De l'extérieur, ce n'était si différent de ce qu'elle avait toujours connu lorsqu'elle portait son regard au delà des jardins luxuriants de Pentos sur la mer ou sur les paysages aux couleurs ocres lorsque le jour déclinait. Pourtant, elle n'aurait pu être plus loin de tout ce qu'elle avait connu qu'en ce jour. Ces derniers mois semblaient avoir été vécus par une autre, par l'une de ces figures légendaires dont on comptait les exploits et non elle qui encore quelques mois avant n'avait qu'à se soucier de savoir si sa robe était à la mode. La Lysara qui avait été la princesse de la maison Vhassar n'avait rien à voir avec la jeune fille adossé à cet arbre. Elle regarda ses mains abimée par le sable, ses ongles cassés après qu'elle se soit défendue contre ses assaillants. Les retournant, elle constata les quelques petites coupures qu'elle s'était encore fait aujourd'hui et soupira avant que son regard ne se fige contemplant une plaie plus ancienne. Son pouce vint caresser l'entaille désormais refermée, mais qui laissait encore une trace blanche traversant sa paume. Cela aussi semblait appartenir à une autre vie et pourtant c'était la raison même de sa présence. Le soleil brillait haut dans le ciel, Lysara en remarqua les rayons à travers les branches de la forêt dans laquelle elle s'était enfoncée depuis plusieurs jours. Il était tôt et elle se sentait si fatiguée ... •••
«
Encore une fois. » annonça Marra Vhassar tandis qu’elle faisait un demi-tour, poursuivant les cent pas qu’elle effectuait devant la table où sa fille était installée devant un lourd ouvrage poussiéreux. Les yeux violets de Lysara se posèrent sur les pages barbouillées d’encre et elle entreprit de reprendre la lecture qu’elle avait interrompue un peu plus tôt. Tandis que ses lèvres articulaient cette étrange langue de l’ouest, Lysara se remémorait son escapade de la veille avec Lotharo. Le soleil de l’après-midi qui réchauffait sa peau, la légère tension de ses muscles sous l’effort, son regard fuyant, guettant l’arrivée de sa mère, laquelle ne manquerait pas de lui témoigner son mécontentement de la voir abimer ainsi sa peau. Lotharo n’avait pas manqué de corriger sa position d’archère: relevant son coude, inspectant la trajectoire entre son oeil ouvert, la flèche tendue et la cible qui était sienne jusqu’à donner l’ordre qui la fit lâcher la corde de son arc et la flèche en direction de la cible, perdant de la hauteur à mesure qu’elle perdait de la vitesse et s’enfonça dans le bas du cercle de paille sous les applaudissements. Lotharo lui avait offert un sourire mais Lysara, elle, n’était pas satisfaite. Raillée par son aîné tandis que l’enfant prenait une moue boudeuse, elle avait manqué de vider le panier de flèches restante juste pour lui donner tort et montrer un talent dans une discipline qui n’était pas purement intellectuelle. Sa détermination sembla amuser davantage son aîné et même après une nuit de sommeil et une heure de remontrance maternelle pour son manque de concentration, Lysara peinait à penser à autre chose. «
Lysara. Concentre toi, ton accent s'entend beaucoup trop. » annonça Marra avec un froncement de sourcil. Lysara retint un soupire : la concentration n’était pas son fort aujourd’hui. Elle voulait sortir, s’amuser avec Lysaro, suivre son père dans ses affaires, faire n’importe quoi d’autre que lire ce maudit livre. Lorsque deux auparavant sa mère avait annoncé l’arracher au quotidien des enfants, la jeune fille s’était imaginé entrer dans un tout nouvel univers, mais à présent âgée de douze ans, elle regrettait l’époque où elle excellait dans tous les domaines et où ses journées se terminaient assez tôt pour lui permettre de s’amuser dans les couloirs du palais. Lorsque les leçons étaient terminées, lorsque Marra Vhassar s’était assurée du sérieux des apprentissages du jour, Lysara était confronté à un autre type d’enseignement qui lui faisait regretter de ne pas être nom garçon comme ses trois frères aînés. Néanmoins, face au regard que lui lança sa mère, la blonde hocha la tête et tenta d’éloigner de son esprit les distractions qui l’habitaient depuis la veille. «
Lysara ... Je sais que tu préfèrerai être avec tes frères mais c’est important que tu excelle par toi même dans des domaines qui ne dépendent pas … D’un soutien masculin. » finit par confier Marra près d’une heure plus tard, s’asseyant près de sa fille, la sévérité de son visage s’effaçant au profit d’une bienveillance marquée. Lysara hocha la tête sans trop savoir pourquoi : les paroles de sa mère lui semblaient bien abstraites même si elle comprenait que le sens qui lui échappait encore lui viendrait avec l’âge. L’aînée passa une main dans la chevelure d’argent de sa fille avant d’embrasser son front. Après une seconde de silence, Marra lui offrit un sourire complice et, d’un geste de la tête, désigna l’extérieur et la grande ouverture qui donnait sur la terrasse arborée du palais. «
Aller file ! Tu as deux heures, après nous reprendrons. » Avec un glapissement de joie, la jeune fille se jeta au cou de sa mère, embrassant bruyamment sa joue avant de se lever en toute hâte. Aujourd’hui elle mettrait dans le mille. Aujourd’hui, elle ferait taire Lotharo.
