Le trajet entre Herpivoie et Fort-Darion n’est qu’une affaire d’un jour. Pourtant, je ne verrais pas cette forteresse avant quelques jours. Le convoi de ravitaillements que j’ai rassemblé à la hâte, sur ordre de l’Empereur, est la raison principale de ce retard. Autant de vivres, de foins et d’autres matériaux nécessaires à la survie de nos armées ne peuvent que ralentir les différents chariots – et donc toute la joyeuse et impatiente compagnie. Mon regard perdu sur un paysage bien vert, fertile et riche, je ne me surprends à rêvasser des terres de mon premier époux, et notamment à nos discussions. A n’en point douter, il aurait aimé s’allonger sur cette herbe, au bord du Trident, et simplement apprécier les rires des enfants ou mes longues réflexions sur la façon d’améliorer son domaine – ou celui de Fort-Darion. Je n’ai jamais su, véritablement, pourquoi il m’a accepté comme épouse – en sachant pertinemment que j’étais déjà enceinte d’un autre – et comment il a pu aimer Benjen comme son propre fils – et acceptant qu’il soit son héritier, de surplus !. Deux questions que je n’ai jamais osé poser, deux questions qui me taraudent à quelques occasions.

Une secousse légère me ramène à ce présent auquel je tente d’apporter ma pierre – et d’en être fondamentale, même. Mon regard se pose naturellement à ma compagne du jour, Mina Swann. Mère et veuve à un jeune âge, j’ai vite eu une affection particulière à son égard. Enfin, depuis son établissement à Fort-Darion, en tant que représentante de l’Orage au sein du Collège Impériale, un fort lien s’est tissé entre elle et moi. Jeune, et plein d’avenirs, je me surprends à lui offrir quelques conseils judicieux sur telles ou telles affaires ou encore à l’écouter sur des sujets variés et divers, sans la moindre arrière-pensée. D’une certaine façon, je la vois comme une élève. Je ne suis pas stupide, à croire que je vivrai longtemps et éternellement, ou que je serais constamment présente aux côtés de mes enfants – il suffit de prendre le cas de Benjen. Et je le suis encore moins à croire que mes enfants survivront sans moi. Il est bon ton d’apporter de véritables amis à ce cercle intime, des hommes et des femmes qui pourront me suppléer le temps venu – soit en étant des confidents, soit en étant des protecteurs.

- Nous avons échappé à la catastrophe, grâce aux Dragons de l’Impératrice. L’Empereur ne pensait pas que le Val sortirait de sa réserve, lui confiais-je. Cependant, penses-tu que l’Impératrice pourrait continuer, aussi longtemps, à parcourir le continent d’un bout à l’autre ?

Pourquoi est-ce que je pose la question à l’Orageoise ? Parce que si je connais bien Torrhen, l’affaire est plus tendue avec Rhaenys. Cette dernière semble, en tout cas, faire suffisamment confiance à la blonde pour lui confier ses enfants.  L’inquiétude peut s’entendre à ma voix. Nul stratagème là, si ce n’est la crainte naturelle face à une Dragonne. Que se passera-t-il si elle tombe au combat ? Qu’arrivera-t-il si les pertes propres à une guerre – fausse couche, proche, ami, voire époux – la changent et la détournent de son idéal initial ?

Comme j’aime le dire à Torrhen, les jeunes couronnes sont malléables et les vieilles couronnes sont fidèles à la guerre. L’Impératrice est jeune, et peut changer, là où l’Empereur est marqué par l’âge et ne changera pas – qu’importe qu’il ait tort, ou raison. Par conséquent, la première est imprévisible, là où le second l’est moins.

