Drapée dans une robe rouge, la née Tully jeta un dernier regard sur la ville. Depuis la fenêtre des appartements qui étaient siens elle avait un petit aperçu de la capitale impériale. Les sentiments accompagnant l’arrivée et la découverte de ce lieu, où elle mettait les pieds pour la première, n’avaient pas disparu. Bien au contraire. Combien de fois dans une vie avait-on l’occasion de se trouver dans une capitale et pleine érection ? Probablement aucune, sauf les Sept avaient décidé de vous faire connaître les temps de fondation d’un empire. L’effervescence qu’elle devinait au-delà des murs du palais l’intriguait, mais elle n’avait toujours pas eu l’occasion d’y goûter. Ce n’était pas la place d’une reine enceinte. Quelque part, elle se retrouvait de nouveau cantonner et protéger des murs épais. Si la comparaison n’était pas justifiée, elle n’avait pu s’empêcher de revenir au temps de sa première grossesse. À cette chambre qu’elle n’avait pu quitter. Balayant ces souvenirs d’un geste de la main, elle reporta son attention sur les enfants qui occupaient entièrement ses journées.

La venue au monde de Bowen, une semaine plus tôt, avait quelque peu perturbé Sigyn et Torrhen. Eleanor n’avait que de maigres souvenirs de la venue au monde de Brandon. Ce dont elle se souvenait parfaitement par contre était l’impression de voir sa mère lui être arrachée. Des années avaient été nécessaires pour que la jeune truite comprenne que ce petit être ne lui volait rien. Alors la Reine du Nord faisait tout pour éviter cela. Bowen occupait pleinement son temps et il lui fallait faire fi de la fatigue pour offrir une attention suffisante à sa fille et son pupille. Aujourd’hui pourtant, elle laissant les enfants Stark et Glover à Cerenna. Seule restait dans ses appartements Ulva, lovée en boule à ses pieds. La louve s’était montrée particulièrement têtue depuis leur arrivée, refusant de la quitter. Eleanor mettait ce comportement sur le nouvel environnement qui était le leur. Peut-être même Ulva sentait qu’Eleanor était enceinte et plus fragile que d’habitude ? Par biens des aspects, la louve restait mystérieuse. Si elle ne craignait pas l’animal, elle savait se montrer prudente. Alors depuis la naissance de Bowen, la reine se montrait très attentive et veillait à ne jamais laisser les enfants seuls avec cette dernière.

Pourtant, en ce moment, ni la louve ni les enfants n’occupaient ses pensées, non. Depuis la réception des lettres de Jon et de son père Eleanor était anxieuse. Les mots de son royal père revenaient la hanter « Il semble que les Iles-de-Fer ouvrent une brèche dans le Mur … ». Une réalité que lui avait caché Jon. Nul mensonge ne se trouvait derrière Eleanor en était persuadée. Son époux ne lui avait jamais menti, quitte à se montrer d’une franchise déstabilisante. Il n’avait sûrement cherché qu’à la préserver. N’était-il pas communément admis que les nerfs d’une femme enceinte n’attendaient que la moindre étincelle pour s’embrasser ? Cette étincelle lui avait été offerte par son père … À présent, le brasier de l’inquiétude la consumait. Que pouvait-il bien se passer ? Si elle n’avait jamais vu le Mur de ses propres yeux, il lui était inconcevable de l’imaginer tomber. La garde et les Nordiens veillaient depuis des temps oubliés de tous, si ce n’était des parchemins.