•••
Vaemond passa un bras autour des épaules de sa fille. «
Ne t’éloignes pas surtout. » ordonna-t-il de cette voix qui arracha un sourire à Lysara, celle qu’il voulait autoritaire après avoir cédé à ses demandes. Elle hocha la tête tandis qu’ils se frayaient un chemin, l’adrénaline parcourant ses veines et un sourire se dessina sur son visage, faisant fit de la couleur de deuil qu’elle portait en hommage à son oncle récemment décédé. L'organisation dont il était le capitaine n’était pas un endroit que devait fréquenter une jeune fille mais la curiosité de la jeune Vhassar se moquait bien des convenances : la perte récente d’un membre de sa famille rendait ses parents plus permissifs et bien qu’elle s’en voulait d’en jouer, elle n’avait pas hésité avant de sauter sur l’occasion. Puisque son père devait se rendre à cette réunion exceptionnelle qui élirait le nouveau commandant, elle pouvait bien se glisser dans son ombre ? Cela lui avait prit plus longtemps qu’elle ne l’aurait cru mais il avait finit par céder, lui intimant un silence absolu et lui faisant jurer de sa parfaite obéissance tant qu’ils seraient hors des murs du palais. Et elle y était. L’idée la grisait. C’était bien beau de lire les récits de batailles ancestrales dans les livres ou d’écouter en douce les compte-rendus qui s’énonçaient dans le bureau de son père mais à cet instant, elle était entourée de vrais guerriers ! Lysara tenta de garder le visage neutre et implacable de la jeune noble, celui que sa mère voulait tant qu’elle ait, mais son regard lavande pétillait à l’idée qu’elle puisse être au coeur d’un moment historique. «
Tiens le voilà. » fit remarquer Vaemond, attirant le regard de Lysara vers la silhouette qui se trouvait au milieu de ce chaos organisé et son sourire ne fut que plus grand en reconnaissant Drazenko. Seize années les séparaient mais Lysara se rappelait sans peine de son habitude de se jeter dans ses bras dès qu’il rentrait, du regard protecteur qu’il posait sur elle, de … Elle cligna des yeux. Oui, elle se souvenait du frère. Mais l’homme qui se trouvait face à cette foule ne l’était pas uniquement. Cette réalisation la chamboula plus qu’elle ne l’aurait pensé. Elle n’avait jamais vu Drazenko comme un homme : il était son grand frère, un camarade lointain qui partageait son sang, comprenait son quotidien auprès de parents exigeants. Et pourtant, tandis qu’il se voyait ovationné par ce groupe qui ressemblait presque à une nouvelle famille, Lysara perçut quelque chose d’autre. Quelque chose qui couvait depuis quelques temps, quelque chose qui teintait ses récents souvenir d’un voile que ses parents auraient sans doute jugé inacceptable. Quelque chose qu’elle ne ressentait pas en songeant à Lysaro ou Lotharo. Ses joues prirent immédiatement une teinte carmin et son corps se fit plus raide. Vaemond dut le sentir puisqu’il se pencha sur elle. «
Te sens-tu mal ? Je t’avais bien dis que ce n’était pas un endroit pour toi, Lysara ! » Elle hocha la tête sans vraiment accepter la remarque, s’obligeant à fixer le sol, secouant sa main devant ses joues brulantes pour laisser croire que la chaleur manquait de la faire défaillir. Tandis qu’ils faisaient demi-tour, laissant Drazenko à sa victoire et à son nouveau titre, Lysara se demanda si le chamboulement de son être était réel ou le simple fruit de l’excitation de ce jour.
•••
«
Tu compte rester là toute la journée ? » lui demanda Lysaro en levant les yeux au ciel. Face à lui, Lysara qui venait de fêter ses dix-sept ans prenait ses aises dans le petit fauteuil qui faisait face à son bureau. Faisant fi de toute féminité, la jeune femme avait passé ses jambes par dessus l’accoudoir et décortiquait une grappe de raisin en regardant avec insistance son aîné. «
Mère m’a dit que tu voulais changer le plans de table pour la soirée avec Lys. » finit-elle par dire, détourant son regard pour se concentrer sur son grain de raison avec une allure nonchalante. Lysaro soupira : sa demande, faite à la maitresse de maison le matin même, lui retombait finalement dessus. Le banquet qui devait se tenir d’ici quelques semaines étaient le fruit d’un intense travail tant pour lui d’un point de vue politique et commercial que pour les deux dames de la maison chargées de la logistique de l’évènement. Il savait que sa demande, qu’il pensait pourtant suffisamment énoncée en avance, ne passerait pas inaperçue mais il ne s’attendait certainement pas à ce que les objections viennent de sa propre soeur. «
Oui. Et donc ? » rétorqua-t-il avec un ton qu’il voulait au moins similaire à celui de sa cadette mais qui laissait transparaitre son doute. Lysara braqua ses orbes mauves sur lui, le fixant avec une telle intensité qu’il aurait voulu disparaitre. «
Je sais pourquoi tu le fais et c’est une très mauvaise idée. En vérité c’est même un choix absolument idiot. » annonça-t-elle de but en blanc sans y mettre la moindre forme. Lysaro manqua de s’étouffer face au franc parler de sa cadette. Cette jeune femme si douce, polie et pleine de rondeur lorsqu’il s’agissait de s’adresser à d’autres, devenait un véritable cauchemar lorsqu’elle se trouvait dans l’intimité de son propre sang. Néanmoins, Lysaro tenta de garder un air détaché, la questionnant du regard avant de reprendre la parole. «
Tiens donc ? Et pourquoi cela je te prie ? Mère et toi m’avez placé à trois personnes de l’être le plus décisif pour mes projets. On sait tous que c’est autour de la table que les esprits sont les plus ouverts à la discussion et je ne pourrais même pas l’approcher puisque vous m’avez entouré de jeunes filles quelconques. » objecta-t-il. Ce fut à Lysara de soupirer. Quittant sa position, elle bascula ses jambes, s’asseyant sur le fauteuil comme si elle s’apprêtait à le quitter, se penchant vers le bureau en imposant sa présence. «
Ton être décisif, mon cher frère, est habitué à être courtisé de la sorte dès qu’il quitte l’enceinte de sa demeure. Si tu procède ainsi, tu seras un parmi tant d’autre. En revanche, ta voisine de table n’est autre que sa fille et l’on dit qu’à défaut d’être sa partenaire en affaire, il lui demande souvent conseil avant de prendre une décision. Tu n’as pas besoin de charmer un père déjà courtisé, mais une fille trop souvent délaissée, elle, sera plus sensible à tes arguments. » annonça la blonde avec assurance. Les sourcils blonds de Lysaro se froncèrent tandis qu’une toute nouvelle stratégie naissait dans son esprit. Lysara voyait le cheminement de sa pensée et lorsqu’il releva les yeux vers elle, elle sourit. «
J’imagine donc que je laisse le plan de table comme il est ? »
•••
La porte se referma dans un claquement sec et Lysara s’y adossa. Ses joues étaient encore rouge de la honte qui l’avait soudainement submergée mais elle laissa ses doigts remonter jusqu’à ses lèvres sans vraiment s’en rendre compte. Qu’avait-elle fait ?
