Les circonstances de la vie et des destinées avaient fait que Megara était devenue, au premier jour de sa vie, la plus âgée des Princesses de l'Ouest, là où elle avait également été la seule et l'unique jusqu'à la naissance de sa petite sœur cadette Nymeria. D'ailleurs, depuis le trépas tragique, insupportable et injuste de cette dernière, la jeune femme avait recouvré l'exclusivité de ce titre. Une vérité dont elle se serait bien passée, n'ayant jamais eu aucun mal à partager cette honneur avec sa cadette et ce toujours de bon cœur. Mais voilà qu'après avoir raflé la vie des sœurs de Loren, la destinée avait fait de même avec sa propre sœur, créant cette situation avec laquelle elle devait composer, sans rien pouvoir y changer. Le trépas de ses tantes était survenu avant sa naissance, alors que le Roc était assiégé par le Bief, lors du conflit ouvert qui avait déchiré les deux Royaumes au crépuscule de la vie du Roi Arwin et à l'aube du règne de Loren. Quant à Nymeria, elle avait péri loin du berceau des Lions, au Val, certes auprès de l'homme qu'elle aimait, de son époux, mais à un âge bien trop précoce et dans des circonstances qui laissaient un fort goût amer dans la bouche de Megara, qui ne pouvait se résoudre, encore aujourd'hui, à y voir uniquement la main hasardeuse des Dieux. Quoi qu'il en était, elle se devait de tenir son rang, en tous temps, en tous lieux, et en dépit de ses préférences ou de ses envies personnelles. Il fallait faire passer le devoir avant l'égoïsme et le narcissisme. Elle savait combien les gens se souciaient bien plus de la Princesse qu'elle était plutôt que de la jeune femme qu'elle se trouvait également être. Des jeunes filles, il en existait fort heureusement par centaines de milliers, mais une Princesse de l'Ouest, il n'y en avait désormais plus qu'une, tout du moins cela resterait-il ainsi tant que Jeyne ou elle n'enfanteraient point de petite fille. Trois jeunes lionceaux faisaient la joie et le bonheur de la famille royale des Lannister, mais ils se trouvaient être tous trois être nés pourvus d'un appendice leur pendant entre les jambes. La relève était assurée, mais Megara n'aurait rien contre le fait de pouvoir enfin de nouveau avoir de la compagnie en tant que Princesse. Peut-être l'enfant qu'elle portait viendrait-il pallier à cette situation, mais elle savait désormais de première main qu'il était impossible de présager de ces choses là tant que l'accouchement n'avait pas eu lieu.

Si on le lui demandait, Megara affirmerait qu'elle n'avait rien contre les festivités et autres réjouissances du même nom, mais elle ne réfuterait jamais intérieurement d'apprécier pouvoir s'en passer, parfois. Elle savait où la poussait son rang, son devoir, ses prérogatives et ses responsabilités, mais depuis qu'elle était devenue mère, elle n'appréciait rien de mieux que d'être entourée de ses fils, à défaut de pouvoir partager ces instants privilégiés là avec son époux. Gareth combattait, menant les troupes au pied de Vivesaigues au nom du Roi et de la Couronne, alors elle se doutait bien que ses devoirs à lui l'amenaient à être là où il était le plus utile et efficace, même s'il n'en demeurait pas moins qu'il lui manquait, infiniment et un peu plus chaque jour. Mais les Sept veillaient sur lui, elle en était sûre, sans qu'elle ne manque pour autant de les prier en son nom tous les jours. Quoi qu'il en était, elle ne pouvait pas se dérober à ses obligations, là où elle savait que paraître en public, auprès des courtisans et convives, en était un exemple quotidien parmi tant d'autres. Il semblait que certains se satisfaisaient largement du simple fait de la voir, ou même de l'entrapercevoir, là où d'autres se sentaient plus à même de tenter de lui parler ou d'échanger ne serait-ce que quelques mots avec elle. Ceux-là n'étaient pas désagréables, tant qu'ils savaient où étaient les limites et qu'ils ne se montraient pas plus entreprenants qu'ils ne devaient l'être. Malheureusement, pour dix personnes de ce genre, il y en avait une qui escomptait bien faire preuve d'un côté bravache mal venu, se fondant uniquement sur les apparences et sur ce qu'on semblait parfois penser de Megara. Qu'elle était, sans nul conteste, le Joyau de l'Ouest, une jeune beauté douce et paisible, qui ne devait alors pas avoir un esprit des plus affutés et qu'il était sans doute plus aisé d'approcher et de convaincre de plaider en votre sens comparé à son frère ou, à plus forte raison, à sa mère. Si c'était sûrement vrai dans bon nombre de lignées nobles, ce n'était pour autant pas exactement vérifiable concernant Megara. Sans doute parce qu'elle était la fille de nulle autre que Jordane Crakehall et que cette dernière n'aurait jamais laissé les choses se faire dans le sens commun et habituel.

Pour le moment, la jeune femme était plutôt épargnée par tout ce jeu de dupe et de miellerie, ou alors y était-elle trop habituée pour constater quelque regain que ce soit. Il fallait dire qu'à plus forte raison, le sujet actuel qui occupait bien des esprits et des échanges était la guerre, un domaine où on s'attendait encore moins à ce qu'elle comprenne quoi que ce soit, bien que, là encore, c'était la sous-estimer. En tout cas, elle était bien aise de ne pas s'être déjà faîte trop souvent approcher, sans doute parce que le fait qu'elle évolue flanquée de son garde personnel, Jinx, pour s'éviter toute tentative envers sa personne et surtout toute bousculade périlleuse et risquée pendant sa grossesse, cela y faisait pour beaucoup. Mais elle ne se sentit pas nécessiteuse de continuer à avoir Jinx auprès d'elle dès qu'elle aperçut la Reine douairière du Val et de la Montagne. Sharra Arryn était une femme qu'elle connaissait déjà, pour diverses raisons, et dont elle savait ne rien avoir à craindre. ❧ Votre Majesté ... ❧ Sans doute la formule de politesse pouvait-elle apparaître assez neutre, mais le protocole faisait qu'il en allait ainsi, là où le sourire et la révérence qu'elle offrit à son interlocutrice traduire bien mieux et bien plus la réelle franchise et intimité de ses sentiments envers elle. Megara avait l'habitude de sourire, et elle savait y faire, mais la façon dont elle arqua et courba présentement ses lèvres était réservée à un petit nombre de personnes en des occasions bien particulières, loin du masque et des conventions princières. Ne manquant pas de remarquer le regard de Sharra en direction de son ventre, la jeune femme ne put s'empêcher de sentir une douce chaleur lui étreindre tout le corps : oui, elle était de nouveau enceinte, un bonheur immense pour elle, en dépit du fait qu'une nouvelle fois, Gareth ne pouvait se tenir à ses côtés, et qu'une nouvelle fois, elle s'exposait au risque de subir quelque courroux divin. Une femme enceinte était toujours dans une certaine position vulnérable, et le fait d'être une Princesse n'y changeait rien.  ❧ Avec grand plaisir. Je ne vous cache pas que je préfère votre compagnie, et de loin. Au moins suis-je sûre que vous ne chercherez point à obtenir de moi quoi que ce soit que vous ne pourriez obtenir par vous-même, là où je suppose que vous ne chercherez point non plus à être vue en ma présence dans l'espoir d'attirer l'intérêt de ma mère. Ou l’œil de mon frère.  ❧ Tout en s'installant aux côtés de la Reine douairière, elle leva quelque peu les yeux au ciel. Quelles étaient ces sottes qui espéraient voir en Lyman un potentiel futur amant ? Il n'avait d'yeux que pour Jeyne, même un aveugle pourrait s'en rendre compte ! Quoi qu'il en était, cela marquait le ton d'une plaisanterie que la jeune femme espérait en mesure d'instaurer un climat plus détendu et moins guindé que ne pouvait l'exiger l'étiquette protocolaire. Toutefois, le sérieux devait rester de mise, ne serait-ce qu'un peu, ce que Sharra ne manquait visiblement pas de garder à l'esprit. Son sourire s'estompant quelque peu, Megara se mordilla un instant les lèvres, posant par réflexe l'une de ses mains sur son ventre, comme pour protéger et apaiser l'enfant qui y grandissait. ❧ Nous ne pouvons échanger l'un et l'autre autant de missives que nous le voudrions. Les circonstances font que c'est ainsi. Quant aux nouvelles ... Gareth est en vie, la majorité de ses hommes aussi, mais les Conflanais résistent, retrancher dans leur forteresse.  ❧ Faisant signe à un serviteur pour se faire présenter un verre rempli de jus de grenade, qu'elle tolérait encore contrairement à sa première grossesse, la jeune femme tourna de nouveau le regard vers Sharra. ❧ Je crains fort de n'avoir plus de connaissances sur la situation que vous n'en avez sûrement vous même. ❧ À ce jeu là, son époux ne lui disait sûrement pas tout, pour ne point l'inquiéter alors qu'elle portait la vie, là où Lyman et Jordane étaient sans doute bien mieux informés.

