Ni les festivités, ni les nombreux ordres d’approvisionnement de milliers soldats ne m’ont donné autant de fil à retordre que l’Impératrice elle-même. Kora et moi avons à ruser, ensemble, pour forcer la jeune peyredragonienne à quitter ses appartements, ses lettres et ses études, prendre le grand air, avaler quelques bouchés, ou tout simplement s’habiller en tenue d’apparat pour de grandes occasions comme les festivités pour une nouvelle alliance – ou victoire. Je ne m’en agace pas, pour autant. Sa blessure est profonde et mettra un temps considérable à simplement cesser de saigner. Nous ne pouvons que patienter.

Je ne montre rien de ma fatigue grandissante due à de courtes nuits. Je souris et offre un mot de bienvenue à chaque invité, je me balade parmi les hommes d’armes pour m’enquérir de leur santé, je me mêle aux domestiques pour m’assurer qu’il n’y a pas de soucis particuliers et, enfin, je me charge d’échanger régulièrement avec la personne responsable de la sécurité de Fort-Darion, m’assurant qu’il n’y a rien de suspects qui puisse gâcher les festivités. Petite souris infatigable en apparence, je suis partout.  

Pourtant, l’étiquette exige que je m’arrête quelques minutes, notamment lorsque le héraut annonce le couple impérial. Alors, je m’assois là où est ma place – soit bien après les principaux chefs et officiers de l’armée de l’Empire – et traîne déjà mes oreilles dans les discussions voisines. Si la majorité est ravie, il y a toujours ces éternels mécontents. Je m’en désintéresse, lorsque Torrhen prend parole et prononce son discours. Je suis assez ravie de son choix des mots et des tournures de phrases, et partage la frénésie qui peut se glisser parmi l’assemblée.

Mon regard s’attarde bien vite sur le jeune couple du Val et, surtout, sur leurs suites. Je vois le conseiller royal dont l’enfant est promis à un mariage avec l’Empire ou avec un Royaume Fédéré. Non loin, je vois tout autant le Prince Héritier, Jonos, et est bien attristé que l’entente nuptiale a été faite avec Peyredragon … Est-ce encore possible de faire pencher la balance en la faveur de Lyarra ?

J’enterre ces pensées, aussitôt que mon regard glisse sur les autres convives. Je crains qu’un valois, ou un impériaux ou un tout autre homme d’un royaume fédéré prononce le mot de travers, faisant renaître les rancœurs passées. Avec impatiente, j’attends que l’Impératrice et l’Empereur s’installe et que les bardes et artistes reprennent leur activité. Alors, je pourrais reprendre du service, à diriger cet orchestre, à calmer les ardeurs de certains, à ranimer la ferveur dans le cœur d’autre … Il le faut, que ce soit pour la réussite de cette soirée, mais aussi pour une entente durable avec des voisins troubles.

- A la paix, Val et Montagne avec l’Empire !

J'entends "Pour le Nord ! Pour les Loups !" .
J'entends "Pour Peyredragon ! Pour les Dragons !".
J'entends "Pour l'Orage ! Pour l'Impétueuse !".
J'entends "Pour le Conflans ! Pour la Truite !".
J'entends 'Pour Dorne ! Pour la Rebelle !".

Les royaumes sont scandés. Les noms des souverains seront chantés hauts et forts tout au long de la nuit.

L’histoire est écrite par les vainqueurs. Et ce soir était le parfait exemple de ce proverbe. Fort-Darion avait fait l'objet d'une certaine agitation depuis plusieurs jours, depuis que l'information d'un capitulation valoise avait petit à petit fait son chemin au sein du château comme tout autour de la cité. Promesse d'une nouvelle alliance, plus que bénéfique pour l'Empire, en supprimant une menace sur son flanc Est, elle ne doutait pas un seul instant que celle-ci devait être bien plus amer pour le côté opposé. On disait des soldats du Val et de la Montagne qu'ils s'étaient bien battus, et que la chance avait failli tourner en leur faveur à un moment donné. Mais finalement, et bien heureusement, l'Empire avait réussi à causer assez de dégâts pour que la victoire soit de leur côté et que le Roi Ronnel Arryn ne vienne à songer à négocier avec la puissance conjointe des Braenaryon et des autres royaumes fédérés. Eux qui avaient porté haut, pendant un temps, l'étendard de la neutralité, avaient répondu à l'appel de la guerre en étant du mauvais côté. Les erreurs formaient la jeunesse, et le Roi, comme la Reine étaient encore jeunes. Néanmoins, il était bien plus difficile à pardonner ce genre de décisions quand cela entraînait tout un royaume derrière soit et donc de nombreuses vies perdues par la même occasion. Pour autant, le Val s'en sortait bien mieux en acceptant de discuter la paix avec l'Empire, que ce qui aurait pu être le cas dans un phénomène d’annihilation du royaume du Val et de son peuple, si le Arryn s'était obstiné contre eux. Car l'Empire n'aurait jamais renoncé, tant que ce dernier représentait une menace pour son intégrité. Loup et Dragon venaient toujours à protéger leur foyer et les membres de leur famille ou ceux qu'ils considéraient comme tels. Et c'était un honneur pour elle que d'y être affiliée.