La soirée avait pourtant bien commencée. Lotharo s’était amusé du fait que les attentions de leur père n’était, ce soir, pas arrêté sur le mariage de son unique fille mais bien sur celui de leur aîné. Une accalmie dans la tempêtes des ambitions matrimoniales du chef de famille, avait plaisanté le jeune homme et Lysara avait hoché la tête, forçant un sourire tandis qu’intérieurement elle sentait son coeur se briser. Le banquet était à la hauteur de l’investissement qu’elle lui avait offert : Marra Vhassar et sa fille avaient veillé à ce que tout soit absolument parfait et s’il n’était la mine renfrogné du principal concerné, Lysara était certaine que la soirée aurait grandement fait parler d’elle dans les semaines à venir. La jeune fille ignorait si elle devait pester contre la mauvaise volonté de son frère ou si elle devait se réjouir de le voir détester l’instant : elle avait tenté de taire l’étrange sentiment qu’elle ressentait en posant les yeux sur Drazenko mais les choses avaient empiré à l’approche du banquet et du rappel constant de son objectif premier. Tout un tas de question défilaient dans son esprit tandis qu’elle observait les différentes demoiselles : l’une d' entre elles était vouée à devenir la fiancée de son frère et cette simple idée rendait Lysara folle de rage sans même qu’elle comprenne pourquoi. Elle avait tenté de se calmer en songeant que c’était simplement de voir les choses changer, de constater qu’ils vieillissaient, d’imaginer que bientôt c'était elle qu'on arracherait à cette maison pour la marier loin des siens qui faisait naître une colère d’impuissance. Mais lorsque le banquet avait commencé, la jeune femme n’avait pu nier l’évidence : c’était la jalousie évidente qu’elle ressentait à l’idée qu’une autre lui offre son coeur et qu’il l’accepte. Faisant bonne figure autant que possible elle avait finit par s'éclipser, prétextant la fatigue et l'effet du vin. Son chemin l'avait alors mené à Drazenko qu'elle avait vu quitté le banquet un peu avant elle : elle le rejoignit, feignant d'être la soeur qu'il avait toujours connu, la petite Lysara de son souvenir, celle qui ne brûlait pas d'attirer son regard et son attention de manière moins enfantine que par le passé. Elle tenta de superposer le visage de Lotharo sur celui de leur aîné, essayant d'avoir une conversation normale, de ne pas laisser entrapercevoir le trouble qu'il faisait naître en elle. Et puis il y eut le baiser. Elle ne savait comment, elle ne savait pas pourquoi mais elle avait cédé, trahissant ses sentiments en embrassant le blond avant que la réalisation ne la frappe et qu'elle ne s'arrache à son contact pour la faire fuir.
Lysara se jeta sur son lit, enfouissant son visage dans les oreillers pour y crier sa frustration. Comment allait-elle pouvoir le regarder en face à présent ?
•••
«
Lysara, ça fait déjà plusieurs années que je retarde l'inévitable mais tu as plus que l'âge à présent. » soupira Marra Vhassar tandis que sa fille lui lançait un regard larmoyant. Voilà plus d'un an que c'était tenu le dernier grand banquet au palais et, au cours du déjeuner, Vaemond avait annoncé son désir d'en tenir un nouveau pour la nouvelle année. Une décision qui aurait été sans grande importance s'il n'avait pas précisé son désir de lui trouver un fiancé au cours des réjouissances. Trop surprise, la jeune femme en avait lâché ses couverts, écoutant à peine son père vanter ses mérites et les raisons qui feraient d'elle une épouse accomplie. Elle s'était levée tandis qu'il poursuivait son monologue sur la longue liste de prétendants qu'il s’apprêtait à constituer. Marra avait suivit sa fille, prétextant un problème d'ordre féminin que Vaemond s'était empressé d'ignorer pour reprendre sa conversation avec ses fils. Lysara s'était alors réfugiée dans sa chambre lorsque la trouva sa mère. Elle sentait une douleur puissante dans sa poitrine dès qu'elle devait prendre une inspiration, et une autre, plus aigüe dès qu'elle expirait. «
Tu savais bien que ce jour viendrait. A ton âge j'avais déjà donné naissance à ton frère. » tenta de raisonner la mère de famille sans se rendre compte que la mention de son premier fils ne faisait qu'accentuer le malaise de sa fille. Une année et demie. Cela faisait une année et demie qu'elle tentait de ne plus penser au banquet, au baiser et à son incapacité à penser à autre chose. Une année et demie qu'elle évitait de croiser le regard de Drazenko, ne se détendant que lors de ses absences, lorsqu'elle était certaine de ne pas le croiser dans un coin de couloir. Ses sentiments étaient toujours là. Désespérément attachés à un homme qui ne voulait pas d'elle, à un homme qu'elle ne pouvait pas avoir. «