Il fut un temps où toutes deux auraient pu être de la même famille, piècess rapportée, consécutivement, dans le giron des Arryn via les nécessités matrimoniales. À l'époque, celui qui n'était pas encore Roi du Val et de la Montagne, mais déjà son prince héritier, Jehan Arryn, avait prise pour épouse celle qui se nommait encore Sharra Corbray. Il fut également une époque où, et elle le savait, Megara avait été au cœur des échanges, des discussions et des tractions entre ses royaux parents et la Reine douairière du Val, dans l'optique d'organiser un futur mariage entre l’ainée des Princesses de l'Ouest et Ronnel Arryn, jeune monarque en son royaume. Finalement, cela ne s'était pas fait, ou plutôt l'alliance diplomatique via échange d'époux s'était-elle reportée sur Nymeria, au grand dam de personne et à la plus grande satisfaction des deux jeunes gens, déjà bien amourachés l'un de l'autre sans que cela ne soit cependant information publiquement connue. Jamais Megara n'avait éprouvé la moindre once de jalousie ou d'envie envers sa cadette, bien au contraire, se satisfaisant plus qu'un peu de savoir sa petite sœur adorée pouvoir épouser l'élu de son cœur, dans un monde où les mariages d'amour étaient loin d'être légion parmi la Noblesse, et encore moins lorsqu'on se trouvait avoir vu le jour au sein d'un berceau royal. C'était là chose plus que regrettable, sans doute, mais la raison d'État prévalait et prévaudrait sans cesse sur tout le reste, faisant alors peu cas de ce que les élans sentimentaux pouvaient pourtant pousser à vouloir obtenir et réaliser. Bien qu'aujourd'hui, Nymeria n'était plus et que la plaie qu'elle laissait derrière elle demeurait plus que béante, son aînée pouvait au moins se consoler de par le simple fait de savoir qu'elle avait pleinement vécu et que, jusqu'au bout, elle avait été heureuse et aimée. Malgré tout, cela n'empêchait pas Megara de parfois se torturer en s'interrogeant quant à savoir si les choses auraient été différentes si c'était bel et bien elle qui avait épousé Ronnel. Aurait-elle périt de la même façon que sa cadette, fauchée en pleine jeunesse et en plein élan par des forces belliqueuses et sournoises ? Ou aurait-elle surmonté tout ceci, vaincu le destin et démêler les fils du trépas, elle qui avait mis au monde deux jumeaux en une grossesse certes plutôt calme par rapport à celle qu'elle vivait actuellement, mais qui l'avait tout de même mené à vivre un accouchement rendu bien plus périlleux et potentiellement létal par le simple fait de donner la vie à deux enfants et non pas à un seul. Ce genre de questionnement ne pouvait lui être bénéfique, elle le savait, là où rien de bon ne pourrait en surgir. Mais l'esprit et le subconscient semblent bien plus difficiles à dompter que le cœur. Surtout quand on évolue en un contexte loin d'être pacifique, là où se rajoutait également le fait d'avoir vu son père lui aussi être assassiné tout en étant de nouveau enceinte, position rendant toujours la vie d'une femme bien plus fragile et risquée. Que l'on soit, pour le coup, Princesse ou simple paysanne ...

Fort heureusement, leur rencontre à toutes deux, en ces festivités, ne devait rien à une volonté de raviver les douloureux souvenirs ou de commémorer les disparus. Tout du moins, aussi loin qu'en savait Megara ... Il n'y avait donc point à présenter un fasciés de dix pieds de longs et une mine chagrinée, tout comme il n'y avait pas à arborer une tenue de deuil. Il existait aussi bien d'autres sujets autour desquels toutes deux pouvaient se retrouver sans se trouver bien vite prises au dépourvu quant à savoir quoi se dire. Les manigances et mièvreries de la Cour étaient parmi ces sujets là. ❧ J'ai beau évolué au milieu de tout ceci depuis mes premiers instants, il me semble que je ne m'y ferais jamais totalement. C'est qui, selon Mère, n'est pas forcément une si mauvaise chose que cela : au moins cela me permet-il de ne jamais me laisser bercer par de douces paroles ! ❧ Et au moins cela lui donnait-il aussi quelques matières à ensuite persifler, de son côté, auprès de ses belles-sœurs et de son époux. Ce n'était en rien l'illustration d'un penchant de sa part pour la médisance, c'était plutôt une volonté de rendre la monnaie de leur pièce à des êtres l'ayant bien mérités, le tout en ne faisant preuve que d'honnêteté et de franchise là où on ne pouvait pas en dire autant des principaux visés ... Et puis cela appartenait aussi à un échange de bons procédés et à une alimentation des choses à savoir à l'heure de lister ceux dont il fallait savoir se méfier, quand ceux-là même ne tentaient pas, vainement, d'instaurer quelque distance entre vous et les autres, comme pour ensuite en profiter et se faufiler dans la faille engendrée. Gareth n'était plus là pour partager avec elle ce genre de conversations là, mais Jeyne et Alys demeuraient au Roc, elles. Et en tant que femmes, il fallait savoir se serrer les coudes, surtout quand l'une d'entre vous se trouvait privée de son époux par les circonstances de la guerre, laissant à penser à certains, on ne savait trop pourquoi, qu'il pourrait être de bon ton de l'épier et de la dévisager dans l'ombre, comme on reluquerait une future veuve prochainement éplorée qu'il faudrait consoler. Que croyaient-ils, tout cela ? Pensaient-ils réellement que Gareth ne devait sa position au Front qu'à sa grande proximité avec le Roi ? Lyman était encore bien jeune, en plus de n'avoir accédé au trône que depuis quelques mois, mais Megara savait qu'il en avait suffisamment dans le crâne pour savoir ce qu'il faisait et ne pas uniquement faire des choix guidés par ses amitiés. ❧ J'ai foi en mon époux, et je prie les Sept pour qu'Ils lui permettent de me revenir au plus vite. Ni lui ni moi n'ambitionnons en quoi que ce soit que je donne la vie à notre troisième enfant sans qu'il soit à mes côtés. ❧ Une fois encore, elle savait qu'elle ne s'exposait en rien en posant ainsi cartes sur table auprès de Sharra. Rien de ce qu'elle venait de dire n'était un secret d'État, sans parler du fait que cela pouvait également être parfaitement compréhensible et attendu, compte tenu de la situation.

Buvant une gorgée dans son verre nouvellement acquis, Megara savoura quelques instants les délicieuses saveurs de la grenade, non sans se féliciter d'avoir eu des préférences gustatives telles que celles-ci depuis le plus jeune âge ! Et puis au moins ce choix là lui permettait-il de ne point se voir sermonner : elle pouvait en user et en abuser autant qu'elle le voulait, aucune goutte d'alcool n'étant contenu dans le breuvage, assurant ainsi la sécurité et la santé de son bébé. Quoi que, lorsqu'elle attendait les jumeaux, la simple odeur de grenade lui avait malheureusement mis le cœur au bord des lèvres, de façon bien regrettable. Au moins cet enfant-ci, plus agité, lui avait-il épargné de revivre ce malheureux désagrément ! D'ailleurs, en parlant de bébé ... ❧ Certains jours, je prie pour un 3e fils, afin que le Roc soit pourvu d'un autre petit lion de plus, assurant ainsi la pérénité de notre Royaume tout autant que de notre lignée. Je me prends alors à imaginer à un 3e garçon partageant les mêmes traits que ses deux aînés, même s'il ne partagera jamais avec eux leur gémellité. Et puis, cela ajouterait un 4e futur guerrier aux joutes enfantines de mes fils et de leur cousin, afin d'assurer un parfait équilibre. Mais d'autres jours ... ❧ Un instant, elle se stoppa, les yeux un peu dans le vague et l'esprit ailleurs, vers ces fameux jours où elle songeait différemment. ❧ D'autres jours, je prie pour avoir une petite fille. Une petite princesse, qui ne manquerait pas de s'allier avec moi pour faire succomber son père. Une fille, pour mener à la baguette les trois petits princes de l'Ouest et leur faire promettre tout un tas de folie, comme j'ai pu le faire en mon temps avec mon frère et ses amis. Une fille, pour ne plus être l'unique Princesse de l'Ouest ... ❧ Nymeria n'était plus, aujourd'hui, mais même lorsqu'elle était devenue Reine du Val et de la Montagne, elle n'avait point perdu son titre de Princesse de l'Ouest. Seul l'Étranger le lui avait arraché, en l'emmenant avec lui. S'éclaircissant un instant la gorge, d'un petit raclement suivi d'une nouvelle gorgée de jus de grenade, la jeune femme enchaîna. ❧ En effet, tous sont heureux pour moi. Les Lannister, bien sûr, mais les Crakehall, aussi, sans oublier les Farman et les Marpheux, Lignées de mes deux grands-mères, et les Kenning, bien évidemment. ❧ Quoi que cela n'était pas sans alimenter certaines tensions entre son époux et le frère aîné de celui-ci, sans que Megara n'en comprenne bien tout. Mais cela, elle le tût. ❧ Il semble en tout cas que, sans avoir jamais voulu entrer en concurrence sur ce point là, ma royale belle-sœur et moi sommes de nouveau amenées à traverser cette grande expérience de vie ensembles ! Au moins ai-je toujours quelqu'un pour me rassurer quant au fait que les désagréments sont tout sauf anormaux. Et puis cela me remplit de joie, égoïstement, de pouvoir savoir que cet enfant là aussi grandira avec un cousin ou une cousine du même âge. Cadwyn, Tybalt et Martyn grandissent de jour en jour, ensembles. Je suis heureuse de savoir que nous vivrons toutes et tous de nouveau la même chose. ❧ Le futur de l'Ouest était déjà là, en plus d'être de nouveau en route. Une certitude plus que gratifiante et réconfortante en cette période plus que létale et belliqueuse.

