Back to black

All I want is nothing more
To hear you knocking at my door
'Cause if I could see your face once more
I could die as a happy man I'm sure
When you said your last goodbye
I died a little bit inside
I lay in tears in bed all night
Alone without you by my side

Se réveiller surprise par le soleil semble chaque fois un peu plus irréel, alors que lui n'est plus. Alors qu'elle était encore si loin, il y a si peu de temps. Dans une situation définitivement différente. Elle n'a pas eu le temps de se protéger, ça l'a heurté de plein fouet. Elle l'a aimé très vite, et très fort. Persuadée qu'il s'agissait là d'une bonne chose, elle n'a hésité que peu de temps avant de s'abandonner à ce sentiment euphorique d'avoir trouvé sa place auprès de quelqu'un. La princesse du Nord s'est dit, un peu naïvement, qu'ils réussiraient à traverser les épreuves qui seraient les leurs.

Mais Lyman Lannister est mort.

Et avec lui, tous les rêves qu'ils nourrissaient depuis peu. Jeyne a mis des jours avant de sortir du lit, des semaines avant de réaliser que lui aussi s'en était allé. Comme sa mère, des années avant cela. Sans raison, sans prévenir. Sans héritier qui aurait pu justifier qu'elle reste à Castral Roc, la princesse a tout bonnement été congédiée. Elle a longtemps rêvé de pouvoir rester à Winterfell, voilà qui devrait la satisfaire.

Mais satisfaite, elle ne l'est pas. Bouillonnant d'un mélange terrible de haine et de colère, de tristesse et de déception, elle a recommencé à vivre en partant en promenade tous les matins sur son cheval. Avant même que le soleil se lève et ne vienne lui rappeler ses terribles réalités. Elle l'observait se lever depuis les reliefs dangereux du Nord, le surprenant avant qu'il ne se charge de la réveiller. Ne pas se laisser abattre avait été une décision difficile à prendre, mais son corps refusait tout bonnement de se laisser tuer. Soit, elle se relèverait.

Jeyne descend de son cheval alors qu'on l'interrompt dans sa routine matinale. La maison Ardoise est arrivée à Winterfell, sans doute pour lui présenter ses condoléances. Elle comprend le geste, bien qu'il ne serve à rien. Personne ne pourra combler le vide qu'il a laissé dans sa vie. Personne ne pourra lui rendre ce qu'on lui a pris. Personne ne pourra empêcher le soleil de se lever, alors qu'il devrait lui aussi être endeuillé. Jeyne remercie, et quitte l'écurie, tâche d'enfiler une énième robe noire et de rendre un peu de vie à son visage. Alors qu'elle quitte sa chambre et avance dans les couloirs, elle tombe sur celle attribuée à Khayley Ardoise, qui se trouve exceptionnellement seule. Elle se souvient de leur complicité, des quelques moments partagés dans une autre vie. Elle n'a pas la force de sourire, mais est heureuse de la voir.

Jeyne entre, alors. Préfère lui parler à elle, qui ne pourra pas l'observer avec les yeux de la pitié. Elle fait quelques pas vers la jeune femme assise sur le lit, et s'annonce.

- Bonjour, Khayley. Est-ce que tu te souviens de moi ?

Elle suppose que la Lady reconnaitra sa voix sans qu'elle n'ait besoin de préciser. Mais si elle se méprend, elle pourra toujours prétendre être cette personne qu'elle n'est pas. Elle préférerait avoir sa vie, sûrement.

- Tes parents viennent pleurer sur le sort de la pauvre princesse endeuillée ?

Ses mots sont durs, mais elle est agacée. Plus que ça en vérité, elle est ivre de colère qu'on la traite avec pitié, sans jamais répondre à la moindre de ses questions.

