Per ardua ad pace
Roi du Val et de la Montagne. Combien rêve de cet honneur ? Combien aimerait être l'homme qui dirige ce royaume. Mais la couronne que je porte est un poids et un fardeau, elle m'encombre et me pèse, elle semble m'écraser sous son poids, je n'arrive pas à la supporter.
L'échec. Ce sentiment affreux qui vie en moi, qui m'habite à chaque instant, ronge mes pensées et détruit mon cerveau avec plus de brio que le plus insidieux poison. J'ai goûté au plus dangereux de tous les poisons et il a fait l'office que fait tout poison. Il a détruit celui qui l'avait consommé. Ne laissant qu'un vide, qu'un sentiment de ne pas être à la hauteur, de ne pas retrouver le chemin vers la surface, qu'il n'y a pas de lumière dans cette grotte sombre et obscure dans laquelle je m'égare un peu plus chaque lune.
Pourtant j'ai été préparé à porter cette couronne par ma mère, comme mon père avant moi et son père avant lui. Mais mon père était un grand roi, il était un fier combattant, il était un homme vaillant et méritant, un homme qui savait gérer son royaume et ses douleurs. Moi je n'ai de roi que le titre qui m'est échu quand mon père était décédé. Beaucoup trop tôt. C'est d'ailleurs ma mère qui assure la régence du Royaume en attendant que j'y sois plus apte. Une autre raison d'être déçu de moi-même, à la mort de mon père elle m'a fait suivre un apprentissage accéléré pour assurer le rôle qui m'incombait et je n'y arrivais pas. Je n'avais même pas encore totalement pris mes marques dans ce rôle, pire que tout je n'étais pas encore vraiment à l'aise avec ce titre. Peut-être m'était-il venu bien trop jeune, je pense que ça doit être ça.
J'envie l'innocence de mon petit frère, une autre raison d'être bien peu fier de moi. Mon petit frère héritera de la couronne si quelque chose devait m'arriver et je ne souhaite qu'une chose : le jour venu qu'il soit plus prêt que moi à assurer son rôle. Pourtant j'envie les libertés qu'il a, le temps qu'il pouvait prendre pour lui quand je devais apprendre les alliances, les maisons qui peuplent le val, leur écusson et leur credo. Quand je devais prendre les armes pour m'entrainer aux côtés de mon maître d'arme et qu'il pouvait simplement rire et profiter de son enfance. Non, je n'étais pas prêt au poids qui m'était tombé dessus et je n'arrivais pas à me redresser, pas depuis Nymeria.
Tout avait pourtant commencé avec une enfance heureuse et le couronnement trois ans plus tard de mon père, Jehan Arryn. Un héros. Un vrai roi. Assisté par une Reine digne et capable, ma mère Sharra qui aujourd'hui encore prouve ses talents de régente et assure un devoir politique prodigieux pour son incapable de fils. J'avais quatre ans quand mon frère est né et je l'ai de suite aimé et je me suis toujours promis que je le défendrai et que je le protégerai. Cela n'a pas changé en grandissant et je me souviens de temps de bons moments passés avec lui que je regrette tellement désormais. Ca me manque. Nos balades à deux, nos jeux d'épées faites de bâtons en bois, l'innocence de l'enfance me manque tant. J'aimerai pouvoir y retourner, y goûter à nouveau. Fermer les yeux et me réveiller une journée où je ne suis plus toi, où je ne suis que moi, profitant de la vie et la croquant à pleine dent comme une belle pomme. Sans soucis, sans fardeau, sans le poids d'une couronne, sans la souffrance d'un amour.
L'alliance mise en place avec l'Ouest et sa famille régente les Lannister est une aubaine pour nos alliés comme pour le Val et c'est de cette alliance qu'est née mon amour pour elle. Nymeria Lannister. C'était un amour enfantin, bien innocent la première fois que nos lèvres se sont rencontrées, j'avais alors onze ans seulement mais quelque part en moi c'était déjà décidé qu'un jour je la marierai, qu'un jour elle serait ma femme. Je nous rêvais en place de mes parents, moi vaillant et fier, elle intelligente et conseillère, exactement comme mon père et ma mère. J'échangeais des corbeaux avec elle, romance épistolaire et enfantine dans le dos de mes parents, facilitée grandement par un mestre se laissant tenter par quelques pièces. Quoi que je crois qu'il le fit toujours d'avantage parce que cela me rendait heureux et que ça semblait finalement bien peu de choses. Ca l'était.
An -02, la mort de mon père. Je n'ai même pas le temps de digérer la nouvelle, d'encaisser ce choc affreux de son trépas et voilà que le soir de ses funérailles ma mère me prend à part. Une longue, très longue discussion dont je suis sûr, encore aujourd'hui, de ne pas avoir tout compris. Elle m'a dit beaucoup de choses, m'a mis devant beaucoup de responsabilités, m'a promis beaucoup de changements dans ma vie et ça n'a pas manqué. Dès le lendemain ce fut un apprentissage dur et strict qui se mit en place. En quelques jours l'innocence était morte, le garçon devait devenir un homme. Du jour au lendemain je devais devenir un Roi.