A la seule différence que la blondinette chevauche un dragon …

Mina avait reçu la missive de Torrhen et si elle avait été heureuse de découvrir la victoire de l'Empire sur les Valois et sur les Bieffois dans les quelques lignes que l'Empereur lui avait adressé, elle se questionnait grandement sur la dernière partie qui consistait à avoir une discussion en tête à tête à propos de l'Orage. Était-ce une bonne ou une mauvaise nouvelle ? Ou peut-être le mélange des deux. Elle ne pourrait pas le savoir tant qu'elle n'aurait pas eu l'occasion de voir le fondateur de la maison Braenaryon et en attendant, elle avait de nombreuses choses à s'occuper pour pouvoir préparer au mieux le voyage des deux jeunes enfants impériaux. Depuis de nombreux mois, maintenant, elle jouait un certain rôle à leur côté, celui de gouvernante pendant toute la campagne de l'Empereur dans l'Orage, dame de confiance auprès d'eux depuis qu'elle était de retour à Fort-Darion, elle avait une affection toute particulière à leur égard. Elle avait une place toute particulière à leurs côtés et elle avait été heureuse que cela soit mis en avant dans la missive que Torrhen lui avait adressé, avant de lui rappeler son devoir auprès de la couronne des Durrandon. Herpivoie n'était pas loin et le séjour ne devait pas pas s'éterniser sur plusieurs semaines donc après s'être occupé des jumeaux pour le déplacement, elle les avait laissé partir avec Lord Chyttering attaché à leur sécurité. Elle était allée embrassée ses propres enfants puis elle avait rejoint le convoi.

La jeune femme de l'Orage retrouva alors Lady Nelya Omble et après l'avoir salué, elle prit place à ses côtés dans le chariot qui allait les emmener jusqu'à l'armée basée à Herpivoie et également auprès de ses Majestés Impériales. Mina était consciente de la chance qu'elle avait eu d'être d'une certaine façon prise en main par l'intendante de Fort-Darion. Toutes les deux avaient un parcours plus ou moins identiques, bien que l'âge venait à différer, donnant ainsi plus de maturité à la sublime femme qui l'accompagnait, mais elle espérait pouvoir suivre ses pas et avoir autant de prestance, d'allure, de grâce mais tout en démontrant une certaine fermeté et un sens du devoir parfait. Elle était une véritable source d'inspiration. Et surtout, elle était un véritable soutien au cœur de la Cour Impériale pour une jeune femme qui était une étrangère, elle, venue du Bief, mariée dans l'Orage, aujourd'hui sur les Terres Impériales, et peut-être plus tard encore plus loin ailleurs, si Daemon Cerwyn venait à tenir sa promesse. Elle se perdit longuement dans ses pensées et elle sursauta presque quand elle entendit la voix de Nelya juste à côté d'elle. Elle prit le temps de la réflexion avant de lui répondre. « Il est certain que nous avons échappé au pire et il faut espérer pour nous tous que ce soit ainsi sur l'ensemble des différents fronts. » Elle tourna le visage vers Nelya et ses traits s'assombrirent alors, elle se mordit la lèvre un instant avant de soupirer. « En toute franchise, je ne pense pas non … Si l'Empereur me l'a confié à moi, il a bien dû te le confier également. Ils ont perdu leur enfant à naître, je pense que c'est une blessure qui ne pourra pas se refermer facilement, si elle parvient à se refermer un jour … Je pense que le cœur a été malmené, mais tant que la tête tient, le reste suivra, mais si elle craque … Je ne saurai dire ce qu'il se passera après. » Elle soupira tristement.

- Les nouvelles sont bonnes de Vivesaigues, et de la Principauté de Dorne, commençais-je. Malheureusement, elles sont plus confuses pour l’Orage.

Je scrute la blonde vis-à-vis de cette dernière annonce. Si l’Orage tombe, alors l’Empire peut trembler. Mahée Allyrion sera isolée définitivement, et Torrhen et Rhaenys Braenaryon auront échoué à protéger la Reine Fédérée. Elle est un symbole : la seule Souveraine ayant signé volontairement la Constitution, une Souveraine non auto proclamée par l’Empereur ou par une bande de soldats rebelles et surtout une Souveraine n’étant pas liée par le sang aux pouvoirs impériaux. Mon regard échoue, quelques secondes, sur les hautes montagnes du Val. Pourquoi avoir choisi l’ersatz de l’empire Hoare, au lieu de notre modèle ? Qu’est-ce que Manfred a davantage à offrir que nous ? Nous aurions pu gagner si ce Faucon, et ces Lions, étaient restés neutre … Je reporte mon attention sur Mina.

- Elle approchait de son terme, n’est-ce pas ?

