"Croître avec vigueur" disaient-ils ...
Les mains croisées sur les genoux Tricia restait silencieuse. Depuis longtemps elle avait saisi le rôle qui était le sien et quelque part … l'appréciait. Bien des enfants n'auraient pas supporté d'être relégués à une place de silence et de convenance. Mais tous les enfants n'étaient pas Tricia, seconde née d'Ardent et Ornella Hightower. Intelligente et naturellement secrète la jeune lady avait tôt compris ces raisonnements-là. On attendait d'elle d'être parfaite, de sourire, de ne pas embarrasser sa maison. Un rôle dans lequel elle excellait. Pour tant il y avait quelque chose à quoi elle ne pouvait se faire, les compliments qui lui étaient faits mais jamais directement. Elle avait l'impression d'être exposée pour que ses parents reçoivent des compliments sur la beauté précoce de leur fille. Le couple Hightower ne pouvait réellement exhiber leur fils comme trophée, alors au moins avaient-ils Tricia. Bien sûr elle se persuadait que tel n'était pas l'agenda de leurs parents. Les choses étaient ainsi telle était sa place, son rôle. Nombre de jeunes ladys auraient aimé être à sa place, naître dans une si noble famille, être si tôt reconnue pour leur beauté. Oui, Tricia en tirait quelques fiertés, mais elle s'appliquait à balayer ses péchés d'égo par la prière …
Son éducation tout entière était rythmée par l'équilibre du couple Hightower. Comme le strict, et attaché à l'étiquette, Ardent la jeune Hightower recevait l'éducation parfaite de toutes jeunes filles de son rang. Histoire, géographie, arts, et toutes ces choses qui pouvaient faire d'une femme une grande Dame. Pour la fierté de ses parents Tricia était appliquée, consciencieuse loin des enfants agités ou indisciplinés dont elle pouvait entre certains membres de la maison Hightower se plaindre. Aussi comme la Dame de Villevieille était pieuse, Tricia suivait une éducation religieuse stricte. Jamais loin de la septa qui la collait comme son ombre, elle s'appliquait à suivre prières et enseignements avec dévotion. Après tout elle était la fille du seigneur protecteur du centre religieux des Sept … elle était fille de la grande tour.
Dans ce tableau réalisait à la perfection pourtant Tricia n'arrivait pas à se concentrer le nobliau qui venait s'entretenir avec ses parents; ou était-ce une amitié remontant à des temps qu'elle ne pouvait qu'imaginer ? A vrai dire elle s'en fichait. La jeune lady Hightower, tout en souriant, effacée, penser à Manny … son grand-frère. D'aussi loin que ses souvenirs remontaient elle n'avait jamais vu son frère autrement que dans une grande souffrance. Le balai de mestres et autres septon avaient toujours rythmé leur vie fraternelle, et lui fendait un peu plus le cœur chaque jour. Du haut ses quelques années, elle aussi essayée de l'aider comme elle le pouvait. Aucun mal ne pouvait être incurable les Sept ne pourraient permettre à Hightower d'être ainsi perpétuellement secoués par des maux invisibles … n'est-ce pas ?
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« Demain tu seras reine … » les mots de sa mère tournaient en boucle entre les tempes de Tricia. C'était vrai, demain elle ne serait plus la jeune lady Tricia Hightower fiancée de Mern IX Gardener … elle serait Tricia Gardener, Reine du Bief et un tout autre monde s'ouvrirait à elle. Pendant toutes ces années elle avait su quel était son rôle, ce que l'on attendait, mais à présent elle n'était plus certaine de rien …
Retranchée dans un palais de silence elle regardait son reflet alors que le monde s'agitait autour d'elle. Le mariage approchait et elle devait être parfaite. Il en allait de leur honneur, de l'image de l'union … mais ne l'était-elle pas déjà … parfaite ? On répétait sans cesse des mots en l'honneur de sa beauté, de son inclinaison pour les arts, et de son esprit quand elle se décidait enfin à prendre la parole. Tricia connaissait par cœur les devoirs d'une lady, elle y avait été préparée. Les devoirs d'une Reine étaient-ils différents ? On avait bien essayé de la rassurer, malheureusement les mots coulaient sur elle comme l'eau sur la roche. Elle n'avait pas été préparée à ça, elle ne savait ce qu'elle devait faire. Où allait se trouver la limite ? Demain toutes les bornes qu'elle avait mémorisées changeront. Elle ne sera plus seulement scrutée par la petite cour des Hightower. Désormais elle sera livrée à la cour des Gardener, là-haut au côté du roi, sous le regard du Bief et de bien d'autres. Le roi, son esprit revenait sans cesse vers le souverain, sera-t-elle à la hauteur ? On la disait belle et d'un bel esprit, mais ses qualités seront-elles aux goûts du souverain ?