Les règles, les codes, les familles, les alliances, le monde, l'histoire, la politique, la régence, les armes, tout me tombait dessus d'un coup et un seul. C'était assommant, ça faisait des journées à rallonge au bout desquels je me couchais abruti de connaissances pour recommencer beaucoup trop tôt le lendemain. C'était un bourrage de crâne incessant, même quand j'en pouvais plus, quand j'avais le sentiment que ma tête ne pourrait plus retenir quoi que ce soit, il fallait encore retenir autre chose, il fallait encore se souvenir d'un dernier quelque chose. Pour mieux recommencer le lendemain. Il y avait des jours où j'avais simplement envie de dire "non". De souligner que je suis roi et que ce n'est pas ainsi que je veux passer mes journées. Je me l'interdisais. Voyant ma mère trimer à de nouvelles alliances, à assurer la paix dans le Val et l'entente entre les diverses familles qui s'y trouvent. Je devais le faire, pour elle, pour ne pas qu'elle ait à porter seule le poids d'un royaume. Même si elle semblait à l'aise dans ce rôle, même si elle y brillait.
Tandis que Westeros s'apprêtait à se diviser, que des guerres se préparaient et éclateraient bientôt en cet an 0, je continuais mon apprentissage, prenant lentement mais sûrement mes marques. C'était sans compter sur la lune de mon anniversaire. Ma mère me fit le plus improbable et le plus marquant cadeau qui puisse être. Un homme. Je devais devenir un homme. Elle s'appelait Teya. Les cheveux sombres, de grands yeux noisettes et une beauté à couper le souffle. Sa peau sentait le miel et elle était d'une douceur inoubliable. Je me souviens de cette nuit dans presque tous ces détails. Tellement impressionné à ce moment-là, tellement effrayé par ce qui allait arriver, quelque part aussi terrifié de savoir si cela allait vraiment me changer. Teya fut douce et prévenante avec moi, m'accompagnant avec tendresse dans un monde que je ne connaissais pas. Je ne l'ai plus jamais revue après cette nuit et je crois que c'est sans doute pour le meilleur. Ce qui est marrant c'est que … je suis devenu un homme parait-il après cette aventure mais je ne me sens aucunement différent. Ni physiquement, ni moralement. Si ce n'est peut-être d'avoir eu un regard nouveau sur la gente féminine mais de n'avoir toujours de cœur que pour Nymeria.
Pourtant c'est après cette nuit que ma mère a décidé de m'impliquer d'avantage dans la vie politique du Royaume, du moins de le faire plus activement. Cela commença avec le compte-rendu du conclave de Goeville qu'elle avait organisé pour assurer une alliance avec le Nord. Cela ne faisait pourtant que me renvoyer à mon manque d'expérience, à mon incapacité à gérer mon royaume et de voir combien ma mère semblait briller dans ce domaine ne m'aidait que peu à prendre confiance. Je m'y efforçais, je devais y arriver, pour elle. C'est pourquoi quand elle me parla de l'importance de notre alliance avec les Lannister, je proposais un mariage entre Nymeria et moi. Notre romance n'avait jamais cessé, fait que j'oubliai volontairement de partager avec ma mère, et s'était même renforcée avec les corbeaux échangés. Je ne présentais pas les arguments de cœur d'un jeune homme amoureux à ma mère mais bien les arguments politiques et logiques que se doit d'avoir un roi. Je doute avoir vraiment floué ma mère sur ma volonté pour ce mariage mais elle a accepté, juste avant de devoir filer vers le Nord pour consolider notre alliance aux noces de Lyman Lannister et Jeyen Stark.
Partout dans Westeros les alliances se faisaient et se défaisaient. Si l'alliance du Val et de l'Ouest se trouverait renforcé par mon mariage avec Nymeria, notre alliance avec le Nord s'effondra très soudainement quand fut annoncé le mariage à venir de Torrhen Braenaryon et Rhaenys Targaryen. Ma mère ne tarda pas à exiger que Rhaenys refuse à ses titres si ce mariage devait avoir lieu et un peu plus de mon innocence, déjà bien entamée par la perte de mon père et ces dernières années d'apprentissage intensif et des responsabilités, volait plus encore en éclat. Je crois qu'une partie de moi s'en était toujours un peu douté mais que soudainement les choses se confirmaient. L'alliance avec le Nord n'était pas que le résultat d'un habile jeu politique mais celui d'un brûlant jeu de corps également. Imaginer ma mère entre les bras de celui qui serait bientôt à la tête d'un Empire était désagréable, le garçon qui tentait encore de profiter un peu de son enfance souffrait douloureusement des images que son cerveau entrevoyait. Le Roi comprenait la démarche de la régente et ne pouvait que l'approuver. Même si l'alliance fut dénoncée par le Nord dans un acte qui s'apparentait à de la trahison plus qu'autre chose.