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When you said your last goodbye
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I lay in tears in bed all night
Alone without you by my side

La jeune fille ne tarde pas à la reconnaitre et à s'avancer vers elle pour la prendre dans ses bras. Jeyne soupire de soulagement alors qu'elle ignorait jusque-là en avoir besoin. Elle regrette d'un coup son ton froid et son ironie qui n'a visiblement rien à faire dans cette chambre. La crainte de s'écrouler sans ses faux-semblants est pourtant toujours présente, persuadée qu'il ne restera d'elle qu'une pauvre poupée de chiffons désorientée sans sa colère pour se protéger.

- Merci Khayley.

Qu'elle souffle, sincèrement reconnaissante. Pour une fois. D'ordinaire, c'est sur un ton presque agacé qu'elle répond. Ils sont tous désolés. Ils veulent tous l'aider. Mais personne ne lui dit à quoi rime tout ça, ni à qui elle devra jurer fidélité la prochaine fois. Mais elle sait que Khayley est là pour elle, et c'est à vrai dire tout ce qu'il est possible de tenter pour l'aider.

- Je ne sais pas comment je vais, en vérité.

Elle hausse les épaules, serrant la main de la jeune fille dans la sienne. Elle n'en sait rien, fait de son mieux pour aller bien. N'est même pas sûre de ce qu'elle ressent, ni de ce qu'on lui a pris tant sa vie de femme mariée a été brève. Elle a l'impression que ces derniers mois ont duré plusieurs années tant elle s'est préparée longtemps à partir, pour finalement revenir au point de départ. Un point de départ qu'elle aimait tant et regrettait dans l'Ouest, mais c'est l'Ouest et surtout lui qui lui manquent désormais. Elle se sent étrangère.

- Et toi, Lady Ardoise ? Qu'as-tu à me raconter ?

Les habitudes reprennent vite le dessus, Jeyne la guide jusqu'à son lit où elles s’assoient toutes deux. Jeyne recoiffe quelques mèches derrière les oreilles de Khayley, dont les yeux ne la regardent pas et ne la regarderont jamais. Elle lui a toujours trouvé une beauté mystique, sans savoir pourquoi. La mention de cette maudite tarte aux pommes la fait rire, ce qui n'était pas arrivé depuis un moment.

- Seulement si tu admets que ma recette était la bonne, tout compte fait.

Les après-midi les mains dans la farine semblent loin aujourd'hui et elle n'est pas certaine de vouloir les retrouver. Elle a changé, qu'elle le veuille ou non.

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Jeyne hausse les épaules, elle s'est déjà de nombreuses fois posé la question. Elle s'est déjà demandé un millier de fois ce qu'elle a fait pour mériter ça, que ferait-elle après lui. Mais les jours passent et emportent les pensées les plus sombres, elle sait qu'elle n'est pas la plus à plaindre.

- La situation aurait pu être pire, je crois. Et je ne pense pas être la plus à plaindre.

Ça aurait pu être pire si elle avait été enceinte, coincée au Roc sans le prince héritier, incertaine de sa position future dans l'Ouest. Et il y a les autres Lannister. Jordane, Loren, Nymeria et Megara. Eux qui connaissent Lyman depuis toujours, qui lui ont pour certains donnés la vie et qui se retrouvent aujourd'hui à le pleurer. Il a laissé un trou béant dans son coeur, dans son histoire. Mais pour eux ? C'est un monde qui s'écroule. Sans doute que si elle était restée plus longtemps, son monde aussi se serait écroulé.

- Vraiment ?

Jeyne ne veut pas que la jeune Ardoise cache ses sentiments pour la préserver. Khayley le sait, l'honnêteté est ce qui sied le mieux à la princesse. Elle ne la poussera pas à se confier si elle ne le veut pas pour autant. Jeyne rit doucement lorsque Khayley évoque un potentiel fiasco capillaire, qui n'existe en réalité pas.  

- Non, pas du tout. C'est simplement moi qui m'amuse à réveiller de vieux souvenirs.

Ceux d'une époque où elles étaient plus jeunes et où les gestes de tendresse étaient plus simples. Khayley a toujours été plus proche de Lyanna que d'elle, mais la Stark a eu si peu d'amies dans sa vie qu'elle a toujours fait en sorte de prendre soin de ces dernières. Bien qu'en vérité, les deux jeunes femmes n'ont eu que peu de moments ensemble, Jeyne en garde de très bons souvenirs.

