Lysara ajusta le capuchon qui recouvrait ses cheveux : si elle voulait parvenir à sortir de l'enceinte du palais, elle ne devait pas se faire repérer, ce qui était particulièrement compliqué quand seuls les membres de la famille possédaient les traits physiques qui étaient siens. Sans un regard pour la jeune fille qui avait été désignée pour être sa servante attitré voilà de ça quelques années, elle longea la haie arrière de la propriété avant de se glisser par une petite ouverture entre deux pieds d'arbuste. Tout le monde était au courant de ce trou mais personne n'allait imaginer que la seule fille du Prince de Pentos s'abaisserait à ramper entre les racines pour rejoindre l'extérieur. L'adolescente était cependant loin de savoir que ses parents savaient pertinemment ce qu'elle faisait puisque la maisonnée se contentait de faire semblant de ne pas la voir. Soupirant de son succès, époussetant ses mains terreuses sur sa jupes, Lysara Vhassar ignorait qu'elle serait sans doute consignée pendant plusieurs semaines lorsqu'elle rentrerait. Du haut de ses quinze ans, la jeune fille était, en grande partie du moins, tout ce que ses parents rêvaient qu'elle soit : une enfant joviale, rigoureuse dans ses études, parfaite dans son rôle de petite demoiselle de Pentos. Son père plaçait de grand espoir en elle, voyant en son unique fille, le moyen d'une alliance grandiose avec l'une des autres cités. Mais derrière son masque de perfection, Lysara avait également hérité du tempérament des Vhassar : aventurière, bornée et un peu trop impulsive, elle peinait à se voir comme une petite oie blanche obéissante, acceptant de rester à broder des heures durant ou capable de se contenter de lire derrière les murs d'une prison dorée. A l'âge des idéaux, elle admirait son frère aîné qu'elle voyait bien trop peu à son gout et qui la ravissait d'histoire toujours plus rocambolesque de ses aventures martiales à travers le continent. Ainsi, il lui plaisait bien plus de s'imaginer vivre d'incroyables histoires que de se forcer à une vie de lettrée ennuyeuse et monotone et se glisser en dehors du palais constituait, pour elle, la preuve ultime de sa débrouillardise. Elle voulait se prouver qu'elle était capable de sortir de la maison sans que Mère ne soit présente pour la trimballer d'amie en amie. « Cesse donc de faire la tête, si tu es contre, tu n'as qu'à rentrer au palais ! » grogna la jeune fille face aux tremblements de sa servante, laquelle lançait de réguliers regard plein de panique vers le palais. Comment aurait-elle pu comprendre sa peur d'être renvoyée ? Lysara vivait dans un monde si éloigné de la réalité que ce genre de préoccupation ne l'effleurait que peu : si elles avaient des soucis, elle endosserait l'entièreté de la faute, serait consignée dans sa chambre quelque jours et tout reviendrait à la normal, non ?

Elle attendit d'être à quelques rues du palais pour se défaire de sa capuche, exposant ses mèches d'un blond argenté soigneusement tressés mais dissimulant malgré tout la richesse de ses vêtements : la milice pentoshi n'existait pas pour rien après tout. « Ah voilà le marché ! » chuchota-t-elle à l'oreille de sa camarde, hâtant le pas tout en la tirant par le bras vers un amas de stand regorgeant de fruits colorés et de produits d'un artisanat local. Elle songea que si elle rentrait avec du tissu, peut être qu'on la gronderait moins que si elle ne faisait que s'empiffrer de mets de la rue. Son regard était subjugué par toutes les couleurs qui semblaient déborder des étales : après avoir passé les denrées alimentaires, elle fut transportée par les bijoux en verre et pierres semi-précieuse, s'attardant sur un bracelet composé de pierre laiteuse qui rappelait la couleur si particulière de ses cheveux. Se détournant pour poursuivre sa route, chantonnant déjà à l'idée des quelques brochettes qu'elle envisageait d'acheter et qui avait motivé sa fuite du palais princier, Lysara ne remarqua pas l'ombre qui la suivait déjà depuis quelques minutes. Elle était en train de détailler l'élégance monochrome d'une étoffe de lin, les doigts déjà posés sur un morceau de ramie, lorsqu'elle fut bousculée sans ménagement par un homme de carrure large qui lui lança un regard assassin. Quel indélicatesse, avait commenté la jeune servante qui, prise par une fougue que sa maitresse ne lui connaissait pas, envisageait d'aller dire au malotru sa façon de penser. Lysara l'arrêta d'une main, mais remercia la vendeuse avant de poursuivre sa route. Commandant à sa servante de la devancer pour attendre aux stands de nourriture, elle s'attarda quelques seconde face à un étalage de cartes dessinées à la main avant de se décider à la rejoindre. Elle respirait déjà les effluves de la viande grillée lorsqu'elle se senti tirée sur le côté, n'échappant qu'un cri de surprise, son esprit incapable de comprendre ce qu'il se passait. La prise sur son poignet était douloureuse et attira tellement son attention qu'elle n'entendit que peu les remarques de son agresseur, étouffé par le bourdonnement de son coeur battant à tout rompre tandis qu'elle était paralysée par la peur.