Oh c'est encore à cause de ce jeune Lysien ? Veux-tu que j'arrange sa venue ? Si tu me disais son nom je pourrais convaincre ton père de ... » Lysara secoua la tête. Son coeur brisé n'avait échappé au regard perçant de Marra Vhassar : une amourette de jeune fille, avait-elle songé, persuadée que son enfant s'était éprise de l'un des envoyés lysiens sans que cela ne se concrétise réellement. La concernée, elle, n'avait eut à coeur de révéler la vérité : il n'était pas dans les traditions de sa famille de célébrer des unions internes et si des mariages avaient eut lieu au sein de la même fratrie, cela faisait bien longtemps que cela n'était pas arrivé. Vaemond n'envisageait même pas la possibilité de marier son unique fille à l'un de ses trois fils, comment pouvait-elle alors dire que son coeur battait pour Drazenko depuis toutes ces années ? Elle était, après tout, la caution d'une alliance profitable pour sa famille. «
Lysara ... Tu sais, je n'aimais pas ton père quand nous nous sommes mariés. En vérité, nous nous connaissions à peine lui et moi mais nous avons eut la chance de nous trouver et d'avoir quatre magnifiques enfants. Qu'importe celui qui aujourd'hui est dans tes pensées : ton futur époux saura sans doute gagner l'affection de la femme que tu deviendras alors. » Une chape de plomb s'écrasa sur son coeur et elle se contenta d'hocher la tête, rejointe une instant plus tard par une Marra dont la mine inquiète disparaissait en faveur d'un sourire bienveillant. Tandis qu'elle embrassait son front, Lysara songea que c'était peut être le seul moyen d'être libérée de cet amour à sens unique.
•••
Le banquet avait été magnifique, à la hauteur de leur réputation et des largesses que Vaemond voulait témoigner à ses invités. La délégation de Tyrosh avait montré son enthousiasme et le jeune homme qu'on installa à table à ses côtés semblait n'avoir jamais besoin d'arrêter de parler pour respirer ou même manger. Lysara se contentait d'hocher la tête avec un sourire crispée, persuadée que son sommeil serait hanté par cette voix insupportable qui lui donnait mal à la tête. La nuit était tombée depuis plusieurs heures lorsqu'il fit son entrée. Magistral, imposant une forme d'autorité et respect dans son armure noire, Drazenko vint les rejoindre et Lysara ne pouvait en détacher ses yeux, le reste de l'assemblée non plus. S'installant entre elle et son prétendant, elle eut l'impression que les battements de son coeur étaient la seule chose qui résonnait dans la salle. Si les hôtes ou les invités s'offusquèrent de son choix délibéré de place, personne n'en dit rien et tandis qu'ils échangeaient des regards qu'eux seuls pouvaient comprendre, le monde entier disparu aux yeux de Lysara. La fête n'était pas terminée lorsque la blonde s'excusa, annonçant se retirer pour la nuit et tel un écho au banquet précédent, c'est loin des yeux et des oreilles, loin des invités et de leur famille que le frère et la soeur se retrouvèrent. Ses rêves n’avaient jamais été à la hauteur du baiser qu’il lui offrit, balayant plus d’une année de certitude sur la non réciprocité de ses sentiments et jamais elle n’aurait osé imaginer le voir mettre un genou à terre pour elle.
Elle grimaça légèrement en sentant la lame déchirer la peau de sa paume mais son coeur battant à la chamade ne s'arrêta pas à la désagréable sensation. Ce matin là, lorsqu'elle s'était levée, elle n'avait pas du tout imaginé qu'elle finirait dans la grotte familiale au dessus de laquelle était construit le palais, à accomplir le rituel qui la lierait à quelqu'un. Et sans doute encore moins que ce quelqu'un serait Drazenko. Leur serment n’avait de valeur que ce qu’ils voulaient lui donner : sans l’accord de Vaemond, ce qu'ils faisaient n’aurait jamais de crédit auprès du reste du monde mais alors qu’ils se frayaient un chemin jusqu’aux sous-terrains, Drazenko avait promis d’obtenir cette bénédiction et Lysara voulait y croire. Un travail qui réclamait courage et éloquence mais qui leur permettrait d’officialiser leur engagement dès le retour de ce dernier de la mission qui l’éloignerait de Pentos quelques semaines. Aussi, la folie de l’instant, l’euphorie qui les animaient et le besoin de se montrer qu’ils s’appartenaient d’ors et déjà les guida tandis qu’ils procédaient à l’ancien rituel sous le regard de leurs ancêtres. Des mots qui les liaient pour ce jour et à jamais, une promesse nocturne qu’ils consommèrent loin de la grotte, loin du palais.