Tant et tant de questions se bousculaient et pour la première fois elle n'arrivait pas à trouver de réponses. Quelqu'un en avait-il déjà eu ? Non, aucun être ne pouvait répondre à ses questions. Seules quelques poignées d'individus s'étaient un jour retrouvées dans sa position et aucun n'était là. Quand bien même aurait-elle été entourée de têtes couronnées Tricia serait demeurée silencieuse. Toutes ses peurs ne pouvaient trouver de repos que dans le tribunal intérieur qu'elle s'était construit. Seuls les Sept étaient à même, s'ils le souhaitaient, de l'apaiser. Alors elle ne pouvait que rester silencieuse et faire comme elle l'avait toujours … sourire, se plier parfaitement aux convenances, éblouir par ses manières. Tout cela n'était qu'une pièce, comme elle en avait vu enfant. Une pièce dont elle était un des deux personnages principaux. Une pièce où elle se devait de laisser l'image digne d'une Reine.
Tirée de ses pensées par des bruits de pas et discussions à l'extérieur de ses appartements Tricia retint son souffle. Attention nobles dames et seigneurs … la pièce allait commencer.
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Dix ans maintenant que Tricia coiffait la couronne du Bief et … les questions n'avaient jamais cessé.
Dans son mariage sa majesté avait eu la chance de trouver l'amour. Aux côtés de Mern elle avait su apaiser ses craintes le temps d'un instant. Quand les rumeurs commencèrent à croître l'inquiétude des premiers jours fut remplacée par la peur. La peur d'être rendu à Villevieille, de troquer la couronne contre l'austère tenue des septa ou des sœurs du silence. Malgré toutes leurs tentatives son ventre restait plat, affreusement plat. Pendant toutes ces lunes Tricia avait tout essayé. Elle s'était infligé les pires remèdes jusqu'à en rendre son repas et à se plier de douleur. La reine avait lu et prié à ne plus pouvoir supporter la lumière du jour pendant des heures. Dans le désespoir elle s'était même corrompue. Les Sept, les dieux auxquels elle confiait tout et vers qui elle se tournait toujours en quête de réponse, ne semblaient pas vouloir la bénir. Alors elle était allée trouver une autre solution. Une seule et unique fois, elle avait trahie Mern, trahis ses vœux. Pour ça elle risquait tout, mais n'était-ce pas déjà le cas ? Et aujourd'hui elle ne pouvait qu'affronter l'horrible vérité … l'Etranger habité ses entrailles et jamais elle ne donnerait la vie. Elle était une femme exemplaire, une Reine qui aurait pu être parfaite. Si seulement elle n'avait pas été stérile.
Les années passées et elle était toujours là. Grâce, où à cause, de l'amour de Mern la couronne coiffait toujours sa tête. Aucun enfant ne prendrait leur suite. A tout le moins aucun qui ne fût-ce à eux. Kevan était l'héritier c'était à lui d'assurer la continuité de la maison royale des Gardener. Quant à elle ? Tricia ne pouvait que rester digne et noble. Silencieuse, bien souvent effacée au côté de son mari. Elle n'en était pour autant pas sourde ou idiote. Elle savait ce qui pouvait se raconter dans les couloirs de Hautjardin où dans certaines grandes demeures. Pour tous elle n'était plus rien qu'une reine de beauté. L'égale de la plus belle pierre que l'on continue d'exposer malgré sa fêlure, car son éclat n'a pas son pareil. Pour contrer la solitude qui s'était emparée d'elle Tricia savait pouvoir compter sur Mern, sur ses dames de compagnie et plus particulièrement sur son amie de toujours qui l'accompagnait encore aujourd'hui.