Le poids de la Couronne et du devoir était tout autant indescriptible que certain, tout autant inévitable qu'attendu, tout autant colossal qu'obligatoire. De grandes et lourdes responsabilités pesaient sur vos épaules dès lors que vous vous trouviez placé en une position de pouvoir, et encore plus lorsque cette position s'accompagnait d'un titre de noblesse, l'effet et l'amplitude montant crescendo à mesure que votre cœur battait d'un sang des plus aristocratiques. Toutefois, on pouvait légitiment ne jamais se faire à tout ceci. On s'y habituait, d'une certaine façon, mais on ne s'y faisait probablement jamais totalement. Ce qui, dans une certaine mesure, pouvait en effet permettre de ne pas y perdre la tête, au sens propre comme au sens figuré, en n'oubliant jamais que avantages, bénéfices et privilèges n'étaient que la face immergée et lumineuse du devoir, des responsabilités et des sacrifices. Là où, au milieu de la Cour, si nombre de courtisans vantaient leurs attentions à votre égard comme étant pavés de bonnes intentions, un croche en jambe était si vite arrivé, tout comme l'était un coup de couteau dans le flanc ou, pire encore, dans le dos. C'était comme en permanence marcher et progresser sur un filin tendu au milieu d'un vide dans lequel bouillonnait la fureur du plus bouillant des volcans. Ou comme plonger la main dans une ruche peuplée d'un essaim de frelons, et non point d'abeilles, car là où ces dernières ne vous attaquaient jamais que pour se défendre, puisqu'elles périssaient dans l'assaut, les frelons, eux, étaient beaucoup plus vicieux et belliqueux. ❧ Je crains tout de même fortement que les courants puissent toujours été trop nombreux, dupeurs et changeurs à mon goût. J'ai toujours vécu au Roc, forteresse dont l'encrage rocheux et terrestre a tout autant été modelé par les coups de pioche des mineurs initiaux que par le tumulte des flots des Mers du Crépuscule. Comme un certain nombre d'appartements en ces lieux, les miens ont toujours offert une vue imprenable sur ce spectacle marin, de quoi me faire vite comprendre que l'eau ne dort vraiment jamais. ❧ Elle avait passé de nombreuses nuits à observer un tel spectacle, et se souvenait encore qu'enfant, lors des temps de tempête, elle avait pu naïvement croire que les flots océaniques pourraient parvenir à frapper le Roc suffisamment brutalement pour que celui-ci s'effondre, ou que leurs vagues pourraient en atteindre le sommet et venir tous les noyer. Mais la Forteresse était suffisamment ancienne, éprouvée et dotée de sa propre volonté pour se laisser prendre et déstabiliser. Et puis, de par sa hauteur inégalée nulle part ailleurs dans tout le Continent, à ce qui s'en disait, il fallait bien avouer que si elle se retrouvait submergée, alors le sort serait encore plus brutale et létale pour une bonne partie des terres littorales de tout Westeros, là où les terres à l'Arrière risqueraient de ne point être épargnées elles non plus.

Cette perspective géologique et hydronymique n'était donc pas à l'ordre du jour, contrairement au quotidien actuel de Gareth, non moins menaçant et risqué. Chaque prière était sans doute bonne à prendre dans des circonstances comme celles qui régissaient actuellement le quotidien de bon nombre de ressortissants des Terres de l'Ouest, et même, plus largement, celui de tous les continentaux. Si les fils de lignées nobles étaient pour beaucoup au Front, ou qu'ils s'apprêtaient à y être envoyés, il y avait également ceux qui, issus du peuple, s'étaient délibérément engagés dans les forces armées, depuis plus ou moins longtemps, sans compter ceux qui avaient pu s'y trouver enrôlés. Et puis il y avait toute la main d’œuvre agricole et artisanale qui travaillait d'arrache-pied pour nourrir les combattants, leur fournir tout ce dont ils avaient besoin ou pour, plus prosaïquement, payer des taxes supplémentaires afin de renflouer les caisses des différents royaumes. À tout ceci s'ajoutaient ceux dont les terres étaient impactées par les mouvements de troupe, simplement de passage, ou venaient guerroyer, si ce n'était ravager. ❧ Je vous remercie par avance de votre sollicitude et de vos sincères prières, votre Altesse. Même si je me refuse au mieux à songer qu'une telle perspective puisse devenir réalité, je me refuse tout autant à vouloir puérilement ignorer que cela ne pourra jamais être. ❧ Elle n'avait pas manqué de mourir, lors de son précédent accouchement, mais celui-ci avait tout de même été périlleux, long et complexe, tout autant de par le fait qu'elle était encore jeune, que son corps n'avait jamais connu pareille expérience et n'était donc pas rompu à l'exercice, et qu'en plus de cela, elle avait donné le jour à deux enfants et non pas à un seul. Et même si elle se savait et se sentait mieux préparer durant cette nouvelle grossesse et en vue de ce futur nouvel accouchement, elle refusait de se résoudre au fait que son époux ne pourrait y assister. Quoi qu'il en était, d'une certaine façon, la meilleure chose à faire, pour ne point trop songer à cette perspective tout en ne se refusant pas de vivre, de ressentir et de profiter au mieux de cette grossesse était de se focaliser sur tout ce qui ne touchait pas directement à l'absence de Gareth. Et cela passait en effet par le fait de s'imaginer devenir mère d'un nouveau petit garçon, ou bien, pour la première fois, d'une petite fille. La première Princesse qui naîtrait alors au Roc depuis la venue au monde de Nymeria, et celle de Megara, deux ans avant cette dernière. ❧ Je n'en doute point non plus, même si je reste émerveillée par cette capacité que nous semblons avoir, nous autres mère, à sentir notre cœur s'agrandir tout en pensant que nous sommes pourtant au maximum en donnant tout à nos enfants et que plus nous ferait exploser. Et pourtant ... Pourtant je sais que j'aimerais cet enfant tout autant que ses frères, il n'y a pas de raison qu'il puisse en être autrement. Si j'ai réussi à aimer tout autant mes deux fils sans que mon amour pour chacun d'entre eux ne s'en trouve amoindri ou diminué, alors j'adorerais cet enfant tout autant que je les adore eux. Mais, tout de même, comment ai-je fait pour vivre toutes ces années en pensant que je ne pouvais guère aimer et donner plus que je ne le faisais déjà ? ❧ Un petit rire fusa d'entre ses lèvres, alors qu'elle secoua sa tête de droite à gauche, avec une douceur non dénuée de grâce.

Ce qu'on est naïf et crédule, quand on est encore jeune, et même par après, parfois ... Fort heureusement, on ne cesse de mûrir et d'acquérir de nouveaux savoirs, à mesure de l'avancée de la vie et de la succession des épreuves. Tout du moins est-on censé le faire ! ❧ En toute confidence, même si cela est peu glorieux, peu aimable et sans doute indigne de moi, je songe parfois à faire passer mes nausées matinales sur les chausses de tout homme semblant penser qu'il en sait plus que moi sur la grossesse et qui se sent apte à me donner des conseils. Fort heureusement pour moi, de tels présences désagréables me demeurent tout de même relativement rares, sans doute en partie parce que je suis entourée au plus près d'hommes merveilleux qui ne laissaient aucune impolitesse venir me troubler, que cela soit mon Oncle Rickard Crakehall ou encore mon époux, s'il était là, sans oublier mon frère le Roi. Même si je soupçonne fortement qu'il agit ainsi tout autant par affection pour moi que par crainte de s'attirer les foudres de son épouse qui se trouve être dans la même situation que moi ! ❧ En effet, si Gareth était désormais au Front, Megara ne se trouvait pas seule et isolée. Elle le savait, mais son Oncle Rickard, son chevalier servant auto-attitré depuis aussi longtemps qu'elle s'en souvenait, jurerait toujours préférer avaler son épée entière plutôt que de laisser quiconque lui faire offense, y compris pour des raisons terre à terre. C'était certain, mais sa position à la Cour était sans doute plus agréable et commode que celle de Jeyne ... ❧ La situation n'a certainement rien d'aiser, pour eller. Nous en parlons peu, car je ne chercherais jamais à remuer le couteau dans la plaie, et encore moins à la pousser à clairement exprimer sa préférence d'un camps par rapport à l'autre. J'essaie alors plus simplement et plus modestement d'être là pour elle, avec sincérité et réelle affection. Je n'ai rien de plus à gagner, la concernant, en agissant contre ma nature profonde, et n'ayant jamais été douée pour la duplicité et les mensonges ... ❧ Elle poussa tout de même un petit soupir un peu douloureux : songer à tout ceci faisait aussi partie des difficultés actuelles. Elle ne voulait pas prétendre que tout allait pour le mieux, mais elle ne voulait pas non plus que tout ceci en devienne un abyssal vortex menaçant à tout instant de tous les engloutir. De la même façon, même si elle priait ardemment pour une issue victorieuse, elle se refusait à laisser de côté la perspective que cette guerre actuelle puisse les mener à la défaite. Il fallait qu'elle soit préparée à toute issue probable et encore plausible, les meilleures comme les pires, sans non plus faire en sorte que son existence toute entière ne s'oriente qu'en direction de ce grand sujet si épineux, colossal et létal. ❧ Je ne doute point du fait que ma chère Mère la Reine douairière puisse déjà elle aussi songer à une telle perspective, ce qui me laisse à penser que l'Ouest sera paré à cette option si cette dernière s'annonce en ligne de mire ! Une génération s'est écoulée depuis les derniers grands périls auxquels l'Ouest fut exposé, et, à l'époque, la Couronne a su ouvrir un nouveau chapitre de la plus belle des manières avec la naissance de mon frère, de ma sœur et de moi-même. Même si nos propres héritiers sont déjà là alors que de nouveaux s'annoncent, nous saurons nous réinventer si cela est nécessaire, et le Val sera toujours un Allié chéri et précieux. ❧ Encore une fois, nulle manœuvre de sa part mais la plus pure des vérités franches et assumées.