Une fausse couche n’est jamais un deuil facile. Nous avons à pleurer un enfant que nous ne connaitrons jamais. Soit il est une flaque de sang, si la mère le perd avant que son ventre ne s’arrondisse. Soit il est un être difforme, amené mort au monde par une mère agonisante et désespérée. Me rappelant plus ou moins de l’état de l’Impératrice avant son départ pour la Principauté, je devine aisément sa peine et sa douleur : n’était-elle pas, quasiment, à terme ? Malheureusement, la tristesse est vite supplantée par la crainte. Rhaenys a un caractère entier, faisant d’elle un pivot et un danger pour l’Empire. Sa vision extrêmement tranchée et nette du monde me semble extrêmement inadapté aux affaires politiques. Pourra-t-elle accepter la reddition future du Val et de l’Ouest, lorsque l’Empire les mettra pied au mur ? Acceptera-t-elle de renouer avec Jeyne Lannister, lien futur et essentiel entre l’Empire et le futur Ouest Fédéré ? Pourra-t-elle outrepasser ses émotions, en tant que mère, et accepter ses actuels ennemis comme futures et nouvelles alliances ? J’en doute fortement. Et ce sentiment se renforce avec cette fausse couche.

- Je ne partage pas ton avis, Mina. L’Impératrice est une femme de cœur, avant tout. Si le cœur est brisé, alors je crains le pire pour elle, pour nous, pour notre idéal. Dès lors, nous devons surtout savoir comment apporter un peu de réconfort à cette âme malmenée. Est-ce en l’entourant de ses enfants ? Est-ce grâce à l’Empereur ? A moins que ce ne soit un tout autre type de réconfort, conclus-je, laissant cette dernière réflexion en suspens.

Les gens de Peyredragon sont réputés pour avoir des mœurs aussi libertines que celles de la Principauté. Un court instant, je repense à ma dernière discussion avec Torrhen et notamment son aventure avec Isla Chelsted – cousine de l’Impératrice, si je ne me trompe pas. Est-ce que la Souveraine acceptera une telle relation ? Ai-je, à craindre, la fureur d’une femme faisant le deuil d’un enfant mort-né si l’on veut – et apprenant que son époux batifole ailleurs ? Mes traits se crispent, un tantinet. Certes, les jeunes couronnes sont malléables. Malheureusement, certains événements nous échappent et rendent la tâche impossible.

- Dès que nous arriverons à Herpivoie, penses-tu que tu pourrais vérifier, par toi-même, si nos craintes sont fondées ou non ?

Quoique les hommes et les femmes disent, ou pensent, l’Empire des Royaumes Fédérés n’est pas une affaire de subordination mais d’entente. Nous mettons en commun des ressources, et des têtes, pour atteindre des objectifs communs. Nous apportons une cohérence aux actions des uns, et des autres. C’est là, notre force.

Mina était consciente qu'elle avait d'une certaine façon choisi à un certain moment, de privilégier son rôle auprès des jumeaux impériaux pendant toute la campagne de l'Orage puis après quand elle les avait suivi sur tous les trajets jusqu'à Fort-Darion. Quand elle était revenue dans la capitale, elle devait être là à nouveau pour pouvoir défendre le royaume cher à son cœur, le royaume où elle avait eu ses deux magnifiques enfants et où elle avait vécu de très belles années. Mais au final, elle avait l'impression de ne faire que figuration dans cette Cour, et encore pire au Collège Impérial. Torrhen lui avait confirmé que c'était normal, que la guerre avait appelé tout le monde ailleurs et que les choses finiraient par changer, mais ni l'un ni l'autre ne savaient quelle tournure cela allait prendre. Et le sentiment était de plus en plus fort dans sa poitrine, celui de la culpabilité de ne pas avoir entretenu le contact avec sa Majesté Argella Durrandon. Elle ne l'avait pas fait car elle la savait en guerre et ne voulait risquer de la compromettre d'une quelconque façon que ce soit, attendant les ordres de cette souveraine devenue lointaine. Puis, elle ne l'avait pas fait, tout simplement par insatisfaction, peut-être une pointe d'orgueil, finissant par apprendre les grands changements de l'histoire par les racontars de la Cour, mais jamais une lettre ne lui avait été adressé. Même pas quand elle s'était mariée.  Alors, elle ne doutait pas que l'Intendante de la capitale impériale était bien plus au courant de la situation qu'elle ne l'était réellement, mais elle essaya de garder ça pour elle en détournant le regard. « L'Empereur t'a-t-il dit quelque chose au sujet de l'Orage ? »