Portant un verre de vin à ses lèvres elle regardait nobles et petites gens mêler. On dansait, on riait, on buvait. L'espace d'un instant toutes les inquiétudes qui étaient nées après Goëville et la recrudescence des tensions sur les frontières avec Dorne et l'Ouest semblaient avoir disparu. Aujourd'hui elle devait accompagner et soutenir Mern dans ses projets. Toujours silencieuse et secrète, elle se donnait pleinement auprès de son époux pour préserver les vertes terres du Bief d'être abreuvées de sang. Quelque chose qu'elle pensait pouvoir réussir si soudain des cris ne l'avait pas fait sursauter. Inquiète-elle tenta de chercher Mern du regard. On parlait de viol, de massacres. Dans la cohue elle pouvait voir le scintillement armes et entendre les cris accompagnant le sang. Sans qu'elle ne comprenne vraiment ce qui se passait Tricia était tiré de force de sa place. Des hommes aux tabards à la main verte l'entouraient et criaient que l'on fasse place épées en main. Comme dans un cauchemar, elle marchait au milieu de son escorte, secouée, ballottée comme une vulgaire poupée de chiffon. Soudain une main posée sur son avant-bras lui arracha un cri. Prête à sortir les griffes elle fondit en larmes en découvrant le visage rouge de colère de Mern.
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Le souvenir de l'horreur du grand bal était encore bien présent. Certaines nuits elle se réveillait en sursaut quand les cliquetis des hommes en armes venaient à traverser sa porte. Un temps elle avait cru trouver le repos. Mais de nouveau les Sept ne semblaient pas vouloir laisser de paix à la maison qui était la sienne à présent.
Tentant de calmer son esprit inquiet elle quitta sa couche, frissonnante au contact du sol froid avec ses pieds nus. Doucement elle laissa l'air frais de la nuit balayer son visage alors qu'elle se perdait à contempler la cité. Les rumeurs de coups d'état et la fuite de Kevan avaient fini de briser tout espoir de connaître une paix proche dans l'esprit de la reine. En voyant son frère rejoindre Mern comme ministre de la guerre la reine avait été un temps persuadée que tout finirait par s'arranger. Quelle sotte. De sombres forces étaient à l'œuvre. Les frontières s'embrasaient et elle ne pouvait rien faire qu'observer. L'homme le plus droit qu'elle n'avait jamais rencontré était un traître. Il s'était accointé avec l'Orage … pire on disait que l'ombre du soleil dornien n'était pas loin. Depuis qu'elle l'avait rencontrée Tricia s'était toujours montrée méfiante, persuadée que Kevan était plus prompt à ressembler aux chevaliers des légendes, mais jamais elle n'aurait pu l'imaginer en traître…
Depuis la fuite de Corcolline la reine était seule à Hautjardin. Le frère et héritier du Roi s'en était allé et après l'abattement que l'on pouvait attendre Mern avait levé une grande armée et marchait à présent vers la guerre. L'étranger étendait l'ombre des conflits sur le Bief et sa famille et Tricia ne craignait plus qu'une chose la perte de Mern ou de Manfred. L'un était son roi, son époux; l'autre son frère et tous deux complétaient le cœur qui battait chaque jour dans sa poitrine. Face à cette réalité la reine savait que jamais elle ne supporterait de les perdre. Seule dans ses appartements Tricia laissa son armure se craqueler. Contemplant le ciel étoilé elle se demandait où pouvait bien être Mern ou Manfred et s'ils étaient en sécurité. Et alors qu'une larme coulait le long de sa joue elle implora les Sept …
« Père … Mère … Guerrier … Étranger … Épargnez le Roi et le Bief. La foi est puissante en notre royaume … » Ecoutaient-ils seulement ?
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Jamais la reine n'avait souvenir d'avoir renvoyé une image aussi négligée. Le visage vieilli elle se tordait les mains, incapable de trouver le sommeil. Voilà des jours qu'elle n'avait pas trouvé le repos. Le cri sourd qui avait vrillé sa gorge en apprenant l'horreur résonnait encore en elle. Aucun son n'était sorti à ce moment-là; pas plus face aux seigneurs qui se succédaient pour assurer leur fidélité et leur soutien. Même dans l'intimité de ses appartements, où les mestres usaient de boissons pour calmer, sa peine et l'aider à trouver le repos. Tricia n'avait plus de voix, à vrai dire elle n'avait plus rien. En l'espace d'un instant tout s'était effondré. Mern n'aurait pas dû mourir. Pouvait-on laisser un prisonnier de son rang succomber à ses blessures ? Même entre les mains de l'Orageoise il était Roi et devait … aurait dû être traité comme tel. Le Roi était mort et il n'y avait nul Roi à qui offrir de viva. Seule restait Tricia la belle reine du Bief, stérile, dépositaire d'un pouvoir qu'elle savait ne pouvoir préserver. Pour le moment les prédateurs étaient distraits par l'appel de la vengeance, mais elle ne se faisait pas d'illusion. Comme Reine elle n'avait jamais réellement exercé le pouvoir, elle ne disposait pas de soutiens suffisants et d'aucune légitimité. Ses jours étaient comptés. Elle ne pouvait qu'attendre. Son cœur meurtri hurlait qu'elle devait s'enfermer dans sa peine, mais la raison d'état devait dicter ses choix …
La main tremblante elle n'écoutait rien de ce qui pouvait se murmurer autour d'elle. Pour quelques instants la fine couronne sur sa tête était sienne. Pour l'intérêt du royaume elle s'en était remise à celui dont elle avait le plus confiance … Manfred. Elle l'avait choisi lui pour mener la guerre, pour venger le Roi? Pour celui qui partageait son sang elle s'apprêtait à tout abandonner. Manny avait raison, elle était cernée par des seigneurs bien plus puissants qu'elle. La couronne qu'elle portait n'était plus rien qu'un risque.