- Bien sûr que si je peux le dire, le sucre c'est tout ce qui compte dans une pâte.

Ou du moins, c'est tout ce qui compte à ses yeux. En vérité, elle pourrait tout à fait admettre que Khayley avait raison étant donné ses piètres talents de pâtissière mais est trop têtue pour ça.

- Je suis contente que tu sois là moi aussi.

Elle acquiesce, même si Khayley ne peut pas le voir. Elle lui apporte un réconfort supplémentaire, bien que retrouver Winterfell et sa famille a évidemment été plus que salvateur dans l'état où elle se trouvait. Mais le poids des regards plein de pitié et de gravité la rendent amère. Ici, il ne subsiste que la tendresse d'une amitié d'enfants. Et Jeyne ignorait qu'elle en avait besoin.

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Il y a un peu de son enfance dans les gestes de Khayley et le sentiment qui la gagne est indescriptible. À vrai dire, elle n'avait aucune idée d'en avoir tant besoin. Sa situation aurait pu être pire, c'est sûr. Plutôt que d'être veuve à seize ans, elle aurait pu être mère seule à seize ans. Ou naître aveugle et être rabaissée pour quelque chose dont elle ne peut rien toute sa vie.

- Inutile de s'apitoyer sur mon sort.

Elle sourit à la nordienne, presque sûre qu'elle peut le sentir, et lui presse doucement l'épaule. Khayley lui assure d'ailleurs qu'il est inutile de s'apitoyer sur le sien également.

- Je vois ça, oui. Et t'es toujours aussi jolie qu'avant.

C'est au moins une chose qu'elle peut lui assurer, dans tout le chaos environnant. Bien qu'elle ait tant d'autres qualités, c'est celle que Khayley ne verra jamais que Jeyne préfère souligner. La jeune femme pince ses joues avec une complicité enfantine, ce qui arrache un éclat de rire à la princesse Stark.

- Oui, faut croire que j'ai un peu maigri.

Elle a beaucoup maigri, en vérité. Les semaines à pleurer, les jours de privation et ses promenades à cheval ont fait fondre jusqu'à la moindre parcelle de celle qu'elle était. Et elle déteste croiser son regard dans le miroir désormais. Khayley lui accorde plus ou moins son caprice sucré et chasse alors toutes les pensées terribles qui lui traversaient l'esprit. Elle fait de son mieux pour se raccrocher à ça. Pas ce qu'elle a perdu mais ce qui lui reste, toutes les personnes qui comptent tant et qu'elle a tant regretté de se séparer. Lady Ardoise tente de les guider hors de la chambre mais se heurte à quelques obstacles matériels. En vérité, Jeyne la soupçonne fortement de le faire exprès pour tenter de la faire sourire. Ce qui fonctionne, elle doit bien l'avouer.

- Ce n'est pas de ta faute, c'est les meubles qui se précipitent devant toi. Je viens de les voir faire.

Et elle, elle ment pour la bonne cause et lui attrape la main.

- Viens, je crois qu'ils sont plus cléments avec moi. Je devrais pouvoir nous amener dans ces cuisines.

Elle pourrait le faire les yeux fermés en vérité, puisqu'elle connait Winterfell comme sa poche. Elle évite toutefois de tenter l'expérience et se contente de guider Khayley prudemment jusqu'aux cuisines. Ces dernières sont toujours en effervescence mais tout le monde lui passe le caprice de vouloir confectionner une tarte ou deux. Depuis toujours et d'autant plus ces jours-ci.

- Je t'en prie, dis moi ce dont tu as besoin. Pars du principe que je suis là pour t'assister.

Un peu parce qu'elle est bien plus douée qu'elle en la matière, beaucoup parce qu'elle n'a pas l'énergie d'être quoi que ce soit d'autre.