Avant l'arrivée de la délégation valoise au sein de Fort-Darion, et le début des festivités pour célébrer la nouvelle alliance, elle s'était permise d'écrire une missive à l'attention du Roi Ronnel Arryn. Elle savait parfaitement que l'Orage tenait une place particulière dans le cœur du peuple du Val et de la Montagne, et ce n'était certainement pas pour de bonnes raisons. Leur passif commun avait provoqué la mort du père du souverain actuel et c'était des choses que même le temps ne venait jamais à guérir complètement et la rancoeur pouvait être un poison terrible. Argella n'aurait sans doute pas manqué de lui en vouloir si elle avait su qu'elle avait tendu la main au Val en leur écrivant, mais aujourd'hui encore, elle se rappelait de ce que la Reine lui avait dit : Argella était la main de fer, et elle, elle jouait le rôle du gant de velours. De plus, en l'absence de contact direct avec sa souveraine depuis plusieurs semaines, voir plusieurs mois, elle se devait dans tous les cas de représenter l'Orage à Fort-Darion et de le faire du mieux qu'elle le pouvait pour espérer améliorer les relations entre les deux parties. Elle s'était donc apprêtée pour l'occasion, venant à porter une belle robe d'un gris aussi profond qu'un ciel d'orage et elle avait mis sur sa robe, une proche dorée représentant l'emblème du royaume qu'elle défendait. Sans doute qu'elle ne serait pas appréciée par la délégation valoise, même s'il n'était certainement pas possible pour le souverain de pouvoir se passer de la Biche, même si la situation sur le terrain était complexe, elle n'en restait pas moins une des têtes couronnées des royaumes fédérés. Mina ne manquerait pas également de taire le fait qu'elle était née dans le Bief, cela pourrait créer d'autres fâcheries.

Mina fit donc son entrée dans la salle qui avait été décoré pour l'occasion. Parée de son éternel sourire, elle vint à saluer les personnes qu'elle reconnaissait d'un petit signe de la tête avant de traverser la pièce toute entière pour pouvoir gagner la table principale. Remarquant la présence des jumeaux impériaux, ou surtout de la lourde garde qui était auprès d'eux pour veiller sur leurs personnes, Mina se présenta aux soldats qui la laissèrent passer un instant juste pour qu'elle puisse venir les embrasser et vérifier qu'ils étaient bien installés. Elle souhaita malgré tout une bonne soirée à ceux qui avaient la charge de les veiller et alla ensuite à la place qui lui avait été désigné, sur la droite, du côté de Torrhen, dans le prolongement de la délégation valoise. Voilà qui allait promettre une soirée intéressante. Elle suivit l'entrée de Torrhen et de Rhaenys avec attention, et la salle vint à se taire quand l'Empereur fit son discours. Comme tout le monde, elle leva son verre quand il vint à terminer celui-ci et prononça de concert. « A la paix, Val et Montagne avec l’Empire ! »

Pour certains, nous fêtons une alliance. Pour d’autres, nous célébrons une humiliante défaite. Le Val se déchire, encore, entre pro-Empire et pro-Puissances Centrales. Le Grand Septon a ajouté son grain de sel, en m’excommuniant et en reniant toute légitimité au trône en faveur de mon jeune frère. Je vais abandonner un territoire à des troubles internes au profit de terres encore plus morcelées et, surtout, je vais devoir composer avec une armée qui peut douter considérablement de moi. Alors, je dois avouer que ces festivités m’importent peu, qu’importe ce qu’elles peuvent signifier pour les uns, pour les autres. J’ai, tout simplement, autre chose à penser qu’à m’éclater la panse de vins, de bières, de viandes et de patates.