« Mieux vaut que ce soit moi … » Des mots murmurés qu'elle se répétait. Il avait raison. Reine stérile, dernier vestige d'une maison au souverain emporté par l'Etranger et à l'héritier félon, elle était un poids. Un danger dont on voudrait se débarrasser en l'envoyant servir la foi des Sept où pire. En temps de guerre bien des malheurs pouvaient frapper. Alors la reine qui n'avait plus comme pouvoir que sa beauté et son bel esprit était une candidate idéale pour le prochain passage de l'Etranger sur les nobles têtes du Bief …
Silencieuse elle inspira profondément. Ce qu'elle s'apprêtait à faire n'était pas seulement pour elle mais bien pour le Bief. Dans la disposition actuelle des choses jamais elle ne parviendrait à maintenir le royaume qui était si cher à son époux. Pour le bien du Bief elle devait abandonner sa couronne. Un abandon qui lui offrirait la protection de son illustre frère, le noble et illustre général. D'une main légèrement tremblante elle signa.
C'était fait. D'ici ce soir tout le palais saurait. D'ici demain elle ne serait plus que lady Tricia Gardener, veuve et ancienne Reine du Bief. Souveraine déchue par la force des choses …. Une ancienne reine qui avait failli à son devoir.
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« Mieux vaut moi qu'un autre … » « C'était la seule chose à faire Tricia … ton frère plutôt qu'un autre … » Les mots de Manfred et de ses parents tournaient sans cesse, l'empêchant de dormir. Depuis son abdication Tricia avait fuit Hautjardin. D'abord dans les terres de l'Ouest où elle avait appris les victoires et le couronnement de frère. Puis à Villevieille. Par la grâce du Roi elle était Dame de Villevieille. A présent c'était à elle de veiller sur le fief de sa famille. Il avait réussi. Il s'était dressé au plus haut et avait dans le même temps écarté ses parents dans leurs propres terres. Non. La peine la faisait divaguer. Manfred ne pouvait être si calculateur … pas avec elle. Vraiment ?
Se laissant aller à un mouvement de colère elle balaya d'un revers de la main tout ce qui se trouvait sur son secrétaire. Pendant des lunes et des lunes elle s'en était remise aux Sept vivant son deuil comme une reine devrait le faire. A Villevieille elle avait cherché une nouvelle raison de continuer, d'avancer, mais invariablement la même réalité lui revenait au visage. Elle était un trophée, un joyau encombrant que l'on continue d'exposer en attendant d'en avoir un plus brillant. Et justement Manfred venait d'en avoir un avec sa princesse Hoare. Quelques mois à peine après son couronnement voilà qu'Eren offrait au Bief un enfant. Une fille serte, mais c'était déjà plus que ce qu'elle n'avait jamais pu faire et ce premier enfant ouvrait la voie à d'autres. La princesse Ceryse marquait une douloureuse réalité. La tour de sa famille était un mouroir. Tricia gardait le siège familial chaud en attendant qu'un enfant ne prenne sa place.