•••
Le temps semblait infiniment long, songea Lysara en jouant avec les perles de son collier. Son esprit vagabondait entre ses souvenirs, ses interrogations et l’impatience que l’attente rendait de plus en plus insupportable. Cette nuit avait tout changé en elle et elle avait craint que ses parents ne le remarque. Mais à présent que plusieurs semaines étaient passées, Lysara s’agaçait d’être toujours perçue comme l’enfant de la famille, la jeune fille vertueuse et innocente. Elle avait confiance en Drazenko, mais elle voulait que disparaisse l’inquiétude de cette conversation que son frère devait avoir avec leur père : elle ne voulait plus avoir à cacher son désir de se réveiller à ses côtés, ni même la nature des sentiments qui l’habitait. Après des années à se forcer à garder le silence, elle détestait l’idée d’être muselée alors même qu’elle voulait crier sa joie, faire entendre que c’était elle qu’il avait choisit et qu’elle le choisissait en retour. Prise dans ses pensées, Lysara ne prêtait que peu d’attention à ce qui se disait à table. Vaemond, les sourcils froncé, évoqua un nom avec un peu plus de fermeté que le reste de sa phrase. Tyraemarr Valtigar. Lysara releva la tête à cette mention sans vraiment savoir pourquoi, sans doute surprise par le sifflement que son père laissa échapper juste après. Alors, seulement, elle regretta de ne pas avoir été plus concentrée. Un esclave vint chuchoter quelques mots à l’oreille de Vaemond et le pli qui séparait ses sourcils se creusa davantage. «
Bien. Marra, il faut faire fermer les portes du palais. Tout de suite. » Lysara sursauta au ton employé : plus autoritaire qu’il ne l’avait jamais été. Marra Vhassar sembla partager cette surprise puisqu’elle se leva sans un mot. Lysara la suivit, observant les portes du palais se fermer les unes après les autres, stoppant les courants d’air qui rafraichissaient les couloirs, stoppant quelques rayons de soleil qui éclairaient les murs blancs. Les portes se fermaient et l’obscurité s’installa.
•••
«
Non ! Lysara, tu les gêneras plus qu’autre chose. Si tu veux les aider tu dois fuir. » Les yeux pleins de larmes de la jeune fille quitta son frère un instant pour se poser sur son père. Elle ne se souvenait pas de la dernière fois qu’elle l’avait vu l’épée à la main. Lysaro se tourna vers elle un instant, profitant d’un bref instant de répit avant qu’un nouvel homme à la peau grise et rocheuse ne se jette sur lui. Lysara étouffa un cri tandis que Lotharo tirait sur son bras, l’entrainant loin du vaste hall où le souvenir de l’accueil des convives laissait place à une bataille acharnée entre son père, son frère et des malades de la Grisécaille. «
Ne regarde pas, Lysara. Avance. » ordonna alors son frère. Et elle obéit, elle se détourna du spectacle macabre et trottina derrière lui, peinant à marcher à son rythme. Marra attendait ses enfants devant la porte qui menaient aux sous-terrains du palais. Elle prit le visage de son fils entre ses mains et embrassa son front. Lysara remarqua les larmes qui bordaient ses cils, la marque de sa panique et de sa tristesse. Ils firent un bond en entendant un bruit sourd venant d’une pièce adjacente. Lotharo se sépara de sa mère, la laissant embrasser sa fille pour la dernière fois.
Ne fais confiance à personne hormis ceux de ta famille, ma chérie ! Sur ces mots, Marra Vhassar poussa sa fille vers l’entrée du sous-terrain et referma la grille qui en condamnait l’accès, jetant la clé à travers les barreaux. La pièce métallique résonna contre les marches de pierre, sautillant devant Lysara tandis que la dernière lueur du palais disparaissait derrière le panneau que la dame fit glisser pour dissimuler l’accès aux grottes. Quelques instant plus tard, Lysara entendit un hurlement et puis le silence. A l’exception de leurs pas, Lysara n’entendait rien. Les tunnels qui courraient sous la cité étaient vides, oubliés, déserts. Un dédale dont elle ne voyait rien : toutes les allées se ressemblaient, tous les croisements également. Sans Lotharo, elle se serait perdue. «
C’est Lys’ qui m’a montré ce passage il y a des années. Il disait que c’était pour profiter de la fougue de la jeunesse avant que Père de nous … » son chuchotement mourra dans sa gorge tandis que la réalisation les frappait : Vaemond était sans doute mort à l’heure qu’il était. Rien ne serait plus jamais comme avant.
•••
Elle était épuisée et il lui semblait perdre la notion du temps. Depuis combien de temps erraient-ils dans ces sous-terrains ? Une heure ? Une demi-journée ? Une journée entière ? Ses jambes étaient douloureuses et le tissus de sa robe semblait peser une tonne mais elle n’en disait rien. Elle avait eut le malheur, un peu plus tôt d’annoncer que ses pieds la faisait souffrir et la remarque que Lotharo lui avait fait l’avait tant heurtée qu’elle avait décidé de garder le silence. «
On fait une pause. » annonça-t-il cependant, s’arrêtant brusquement pour s’assoir par terre, étirant ses jambes engourdies. Lysara l’imita sans trop savoir si ce qu’elle faisait était bien et le silence s’installa à nouveau. «
Nous y sommes presque. » annonça le jeune homme en passant une main dans ses cheveux blonds, humidifié par l’effort de leur marche soutenue. «
Une fois qu’on sera sortis des tunnels, on attendra la tombée de la nuit pour d’éloigner de Pentos en direction du Sud. De là, on rejoindra la Légion de Drazenko. » La mention de leur frère manqua de faire craquer Lysara. Savait-il ce qu’il s’était passé ? Etait-il au courant qu’ils étaient désormais orphelins ? Qu’il n’y aurait plus de bénédiction à demander, plus de famille auprès de laquelle rentrer, plus de maison pour les accueillir, plus d’ancêtres à honorer ? Quelle serait leur vie à présent ? Lotharo se releva immédiatement tandis qu’un bruit, pourtant discret, se faisait entendre. Une fois de plus, la jeune fille l’imita, avec plus de lenteur en raison de son manque de réflexe et de l’inquiétude que la peur faisait naitre en elle. «
Cours ! » ordonna son aîné tandis qu’il se ruait dans un couloir, sa cadette sur les talons. Ses poumons brûlaient et elle ignorait encore comment elle trouvait la force de courir mais elle se concentrait sur le bruit des pas de son frère, tentant de garder un rythme, essayant d’ignorer le bruit de course qui les suivait et se rapprochait dangereusement d’eux. Elle voulut risquer un regard en arrière mais Lotharo attrapa son bras, la tirant sur la gauche si vivement qu’elle pensa rencontre le mur. Il répéta ce manège encore deux fois avant de la laisser passer devant. Face à eux la sortie. «
Cours aussi vite que tu peux Lysara. » cria Lotharo. Et la jeune fille ferma les yeux, accélérant autant que possible.