Pour sûr, la vue que lui offraient ses appartements étaient un grand privilège dû à son rang, et jamais ô grand jamais elle n'aurait souhaité qu'il en soit autrement. Pourtant, Megara n'aurait sans doute eu qu'à demander pour occuper d'autres appartements si les siens avaient fini par lui déplaire ou si elle s'en était lassée, car, après tout, la Forteresse royale ne manquait pas de pièces. Mais elle n'avait jamais franchi le pas, plus par absence de nécessité que par crainte d'abuser de ses prérogatives. Même aujourd'hui, alors que sa famille s'était agrandie suite, d'abord, à son mariage, puis suite à la naissance de ses fils, elle était loin de s'y sentir à l'étroit et s'apprêtait même à y accueillir, dans les mois à venir, un nouvel occupant. Il fallait dire que le fait de bénéficier de pièces attenantes ne manquaient pas d'agrandir les volumes et de donner des coudées encore plus larges. Sans parler du fait que Megara disposait également d'une domesticité plus que nombreuse ainsi que prompte et apte à l'épauler ou à faire les choses à sa place si elle le demandait ou en éprouvait le besoin. Elle n'avait même pas à se justifier, bien que, souvent, de par son caractère, la culpabilité ne manquait pas de la ronger. Plus parce qu'elle aurait voulu faire plus et mieux pour ses fils que parce qu'elle craignait d'outrepasser les choses. Dès lors, son cœur se mit comme à battre à l’unisson des propos tenus par Sharra Arryn, qui ne manquait pas de viser juste et de présenter les choses sous un bel angle. ❧ Je ne souhaiterais pour rien au monde quitter mes appartements pour en obtenir de nouveau ... Je m'y plais énormément et ... Le spectacle étoilé est du plus bel effet, non sans n'avoir de cesse de se renouveler. Il m'a bercée depuis mon plus jeune âge, et j'ambitionne qu'il puisse en être de même avec mes enfants. ❧ Hochant positivement la tête, elle eut un doux sourire, quelque peu attendri, avant de poursuivre, une lueur plus amusée dans le regard. ❧ Toutefois, je me doute bien que viendra le jour où mes fils devront avoir leurs propres appartements, tant par respect de leur rang que par nécessité pour leur père et moi. Ils sont déjà bien dynamiques et plein de malice à leur âge, alors je n'ose imaginer ce qu'il en sera dans les années à venir ! ❧ Tybalt et Cadwin demeuraient une préoccupation de chaque instant, pour elle, depuis leur naissance, et elle était persuadée qu'il en serait de même dans 5, 10 et même 20 ans. Et très probablement jusqu'à la fin de sa vie. Il n'y avait qu'à observer à quel point sa propre mère demeurait investie dans leur existence, à son frère et à elle, et ce même si Lyman était désormais Roi ! ❧ Si votre séjour dans l'Ouest peut vous permettre de renouer avec des plaisirs de l'enfance, alors j'en suis plus que bien aise. ❧ Une nouvelle fois, elle hocha positivement la tête, là où son ton était dénué de toute manipulation ou parole mielleuse. Elle était parfaitement sincère et pensait réellement ce qu'elle venait de dire. Toutefois, Megara se montrait bien moins encline à sentir la joie demeurer en son cœur à la simple perspective d'imaginer ce qu'il pourrait bien advenir de Gareth. C'était là un sujet autrement plus sensible et bien moins apte à la rendre heureuse. Même si elle savait que tout époux de la Princesse qu'il était, Gareth demeurait un homme, fait de chair et de sang, et surtout doté d'un esprit obstiné, combattif et empli de loyauté et de devoir. Il ne fuirait pas tel un lâche si tous ses hommes se faisaient massacrer, tout comme il n'accepterait pas de rendre les armes pour uniquement épargner sa propre vie. D'une certaine façon, la jeune femme en venait à craindre qu'il puisse tout autant être heurté par les armes de leurs ennemis que par ce que son propre honneur le pousserait à faire tout comme à se refuser à faire.

Parler de ses enfants et de ses premières expériences de mère était un sujet bien moins périlleux et bien plus chaleureux, pour elle. Tout comme c'était là un sujet bien moins à même de rappeler à Sharra son défunt mari. Quelque peu songeuse face aux paroles de cette dernière, la jeune femme les analysait et ne manquait pas de percevoir la sagesse et la maturité des années et des expériences chez la Reine douairière de la Montagne et du Val. Cette dernière était loin d'être si âgée que cela, mais elle était tout de même de la même génération que la mère de Megara, non sans oublier qu'elle était mère de deux fils aujourd'hui adulte ou en passe de l'être. Sans omettre le fait qu'elle avait régné auprès de son époux sur un royaume ... ❧ Nul n'ignore à quel point la renommée des Terres de l'Ouest est en grande partie liée à l'extraction minière et aurifère de ses sous-sols. Toutefois, j'aime également à penser que nous autres Lannister partageons effectivement bien des similarités avec notre animal héraldique. Les lionnes défendent leurs petits, y compris contre les autres lions eux-même. Et elles le font en meute, ne faisant que peu de différences entre leurs propres lionceaux et ceux de leur sœur. C'est ainsi que je veux éduquer mes fils et mes enfants à venir, en harmonie et en bonne entente avec leurs cousins, sans manquer de les protéger et de les défendre tout autant que je le ferais avec les enfants de mon frère. Cela me paraît important. ❧ C'était là une réelle confidence, qui ne présentait toutefois en rien de risque et de danger. Megara se confiait simplement sur un sujet de sa vie privée, elle qui faisait d'ordinaire passer en public les responsabilités et l'étiquette avant toutes autres choses. Elle parlait à Sharra de femme à femme, se disant bien, dans un coin de son esprit, qu'elles ne devaient pas être les seules à être prêtes à bien des choses pour leurs enfants, là où elles pourraient aisément se trouver une troisième comparse avec la même vision des choses parmi la domesticité. Il ne s'agissait pas là d'une vision basée sur le rang, après tout. Évoquer le cas de Jeyne était en revanche un sujet bien moins à même de pouvoir être évoqué à la légère et sans aucune solennité. On parlait tout de même de l'actuelle Reine de l'Ouest, qui se trouvait également être la fille de l'Empereur autoproclamé et la sœur du Roi du Nord. Dans le cadre d'une géopolitique plus que tendu, où les différents belligérants ne se menaçaient pas avec de simples épées de bois et des paroles vides, c'était tout de même quelque chose ... Sans doute une autre qu'elle aurait agi différemment, tant concernant le fait de parler ou non de tout ceci que concernant la façon dont elle traitait Jeyne. Mais Megara était Megara, et elle refusait que les affaires d'État, pour une fois, puissent entièrement continuer de prendre le dessus. Elle ne voulait pas que la guerre se tenant en dehors de la Forteresse royale y prenne soudainement racine, tout comme elle ne voulait pas placer son propre frère en porte à faux, entre son épouse et la seule des deux sœurs qu'il lui restait. Entre la mère de son premier héritier et celle des deux suivants dans l'ordre hiérarchique. Elle ne voulait pas non plus fournir aux courtisans l'occasion de voir une brèche et de s'y engouffrer, soit pour déstabiliser une Reine que nombre d'entre eux ne portaient pas forcément dans leur cœur sans trop rien en dire en public, soit pour tenter de tirer leur ficelle du jeu en montant les têtes couronnées les unes contre les autres.