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Elles viennent à peine de se retrouver et remplissent déjà les couloirs de Winterfell de rires et de chamailleries d'enfants. Elles n'en sont pourtant plus, des enfants. Mais Jeyne en a besoin, de retrouver cette insouciance, cette douceur qui n'était plus à sa portée depuis longtemps. Contre toutes attentes, la visite de Khayley lui permet de se retrouver elle. Au moins un peu. Au moins celle qu'elle était avant de devenir une Lannister, de goûter à l'amour et de s'en voir privée.

- Il n'est pas vide, il est infini.

Qu'elle lui chuchote, complice. Et c'est vrai. Elle lui a toujours trouvé une aura mystique, quasiment magique. Et dans ses yeux, a vu les confins du monde. Jeyne les guide jusqu'à la cuisine et rit sans se soucier de qui pourrait l'entendre. Elles atteignent très vite le lieu recherché dans lequel elles se font une place au milieu, de gré ou de force. Les cuisines de toutes les plus grandes forteresses de Westeros sont des fourmilières qui ne s'arrêtent jamais et deux jeunes filles nobles n'ont pas grand chose à y faire. Pourtant, personne n'oserait les en chasser, encore moins en ces circonstances. Khayley exige par conséquent tout ce dont elle a besoin pour confectionner leurs tartes et Jeyne s'exécute, non sans s'offusquer.

- Tu me fais donc si peu confiance ?

Elle a raison.

- Tiens, voici des œufs, du beurre, et puis...

Elle saupoudre une petite pincée de farine au dessus de la tête de la jeune Lady, étouffant un rire au passage.

- De la neige !

Elle sait parfaitement que ce n'est pas très approprié, comme comportement. N'en a pas grand chose à faire non plus. Elle en a le droit, elle s'en persuade. Elle a le droit d'être encore une enfant. Elle a le droit de rire, même s'il n'est plus là. Elle doit essayer au moins.

- Et voici du miel, de loin mon ingrédient préféré. Si tu veux te venger, merci de le faire avec ça.

Une tempête de neige sucrée, c'est tout ce dont elle a besoin pour oublier.  

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Elle est pour les Stark une grande sœur responsable. C'est autour de ce fait impossible à nier qu'elle s'est construite, qu'elle a restreint ses comportements. Elle est devenue pour eux un roc sur lequel se reposer, ou du moins a essayé. C'est aussi pour cette raison qu'il était si difficile de partir, de les laisser. Puisque sans eux, elle n'était plus personne. Durant les brefs moments qu'elles ont pu passer ensemble, Khayley lui a permis d'être ce qu'elle n'a jamais été. Jeune. Insouciante. Un peu plus libre qu'avec ceux qui portent son nom et partagent le même fardeau qu'elle.

Alors sans doute que Lady Ardoise a parfaitement raison de ne pas lui faire confiance à ce sujet, puisqu'elle n'est pas aussi responsable que d'ordinaire.

- Non. Non, pas à mon goût, navrée.

Jeyne étouffe un rire, faisant de son mieux pour ne pas trop déranger ceux qui s'acharnent à les nourrir tous les jours. Mais son fou rire persiste lorsque Khayley s'indigne de ses frasques sans toutefois en être réellement fâchée. C'est vrai, elle avait besoin de ça. La Stark fait de son mieux pour récupérer un peu de son légendaire sérieux, et y parvient avec le temps.

- Tu ne m'as jamais dit où tu avais appris à cuisiner comme ça.

Les nobles ne cuisinent pas d'ordinaire, ou du moins, c'est ce qu'elle pense. Sans doute que l'éducation des jeunes femmes peuvent légèrement changer en fonction de leurs rangs et du statut de leur maison. Elle doit s'avouer surprise de voir Khayley toujours aussi à l'aise et de plus en plus douée de ses mains, et ce malgré son handicap. Elle obtempère lorsque son amie lui demande d'humer un peu de ce miel délicat et tombe inévitablement dans le piège. Jeyne ne joue donc pas la surprise mais feint sans aucun doute d'être indignée.

- Tu veux que je t'aide ? Après avoir été ainsi attaquée ?

Pourtant, elle s’exécute déjà, le sourire aux lèvres.