La nuit a été courte, comme tant d’autres. Je m’y suis habitué. J’y trouve même un certain plaisir, maintenant. Il n’est plus question de pensées sombres et solitaires, dans quelques vieilles tours des Eyrié ou de la Porte Sanglante. Ysilia essaie de me divertir par des jeux, des conversations et de doux regards. Si elle échoue, les lynx prennent la relève, faisant preuve d’un entrain particulier au clair de lune. Cependant, ce soir sera la dernière nuit où je vais apprécier la présence agréable de mon épouse. Dès demain, je vais devoir aller chercher mon due auprès des Lions et, surtout, tenter de réduire toute influence des Puissances Centrales. Par ce moyen-là, j’ai espoir de rétablir l’unité de mon Royaume, définitivement et pour plusieurs générations.

Alors, je prends sur moi et affiche un air content et satisfait.

Je complimente la beauté d’Ysilia. J’acquiesce aux conseils avisés d’Asher. J’ordonne aux miens d’agir convenablement à la capitale impériale. J’ordonne à l’armée de faire route à bonne destination, promettant de les rattraper très vite dès que la Constitution sera signée – ou dès que j’aurais ployé le genou, sur papier, à l’Empire plutôt. Amertume que j’oublie lorsque je découvre la cité impériale. Elle impressionne bien vite. La silhouette des premiers bâtiments de la cité impériale en construction trahit de grandes ambitions architecturales. Des hommes portant des blasons du Nord, de l’Empire, de Peyredragon accourent dans les rues, formant un ensemble à la fois homogène et hétéroclite. La dernière fois que j’avais vu autant de gens de différents royaumes, c’était au conclave de Goëville. Il est étrange de se dire que, si l’Empire gagne son pari, cette ville sera simplement une ensemble cosmopolite à toute heure de la journée.

Nous sommes bien vite installés dans quelques appartements, puis aussitôt amenés dans une salle pour les festivités. Soit. Là, le protocole prend le pas et il faut s’y plier. On reçoit, on salut, on sourit, on discute brièvement et, enfin, chacun a pris place. L’Empereur prononce un discours de bienvenue, ou plutôt un discours plein d’idéaux et d’espoirs. A son verre, je réponds avec le mien. Entre temps, je me suis levé. Les valois s’y appliquent aussitôt, m’imitant. Mon scepticisme est finalement entamé légèrement par toute cette assemblée, montrant un futur que je n’aurais pas envisagé de sitôt – que j’ai encore du mal à croire en son existence en toute franchise. Le Val va se battre pour le rêve d’un autre, un rêve qui pourrait ne jamais être le mien.

-Un discours avait été pensé et préparé mais, à cet instant, j’ai une toute autre inspiration. Je commence à saisir cet idéal, à travers cette assemblée. Un continent entier, réuni sous un même idéal, un même rêve, un même objectif, avec un commerce riche et florissant entre plusieurs royaumes et non quelques royaumes : la vision est belle, commençais-je. L’Empereur a raison : nous avons des ennemis en commun par-delà le Détroit et par-delà le Mur, attendant que nous nous écharpions pour s’imposer et nous arracher nos terres et annihiler nos coutumes. Bien du sang ont coulé entre nos royaumes. Il est temps de ranger nos rancœurs dans le passé, et être ces alliés que nous aurions dû être il  y a bien longtemps. A la paix !

Mon travail est terminé, pour la soirée.

Dorénavant, je n’ai plus qu’à attendre qu’elle se termine pour pouvoir enfin quitter la capitale. Je sais que je ne suis pas la bienvenue, et que je ne risque pas d’y remettre les pieds de sitôt – si ce n’est pour quelques occasions politiques. Je le sens à l’attitude glaciale et indifférente de la maitresse des lieux. Alliance ne veut pas dire amitié, je le sais. Capitulation ne veut pas non plus dire acceptation au sein des Royaumes Fédérés. Aujourd’hui, l’Empire n’est ni plus, ni moins, que gouverné par cette femme et cet homme. Je n’aurais aucune voix. Par contre, mes enfants ou les prochains rois du Val, pourraient avoir le poids que le Val mérite au sein de cette organisation.

Je ne me bats pas pour le présent, mais pour le futur. Car mon présent, lui, est condamné. Une certitude qui s’entérine dans mon cœur lorsque je vois les jumeaux royaux protégés lourdement par des hommes - dont l'un qui lance un regard surpris à Ysilia et moi (Raevor) - et un dragon. Je ne peux pas m’empêcher de penser à mon propre enfant perdu – en même temps qu’une épouse - , il y a un an et quelques poignées d’années. Pas fichu d’être un bon fils, un bon père et un bon roi. Advienne que pourra.