Megara voulait agir en tant que femme, et non en tant que Princesse, mais elle se devait tout de même de ne s'oublier ni dans un rôle ni dans l'autre. C'était un équilibre à trouver, ce qui n'était pas si aisé que cela, là où les nouvelles quotidiennes du Front et le contenu des différentes missives reçues ne pouvaient avoir de cesse de perturber la balance. ❧ L'un de mes rêves les plus chers serait de voir cette guerre se terminer au plus vite. Peu m'importe que l'Ouest ne parvienne pas à battre l'Empire, pourvu que nous demeurions indépendants et libres de notre propre destinée. Mais je ne sais trop si ma chère belle-sœur puisse sortir aussi gagnante que moi si une telle chose venait à se réaliser ... ❧ Qu'en serait-il, alors, de ses relations avec sa famille de naissance ? Les choses pourraient-elles réellement s'améliorer ? Et dans les esprits chafouins et quelque peu xénophobes, Jeyne parviendrait-elle à redorer son blason ? Trop d'incertitudes demeuraient, sans parler du fait qu'une telle échéance ne semblait pas en passe de survenir, là où il n'existait aucune garantie que cela puisse être le cas un jour ... De la même façon, entre les désirs de la Princesse et la réalité potentielle à terme, il ne pouvait être garanti que le Val demeure un allié. Après tout, batailler contre plusieurs adversaires à la fois ne signifiait en rien leur offrir la même porte de sortie ... À l'image de Nymeria parfois boudeuse face à son frère et sa sœur conjoints, la plus jeune des trois avait pu faire la paix avec sa sœur tout en continuant de protester contre son frère. Qui disait que l'Empire n'agirait pas selon le même raisonnement ? Cela ne devait en tout cas en rien empêcher de désirer quelque chose et de l'énoncer, comme elle venait de le faire, avec sincérité et grand espoir. ❧ Je fus de cette génération là, jusqu'à récemment, de celle qui naquit après le grand conflit qui opposa et déchira l'Ouest et le Bief entre eux. Je fus une enfant de la paix, et me voilà maintenant plongée dans la guerre, en espérant ardemment que mes fils seront finalement bien trop jeunes pour se remémorer ce que celle-ci aura été. Car cela signifiera qu'à l'heure de se forger leurs premiers souvenirs, ce conflit aura déjà cessé ... ❧ Un instant, elle marqua une pause, avant de reprendre. ❧ Il serait naïf et trop facile de dire que je souhaiterais du plus profond de mon cœur que mon avenir puisse demeurer le plus proche possible de ma vie d'avant : en paix, en sécurité, et en ne manquant de rien. Sans plus craindre pour les miens ou ceux qui me sont chers. Si je ne peux ramener mon père et ma sœur auprès de moi, je ne veux pas voir la liste de mes regrettés s'allonger. ❧ C'était là une réponse somme toute idéaliste, mais elle n'avait jamais été connue pour son cynisme, alors ...

Pour beaucoup, le monde se résumait aux alentours bordant l'habitation au sein de laquelle on résidait et l'on vivait. Les collines, les champs, la forêt ou bien encore la plage, la montagne ou le désert; en somme, toutes ces choses de la nature sur lesquelles on posait les yeux à chaque instant, parfois sans jamais cesser de s'en émerveiller, mais le plus souvent sans bien saisir leur caractère précieux et unique, tant on y était habitué. Tant il n'y avait rien d'autre que cela, autrefois comme aujourd'hui, et tant il n'y aurait rien d'autre que cela non plus à l'avenir. La réalité et le monde ne s'étendaient alors guère plus loin que ce qu'offrait notre vision. Le reste, à perte de vue ou non, était soit trop éloigné soit trop fantasmé pour que cela sorte du domaine de l'inconnu et pénètre dans le concret et le sensoriel. Cela permettait d'en rêver, ou pas, de se faire des histoires dans son esprit pour mieux s'échapper de l’apprêté de la réalité. Mais cela n'était jamais que des hypothèses, des incertitudes, des ébauches et des digressions qui ne venaient en rien changer quoi que ce soit au lot quotidien. Tant que l'on ne s'élevait pas dans la hiérarchie sociale, ou tant que l'on n'exerçait pas de profession poussant au voyage ou pèlerinage, alors on demeurait là même où, des décennies auparavant, voire même plus, nos ancêtres s'étaient ancrés. Pour Megara, évidemment, de par sa condition princière et ses prérogatives innombrables, les choses étaient plus colorées et grandioses que cela. Elle avait déjà voyagé, à plus d'une reprise, et savait très bien qu'elle le ferait encore, pour peu que les affaires d'État en exigent la nécessité. De plus, le Roc, Forteresse imprenable et sans pareil, offrait un panorama suffisant imposant et grandiloquent pour qu'elle puisse être saisie et certaine de la grandeur du monde par delà son champ de vision. Parfois, cela lui donnait le tournis, mais la plupart du temps, elle se sentait fière et orgueilleuse d'avoir l'opportunité de vivre et d'évoluer au sein d'une telle Forteresse et d'une telle tanière, sans égale et sans comparaison possible. Mais au-delà de ce que lui offraient son titre et son berceau natal, son esprit, aussi, n'avait jamais manqué d'être formé à l'existence et à la connaissance de ce qui s'étendait par delà la capitale de l'Ouest, et par delà même l'Ouest tout entier. Là encore, cela n'était pas sans parfois lui tourner la tête, bien que l'effet diminuait à mesure des années qui s'écoulaient tout autant qu'à mesure de l'expérience et de la maturité qu'elle accumulait. Alors si elle pouvait partager toutes ces certitudes, tout ce savoir et toute cette beauté du monde avec ses fils, elle ne s'en priverait pas. Et cela irait au-delà de leur faire contempler et déchiffrer les constellations célestes. ❧ Cela viendra, en effet, je me refuse d'y manquer. Bien que pour le moment, ils semblent ne croire qu'en l'existence d'astres bien plus terrestres, si l'on s'en réfère au simple fait que poser les yeux sur moi semble être pour eux comme poser les yeux sur le soleil ! ❧ Il n'y avait aucune vanité ni prétention abusives dans ses propos, mais la simple vérité tirée du constat qu'elle faisait de la situation. Mais sans doute avait-elle été semblable à ses fils, en son temps, dès lors qu'elle posait les yeux sur son propre père ...

D'ailleurs, la suite des confessions de Sharra Arryn ne manqua pas de lui tirer un doux sourire nostalgique. Car il y en avait eu, des matins, où, toute jeune, gracieuse et innocente, Megara avait poussé la porte des appartements parentaux pour y rejoindre ses parents. Il y en avait eu, des matins, où elle avait pris un grand plaisir à aller tirer le Lion de l'Ouest du sommeil, avec sa chevelure d'autant plus semblable à celle de l'emblème familiale, là où Loren n'avait pas non plus manqué d'être semblable à un grand félin en baillant à s'en décrocher la mâchoire. Bien évidemment, aujourd'hui, la jeune femme comprenait bien qu'on ne l'avait jamais laissée rentrée sans autorisation, mais elle n'avait jamais rien capté des ordres donnés par sa mère. Une mère qui n'avait sans doute jamais eu de cesse de s'assurer que son époux n'était pas dans une posture compromettante, ou qu'il était bien là, dans le lit conjugal, quitte, sans doute, Megara l'imaginait, à ce qu'il le regagne juste à temps, non sans, peut-être, feindre d'être réveillé. Quoi qu'il en était, aucun des souvenirs de la Princesse ne lui renvoyait l'image d'une Jordane fort peu à son avantage, bien au contraire. ❧ Il serait mentir que de refuser d'avouer que je m'en doute effectivement déjà ... Après tout, je pourrais vous décrire, yeux fermés, les appartements royaux, sans jamais en avoir été l'une des résidentes. ❧ Bien sûr, elle s'y rendait dernièrement pour que ses fils passent du temps avec leur cousin Martyn, mais même avant cela ... Oui, tout ceci appartenait aux moments fugaces et si heureux de l'enfance, de ces moments dont on ne réalisait jamais vraiment le caractère précieux et fugace avant qu'il ne soit déjà trop tard. Megara le comprenait sans doute sans bien tout en saisir, car elle n'en était encore qu'aux prémices, concernant ses fils, et ce bien qu'elle avait un jour été cette enfant qui grandit. Ne pouvant empêcher un éclat de rire fuser d'entre ses lèvres alors que son esprit mettait en images les propos de la Reine-Mère du Val, elle plaça l'une de ses mains devant sa bouche, pour ne point paraître impolie, non sans que cela ne lui permette tout à fait de dissimuler son grand amusement. ❧ Pardonnez-moi, mais le souvenir de Ronnel, dans mon esprit, ne cadre en effet en rien avec celui d'un jeune garçonnet plus qu'enfantin ! ❧ D'autant plus qu'il était plus grand que sa mère, et qu'il était le Roi. Même si elle était bien placée pour savoir que les émotions et les démonstrations d'affection n'ont pas à fuir votre existence dès que vous portez couronne, il n'en demeurait pas moins qu'en public, cela était à canaliser et à maîtriser. Le paraître était en effet important, par respect du protocole et de la décence. Mais dans le même temps, la jeune femme estimait que l’esbroufe juste pour l’esbroufe n'avait pas sa place. En privé, en revanche, rien ne vous interdisait ni ne vous obligeait à faire montre de mesure et de restrictions, bien au contraire. C'était en tout cas ainsi qu'on avait élevé Megara, et c'était ainsi qu'elle entendait élever ses enfants. Au sein d'une Lignée qui savait quoi penser de chacun de ses membres, sans s'en sentir obligée de sans cesse le démontrer ou le verbaliser. C'étaient les gestes, les regards et les petits mots du quotidien qui se devaient de forger l'étreinte et l'entente familiale, et non point la brusque démesure et le clinquant des grandes déclarations. Et il semblait que son interlocutrice ne semblait point trouver cette vision des choses malvenue et bien étrange. ❧ Il m'est agréable de pouvoir fortement supposer que ma chère belle-sœur n'est en rien étrangère à cette vision des choses, elle aussi. Louve et lionne n'appartiennent certes pas à la même espèce, mais elles n'en partagent pas moins de nombreux points communs. Ce qui facilite bien les choses concernant l'éducation que nous espérons pouvoir donner aux petits princes lionceaux de l'Ouest. ❧ Cela avait été l'une de ses grandes préoccupations, dès l'arrivée de Jeyne à Castral Roc et dès son entrée parmi les Lannister : qu'elle détonne, qu'elle ne se sente pas à sa place, que quelque chose ne fonctionne pas dans la synergie familiale. Qu'elles ne parviennent pas à s'apprivoiser et à bien s'entendre.

