ?! Si imprudent ?!! Si écervelé ?!!! ❧ Oh, Lyman, Lyman, Lyman ... Par les Sept ! ❧ Ce fut la première réaction que Megara offrit à Sybelle, oui, tout du moins, une fois la stupéfaction passée. Et ce fut vers Lyman que ses foudres allaient, alors qu'elle ne réalisait pas encore qu'instinctivement, et en totale contradiction avec le respect des liens du sang fraternel, c'était du côté de Sybelle qu'elle se rangeait. Parce qu'elles étaient toutes deux nées femmes, et qu'il s'agissait là de la solidarité féminine ? Ou parce que leur situation se ressemblait ? Ou parce qu'elle la comprenait bien mieux que personne, sur l'instant ? Fermant les yeux, elle serra aussi les poings, s'apprêtant à poser une question à laquelle elle savait déjà qu'elle ne souhaitait pas une certaine réponse. ❧ Est-ce qu'il t'a ... Était-ce ... Était-ce consensuel, ou ... ❧ La fin était laissée en suspend, comme pour ne pas avoir à prononcer l'imprononçable et l'inqualifiable. Se radoucissant un peu, comme pour ne pas braquée ou effrayée Sybelle, Megara reprit d'un ton plus compatissant et moins tendu. ❧ Mon frère est-il le fils de notre Père à plus d'un titre, sans dévier du chemin emprunté par Lui ? ❧ Sous-entendu, Lyman avait-il hérité des charmes et de la propension de Loren Lannister à faire battre le cœur des jeunes femmes, sans jamais outrepasser leur avis et leur consentement. Ou avait-il adopté un comportement à mille lieues de celui-ci, et lui ayant été inspiré par on ne savait trop qui.