Je lance un regard à Ysilia, me saisis de sa main lorsque les premiers émois sont passés, cherchant quelques réconforts le temps d’une poignée de secondes. Je lâche, lorsque je pense que le contact perdure trop, devenant gênant dans une assemblée aussi publique. Je redeviens ce roi que je déteste, et me penche vers mon beau-père et conseiller.

- Lord Asher, j’ai souvenir que nous avions reçu une lettre de Dame Mina Swann, au nom de l’Orage. Vous, ou  moi, devrions la retrouver et nous entretenir avec. Je n’ai pas eu l’occasion de lui répondre avec tous les préparatifs liés à mon départ.

Le Val n'était plus neutre depuis bien longtemps et par la même occasion, le royaume avait perdu une partie de sa liberté, de sa possibilité d'agir mais surtout de la possibilité de ne pas agir. Car c'était également cela le libre-arbitre et le principe de neutralité. Ysilia avait vu tous les changements progressifs que le Val avait pu subir, sans pour autant venir réellement à participer à une quelconque décision concernant l'avenir de ce dernier. Il y avait encore quelques mois de cela, elle n'aurait pas songé un seul instant qu'elle pourrait être la personne toute désignée pour pouvoir devenir la prochaine souveraine du Val et de la Montagne, il y deux mois à peine, elle n'était encore que la fiancée du Roi Ronnel Arryn, et à présent elle était mariée, elle était devenue Reine d'un territoire qui avait toujours été complexe et qui continuait à l'être aujourd'hui, une partie de sa population étant toujours mécontente de ce que l'autre parvenait à obtenir. Car, là était sans doute le véritable problème du royaume dont elle était la souveraine, la variété de pensées était un point fort quand cela permettait d'avancer dans la même direction, mais ce n'était clairement pas le cas dans cette situation et chaque décision venait donc à provoquer la colère d'une partie du peuple, et pire encore, d'une partie des nobles. Elle était encore jeune, trop sans doute pour certains, mais elle avait évolué au cours des dernières années, principalement, aux Eyrié et malgré son apparente insouciance et naïveté, son père lui avait donné des armes pour pouvoir comprendre les enjeux politiques. L'alliance passée avec Peyredragon et le Nord était tombée à l'eau, cela avait plu à ceux désirant la neutralité, et ceux qui s'opposaient à l'alliance. Puis des mois plus tard, le Val s'était engagé dans la guerre aux côtés des Puissances Centrales, venant ainsi à satisfaire ceux qui avaient toujours préféré ce camp-là aux autres, ceux qui préféraient la Foi à tout le reste. Et maintenant, la situation était à nouveau renversée, les pro-Empires avaient enfin obtenu gain de cause, mais le navire était fragilisé et les querelles religieuses se mêlaient aux questions politiques dans un imbroglio qui pouvait être dangereux. L'appel à une nouvelle Croisade de la part du Grand Septon et l'excommunication de Ronnel n'arrangeaient rien.

Ronnel avait pris la décision de négocier la paix avec l'Empire, Ysilia avait été tenue à l'écart de la rencontre par mesure de sécurité, mais même sans cela, il avait été celui qui avait choisi la paix plutôt que de continuer la guerre. Leur mariage était peut-être récent, mais elle désirait sincèrement le soutenir dans cette nouvelle étape du règne de son époux. Il était donc tout aussi normal qu'elle vienne à l'accompagner à Fort-Darion et sans doute qu'elle y resterait un peu plus longtemps que son époux, alors que la guerre l'appelait déjà ailleurs, bien loin de la capitale impériale et encore plus loin des Eyrié. Les choses s'enchaînaient à une vitesse folle et alors qu'elle était au tout début de sa grossesse, elle se sentait quelque peu fatiguée de tous ces voyages en peu de temps mais surtout par toute cette tension qui ne manquait pas de les étreindre tous et également l'idée qu'elle pourrait peut-être perdre Ronnel prochainement dans les combats qu'il allait mener contre les hommes de l'Ouest. Ce n'était pas un mariage d'amour comme le Roi avait pu le connaître une première fois avec Nymeria Lannister mais ils étaient néanmoins complices depuis de longues années et elle l'appréciait sincèrement pour ne pas vouloir le perdre si vite après leur union. Ysilia avait retrouvé sa mère à Fort-Darion et elle l'avait aidé à se préparer pour les festivités dans la capitale impériale et elle avait réussi surtout à l'apaiser un peu avant leur grande entrée au cœur de l'Empire.