Car cela avait toujours été le désir de Megara quant à l'épouse de son frère : celui de trouver en elle une belle-sœur de qualité, une future reine plus qu'appréciable et qui, jamais ô grand jamais, ne la réduirait uniquement à son statut d'éternelle Princesse. Mais, entre elles, elles étaient Jeyne et Megara, la plupart du temps, et non point la Reine et la Princesse de l'Ouest. N'en déplaisent aux courtisans qui voudraient qu'il en soit autrement, uniquement pour pouvoir vilipender la native du Nord au prétexte qu'elle se montrait fort discourtoise et irrespectueuse avec elle, qu'ils prétendaient souvent tant chérir et apprécier sans que Megara n'en soit toujours bien convaincue. Ou du moins sans qu'elle ne puisse être convaincue du désintérêt de leurs préoccupations, ainsi que de leur capacité à vraiment pouvoir se targuer de savoir qui elle était, par delà la distance et le protocole qu'elle maintenait volontairement entre elle et eux. Jeyne et elle s'entendaient aussi bien qu'elles le pouvaient, donc, et, pour l'instant, la guerre n'y avait rien changé. Toutefois, la jeune femme ne se leurrait pas, ou pas entièrement. Il y aurait de la casse, des pertes et une part de passé comme de futur qu'il se faudrait enterrer. Rien ne pourrait demeurer comme avant, immuable et préservé. Et plus rien ne pourrait entièrement être comme on aurait voulu que cela soit. Pour autant, elle était consciente que Jeyne était celle qui pouvait au mieux sentir l'acidité et l'amertume de tout ceci, sans qu'elles ne s'en parlent vraiment. Par refus d'enfoncer la lame encore plus profond qu'elle ne l'était déjà. Avoir à choisir entre les siens et son époux n'était pas quelque chose que Megara aurait à faire, du moins, pas de si tôt, mais la situation était complètement différente pour sa belle-sœur. Mais si elle s'en référait au passif de l'Ouest, qui avait combattu le Bief, quelques années seulement avant sa naissance, et qui y avait lourdement perdu, on pouvait s'en remettre, et il fallait s'en remettre, bon grès mal grès. Comme son père avait dû se remettre de la perte de son propre père ainsi que de ses sœurs, le laissant seul, jeune roi projeté sur le trône à un âge où il n'aurait pas encore dû y monter. Pouvant heureusement compter sur sa mère, puis sur la jeune femme qu'il avait épousé. Et quelle jeune femme ... ❧ Je prie la Mère chaque jour pour qu'Elle nous prenne en pitié. Pour qu'Elle se montre miséricordieuse. Pour que nos hommes puissent se délester de leurs épées et de leurs arcs et flèches. Pour que la guerre ne les emporte pas. Pour que nous autres, épouses, filles, sœurs et mères des guerriers de l'Ouest, parvenions à apaiser la colère et la fureur. ❧ C'était utopiste, sans doute, car chacun devait bien briller ses propres dieux, si ce n'était les mêmes, pour des issues semblables ... ❧ Je ne peux m'empêcher de me dire que l'Ouest n'est en rien à l'origine de tout ceci. Que les ambitions initiales sont nées ailleurs, poussant alors chacun à réagir et à se positionner sur le plateau de cet immense jeu de Cyvosse ... Tout comme je ne peux m'empêcher de me souvenir de combien mon père abhorrait la guerre, de combien il était fortement attaché à ce que les Terres de l'Ouest en soient préservées le plus longtemps. Nombreux sont ceux qui disent de lui qu'il a été un Lion bien placide et plus que satisfait et complaisant. Que ses griffes et ses crocs n'étaient en rien aiguisés. Mais ce n'est jamais ainsi que je l'ai vu : il a inversé le cours de la guerre contre les Bieffois, en les repoussant au Sud, et il n'a jamais cherché rétribution des pertes qu'il a subi, dans son sang comme dans sa chair. Il ne nous a jamais enseigné, à mon frère, à sa sœur et à moi, la vindicte, la rancœur ou même la haine. Il avait horreur que l'on se dispute, même pour des broutilles, et jamais je n'ai eu la crainte d'un jour pouvoir être menacée ou mise en péril, parce que j'étais sure et certaine qu'il veillait à ce que cela n'arrive jamais, et que ses crocs et ses griffes, il les affutait, en silence et en toute discrétion, pour être prêt à bondir le jour où ... ❧ Le jour où on se permettrait de vouloir tout bouleverser de l'équilibre et de la paix. ❧ Il faut croire que tous n'étaient pas dupes, au point de le faire assassiner pour que l'obstacle et la menace qu'il incarnait soit annihilés ... Ce que je ne pardonnerais jamais. ❧ Un instant, une lueur féroce et féline illumina son regard, bien qu'en rien destinée à menacer Sharra. Mais Megara, elle aussi, était de ces lions qui ne dévoilaient sans doute pas entièrement leur jeu, au point d'être sous-estimés et trop facilement méjuger.

Se souvenir de ce à quoi avait ressemblé le monde, quand on était enfant, demeurait encore possible, pourvu que l'on observe les choses cum grano salis. En revanche, on ne pouvait jamais imaginer de ce que pouvait être le monde tel que perçu par les yeux de son enfant, surtout lorsque ce dernier était bien trop jeune pour former des paroles cohérentes, et encore moins lorsqu'il était trop jeune pour parler tout court. Dès lors, l'hypothèse de Sharra, quoi que basée sur la réflexion plus amusée et flatteuse que réellement sérieuse, était tout autant acceptable qu'une autre. Mais cela ne manqua pas de faire quelque peu rosir Megara, dès lors qu'une personne qu'elle appréciait et estimait faisait allusion aux prétendus qualités de son physique. ❧ Et bien je n'en sais trop rien, peut-être est-ce possible ! Concernant ma chevelure, en tout cas, qui les fascine au plus haut point. Même si, en toute confidence, j'avoue qu'il m'arrive de plus en plus souvent de sentir l'instant se teinter d'un certain désagrément dès lors qu'ils agrippent leurs doigts dans mes cheveux plutôt que de les y faire glisser ... Leur poigne se raffermit de jour en jour, tout comme leur persévérance, là où ils ne sont pas sans manquer de connivence pour s'y mettre à deux ou bien encore alternativement. ❧ À cet égard comme à bien d'autre, il n'y avait point à douter qu'ils étaient bel et bien les fils de leur père ! Et ce même si Gareth ne partageait point avec eu leur appétence pour le tirage de cheveux, le décoiffage ou la création de vilains nœuds. Bien au contraire. À plus d'une reprise, Megara avait croisé le regard de son mari dans le miroir, lorsqu'il insistait pour lui démêler les cheveux, et c'était alors comme s'il en était tout fasciné, comme bercé par le propre mouvement de brosse qu'il impulsait et envoûté par la texture tout autant que par le volume et le toucher sous ses doigts.

Concernant son regard, en revanche, Megara ne dit rien et ne répondit pas, n'infirmant ni n'affirmant rien, convaincue de la véracité des propos de la Reine-mère du Val à ce sujet. À ses yeux, sans mauvais jeu de mots, cela ne pourrait que l'amener vers un terrain glissant. Son époux n'était point là, et il était bien le seul homme en droit de pouvoir la courtiser et d'affirmer publiquement combien son regard à elle le consumait lui. Là où Megara, consciente de tout ce que ses troubles secrets pouvaient ternir et pervertir dans sa relation à son propre corps et à l'influence de ses charmes sur la gente masculine, n'était point sereine à l'idée même de laisser voguer ses pensées vers un tel sujet. Elle se savait belle, Megara, car on le lui avait souvent répété, et parfois ne lui avait-on d'ailleurs parler que de cela. Pour beaucoup de jeunes hommes de la Noblesse bien mal avisés, cela avait même été le point d'entrée à leur premier échange avec elle, comme si, à leurs yeux, il était impossible d'imaginer qu'elle pouvait être autre chose qu'un physique hérité de ses deux parents. Ceux-là se fourvoyaient alors énormément en croyant avoir parfaitement compris d'où lui venait son surnom de Joyau du Roc. C'était son père qui l'en avait ointe, tout autant, en effet, pour vanter ses charmes, mais également pour souligner la préciosité de son esprit et sa jeunesse, également. Un joyau peut se tailler et se polir à mesure des années, pour n'en faire que rejaillir encore plus fort l'éclat et la couleur originelles. En tout cas, partager un souvenir lié à l'agencement de cette Forteresse si particulière qu'était Castral Roc était une voie bien moins escarpée et anxiogène pour elle, la poussant à s'y engouffrer sans s'y faire prier. Mais cela ne constituait en rien une vacuité quelconque, là où la Princesse de l'Ouest savait également aborder des sujets bien plus sérieux, même si ceux-ci pouvaient charrier leur lot de pensées nostalgiques. De façon plus ou moins volontaire. Elle s'en excusa presque aussitôt, consciente que l'image et le souvenir qu'elle pouvait avoir du Roi Ronnel était très fortement partiels et partiaux, car uniquement basés sur ce fragment d'instant qu'ils avaient pu partager, dans un cadre non moins particulier et quelque peu hors du temps, en un moment où ni l'un ni l'autre n'avait eu conscience de qui se tenait réellement devant eux et où l'étiquette, le protocole et les conventions avaient involontairement été laissé hors de ce fameux balcon.