Puisqu'elle en parlait, autant sauter sur l'occasion d'en savoir un peu plus. Quand la question de la grossesse de Rhaenys fut aborder, et qu'elle lui demanda si elle était pratiquement arrivée à son terme, elle ne fit que de le confirmer par un hochement de tête. Instinctivement, elle posa sa main sur son ventre, bien qu'elle n'avait plus été enceinte depuis plusieurs mois, elle n'arrivait pas à s'imaginer l'horreur que cela pouvait être de perdre son enfant juste avant la naissance. Elle avait bien failli manquer de connaître elle-même la situation alors qu'elle était à huit mois de grossesse et qu'on lui avait annoncé le décès de son époux. Mais à la différence de l'Impératrice, elle avait eu la possibilité de rester clouer au lit, le mois restant et même si elle ruminait le choc, elle n'avait pas mis son corps à contribution de façon excessive et elle avait eu la chance de voir son fils naître. Sinon, elle était presque certaine qu'elle se serait laissée mourir. « Sans doute, as-tu raison … Les époux ont été séparés longtemps, elle n'a pas eu l'occasion de voir ses enfants non plus. Peut-être que de se retrouver en famille permettra de l'aider sincèrement, de se rappeler ainsi que certains étaient encore en vie et qu'il faut pas laisser passer sa chance de les avoir. Ou cela peut l'enfoncer un peu plus dans le cauchemar, d'être fautive pour ce qui est arrivé … Je ne saurais dire comment elle va agir à présent, chacun vit un tel drame à sa façon. Dans tous les cas, je prie pour elle, je prie pour eux ... » Elle se tourna lentement vers Nelya, la surprise se lisant dans son regard. « Moi ? Pourquoi penses-tu qu'elle accepterait de me voir, plus que toi ? »

- Les nouvelles au sujet de l’Orage sont extrêmement floues, même pour l’Empereur. Je ne connais pas assez les arts de la guerre pour me prononcer sur la situation. Je ne veux pas me prononcer, de peur de partager une interprétation erronée, répondis-je, la mine sincèrement contrite.

Femme intelligente – et brillante même –, je déteste admettre en public que je ne maîtrise pas certains sujets. Evidemment, de telles considérations sont stupides : aucun homme ou femme ne peut tout connaître, incluant les Mestres les plus érudits de la Citadelle. Pourtant, l’orgueil est toujours un brin malmené par de tels aveux.

- La Reine Argella ne te communique donc rien au sujet de la guerre, conclus-je, avec un ton plein de réflexion. Sais-tu si Argella sait résister face à la pression exercée par le Bief ?

Il est étrange, voire de très mauvais augure, si l’un des Souverains ne communique pas efficacement ou de façon transparente avec sa représentante au Collège Impérial. Si beaucoup pourrait croire que c’est la preuve d’une confiance totale entre les deux figures d’autorité, l’âge et l’expérience me soufflent le contraire. Est-ce la preuve d’une certaine indifférence de la Reine vis-à-vis des décisions collectives ? Est-ce le signe d’une certaine méfiance, ou résignation, à l’égard de notre modèle ou de son propre représentant ? Si l’Orage rejoint le mécontentement silencieux du Nord, il est grand temps de réfléchir à ce problème – et la résoudre. Si Mina n’est pas la représentante voulue par Argella, alors nous devons trouver une remplaçante à la première – et surtout un rôle adéquat aux talents de Mina. Dans tous les cas, avec la défaite de l’ennemi au Trident, nous sommes si près du but – réunir ces grandes bannières sous celle du Loup et du Dragon !

- Nous pouvons prier, effectivement, soufflais-je.

Je ne peux pas m’empêcher de repenser à la dernière conversation avec Torrhen. J’ai eu suffisamment de temps pour réfléchir à leurs arrangements, dans le secret de leurs intimités, et leurs implications. J’ai déjà eu l’idée de quelques mesures discrètes mais nécessaires pour conserver autant que possible la probité du couple impérial, aujourd’hui comme dans les années à venir. Il me faut maintenant l’aval des principaux concernés. Evidemment, la question n’a pas lieu d’être traitée maintenant, alors que l’Impératrice pleure encore son enfant mort-né. A moins, qu’au contraire, l’affaire est urgente. Comment va-t-elle réagir lorsqu’elle apprendra que son mari est allé chauffer la couche d’Isla ? Va-t-elle approuver ? Va-t-elle être déçue pour quelques raisons mystérieuses ? Inconsciemment, ou consciemment, est-ce que l’affaire va creuser une distance entre les époux ? Ce cas de figure m’effraie considérablement car, à mes yeux, Torrhen reste le roc même de ce duo – là où Rhaenys est la passion et le feu. Je n’ose pas imaginer l’avenir du continent, lorsque le loup ne remplira plus ce rôle auprès de la Dragonne et qu’elle sèmera alors le feu partout …

Le risque est infime, mais réel – et pointé à juste titre par nos principaux détracteurs.