C'est au bras de Ronnel qu'elle s'avança dans la salle des festivités, un léger sourire aux lèvres, elle salua les personnes présentes, bien qu'elle n'en connaissait que très peu au final. C'était à la fois impressionnant, cela avait quelque chose d’enivrant et pour autant, c'était fortement déstabilisant, car malgré le beau discours que l'Empereur vint à prononcer, il n'en restait pas moins que c'était une défaite pour le Val, même s'il venait à gagner de nouveaux alliés. Elle leva son verre pour accompagner la fin des paroles de Torrhen Braenaryon, puis elle ne manqua pas d'applaudir son époux après le sien. Quand Ronnel se tourna vers elle, elle lui adressa un sourire léger, et un petit signe de tête. « C'était très bien. » Souffla-t-elle du bout des lèvres pour qu'il soit le seul à l'entendre. Elle serra sa main dans la sienne et la libéra quand il se décida que le contact avait duré assez longtemps. Silencieusement, elle tourna le regard vers la salle, posant ses mains sur son ventre, comme pour protéger le trésor qui se trouvait cacher à l'intérieur.

C’était un jour de fête dans la Capitale Impériale ! Depuis plusieurs jours la cité était bousculée par une activité peu commune. Malgré sa création récente, Fort-Darion avait déjà connu bon nombre de célébrités et fut à plusieurs reprises le lieu de regroupement pour d’importantes armées. Et dire qu’il ne pouvait pas en profiter pleinement, ça le rendait fou ! Il entendait tout le remue-ménage à l’extérieur, les rires des passants, les commentaires d’individus usés par la route qu’ils venaient de faire pour arriver ici et les ordres des gouverneurs qui criaient à tout va envers les membres des maisonnées. Il devait se contenter de ronger son frein, il aurait tellement souhaité se mélanger à la foule, écumer quelques tavernes, aller sur les quais pour identifier les pavillons des maisons nobles présentes pour les festivités, s’entraîner avec sa cohorte aux portes de la ville.

Cette liberté d’action lui était retiré en état et pour un sacré bout de temps, si seulement il retrouvait un jour cette pleine mobilité. Il fût rapatrié à Fort-Darion depuis peu, lorsque son état avait été jugé acceptable pour être déplacé et qu’il n’était plus obligé d’être alité en permanence. Il crut qu’il allait perdre l’esprit avec tout ce temps d’immobilisation, bien qu’en vérité, il était passé par une bien belle porte et qu’il ait survécu. Comparé à de nombreux de ses camarades tombaient au champ d’honneur. Il avait au moins cette chance, mais en réalité, que cela valait-il s’il n’était pas capable de combattre de nouveau ? Il était un guerrier, c’est ce qu’il était. Et s’il n’était plus capable de lever son épée à nouveau et de monter à cheval, que deviendrait-il ? La mort aurait peut-être été préférable que de subir le fait de ne plus pouvoir être l’homme qu’il souhaitait.

Il balaya cette obscure pensée de son esprit, bien que cette remise en question fût quotidienne. Il s’efforçait de marcher quotidiennement, son corps le faisait souffrir, il se donnait des objectifs jour après jour pour progresser. Il pouvait compter sur l’aide bienveillante de Lady Verdragon qui l’aidait dans sa convalescence depuis son retour à la Capitale, Garlan ne pourrait jamais assez la remercier pour son aide, c’était important de pouvoir compter sur des soutiens dans ce genre de situation. Elle lui permettait de garder les idées claires et garder une vision positive de la situation. Sa chère avait été un indéfectible soutien comme à son habitude, il savait que dans leur relation, il ne lui rendait pas la moitié de l’aide qu’elle lui fournissait, c’était injuste. La lettre de l’Empereur l’avait motivé également. Lui faire déjouer les paris sur le fait qu’il était fini. Il était un homme de défi et il relèverait celui-là comme il avait relevé les autres. Un guerrier n’abandonne jamais le combat, il s’abandonne corps et âme, en déployant tous les efforts, pour ce qui lui semblait juste !