Tant de questions qui arrivaient à lui donner des cauchemars. La nuit dernière Eleanor s’était réveillée en âge. L’imagination, avec la complicité de l’inquiétude, avaient réussi à la faire rêver d’une Winterfell vide de toute vie. La mort avait hanté sa nuit et une nouvelle interrogation la tenait par les entrailles. Que pouvait-elle faire ? Rien probablement. Elle n’arrivait déjà pas à rédiger une réponse à ces deux qu’elle aimait. En sécurité derrière les murs du Palais Impérial, ne lui restait que la possibilité de ressasser sans cesse, luttant contre l’envie d’en savoir plus. C’était sûrement malsain, mais maintenant que la porte avait été entrouverte Eleanor ne pouvait plus rester dans l’ignorance. Pas quand ce royaume qu’elle découvrait encore et qu’elle avait apprit à aimer, se trouvait menacé de nuages si noirs.

Eleanor s’était alors tournée vers une personne qu’elle savait de bons conseils Nelya Omble, Intendante de l’Empire. Depuis le mariage, la nordienne de naissance avait toujours trouvé un moment pour lui coucher quelques bons mots. Une correspondance qui comptait pour Eleanor, qui estimait à présent les paroles de la née Mormont. Depuis son arrivée, la Reine avait refusé de déranger l’intendante, se sachant suffisamment entourée pour répondre au moindre de ses besoins. Les choses étaient différentes à présent. Nelya Omble était la seule personne capable de lui apporter des réponses, de l’aider à sortir de ces brumes qui l’enveloppaient depuis la réception de ces lettres.

Je n’apprécie ni les lettres de Torrhen, ni celles de Rhaenys. Le premier m’invite à la prudence et à l’observation attentive de Westeros, la seconde m’ordonne d’agir immédiatement et de prendre quelques mesures assez drastiques. Mes doutes se confirment lorsque j’ai le retour des dernières décisions du Collège Impérial. L’Impératrice n’est plus un feu ardent, elle est une Dragonne au feu bien froid et mordant. L’Empereur n’est plus le Loup d’une meute, il est le loup silencieux et isolé.

Je comprends que le danger sur ces terres orageoises n’est pas l’ennemi, mais la mésentente – ou la mauvaise communication – entre les époux impériaux. Que s’est-il donc passé entre Fort-Darion et Accalmie ? Est-ce l’amour que Torrhen porte à Isla ? Or, n’a-t-il pas assuré que Rhaenys n’était pas contre des relations hors de liens du mariage, qu’il n’était pas à l’aise à l’idée d’aimer deux femmes ? Qu’en est-il de cette femme ? Pourquoi ne m’a-t-elle rien écrit ?

Mes yeux parcourent, encore, ces deux lettres. Dans l’une, il est question de régence. Là, entre mes mains, je tiens le possible accomplissement d’une ambition – une couronne, un pouvoir, une autorité – mais je n’en tire ni plaisir, ni gloire, ni joie. A quoi bon, s’il n’y a pas mon loup à mes côtés ? A quoi bon, si je n’ai pas mon ainé sain et sauf à mes côtés ? A quoi bon, si les héritiers légitimes à la couronne sont éloignés comme des voleurs dudit trône ? A quoi bon, tenir un domaine pour des enfants qui risquent de devenir des étrangers à leur sujet ?

Je ne sais pas quoi leur répondre sans les offenser et, surtout, sans perdre leur confiance. Une mère peut voir en mon refus une trahison. Un père peut voir en mes doutes une faiblesse. Or, ces deux caractères ne sont pas appréciés par la Dragonne et le Loup. Je pose mes doigts sur mes tempes, cherchant une idée qui puisse autant convenir à l’Empire, qu’à une mère et un père aux caractères bien forts – le premier forgé par les dragons, le second forgé par l’hiver.

Mes réflexions sont interrompues lorsqu’un garde m’annonce que la Reine Eléanor Stark souhaite me voir. La surprise me cloue la bouche, mes yeux s’agrandissent lorsque je décèle la silhouette de la mère.