Elle sentit l’air frais sur sa peau, la lueur d’un soleil mourant transparaissant ses paupières closes. Ils avaient réussit. «
Continue de courir Lysara. Cours, je vais les semer et je te rejoindrais. » lui cria son frère tandis que la silhouette de leur poursuivant se distinguait derrière lui. Elle s'était retournée et lui offrit un hochement de tête avant de reprendre sa course vers le port.
•••
Elle ne connaissait pas grand chose au monde. Ce fut l'amer constat que Lysara se fit tandis qu'elle avançait sur la route caillouteuse : le confort du palais lui manquait, sa famille lui manquait et ses nuits étaient peuplées de cauchemars. Si elle était restée deux jours dans les environs d'une Pentos décimée, attendant un Lotharo qui n'était jamais revenu, incapable de penser à autre chose qu'aux horreurs qu'elle venait de vivre, ce fut son corps qui la ramena à la réalité. La faim, la soif, ne se satisfaisaient plus des quelques vivres que don frère avait pris avec eux avant de quitter le palais et qu'elle portait au moment de leur course effrénée dans les tunnels. Alors elle avait commencé à marcher vers le Sud, suivant les indications que son aîné lui avait donné pour retrouver leur aîné, espérant que, tel un miracle, Drazenko apparaitrait sur cette maudite route mais il n'en fut rien. Au lieu de cela, des troupes portant les couleurs de la maison Valtigar, des couleurs qui lui aurait semblé, autrefois, quelconques, mais qui ravivaient, aujourd'hui, des conversations passées auxquelles elle n'avait pas prêté plus attention que cela. Elle s'en voulait d'avoir été aussi idiote, d'avoir laissé son esprit ne s'arrêter que sur ses sentiments et non plus sur le reste du monde. «
Hey ! Hey p'tite ! » Lysara sursauta tandis qu'une main s'était posée sur son épaule : jamais personne en dehors des membres de sa famille ne l'avait touché et elle fut prise d'un élan d'indignation et de stupeur. «
Oh, d'jolis zy'eux vl'a. » commenta un homme qui devait avoir près d'une quarantaine d'année et dont la peau, usée par le soleil, lui donnait des allures de lézard au regard perçant. «
T'as d'sang valyrien dans les veines où jm'y connais pas ! T'ferais un carton à Volantis ma belle. » Lysara ignorait si elle devait demander dans quel domaine mais une part de sa personne préférait ne pas savoir. Ses yeux violets avaient trahis son ascendance mais il fallait croire que le mélange de terre rouge et d'eau qu'elle avait appliqué sur ses cheveux blonds faisait son effet. Les reflets dorés s'étaient assombris et si elle passait sans aucun doute pour une souillon, elle était bien plus passe partout. Elle allait remettre l’inopportun à sa place quand un petit groupe d'homme passa. «
Hey ! Si vous v'lez la r'garder faut payer ! » lança l'homme qui la tenait toujours par le bras au petit groupe de soldat. Elle ignorait s'ils les regardaient, s'ils étaient partis mais lorsqu'elle releva la tête vers son
sauveur, les yeux de l'homme avaient changé du tout au tout. «
T'viens de Pentos hein ? T'as pas été infectée ? » Lysara secoua la tête : sa survie passait pour un miracle mais elle imaginait sans peine que les rares qui avaient du se frayer un chemin hors de la cité l'avaient payé cher de la part de leurs voisins qui craignaient qu'ils aient été touché par la Grisécaille. «
Mon frère était la bas. Pour affaire. J'passais dans l'coin en espérant tomber sur lui ... » Dans sa voix, Lysara perçut le même timbre que Lotharo avait pu avoir en évoquant leur père, deux jours plus tôt. Elle écouta d'une oreille l'homme raconter comment les nouvelles de Pentos était arrivées aux oreilles des autres cités libres, tel un argument supplémentaire, s'il en fallait, pour les convaincre de signer leur ralliement au Diadoque. «
Je cherche à rejoindre mon frère ... Il est avec la Main Ecarlate, plus au Sud ... Je vous en prie, amenez moi jusqu'à lui, il vous récompensera pour lui avoir rendue sa petite soeur. » finit-elle par dire, l'émotion que représentait l'idée de retrouver Drazenko transparaissant dans sa voix. L'homme lui jeta un regard méfiant. «
Et qu'est-ce qui m'dit que ta p'tite histoire est vraie et qu't'es pas une esclave qui va essayer d'me la faire à l'envers ? » demanda-t-il. Lysara paniqua, ignorant comment prouver sa bonne foi. Et puis elle eut une idée, elle se baissa et dénoua un bracelet de perle et d'argent qui dansait sur sa cheville. C'était un cadeau de Lysaro pour son anniversaire : des perles venues des lointaines iles du sud. Elle alla pour déposer la chainette et ses précieuses breloques dans la paume de l'inconnu quand il attrapa sa main et la regarda pendant de longue minutes. «
T'as jamais travaillé toi. Et t'es trop prude pour être une catin en fuite. D'accord gamine on va aller au Sud mais j'espère pour toi que ton frère a de quoi payer s'il veut te récupérer. » Lysara hocha la tête ignorant si c'était pour assurer de la fortune des siens à son sauveur ou par crainte de voir cette aide précieuse se retourner contre elle. «
C'quoi ton p'tit nom ? » demanda-t-il alors.