Le mariage avec Nymeria ramène un peu de légèreté dans ma vie, me fait énormément de bien, j'ai l'impression de renouer un peu avec le bonheur après ces années d'apprentissage incessant et le poids de mes responsabilités que je suis encore incapable de gérer correctement. Mon implication dans la vie politique est grandissante, toujours plus volontaire, la présence de Nymeria à mes côtés m'y encourage plus encore. Devant ma belle dame de cœur je veux être un roi digne de sa couronne. Malheureusement le bonheur est de courte durée, bien trop courte durée. L'amour est un poison toxique et dévastateur, voilà la leçon la plus douloureuse et importante que m'apprit Nymeria. Une leçon que je n'aurai jamais voulu apprendre. Elle attendait notre enfant, tombée très rapidement enceinte après notre mariage mais les choses se sont compliquées très violemment dans sa grossesse et en très peu de temps. Trois mois. Voilà tout ce qu'avait duré mon mariage.
Avec la mort de Nymeria quelque chose était mort en moi. La gaieté de vivre semblait avoir disparu. Soudainement mon univers lumineux et ma vaillance à embrasser pleinement mon titre et ses responsabilités s'étaient brisés. Soudainement il n'y avait plus que ténèbres et douleurs continues. Je me sentais mal. Tout le temps. Du matin au soir et mes rêves n'étaient que des cauchemars. Alors que je me terrai dans ma chambre, véritable ombre dans le château familial, je tournais le dos à tout. A mes responsabilités. A mon titre. A ma mère. A mon frère. A la vie. Je ne regardais plus à la politique du royaume, de toute façon je n'en étais pas à la hauteur, je n'étais pas à la hauteur des attentes de ma mère. Aussi haut que l'honneur dit l'adage familial et bien mon honneur est quelque part au fond d'une mine, enterré sous des décombres d'un puits effondré. Comment peut-on survivre à une telle douleur ? J'avais l'impression que ça n'arrêtait jamais et chaque fois que je sortais de ma chambre je la voyais, un souvenir me revenait et un mélange de rage et de douleur m'envahissait.
Trois mois ont passé désormais mais la douleur s'est à peine atténuée. Les souvenirs se sont un peu apaisés, sont moins omniprésents, je commence à reprendre pied, à reprendre de l'assurance. Mais le Val est divisé, certains veulent partir en guerre contre l'Empire, d'autres le rejoindre, d'autres enfin préfèrent comme ma mère la neutralité et moi … Moi je suis un roi de pacotilles, je suis là parce que c'était mon droit de sang mais je ne sais même plus qui en est où, qui fait quoi, où va le Royaume géré par ma mère. J'ai beau essayé de suivre les conseils du Mestre pour repartir de l'avant, me demander ce qu'aurait voulu Nymeria, reprendre pied est tellement difficile, ça semble une montagne insurmontable. Il est tellement plus facile de s'enfermer dans sa chambre, de faire comme si le monde n'existait pas en oubliant sa douleur dans du vin ou la compagnie de femmes. Je ne suis pas fier de ce que je suis devenu mais je n'ai jamais été fier du roi que j'ai été ou que je suis.
Je devais me reprendre. Pas seulement pour moi mais aussi pour ma mère qui devait faire face à trop de choses seule. Elle avait besoin que je l'aide, que je sois là pour l'assister. Ce devrait être l'inverse je le sais bien mais je n'en suis capable, je ne suis pas prêt à cela. Je n'étais pas là quand ma mère a pris cette décision qui aurait dû être la mienne chez les traitres de Rougefort quand elle a prouvé à tous qu'il ne fallait pas plaisanter avec la neutralité du Val. Je devais me reprendre aussi pour l'exemple que je donnais à mon petit frère qui pourrait un jour devoir assurer le rôle de roi pour le Val et la Montagne. Je devais me reprendre pour le peuple qui a besoin d'un souverain fort vers qui il peut se tourner et si aujourd'hui ce souverain est en faite une suzeraine en la personne de ma mère, qu'elle ait mon appui et mon soutien ne pourraient que la conforter d'avantage dans la politique qu'elle mène. Je le devais à mon père qui avait été un bon roi et mon modèle. Je le devais à Nymeria qui aimait m'appeler "mon roi" avec un sourire charmeur et charmant. Finalement je le devais à moi, parce que si je n'aimais pas le roi que j'étais avant, moins encore encore le roi que je suis aujourd'hui, je déteste aussi le jeune homme que je suis en ce moment.
Je ne me sens pas Roi. Je ne suis pas digne de ce titre. Mais c'est ce qu'on attend de moi que je devienne. C'est ce que je suis par ma naissance et mon sang. C'est ce que je me dois d'être. Peut-être était-il temps que les choses changent dans le Val. Qu'un vrai Roi se montre enfin.