- Si j’ai un lien privilégié avec l’Empereur en raison de mes origines nordiennes, j’ai moins d’affinité avec l’Impératrice. Le premier peut me confier ses enfants, mais je doute que ce soit le cas pour la seconde. Je leur suis fidèle, et ils le savent, mais en tant que mères, toi et moi savons que ce n’est pas toujours suffisant. Par contre, toi, tu as eu leur approbation commune. Tu as, d’une certaine façon, gagné toute leur confiance.

Nulle jalousie ne transparaissait dans mon ton, car il n’y en a aucune. Mina est une femme brillante qui a su agir convenablement. En prime, elle ne lorgne pas sur mon titre, elle n’insulte pas mon rôle pour mon sexe et, surtout, elle ne me juge pas sur base de quelques immondes rumeurs à mon sujet. Je la vois davantage comme un soutien dans ces jeux de cour, que comme une concurrente, un danger ou une nuisance.

- L’Impératrice pourrait vouloir voir ses enfants, avant d’accepter de me recevoir. Il se peut donc que tu la vois bien avant moi, que tu discutes avec elle et que tu puisses juger par tes propres yeux.

Ou alors l’Impératrice n’aura absolument pas le temps de s’entretenir avec moi, parce qu’elle doit s’envoler auprès de son alliée Mahée Allyrion, ou parce qu’elle doit se reposer suite à une telle perte.

Nelya était depuis plusieurs mois l'Intendante de Fort-Darion et depuis que Mina avait fait son entrée dans la Cour de la capitale impériale, elle avait toujours vu la femme du Nord occupée cette fonction. C'était une chose d'être représentante de l'Orage au Collège, mais c'était tout autre chose de devoir gérer la capitale d'une puissance comme la leur où tout le monde venait à se croiser, chacun ayant sa propre culture, sa propre religion, sa propre façon de penser, et d'agir, et cela pouvait parfois venir à s'opposer les uns entre les autres, car la vision était diamétralement opposée. Elle devait jongler avec tout cela, gérer l'ego de tous, leurs demandes, leurs exigences bien souvent, celles des Rois et des Nobles qui venaient là, gérer aussi l'aspect technique du ravitaillement ou de la survie du château et de ses occupants, mais aussi des soldats qui venaient à se rassembler ici pour ensuite aller à la conquête ou à la reconquête de Westeros. Donc, il n'était clairement pas étonnant pour la jeune lady de l'Orage que l'Intendante impériale soit directement au courant de ce qu'il se passait, même plus qu'elle ne l'était. Mais aujourd'hui, alors qu'elle était en train de lui dire quelques mots sur la situation de l'Orage, Mina se sentait d'une certaine façon vexée qu'elle puisse en savoir plus qu'elle sur ce qu'il se passait à des milliers de lieues d'ici. Même si elle n'était devenue orageoise qu'une fois qu'elle avait épousé Béric Swann et qu'elle avait obtenu le titre de représentante qu'en souvenir de son défunt mari et de l'affection qu'Argella Durrandon pouvait avoir pour lui, elle n'en restait pas moins un peu amer de savoir qu'elle avait été entretenue des dossiers brûlants alors que Torrhen était resté extrêmement discret la dernière fois qu'ils s'étaient vus. Certes, il avait été plus clair dans sa missive, lui demandant de venir et pas seulement pour accompagner les enfants auprès de leurs parents, mais cette fois, elle désirait des réponses sincères. Elle n'était pas juste là pour faire figuration, sinon, autant qu'elle rende sa place à sa Majesté et qu'elle trouve une autre fonction au sein du château ou qu'elle ne rentre tout simplement chez elle.