Il ne fallait pas s'y tromper : Megara ne regrettait en rien d'avoir pu avoir la discussion qu'ils avaient eu, ensemble, avec Ronnel, même si, en y repensant, la pointe de ses oreilles en rougissait encore quelque peu ! Mais ce n'était point comme s'il était le premier Roi qu'elle rencontrait, ou comme si son rang à elle était tout à fait inconvenant en présence d'un monarque. ❧ Ni feu mon défunt père ni mon cher frère n'ont accédé au trône à un âge aussi prématuré que celui du Roi Ronnel. Mais je lis déjà dans le regard de mon aîné combien tout ceci n'aurait pu dû lui arriver si jeune, combien, malgré tout, il n'était pas entièrement préparé, combien tout ce poids qui accompagne la charge royale n'est jamais que sous-estimé, même lorsque votre propre berceau est royal et que vous évoluez au sein des arcades du pouvoir depuis toujours. À bien des égards, je retrouve dans ses yeux des éclats et des brisures que je décelais dans ceux de notre père, derrière ses sourires, sa jovialité et sa luminosité. Tant l'ont si mal jugé, en oubliant ce par quoi il est passé. En oubliant qu'un Roi n'accède jamais au trône qu'à la mort de son père, comme s'il enjambait le cadavre paternel, là où le Prince héritier qu'il était jusqu'alors portait encore heaume et armure tout en brandissant l'épée lorsqu'il a ceint la Couronne. Qu'il n'avait pas encore 18 ans et qu'il était désormais l'unique enfant survivant de ses deux parents. ❧ Quant à évoquer sa sœur ... Cela lui restait infiniment douloureux, réveillant en elle nombre de turpitudes qui, dans le fond, ne s'étaient jamais réellement endormies. De plus, Megara le constatait, mais être enceinte compliquait les choses et ravivait les maux encore sanglants. Parce que Nymeria avait trépassé alors qu'elle portait la vie. Parce que Megara avait appris la nouvelle alors qu'elle attendait elle aussi un enfant, ou plutôt deux. Parce qu'elle avait été surveillée comme le lait sur le feu, tout autant par ses parents que par son époux et le Mestre, tous craignant, sans doute, que le choc psychologique qui la terrassait n'en vienne à lui coûter son bébé. ❧ J'ai fuis le monde pendant des jours et des jours lorsque j'ai appris qu'on m'avait arrachée ma si délicieuse petite sœur. Plus rien n'avait de saveur, et j'ai perdu la notion du temps et de la nécessité des tâches quotidiennes telles que le fait de manger, de se laver, de dormir ... Encore aujourd'hui, elle est partout où je regarde, mais je sais qu'elle n'est plus là, que ce ne sont que des souvenirs ou des illusions de mon esprit. Et dans mes rêves ... Dans mes rêves, elle me hante tout autant qu'elle me tance comme elle savait si bien le faire. Je n'étais point mariée à elle, évidemment, et je ne l'aimais que du plus pur et grand des amours fraternelles. Je ne peux donc point qu'imaginer ce qu'a ressenti votre fils sans pour autant partager la même expérience. Nym' ... Nym' a laissé un vide que rien ni personne ne saura ni ne pourra venir entièrement combler. Que l'on ait été sa sœur, son frère, ses parents, sa belle-mère ou son époux. Mais cela ne signifie pas pour autant que vivre sans elle est désormais impossible, que tout s'est arrêté pour toujours et à jamais avec sa mort. J'ai fini par le comprendre, et je ne doute point que votre fils saura faire de même, si cela n'est pas déjà fait.❧ Megara pouvait faire preuve d'une grande naïveté et d'une candeur non moins grande pour un certain nombre de choses, mais elle savait reconnaître la hauteur de l'intellect de ce à qui elle s'adressait. Là où Ronnel ne lui avait point laissé l'impression d'être benêt ou en manque de vivacité d'esprit.

On ne pouvait pas dire que la Cour et la Noblesse de l'Ouest n'étaient peuplées que d'êtres du même acabit que le Roi du Val, malheureusement. Un constat qui devait être le même pour les royaumes et puissances étrangères concernant leur propre cas, mais comme pour bien des choses dans la vie, le négatif et le regrettable avaient tendance à avoir une durée de vie plus longue dans votre esprit que le positif et l'appréciable. Concernant Jeyne, ce fut comme si on avait espéré de la Princesse qu'elle s'engouffre dans la brèche qu'on lui ouvrait afin de s'acheter ses faveurs en vantant ses mérites aux dépends de ceux de sa belle-sœur. Mais c'était mal la connaître que de penser qu'elle était ainsi, ou qu'elle s'abaisserait à la mesquinerie au prétexte que Jeyne lui dérobait soit disant certains privilèges. C'était également clairement sous-estimer la dévotion et l'affection que la Lannister portait à son frère ... ❧ Lorsque cela arrive, je ne manque point de rappeler à ces outranciers que je suis une Lionne de l'Ouest. Et que je ne manque ni de griffes ni de crocs, pas plus que je ne manque d'influence et de poids. Sans mauvais jeu de mots quant à ma grossesse, bien évidemment. ❧ Une certaine lueur fit scintiller son regard, comme si elle se délectait quelque peu de cette possibilité qui était sienne de remettre les gens à leur place. Comme une fierté, aussi, de pouvoir être une alliée de poids pour Jeyne. Une nécessité d'autant plus précieuse et impactante maintenant que les tambours de guerre battaient en rythme depuis plusieurs mois. ❧ Père exécrait plus que tout la guerre. Elle n'avait rien de glorieux ni de fascinant pour lui, pas plus qu'elle ne dégageait la moindre beauté. La guerre fauche des vies, irrémédiablement, des vies fauchées dont le poids repose tout autant sur les épaules de leur assassin que du commanditaire initial. Qui qu'il soit. La main qui a ordonné l'assassinat comme celle qui a ordonné le départ au combat. ❧ Plongeant son regard dans celui de son interlocutrice, sans doute Megara dégagea-t-elle alors brusquement la sensation d'avoir trop connu pour son âge. ❧ Puissent les Dieux vous entendre. ❧ Puis sa jeunesse vint reprendre le pas. De la femme, elle redevint l'enfant. On lui avait pris son père, et elle trouvait cela injuste. Injuste, et immérité. Elle voulait se réveiller pour réaliser que ce n'était qu'un mauvais rêve. ❧ Je veux qu'on ne puisse plus jamais parler d'eux. Que leur acte vil et immonde ne reste point marqué de leur empreinte par delà le temps. Je ne leur souhaite rien d'autre que de disparaître dans les limbes du temps, sans plus personne pour se souvenir d'eux, prononcer leur nom, porter leurs couleurs. Que les burins attaquent la pierre de leurs frontons et de leurs statues, que la plume vienne rayer toute mention à leur égard, que le feu consume toute œuvre et tout document les représentant ou les évoquant. Je ne veux pas leur mort, qui n'étancherait pas suffisamment ma vengeance et ma haine, car cela serait trop rapide, trop simple, et que cela apporterait de l'eau au moulin de qui voudrait en faire des martyrs. Je veux ce qu'on appelle la damnatio memoriae. ❧ Elle en avait lu mention, dans des vieux ouvrages juridiques, sans bien savoir s'il s'agissait d'un mythe ou d'une réelle réalité passée. Quoi qu'il en était, elle pressentait que cela était pire que la mort : c'était l'agonie à petit feu, la possibilité de ne laisser aucun nom s'ériger en tant qu'assassin du Roi Loren. Pour que l'on se souvienne toujours de ce dernier, et jamais des premiers.

La question du pouvoir avait toujours été quelque peu particulière pour Megara. Pour ainsi dire, elle baignait au sein du pouvoir depuis le premier jour de sa naissance, là où son berceau n'était rien de moins que celui de la monarchie. L'accession de son père au trône était survenue quelques années avant leur naissance, à son frère, sa sœur et elle, de sorte à ce que Lyman avait toujours été le Prince héritier. Les espoirs de la Couronne, au nom du futur des Terres de l'Ouest, avaient donc toujours en priorité reposé sur les épaules de son aîné, sans que Megara n'envisage un seul instant qu'il puisse en être autrement. Elle n'avait jamais été de ces puinés qui enviaient ce que le droit d'aînesse avait pu leur ravir, pas plus qu'elle ne s'était offusquée du fait que, de toute façon, Lyman aurait eu la priorité sur elle même si c'était elle qui avait vu le jour en premier. Pour ainsi dire, exercer le pouvoir ne lui avait jamais fait de l’œil, bien qu'elle avait été éduquée et élevée pour qu'il puisse en être ainsi si l'opportunité se présentait de plus tard pouvoir la marier à un prince étranger. Observer les choses se faire, autour d'elle, concernant la Couronne, avait donc été sa destinée, non sans avoir le cœur brisé, très jeune, de réaliser que si elle n'avait rien contre le fait de voir Lyman devenir Roi, cela serait le signe invariable de la mort de leur père. Alors elle avait souhaité que son aîné n'accède au trône que le jour où sa chevelure léonine serait devenue toute blanche, et où il marcherait avec une canne, car cela serait le symbole que Loren serait mort lui-même fort âgé. Mais les choses ne s'étaient malheureusement pas exactement déroulées ainsi. Sans que cela n'est rien de naturel, là où le trépas du Roi avait été précipité. Sa mort ... Sa mort aussi contribuerait-elle à faire de lui un monarque dont l'Histoire ne retiendrait que peu de faits glorieux ? Bien que fort peu impartiale, Megara trouvait cela terriblement injuste et immérité. ❧ Le Roi est mort, vive le Roi ... ❧ La maxime avait fusé d'entre ses lèvres sans qu'elle ne la contrôle, et sans que son ton ne lui offre la moindre vivacité ou étincelle. C'était un constat bien amer tout autant qu'acide, prononcé dans un souffle.