Il ferait une apparition lors des festivités, pour faire honneur au travail de l’intendante qui avait dû s’arracher les cheveux à tout organiser et pour montrer qu’il était encore bel et bien vivant, n’en déplaise à certaines personnes. Il savait que son état ne lui permettrait pas de rester bien longtemps, puis il souhaitait se lever aux aurores demain, alors que la cité dormait encore. Essayer des passes d’arme sur une mannequin d’entrainement, mais il savait que cela ne durerait seulement quelques minutes avant que la douleur n’en devienne insupportable. Il s’était habillé de façon sobre, rien de clinquant, un pourpoint ample incrusté du blason de sa façon, il préférait que cela ne repose pas trop sur sa blessure. Un aide de camp de sa cohorte le suivait de près s’il avait besoin d’assistance. Armé d’une carne de fortune qui l’aidait à ne pas poser tout son poids sur sa jambe qui avait dégusté, il avançait péniblement vers le château. Chacun de ses pas le faisait souffrir en état, il se mordait la lèvre inférieure, alors que la douleur le tiraillait au niveau de sa jambe et qu’il ressentait comme une brûlure au niveau de sa poitrine, par l’effort demandé à ses muscles.

Mais il continua d’avancer, il essayait de garder bonne figure, malgré la sueur qui perlait sur son front. Il se taisait pour avancer, son parcours fut accueilli par de la musique et des balades, le volume se fit de plus en plus fort au fur et à mesure de sa progression. Cela l’encourageait et il finit par arriver aux portes de la salle. Celle-ci était bondée, c’était une grande occasion en même temps, la paix avec le Val signifiait bien des choses. Les ennemis d’hier, les alliés d’aujourd’hui. Il alla présenter l’Empereur et l’Impératrice aussi bien qu’il le put au vu de sa situation et se fraya un passage à travers la salle, il hocha la tête respectueusement en direction du Prince Orys, un fin sourire aux lèvres déformée par une grimace de douleur. C’était un guerrier remarquable et combattre à ses côtés avait été un honneur. Il trouva enfin sa place, il conversa avec certains commandants et maréchaux de sa situation, des dernières nouvelles et de l’état des différentes unités. Il ne comptait pas se faire plaindre et rester loin de l’action. Cela lui était impossible.

Il prit appui contre un mur, ce qui le soulagea, prenant un mouchoir, il essuya discrètement la sueur sur son front avant de le dissimuler. Le bieffois intercepta un serviteur pour lui chiper un godet sur son plateau. Son regard sonda la pièce et il réussit à capter par surprise le regard de sa sœur et tendit le godet en sa direction pour la saluer. Il ne comptait pas la déranger, il savait qu’elle avait fort à faire ces derniers temps. Il ne fallut pas attendre longtemps pour que le héraut annonce le couple impérial. Il les acclama fortement avec conviction pour l’idéal qu’ils représentaient et ce qu’ils portaient sur leurs épaules. Ecoutant attentivement le discours de l’Empereur, le chevalier eut une pensée pour tous ceux qui n’étaient pas là aujourd’hui pour célébrer cet évènement avec eux et qui avait donné leur vie pour payer la paix. Il leva son godet aux derniers mots de son souverain et but une gorgée du doux breuvage.

Prêtant une oreille attentive au discours du Prince Baratheon, il appuya les acclamations qui vinrent clore son discours en faisant claquer bruyamment l’extrémité de sa canne au sol. Et hop encore deux gorgées !

D'une certaine façon, tout le monde était dans l'expectative de voir l'un ou l'autre des camps faire une erreur, un faux pas, et que la soirée qui devait permettre de fêter dignement une nouvelle alliance pouvait potentiellement passer au règlement de comptes, entre des nations amères les unes vis-à-vis des autres, cette fois sans porter de coup avec une épée sur un champ de bataille. Mais les mots pouvaient être aussi forts que les actes et de cela, Ysilia était parfaitement consciente de tout cela. En arrivant dans la salle pour le moment fatidique, elle s'était sentie inquiète, légèrement tremblante et même si elle avait gardé la tête haute tout au long de cette traversé jusqu'à la table principale, elle n'avait clairement qu'une hâte, c'était d'entendre la rumeur des conversations commencées, de voir les verres s’entrechoqués, les assiettes se remplirent ainsi que les estomacs et que pendant un temps la médisance puisse venir à disparaître. Car oui, aujourd'hui, le Val et l'Empire étaient alliés, sous une même bannière, vers un seul et unique but. Pour autant, elle était loin d'être certaine que tout le monde ici était pleinement convaincu de la bonne justification de cette alliance. Chacun avait ses arguments, dans un camp, comme dans l'autre, mais maintenant, ils étaient tous dans le même bateau et il était impossible de venir à  ramer dans des directions opposées, que cela plaise ou non. Elle y croyait sincèrement, et elle allait sans doute lutter pour pouvoir amener son époux ou l'entièreté du peuple valois, à prendre conscience que c'était une chance, plutôt qu'une malédiction, surtout après l'inaction presque totale des autres royaumes des Puissances Centrales pour venir les aider. La jeune Reine n'avait pas désiré faire de discours, elle gardait ses mots pour d'autres occasions, quand son mari serait parti à la guerre, rejoindre le Roi du Nord et celui du Conflans pour venir à bout des hommes des Lannister, et qu'elle serait donc toute seule ou presque dans la gueule du loup.