Mina resta silencieuse un long moment, jusqu'à ce qu'elle lui demande si Argella partageait des informations avec elle. Son visage se crispa et ses mains se serrèrent l'une contre l'autre. « Sa Majesté ne m'a rien écrit depuis que je l'ai quitté dans l'Orage. Pas une lettre, pas même quelques mots écrits à la va-vite sur un bout de papier. Rien.  » L'amertume venait à se ressentir pleinement dans sa phrase, mais elle ne parvenait plus à cacher son désarroi face à tout ça. « Je n'ai nullement failli à ma tâche, ni même offensée sa Majesté, je crois qu'elle est trop occupée pour avoir le temps de partager les éléments avec moi. Au Collège, il n'est pas forcément question de traiter des troupes, de leurs positions et des batailles à mener … Mais l'Empereur ne m'aurait pas demandé de venir pour discuter de l'Orage si la situation n'était pas urgente.  » Elle voulait dissiper immédiatement tous les possibles malentendus avec Nelya, qu'elle ne puisse pas s'imaginer qu'elle était le problème et qu'Argella s'était détournée d'elle. La jeune femme était d'une dévotion extrême et elle n'aurait jamais trahi la Reine ou le couple impérial. Cela ne pouvait pas s'envisager un seul instant. « La Reine de l'Orage possède un tempérament … Extrêmement impulsif. Je ne sais si elle peut résister à la pression du Bief, j'ai bien plus peur qu'elle ne fonce tête baissée la première ...  » Et qu'elle se mette alors dans une situation tellement inextricable. Elle resta silencieuse, des prières, elle en avait fait de nombreuses, jour après jour, elle priait en effet pour beaucoup de personnes et pour beaucoup de situations, elle priait pour qu'un jour ils obtiennent la paix et qu'ils puissent tous en profiter. Elle se tourna vers Nelya et elle eut un pauvre sourire en sa direction. « Si j'ai la confiance, le droit à l'erreur m'est pleinement interdite, je n'aurai de seconde chance.  » Et cela lui mettait une certaine pression. « Nous verrons bien ce qu'il se passera à notre arrivée, mais j'avais plutôt imaginé Kora emmener les enfants auprès de l'Impératrice et les laisser tranquille. Je ne veux guère m'imposer, surtout dans un moment aussi tragique pour eux.  »

- Avec tout le respect que je dois à votre Souveraine, elle manque cruellement de vision et de sagesse. Naturellement, il est important de gérer la défense de son territoire mais la fonction d’une Reine, ou d’un Roi, ne se cantonne à la sphère militaire. Il est tout aussi crucial d’assurer la succession et l’héritage de sa lignée et de son royaume, en cultivant ses alliances, en mettant en place des décrets convenables ou en instruisant convenablement ses seigneurs de quelques dispositions particulières, soulignais-je, faisant implicitement référence à cette crise dynastique qui pointe son nez vis-à-vis de la maison royale de l’Orage. La Reine Argella met en danger tout son royaume – et les générations futures – en retardant son mariage et en s’entêtant à suivre sa propre politique. Tu n'es pas une suppléante au collège impérial : tu es une représentante. Si sa Majesté la Reine Argella ne prend pas la peine d’écrire et faire entendre sa voix, tu auras à prendre des décisions directement.

La situation liée à l’Orage commence sincèrement à m’agacer. Si je n’y comprends rien aux arts de la guerre, je ne comprends toujours pas ce résultat au vu des nombreuses ressources données et envoyées sur ces terres – en termes d’approvisionnement, comme d’hommes. Le Roi Manfred gagne toujours plus de terrains, et la Reine Argella toujours davantage ….

- Il se peut que nous allons avoir beaucoup à discuter, dans les prochains jours. Si l’Empereur te dérange pour s’entretenir sur ton royaume d’adoption, alors nous devons craindre le pire assurément, soufflais-je, le ton clairement agacé. La Maison Durrandon est un symbole important, pour l’Empire. Elle est une maison royale ayant signé librement la Constitution. Lorsque le monde nous critiquera pour avoir défait des maisons royales et anciennes ou les avoir soumis par la force et le sang, la maison des Cerfs sera notre bouclier. Du moins, c’est ainsi que je vois l’affaire. Comprends donc à quel point j’accorde de l’importance à cette Souveraine, malgré mes propos critiques, confiais-je, offrant une mine renfrognée malgré moi. Si nous ne pouvons pas la protéger car nous n’avons pas ces armées, toi et moi devons en protéger l’héritage d’une façon ou d’une autre. Autrement, le sacrifice de tous ces braves hommes face aux Puissances Centrales et autres ennemis de l’Empire et des Royaumes Fédérés sera vain …

Malgré moi, je pense à Benjen, à Walton et à Jon. Mon esprit glisse vers l’Ouest, pour la belle Jeyne. Enfin, quelques secondes, je revois les figures floues de Rickard, Lucan ou Conrad. Un soupire s’échappe d’entre mes lèvres.