La perspective que Megara accède un jour à un titre supérieur au sien s'était évaporée dès lors que les regards de Ronnel et Nymeria s'étaient croisés, et face à l'absence de proximité suffisante avec une quelconque autre Couronne. Sans parler du fait que les troubles dont elle souffrait avaient parachevé de convaincre sa mère et son frère de la marier au sein du Royaume, et même plus que cela, au sein de la Cour, sans doute pour éviter que la honte ne puisse s'abattre sur les Terres de l'Ouest. Gareth avait été l'assurance de pouvoir la marier à un homme qui saurait tenir sa langue et qui se garderait bien de révéler cet affreux secret fort peu reluisant et enviable. Non sans permettre à Megara de tout de même être heureuse et de n'avoir à crainte aucun mauvais geste et aucune mauvaise parole de la part de son époux. Dès lors, elle n'envisageait pas de s'essayer à songer à ce à quoi aurait ressemblé sa vie si les choses avaient tourné autrement. De toute façon, l'existence était faîte d'une multitude de probabilités et de détails, où chaque changement de trajectoire, même infime, pouvait avoir des conséquences colossales. La jeune femme se gardait bien de s'aventurer à penser que, finalement, ses troubles avaient eu des conséquences positives, puisqu'elle se refusait à en être reconnaissante, mais, tout de même ... Il y avait eu tant de choses dont Nymeria et elle n'avaient pas eu le temps de se parler, tant de choses que la cadette des deux sœurs n'avait jamais su concernant son aînée, mais Megara était soulagée de savoir que la jeune Reine du Val et de la Montagne avait tout de même compris que sa sœur était heureuse, et que l'enfant qu'elle attendait grandirait entouré d'affection et sans parents s'entredéchirant. Mais tout ceci restait infiniment douloureux, et le fait que Nymeria ne s'était jamais su future tante de trois princes et non point de seulement deux n'était, finalement, qu'un exemple lancinant parmi tant d'autres. ❧ Je crains fort de ne pas encore être parvenue à trouver ce fameux juste milieu ... Je suppose que tout ceci est encore trop récent, et le fait de continuer d'expérimenter et de vivre de nouvelles choses sans pouvoir m'en épancher auprès d'elle n'arrange en rien ... ❧ Encore une fois, être de nouveau enceinte était de ces choses là, sans être l'unique exemple. Alors Megara s'accrochait autant que possible à l'instant présent, en tentant, au mieux, de ne pas vivre dans les regrets et de ne pas non plus vivre qu'à moitié.

Être là, pour Jeyne, permettait de s'acquitter de cette promesse à elle-même. Cela ne lui coûtait pas et elle ne s'en sentait en aucun cas forcée. Il ne lui fallait que suivre son instinct et sa nature profonde, et peut-être cela avait-il permis à la Nordienne de ne point se sentir manipulée ou uniquement brossée dans le sens du poil par profit et cynisme. Megara était heureuse de pouvoir avoir une belle-sœur telle qu'elle et, désormais, une Reine telle qu'elle. Quelqu'un qui était devenue une précieuse amie ainsi qu'une alliée indéniable. Presqu'une sœur, même. Faire front, ensemble, était mieux que de combattre séparées, d'autant plus si cela pouvait contribuer à ôter une épine du pied de Lyman quant à craindre quelques querelles et rivalités intestines et internes entre son épouse et sa sœur. En observant Sharra, la jeune femme se disait que cette dernière devait parler en connaissance de cause, bien que sa propre situation avait été différente. Elle n'était certes pas issue de la Lignée des Arryn de par le sang, mais elle était tout de même une Valoise, n'ayant alors en rien dû quitter ses terres natales suite à ses noces. Ce qui ne retirait rien à la sagesse de son discours et de son opinion. ❧ J'espère fortement que les médisants apprendront un jour à voir Jeyne telle que je la vois. Pour sûr, mon frère n'aurait pu m'offrir meilleure belle-sœur ! Bien que je n'ai aucune matière à comparer ... Mais, toutefois, je me satisfais de cette situation et ne souhaite en rien voir une autre qu'elle s'afficher au bras de mon frère et ceindre la couronne de consort. ❧ Tant qu'à faire, autant qu'un doute ne réside dans l'esprit de Sharra quant à ce sujet. Non point que Megara se méfie d'elle comme de l'eau qui dort en l'imaginant avoir d'ores et déjà endossée des atours d'espionne, mais elle ne souhaitait jamais que ceux qui importaient à ses yeux puissent se faire une image erronée d'elle, de ses capacités ou de ses ambitions.

Mais, dans le fond, les Sept avaient veillé à ce qu'elle doive tout de même garder pour elle certaines facettes de sa personnalité. Alors peut-être étaient-Ils quelque peu cyniques, comme l'avançait la Reine-Mère du Val, mais Megara n'en confirma rien, comme vivant sous la crainte qu'Ils ne l'entendent et ne se montrent encore plus éprouvants avec elle. ❧ J'ai toujours eu grande foi en Eux. Ils ne m'ont pas toujours épargnée, m'arrachant un grand-père et des tantes avant même d'avoir pu les connaître, puis l'Étranger exigeant son dû quant à mon père et à ma sœur, mais ... Mais Ils m'ont donné deux fils jumeaux, comme pour compenser, et ont de nouveau béni notre union, à Gareth et à moi, avec ce nouvel enfant. ❧ Peut-être n'en étaient-Ils en rien responsables, et peut-être cela avait-il plutôt à voir avec leurs talents, leurs efforts et leur fertilité dans le domaine charnel, à Gareth et à elle, mais cela ne lui coûtait rien de s'en faire une autre idée. Et personne ne pourrait sans doute réellement venir le lui reprocher, car le sujet était finalement bien plus intime et personnel qu'il n'était crucial et essentiel. Et ce même si chaque enfant auquel elle donnait la vie pouvait se voir réclamer un dû par la Couronne de l'Ouest, ne serait-ce que celui de figurer en bonne place dans l'ordre de succession, et d'un jour devoir, comme Lyman, Nymeria et elle, jouer quelque rôle de représentation pour cette même Couronne. Dans des circonstances officielles comme officieuses. Mais ce temps-là n'était point encore venu, ou tout du moins la jeune femme souhaitait-elle qu'il ne survienne pas encore de si tôt. Les jumeaux n'avaient pas encore un an, et elle n'avait pas donné le jour à ce troisième enfant qu'elle attendait. À part baver sur leurs interlocuteurs, leur tirer les cheveux ou s'égosiller sans que cela ne soit compréhensible, les princes de l'Ouest n'étaient capables d'aucune prouesse essentielle ! Ou alors son cœur de mère cherchait-il ardemment à les protéger, comme un bouclier autour d'eux, contre vents et marées ? Cela passait peut-être par ne pas remplir ce même cœur d'une soif de sang et de requêtes létales. Même si Megara ne se sentait pas épargnée par des émotions fort négatives, mais qu'y pouvait-elle ? C'était là réaction parfaitement humaine, et ce même si certains attendaient peut-être d'elle qu'elle ait en priorité des réactions princières, ces dernières ne cadrant pas toujours parfaitement avec la première. La damnatio memoriae, donc ... ❧ Si c'est le prix à payer, alors je n'aurais aucune hésitation ni aucun état d'âme. Non point par fataliste ou désir de martyre, mais parce que, ma mémoire ? Ma mémoire en échange de toutes les autres ? C'est un prix finalement dérisoire, non ? Je suis une Lannister. C'est mon patronyme et ce qui s'y rattache qui doit survivre et perdurer par delà les siècles, l'Histoire et les générations. Non point mon honneur, ma gloire personnelle ou ma simple personne. Mon père était ... Il était tant pour moi, en plus d'avoir été l'être qui m'a le plus aimé au monde. Je lui dois bien cela. Cela, plutôt que le fait d'exiger que le sang ne soit versé. De cela, on ne peut jamais se laver les mains ... C'est tout du moins ce que m'a toujours dit mon oncle Rickard, en me faisant promettre que, si un jour, j'avais besoin d'aide ... ❧ Alors il serait là. Mais elle ne voulait en rien qu'il paie ce prix là pour elle. Alors la damnatio memoriae lui apparaissait mille fois préférables.