La jeune Reine du Nord est arrivée très récemment, mais le ventre bien gros et débordant. Lors de ce constat, j’ai été divisée entre l’envie de remonter les bretelles d’un époux trop précautionneux, et l’admiration pour la belle ! Elle n’aurait pas dû tenter un si long voyage, dans un tel état ! Elle aurait dû faire halte à Blancport, donner naissance là-bas et s’y reposer pleinement avant de reprendre la route vers Fort-Darion. Qu’importe, le mal a été fait. Alors, je l’ai entouré des meilleurs mestres, soins, conforts et dames, me renseignant sur sa santé nuit et jour. Autant dire, j’ai été la plus ravie de tout Fort-Darion lorsqu’on m’annonce la naissance d’un prince héritier en excellente santé et, surtout, que la mère se porte très bien.

- Votre Altesse, je suis ravie de vous voir avec une si bonne mine. Les mestres m’avaient assuré que vous vous remettrez bien vite sur pied. Ils ne se sont pas trompés. Je vous prie de m’excuser si je ne me suis pas présentée dès la naissance de votre premier fils, mais j’ai été mère également et je sais qu’un accouchement est très éreintant. Nous aspirons au calme, et non à la compagnie.

A ce sujet-ci, j’ai pris également mes précautions en réquisitionnant une nourrice afin qu’elle nourrisse le prince lorsque la mère se repose. Elle a à reprendre des couleurs bien vites. Des jours sombres arrivent, notamment pour le Nord. Plus que jamais, elle doit paraitre forte – ou plutôt, elle doit l’être.

- Ne restez pas debout trop longtemps. Vous êtes encore trop fragilisées. Asseyez-vous près de la cheminée.

Aussitôt je glisse un petit coussin non loin de ses pieds et apporte également une couverture en fourrure et une en coton, au cas où elle a des frissons. Les journées sont plus chaudes, mais l’hiver vient dit-on. Là, à la lueur des flammes en ce début de soirée, je remarque la mine inquiète et soucieuse de la Reine. Je ne dis rien, attendant simplement qu’elle se confie d’elle-même.

- Comment se porte l’enfant ? Comment vous sentez-vous ?

Eleanor se sentait spectatrice dans son propre corps. Devant ses yeux défilés la pierre et les couloirs du palais impérial. Oubliant la présence des deux hommes d’armes nordien, qui lui faisaient escorte, elle repensait aux mots qu’il lui faudrait prononcer dans quelques minutes. A mesure que l’appartement de l’intendante se rapprochait, la jeune reine se sentait de plus en plus idiote. N’aurait-il pas mieux fallu qu’elle se concentre sur Bowen ? Refermer la porte et laisser l’inquiétude derrière ? Peut-être avait-on simplement besoin d’elle souriante et loin des tracas. Non, c’était ridicule. Feindre l’ignorance et s’occuper des enfants comme si rien ne se passait était au-delà de ses forces. Par respect pour Jon, prit entre le Nord menacé et les négociations avec l’Ouest, elle ne pouvait se comporter en jeune lady insouciante. Ces temps étaient passés, aujourd’hui Reine et mère elle ne pouvait fermer les yeux et prétendre que tout allait bien, alors que l’ombre menaçait son royaume.

Coupée dans ses réflexions, alors qu’on l’invitait à pénétrer dans l’antre de la née Mormont, Eleanor offrit un sourire au garde avant de faire signe aux deux fidèles de Jon de l’attendre. Jouant avec ses doigts, tentant désespérément d’offrir un visage effacé de toute inquiétude, elle s’approcha de l’intendante qui l’accueillait. Balayant un instant le bureau du regard, elle s’en voulut immédiatement. Était-ce vraiment une bonne idée de déranger l’intendante impériale pour ça ? Non, assez, elle ne pouvait plus faire machine arrière. Offrant un sourire à la femme qui l’avait si souvent bien conseillé elle inclina légèrement la tête.