Rien ne l'attendait à Villevieille voilà ce qu'elle avait compris en quittant les terres des Lannister. La jalousie commandait-elle son âme alors qu'elle observait sa ville depuis la Tour ? Non, pas vraiment. Oui quelque part elle enviait Eren d'être aujourd'hui une mère. Elle ne comprenait pas que la Mère puisse bénir la sanguinaire fer-née. Mais en dehors de ça elle n'enviait pas le pouvoir qui était à présent celui du couple royal. Mais ce qui torturait véritablement son âme était la colère née quand elle avait commencé à ouvrir les yeux. On lui avait tout arraché son époux, son foyer, la couronne qu'elle avait porté avec dignité pendant une décennie. On avait disposé d'elle comme d'une simple œuvre que l'on retire de son cadre pour la ranger dans un endroit moins lumineux. L'espace d'un instant elle aurait aimé de la compassion. Que les seules personnes à lui donner l'impression de partager sincèrement son deuil ne soient pas uniquement ses dames. Que le temps s'arrête pour qu'elle puisse répondre à la question pour laquelle elle avait répondu trop rapidement … Mieux valait-il que cela soit son frère ? Vraiment ?
Alors qu'une de ses dames, attiré par le bruit, faisait son apparition, Tricia se détournait de sa contemplation. Lissant les plis de son élégante robe verte elle adressa un triste sourire à celle qui l'avait accompagné ici.
« Il est temps … » murmura-t-elle presque pour elle-même. Elle devait avancer, le temps du deuil et de la toute-puissance de son tribunal intérieur était terminé. Tricia savait ce qu'elle devait faire, quoiqu'en puisse dire sa mère. Bientôt elle partirait pour Hautjardin, elle rendrait ses hommages au couple royal et à la princesse sa nièce … et quoi qu'il arrive cette fois c'est elle qui tiendrait les rênes.
* * * * *
Pour la deuxième fois depuis la disparition de Mern l'ancienne reine du Bief avait pris les rênes de sa vie. Il avait fallu l'entrée dans sa vie de Jon pour que bien des choses changent. D'abord elle avait retrouvé un sourire sincère alors que le poids qui comprimait sa poitrine se faisait plus léger. Puis elle avait un peu plus ouvert les yeux. Retrouver un amour auprès de son épée lige, de son protecteur, avait été le déclic dont elle avait besoin. Hautjardin ne représentait plus rien. Elle était le territoire de Manfred et d'Eren. Elle souriait, restait digne, avait enduré les humiliations discrètes de la reine et de la cour. Elle avait tout tenté pour satisfaire le désir d'entente de son frère. Mais elle réalisait maintenant que dans cette nouvelle pièce elle n'était rien de plus qu'un personnage dont on pouvait se passer, dont on se servirait. Si Manfred l'emportait elle serait sûrement mariée comme récompense à un général veuf à la descendance déjà assurée. Mais s'il venait à perdre alors les Sept auraient son âme d'une manière ou d'une autre et ça Tricia ne pouvait pas l'accepter. Villevieille n'était à ses yeux plus rien que le théâtre d'une autre pièce. Là-bas aussi elle était une marionnette. La pauvre reine déchue veillant sur le centre de la foi en attendant d'un prince royal puisse se charger de la tâche. Aussi dur que cela puisse être il n'y avait plus rien pour elle au Bief. Pas dans l'état actuel des choses en tout cas. Le visage couvert sous une capuche crasse la dame de Villevieille jeta un regard à Jon. Elle avait l'impression qu'il n'avait pas cessé de fixer la porte de leur cachette, main sur la poignée de son arme. Cachés dans la cale d'un navire de commerce ils fuyaient. Ici elle n'était véritablement plus rien … si ce n'est pourchassée. Car Tricia ne se faisait pas d'illusions Manfred chercherait à la retrouver et avait déjà dû lancer ses chiens sur sa piste.
La décision de fuir n'avait pas été prise à la légère et réaliser que rien de bon ne l'attendait en ses terres natales n'était pas ce qui avait motivé son départ. L'amour ? En partie oui. La colère et la peine ? Oui, ils en étaient son moteur. A mesure que le conflit embrasait de toute part le continent et qu'autant Manfred et Eren semaient la mort sur leur passage, Tricia en était venue à se convaincre. A se convaincre qu'elle avait été manipulée depuis le début par celui en qui elle avait le plus confiance. Au début elle avait refusé d'apporter du crédit aux murmures colportés par ceux qui lui étaient encore fidèles. Puis les murmures s'étaient faits plus précises et elle en était venue à douter. Douter de tout, de tout le monde ou presque. Alors elle avait fui, ne prenait soin que de laisser un mot qu'à celles qui l'avaient accompagné depuis que la couronne avait été posée sur sa tête. La fuite pour la vie …