Ne fais confiance à personne hormis ceux de ta famille, ma chérie ! Les derniers mots de sa mère lui revinrent en tête et elle songea qu'elle se révélerait une fois qu'elle serait en sécurité auprès des hommes de la Main Ecarlate. «
Shaera. » dit-elle alors, usant du prénom de la jeune fille qui s'occupait d'elle au palais.
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«
Y sait que t'vas lui couter une fortune Shae' ? » demanda Qarro avec mauvaise humeur. La fatigue influençait ses paroles mais Lysara ne put s'empêcher de lever les yeux au ciel : cela faisait des jours qu'ils avaient du faire demi-tour après avoir entendu que la légion dirigée par Drazenko était partie vers Westeros de l'autre côté du Détroit. Si Lysara reconnaissait un talent en son compagnon de voyage c'était la capacité de Qarro à faire parler les gens. Il la faisait passer tantôt pour sa fille, tantôt pour sa belle-soeur sourde et muette, tantôt une esclave qu'il avait récupéré et qu'il ramenait chez son maître. Si la Vhassar s'était offusquée d'être ainsi traitée, elle devait reconnaitre que cela lui épargnait bien des conversations et des explications. C'était au cours de l'une d'elle, qu'ils avaient entendu parler des mouvements de la Main Ecarlate et s'étaient retrouvés face à une impasse. «
Depuis Braavos, nous trouverons sans doute un bateau pour nous emmener sur Westeros. » avait-elle songé à voix haute, s'attirant les foudres de son accompagnateur. Elle se doutait que Qarro n'avait nul envie de l'accompagner à l'ouest et avait donc promis qu'elle revendrait ses derniers bijoux pour lui obtenir la compensation financière qu'il réclamait. Malgré tout, l'homme laissait encore en suspens sa présence, ou non, au cours de la traversée, ce qui ne faisait qu'accentuer l'agacement de Lysara. Dans leur déconvenue passée, ils avaient eut la chance de tomber sur un convoi marchand qu'ils avaient pu rejoindre en se faisant passer pour un père et sa fille. Lysara ne parlait presque pas, craignant de trahir ses origines aisées avec un parler trop riche pour une fille censée venir des basses sphères de la population. Un mouvement attira son attention et celle de Qarro et tout se passa très vite. Le convoi était attaqué et la violence utilisée pour mettre hors de nuire les quelques hommes capable de leur tenir tête rappela à Lysara une scène tout aussi violente qui opposait sa propre famille aux intrus infectée. Totalement paralysée, elle se sentie attrapée par le bras et suivit Qarro pour tenter d'échapper à leur assaillant. Tandis qu'elle songeait qu'il la sauvait pour la seconde fois en quelques semaines, ils se retrouvèrent coincés, nez-à-nez avec deux hommes dont les intentions étaient claires. Qarro la lâcha et ses mots la blessèrent plus qu'aucune lame n'aurait pu le faire. «
Vous la voulez ? Prenez là ! » Il la trahissait. Il voulait échanger sa liberté contre la sienne. Elle voulut s'opposer et n'eut le temps de dire quoi que ce soit, ressentant une vive douleur dans la nuque. Elle vit l'épée d'un homme se lever devant le regard paniqué de Qarro et ce fut le noir total.
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Sa tête reposa contre le bois qui soutenait son dos, elle était fatiguée alors même qu'elle n'avait rien à faire, assise là toute la journée à attendre. Autour d'elle, des dizaines d'autres personnes entassées les unes sur les autres dans des états aussi divers que variés de détresse ou de santé. Elle soupçonnait un homme dont la blessure dégageait une étrange odeur d'être mort depuis au moins deux heures quand à la jeune femme qui lui faisait face, elle semblait incapable de s'arrêter de pleurer et cela faisait des jours qu'ils étaient en mer. Par moment Lysara se disait que lorsque sa patience atteindrait son terme, son éducation ne la retiendrait pas de hurler à la pauvre fille de cesser de pleurnicher mais, elle se souvenait. Elle se souvent que lorsque tous commençaient à dormir, quand la pleureuse n'avaient plus de larme à écouler et se laissait emporter par l'épuisement, c'était à son tour. Elle se rappelait de la chaleur de Pentos, de la beauté des jardins, de l'affection de ses frères, de la bienveillance de sa mère. Et alors c'était elle qui se laissait aller à verser quelques larmes. Que n'aurait-elle donné pour troquer le tissus rêche des vêtements que Qarro lui avait donné contre les fines robes de tissus précieux de son armoire ? Que n'aurait-elle fait pour troquer l'infâme odeur de la cale du bateau pour les parfums de fleurs et de sucreries qui embaumaient la terrasse du palais lorsque l'après-midi touchait à sa fin ? Elle soupira. En cet instant même elle aurait tout sacrifié pour échanger la promiscuité de ses compagnons d'infortune afin revivre cette nuit où elle s'était noyée dans les bras de Drazenko, ces quelques heures où ils n'avaient eut qu'à se soucier l'un de l'autre. Sa voisine de droite la fixait si intensément que Lysara sortie de ses pensées pour la regarder à son tour. «
T'as jamais été la fille de Qarro n'est-ce pas ? J'suis même prête à parier que tu t'appelle pas Shaera. » Un sourcil blond se haussa tandis que la femme se mettait à rire d'un rire gras et dépourvu de joie. Qarro lui aurait presque manqué s'il n'avait prouvé à la jeune fille qu'il était prêt à tout pour s'en sortir. «
Ça se voyait comme le nez au milieu de la figure : t'étais trop jolie pour être la fille d'un homme comme lui. Enfin ... Pour ce que ça t'offrira maintenant. » soupira-t-elle. Lysara se souvenait de l'avoir vu plusieurs fois dans la caravane des marchands. Tout comme elle, sa camarade avait vécu bien des péripéties incroyable et tout comme elle, ses poignets portaient les marques des fers que leurs assaillants leur avaient passé avant de les faire monter sur le bateau. Direction Volantis avaient-ils crié sans se douter qu'ils n'attendraient jamais leur destination. La Vhassar avait eu un mince espoir quand elle avait entendu les bruits du combat sur le pont, mais les hommes qui descendirent libérer les esclaves dans la cale ne semblaient pas plus sympathiques que ceux qui les y avaient mit.