Pour autant, d'autres personnes avaient le désir de parler, et elle se pencha quelque peu pour pouvoir observer le prince Orys Baratheon, régent de Peyredragon, se lever avant de se décider à prendre la parole. Et la réaction fut presque aussi immédiate que les mots qu'il vint à choisir pour s'exprimer devant l'ensemble de l'assistance. Elle se sentit devenir plus pâle au fur et à mesure du discours, ce qui était sans doute inquiétant vu le teint de porcelaine qui était le sien, elle vint à froisser un peu sa robe en la serrant entre l'une de ses mains, alors que l'autre venait à prendre celle de Ronnel pour lui faire comprendre qu'elle le soutenait. Elle ne le regarda pas pour autant, alors qu'elle se savait observer par d'autres convives dans la pièce et elle resta silencieuse. Elle refusa néanmoins de lever sa coupe quand il vint enfin à se taire et elle reprit place convenablement dans son siège, fixant le vague pendant quelques secondes. Puis elle regarda ensuite les convives dans la pièce, prit sa coupe dans sa main et elle but une gorgée de cette dernière avant de la reposer doucement sur la table et de se tourner vers l'Empereur, un léger sourire sur le visage, baissant la voix pour créer une certaine intimité dans leur conversation. « Je crois pouvoir le dire aujourd'hui, mais j'ai toujours eu un certain attachement pour le Nord. Il faut dire que le projet de mariage entre votre fils et moi-même était plaisante. Nous avons correspondu pendant un temps, lui et moi, et j'étais sincèrement fière de me dire que je pourrais aider le Val et ses relations diplomatiques, en liant mon destin avec l'héritier d'un autre royaume. Les choses ont été toutes autres, mais j'ai conscience depuis mon mariage récent avec Ronnel, que plus encore qu'agir en tant que princesse étrangère, je suis fière et honorée de pouvoir aider le Val en tant que souveraine de ce royaume. Certes, le mariage est encore tout récent, cela fait quelques semaines à peine, mais j'ai sincèrement la volonté de faire prospérer ce royaume autant que son peuple, et de pouvoir le faire à présent au sein de l'Empire. »

Ysilia prit quelques secondes pour regarder l'Empereur dans les yeux, les joues quelques peu rose d'avoir osé prendre la parole à son égard, mais pour autant, elle ne désirait nullement s'arrêter en si bon chemin. « J'ai été éblouie en arrivant à Fort-Darion, en voyant toute cette population mélangée en un même endroit et vivant les uns avec les autres en communauté. C'est enivrant. Et je me suis dis que même après ce qu'il s'était passé entre nos deux entités, nous pouvions finalement y arriver. » Son visage se ferma petit à petit, les joues toujours un peu rougi, mais les traits plus neutres et le regard plus sombre. « Puis je me suis souvenue que les grands de ce monde étaient bien souvent les mieux placés pour dire tout haut, ce que tout le monde venait à dire ou à penser tout bas. L'Empire a gagné, le Val a perdu. C'est une réalité, c'est une fatalité mais nous nous devons de l'assumer, et je l'assume pleinement. Pour autant, je suis maintenant inquiète après les paroles du Prince Régent sur ce qu'il va se passer pour le Val. » Elle fit une pause. « Que je m'explique, mon mari et Roi va partir à la guerre plus loin au cœur de Westeros, et sans doute que mon père et Conseiller, viendra à reprendre la route du Val rapidement pour apaiser les cœurs et les esprits. Je vais donc rester ici, pour pouvoir m'occuper de certains points, et gérer la diplomatie avec nos nouveaux alliés. Mais en aurais-je seulement l'occasion face au reste du Collège Impérial ? Car les offenses sont à peine voilées et ont été prononcé devant l'ensemble des membres de l'Empire, nouveaux comme anciens. Accepterez-vous vraiment que nous fassions pleinement parti de votre système, ou Orys Baratheon vient à dire devant tout le monde, la véritable pensée de l'Empire à notre égard ? Je ne peux que reconnaître votre clémence à notre égard votre Majesté, et vous en remercier. Mais je sais que celle des autres royaumes ne sera pas facile à gagner et il vient tout juste de nous le rappeler. » La voix avait été doute et mesurée pendant toute son interrogation, pas un mot plus haut que l'autre, pas une démonstration de colère, mais bien d'inquiétude à n'en pas douter.