« Lady Omble, ne vous excusez pas. Ce serait plutôt à moi de vous remercier pour toutes les attentions prisent pour veiller à notre bien-être. Je n’aurais pu espérer un meilleur accueil dans l’état qui était le mien ! » Alors que ses pupilles repassaient rapidement au bureau, elle reprit la parole. « À moi de m’excuser, j’espère ne pas vous déranger dans quelques tâches urgentes ? Je m’impose, peut-être préféreriez vous que nous rencontrions à un autre moment ? »

La réalité de cette visite lui revenait subitement. Décision prise sous le poids de l’inquiétude, elle n’avait pas jugé bon de prévenir l’intendante de sa visite. Décidément, elle avait encore du travail à faire pour contrôler ses décisions, parfois trop impulsives. L’espace d’un instant lui revint quelques-unes des remontrances qu’avaient pu lui faire sa mère ou la septa. Ramenée à la réalité par les sollicitudes de née Mormont, Eleanor ne put qu’offrir un sourire alors qu’elle s’installait sur le fauteuil. Ne pouvant rien faire que de se laisser porter dans le moment. L’orgueil blessé, elle se mordit l’intérieur de la bouche. C’était ridicule d’être contrarié par ces attentions. Cette sensation n’était qu’un symptôme de plus. Résultat de toutes ces attentions dont on l’entourait depuis son arrivée dans le Nord. De cette bulle chaleureuse et privilégiée qui était due tant à son rang qu’à sa santé. Des attentions pour la préserver, encore et toujours … Si ce n’était par son père, aurait-elle jamais su pour les menaces qui pesaient sur le Nord ? Stop. De nouveau, son orgueil prenait le dessus, se nourrissant de l’inquiétude. Tout cela était simplement ridicule.

« Merci. » Souffla-t-elle tout en faisant glisser une couverture sur ses jambes.

Comment se portait Bowen ? Voilà une question bienvenue, qui saurait l’extirper quelques instants des brumes soucieuses dans lesquels elle était plongée depuis l’arrivée des lettres.

« Très bien. On me dit qu’il est en bonne santé et je jurerais qu’il ressemble déjà beaucoup à son père. » Sourire aux coins des lèvres elle s’évada le temps d’un battement de cils. Jon, Sigyn, Torrhen et maintenant Bowen, sa famille.« Mais sur ce point j’ai peur de ne pas être totalement objective. Lorsque vous le rencontrerez peut-être pourriez vous me dire si je me fais des idées ? » Un petit rire s’échappa d’entre ses lèvres.

« Quant à moi, si l’on écarte les tourments suivant inévitablement une naissance, je me porte bien. Physiquement parlant … » Une ombre passa rapidement dans son regard. « Pardonnez-moi d’être si directe, mais il me faut vous parler d’un poids qui pèse sur mes pensées. » Eleanor aurait préféré parler des heures de la naissance, de l’amour qu’elle avait pour Bowen, mais elle ne pouvait pas. Pas tant qu’elle n’aurait pas su s’extirper des brumes soucieuses qui recommençaient déjà à l’envelopper. « Si je suis venue vous trouver, c’est en quête de conseils. J’ai reçu il y a peu deux lettres, de Jon et de mon père … » Ses mains jouaient avec la couverture. « Je savais le Nord menacé, et par les mots de mon père j’ai appris que le Mur était bien en plus péril que ce que l’on m’avait dit. » Comme à la recherche de réponses, elle plongea son regard dans celui de Nelya. « On a voulu me préserver je n’en doute pas, le souvenir de ma précédente grossesse est encore bien présent. Me voilà alors devant un choix impossible. Je ne peux faire comme si ce qui se passe réellement au Nord m’est inconnu. Les relations entre Jon et mon père … Avec ce qui se joue avec l’Ouest, je ne veux pas prendre le risque d’altérer leur entente. Si Jon ne m’a pas parlé de ça, c’est qu’il avait ses raisons, et mon père n’a cherché qu’à m’informer pour que je n’aille pas me mettre en danger. » Ses doigts se refermèrent sur la fourrure. « Me voilà donc avec deux lettres auxquelles je suis incapable de répondre, et mille questions sur ce qui menace réellement le Nord. »