Au moins, elles n'étaient plus entravées avait-elle songé tandis qu'elle se frayait un chemin entre les personnes déjà installés dans le nouveau bateau. «
S'ils nous emmenaient à Volantis, nous serions déjà arrivés. » fit remarquer Lysara. «
On va vers l'ouest ... » répondit simplement sa voisine, Brea avait-elle finit par apprendre. «
A mon avis, nous sommes en train de naviguer au delà du Détroit. Quoi ? » demanda-t-elle presque agressivement tandis que Lysara la regardait avec surprise. Elle avait toujours cru que c'était l'une de ces filles du peuple qui ne connaissaient qu'une seule ville. Ou deux. Elle secoua la tête. «
Tu crois que nous faisions route vers Braavos pour quoi ? Nous aussi nous devions aller sur Westeros. C'est bien pour ça que Qarro nous avait rejoint. » La surprise de Lysara n'en fut que plus grande, finalement, il était mort en couard mais n'avait pas vécu en traitre. «
Je voulais rejoindre les terres de l'Orage. Ma famille avait des liens lointains avec la maison Durrandon. J'espérais y ... Retrouver quelqu'un. » finit-elle par confier, craquant sous le poids de la fatigue de son âme autant que de son corps. Brea ne fit aucun commentaire. Un nouveau silence s'installa, teinté de gêne depuis que la blonde s'était laissée aller à une confidence. Sa voisine s'éclaircit la gorge. «
Tu y as déjà été ? Sur le continent. » Lysara secoua la tête : ses seules connaissances étaient purement théoriques, fruit de ses lectures. Il y eut un nouveau rire grave et Lysara se renfrogna avant que sa compagne ne se décide à parler.
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Son arrivée demeura quelque chose de très flou dans son esprit. Elle se souvenait s'être réveillée sur une plage, crachant de l'eau et se débattant dans le sable entre les rares rescapés et les quelques corps qui avaient échoués non loin d'eux. Comment elle était en vie ? Elle n'en savait rien mais elle vit cela comme le signe de sa bonne fortune. Lysara mit plusieurs jours à s'en remettre, demeurant avec les survivants. Puis le groupe s'était séparé. Trois voulaient retourner à l'Est et cherchaient le premier port où ils pourraient monnayer leur passage. Lysara hésita : elle avait voulu se rendre sur Westeros et elle y était. Peut être ni de la manière dont elle l'aurait voulu, ni même à l'endroit où elle aurait souhaité être ... Mais rien ne l'attendait plus en Essos. Sa famille était détruite, la cité qui l'avait vu naître n'était qu'une ville fantôme. Tout ce qui lui restait c'était Drazenko, le lien de sang et la promesse qui les unissaient. et Drazenko était ici. Alors elle demeura avec les deux qui avaient choisis de rester, quelques temps du moins :eux voulaient trouver un château à servir, une ville où s'établir, où oublier. Lysara, elle, voulait remonter loin des côtes et du désert, loin du sable et du soleil, rejoindre ces fameuses terres de l'Orage où elle espérait retrouver son frère.
Brea était de ceux qui avait décidé de rester : au cours de leur première nuit sur la plage dornienne, elle avait raconté un pan de son histoire ne faisait qu'accentuer l'horrible sentiment que Lysara ressentait au fond d'elle, celui de la honte. Elle avait crut sa situation difficile, et en un sens elle l'était, mais jusqu'à ces dernières semaines, sa vie avait été paisible, tranquille et sans le massacre de Pentos, sans doute n'aurait-elle jamais rien vu de la réalité du dehors. Brea se laissa convaincre de l'aider : tandis qu'elles remontaient une rivière à l'odeur épouvantable, elle lui apprit à nouer ses cheveux dans une pièce de tissus, dissimulant leur couleur argentée jusqu'à ce qu'elles trouvent un marché où elles négocieraient l'un des derniers bijoux de la jeune fille contre des épices ou n'importe quoi qui permettrait de temporairement en changer les reflets. Elle trouva en Brea une présence qui lui rappelait celle de Lysaro, protectrice et pleine d'enseignement à dispenser mais cette attachement lui serrait le coeur tandis que le souvenir de Qarro l'intimait à la prudence : qui pouvait savoir ce que Brea ferait si elles se trouvaient en mauvaise posture. Leur route les fit croiser quelques rares personnes mais c'est en arrivant aux abords d'une ville que les deux femmes en apprirent d'avantage sur ce territoire désormais divisé entre descendants de Rhoynar et un nouvel envahisseur répondant aux ambitions sans limite de Tyraemarr Valtigar et de la renaissance tant désiré d'un nouvel empire valyrien. « Tu pourras toujours laisser penser que tu es une esclave échappée ... » commenta Brea après que Lysara ait exprimé son désir de s'éloigner autant que possible de cette fragile frontière qui séparait le Dorne libre de celui de ses ennemis. Lysara n'avait pas l'optimisme affichée de sa compagne de voyage : elle craignait que dans la région qu'elles arpentait, son sang valyrien ne leur porte préjudice d'un côté comme de l'autre.
Tandis que le soleil se couchait, Lysara songea que le chemin était peut être plus périlleux qu'elle ne l'avait imaginé.