J’aimerais dire que la fête bat son plein, que la joie, l’allégresse et l’ivresse se sont emparées de ces corps. Si les hommes d’armes et les dames semblent apprécier victuailles, chants et danses, les têtes couronnées tirent une véritable gueule d’enterrement. Orys offense Ronnel. Rhaenys parle mais, à ses traits, j’en devine les propos durs. Torrhen s’extirpe d’une position inconfortable.

Je ne suis pas dépitée, ou déçue, d’une telle situation. Je me suis même attendue à un tel scénario. Connaissant la nature humaine, il aurait été étonnant qu’aucun homme ne tente une offense gratuite à l’égard du Val, que ce soit ses souverains ou ses représentants. Par contre, je dois avouer que je suis surprise que ce soit le Prince Régent qui lance cette boutade gratuite: il n’est plus soldat, par les Anciens ! Sait-il que ses propos ont dorénavant des conséquences ?

Je maintiens ce sourire de circonstance, saisis le regard plein de sous-entendu et directif de l’Empereur et y réponds d’un signe de tête léger. J’ai prévu quelques alternatives, plus ou moins joyeuses, plus ou moins agréables. Certaines plairont à Torrhen, d’autres me valeront son regard le plus noir. Je ne cherche plus à plaire à l’Impératrice. Son deuil l’accapare entièrement et totalement, et je ne souhaite pas la déranger dans ce cheminement. Elle est encore trop jeune, elle ne sait pas encore contrôler ses émotions, savoir les outrepasser en temps et en heure pour les choses politiques.

Tranquillement, je me balade parmi la délégation impériale - notamment auprès d’hommes originaires du Nord. Je leur glisse quelques mots à chacun : « Messire, je vous prierai de vous rendre à l’entrée du Palais lorsque j’inviterai tout le monde à se rendre aux Jardins. Je pense que nous devons convenablement introduire les hommes du Val à nos façons de célébrer. L’Empereur serait ravi de goûter, à nouveau, à ses jeunes années. ». Ils acquiescent, car ils me font confiance - les années ont tissé des liens solides -, car ils savent ranger les rancœurs passées et penser à l’avenir, car leur loyauté est toute acquise à leur souverain. Bien, il ne me manque plus qu’à convaincre les Valois à travers Asher Royce, puis ensuite forcer Torrhen à se plier à mon caprice. Cette dernière action me semble la plus périlleuse, et la plus complexe.

Je ne tarde pas à croiser la conseillère Oranne. Je me rappelle de notre dernière entrevue, où elle m’a abandonné subitement et sur une note peu courtoise. Encore aujourd’hui, je ne sais pas ce que j’ai bien pu dire - ou faire - pour m’attirer les foudres de ce bout de glace. Même les glaciers du Nord sont plus aisés à briser …

- Dame Oranne, je suis heureuse que vous soyez l’une des nôtres ce soir. J’ai craint que vous ne viendrez pas. Vous comprendrez, vous m’avez laissé bien confuse suite à notre dernière entrevue. Je ne souhaitais que le meilleur pour nos filles, et vous êtes subitement partis.

J’en profite pour héler un homme - un domestique qui est quasiment mon bras droit pour l’organisation de ces festivités - et lui susurre quelques ordres. Aussitôt, il court d’un point à l’autre de la salle. Subitement, les bardes chantent les plus belles douceurs aux demoiselles, invitant femme et homme à se mêler le temps d’une danse. Quelques bougies sont éteintes pour tamiser cette ambiance - et surtout cacher au mieux l’air boudeur d’une majorité. Les vins et les bières les plus corsés viennent remplir les coupes, échauffant un brin davantage les joues de certains.

- Je ne vais pas vous importuner plus longtemps. J’ai à m’entretenir avec la délégation valoise sans plus tarder.

En passant à travers cette nouvelle rangée, je félicite les uns et les autres, apporte quelques mots gentils également. Je souhaite un prompt rétablissement au Capitaine Goldwyne qui s’est blessé au Trident, je complimente la jolie toilette de Dame Daena, je m’extasie devant la belle chevelure blonde de Dame Vaella … Après ces nombreux ronds de jambe, j’arrive enfin là où est le conseiller du Val, en grande discussion avec ma très chère amie, Mina.

- Puis-je me permettre de participer à votre discussion ? glissais-je d’un ton mielleux.

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