- As-tu eu de plus grandes ambitions, au sein de l’Orage ? Aujourd’hui, nourris-tu davantage d’espoir au sein de l’Empire vis-à-vis de ta condition ou de celle de tes enfants ? , demandais-je, subitement. Je sais déjà la réponse, mais je veux l’entendre. Il est tout aussi honorable de garder les enfants impériaux, et s’assurer de leur bien-être. Je veux savoir, Belle Mina, quelles sont tes aspirations.

Mina comprit bien vite aux paroles de Nelya, que la souveraine actuelle de l'Orage, la Reine Argella Durrandon, était clairement en train d'inquiéter, ou pire, d'agacer profondément l'Intendante de Fort-Darion. Et pour tous ceux qui côtoyaient la Cour Impérial, ils avaient conscience que la place qu'elle occupait, était une véritable marque de reconnaissance de la part du couple Braenaryon, car il fallait une grande confiance en la personne qui gérait les lieux, autant que les intrigues qui pouvaient se dérouler à l'intérieur, et elle était une alliée de choix, et de longue date de Torrhen. La jeune lady de Pierheaume comprenait que les deux avaient dû discuter du cas d'Argella et que les mots qu'elle avait aujourd'hui prononcé face à l'une des représentantes de cette dernière, avait déjà du être prononcés en présence de l'Empereur, avec peut-être la même hargne. « Argella est ... » Comment pouvait-elle la qualifier ? Elle lui avait dit un jour qu'elle était la main de fer et que Mina représentait le gant de velours, qu'elle pourrait toujours être celle qui viendrait à arrondir les angles, quand elle serait aller trop loin. Mais plus cela allait, et plus elle constatait qu'elle n'était plus réellement en mesure d'agir et de calmer les ressentiments de chacun, les siens en premier par ailleurs. « Sa Majesté est impulsive, elle l'a toujours été, même quand nous étions en tête à tête. Je me souviens encore de cette fois, où lors d'une réunion du Collège, elle s'en est prise violemment à Kevan Gardener. Je sais … Je sais qu'elle se laisse bien plus souvent dicter par ses émotions, ses sentiments que de prendre le temps d'avoir un peu de recul sur l'ensemble de la situation et ensuite d'agir en conséquences. J'ai essayé de lui en parler par le passé, et elle me voyait un peu comme sa garde fou. Mais aujourd'hui, nous sommes bien loin l'une de l'autre et … Je ne peux plus jouer ce rôle aussi bien, ni un quelconque rôle d'ailleurs. » Elle baissa les yeux, honteuse de la conclusion qu'elle-même, venait d'énoncer.

Pour autant, elle la redressa vivement en entendant ce qu'elle venait de lui dire, ou plutôt de lui demander d'une certaine façon. Ses yeux étaient ronds face à l'Intendante de l'Empire. « Prendre des décisions directement ? Mais enfin, cela ne se peut … Je … Je suis peut-être représentante de l'Orage mais je suis au service d'Argella. Cela pourrait être considérée comme étant une trahison de ma part et … Je ne suis pas ainsi, tu le comprends ? » Elle ne pouvait pas agir en nom et place de la Reine de l'Orage, elle devait sa position que grâce à elle et également au sacrifice de Béric, son défunt mari, dans l'une des nombreuses batailles qu'il avait mené pour les Durrandon. « Tu sais parfaitement, et j'espère le couple Braenaryon aussi, combien je peux être fidèle, loyale à la cause impériale et que je veux pouvoir travailler activement au développement de ce dernier, mais … Je ne suis que moi enfin. Je n'ai qu'une pratique très récente de la politique, de la diplomatie et puis … On ne peut faire abstraction du fait que je suis née dans le Bief, et que certains pourraient imaginer que je ne suis pas digne de confiance. » Elle sentait son cœur battre à la chamade dans sa poitrine et elle tenta de retrouver son calme détournant le regard. « Mes aspirations ? Je veux que mes enfants soient en sécurité, qu'ils puissent avoir un avenir et notamment que Harlan ne se voit pas spoiler de l'héritage de son père. Je ne veux que leur bonheur. Pour le reste, je ne désire que faire de mon mieux pour servir la cause de l'Empire, ainsi que la couronne de l'Orage. Je n'ai jamais eu d'envie particulière pour moi. »