Je ne voulais pas partir de Peyredragon. Je ne le voulais pas car lorsque cela sera fait, les choses changeront, encore une fois. J’en venais à détester cela, le changement, moi qui avait pourtant toujours été en mouvement. Depuis qu’on m’avait arraché Aegon et Visenya, je venais à le redouter. Je ne me sentais pas assez forte pour affronter la mort de nouveaux proches. Avec ces guerres à nos portes, il y en aurait d’autres, c’était certain. Pour l’heure, je devais affronter une perte, pas physique, mais psychique. D’ici quelques heures, Orys s’en irait pour Dorne. C’était son choix et je le respectais. Mais je ne le détestais pas moins pour autant. La politique l’avait poussé à accepter cette alliance qu’on nous avait proposé… Où du moins ce changement d’alliance. Je connaissais assez mon Valonqar pour savoir qu’il préférait que ce soit lui plutôt que moi… Tout comme je préférais que ce soit moi plutôt que lui. Je ne lui avais pas donné un titre et un nom pour qu’il soit une pièce dans mon échiquier. Non. Je lui avais donné tout cela parce que cela lui revenait de droit, qu’il le méritait et parce que je voulais qu’il soit libre… J’avais échoué, lamentablement. Et son départ en était la preuve la plus flagrante.

J’avais volé une bonne partie de la nuit, incapable de trouver le sommeil. Je m’étais épuiser à faire plus d’un mouvement aérien avec Meraxès, jusqu’à ce qu’elle-même en soit lasse et ne vienne contourner mes ordres pour revenir se poser dans sa tanière. Elle m’avait chassé purement et simplement en se lovant sur le sol, et en m’interdisant l’accès à elle. Bien. Le message était passé. J’avais regagné le château à pied, rapidement rejoint par une horde de chevaliers Dragons qui avaient, sans aucun doute, guettés mon retour. De retour dans ma chambre, j’avais apprécié le bon bain chaud que Kora m’avait fait coulé et m’y était assoupie quelques instants avant qu’elle ne me somme d’en sortir et de regagner un vrai lit. Quelques heures de sommeil, à peine, mais au moins sans rêve… Ou plutôt sans cauchemar, jusqu’au petit matin. Ma camériste m’avait alors réveillé puis préparé avec efficacité et rapidité. Une robe purement peyredragonnienne, au couleur de ma maison, quelques tresses dans les chemins, et rien d’autres. Je n’avais pas besoin de fioriture, de couronne ou bijoux onéreux. Cela ne me ressemblait pas. Reine qui n’aurait jamais dû l’être. Au fond je restais la même. Visenya aurait dû être à ma place, au côté d’Aegons. Moi… Moi j’étais la brebis galleuse de la famille, celle qui pouvait se permettre bien plus de choses que les autres, celle qui pouvait éviter les cours de danse, de tricots et de couture pour m’adonner à mes propres passions, passer des heures et des heures à parcourir le château pour découvrir de nouveaux recoins inconnus, celle qui dessinait ses frères en train de s’entrainer, perchée en haut d’un arbre, celle qui rendait fou sa garde à s’échapper de leur vigilance. Je n’étais Princesse que de nom, sans responsabilité à assumer, une âme « libre » comme aimé le dire notre Père. Non, vraiment, je n’avais rien d’une meneuse d’Hommes.

La porte s’ouvre et interrompt le flot de mes pensées. Je reconnais le bruit de ses pas avant même de me retourner et ma main qui s’était glissée instinctivement vers Noire-Sœur accrochée à ma taille retombe aussi rapidement. Orys. Mon cœur se serrer. Il est là sans doute pour me dire au revoir et… Je ne le veux pas. Je me ressaisis avant de me retourner vers lui et lui offrir un beau sourire qui n’avait rien de sincère. Il se fane dès qu’il ouvre la bouche et laisse échapper un soupir. Non. Ce n’est pas une bonne idée pour bien des raisons… Mais elles sont toutes égoïstes et nous savons l’un comme l’autre que nous ne pouvons plus l’être. L’a-t-il seulement été une seule fois dans sa vie ? Non. Mon cœur balance entre aller jusqu’à lui et rester sur place. La seconde option l’emporte. Je suis désolée Ryry. Sincèrement. Ce n’est pas ce que je voulais pour toi… Je voulais que tu deviennes maître de ta vie et de ton destin. Pas un instrument politique. Je sais que c’est ton choix. Mais cela reste de MA faute malgré tout. Je ne suis pas assez forte, pas assez pour te protéger et t’épargner comme je devrais le faire… Aeg’ et Vis’ doivent me maudire de te livrer comme ça à Dorne. Cela devrait être moi…

Je n’aime pas comment cela sonne. Orys est en train de me faire ses adieux quelque part. Et je déteste ça. Je déteste cela plus qu’il ne peut se l’imaginer. Je n’avais jamais renoncé à lui, pas une seule fois. Je ne suis pas comme lui. Je ne suis pas aussi forte que les membres de ma fratrie. Je le sacrifie. Quoi qu’il en dise, c’est que ce que je fais. Je me déteste pour cela. Je déteste ce rôle de Reine, cette couronne qu’il a pourtant lui-même posé sur ma tête. Je ne suis pas faite pour gouverner. Il n’avait jamais été question que je le fasse. Une dragonnière, oui. Une conseillère si besoin oui. Un regard différent oui. Mais diriger ? Jamais. On ne m’avait pas instruite en cela. Et je ne l’avais jamais désiré. Là où certains courraient après le pouvoir, aspiraient aux positions les plus élevées, je préférais de loin l’ombre des arbres qui me protégeaient du soleil tandis que je dessinais, ou qui me permettait de grimper haut et me rapprocher de ce ciel que j’aime tant. J’ai donné à mon Valonqar un nom, un titre… Pour mieux le vendre. S’il était resté Water, peut-être n’aurait-il pas eu besoin de partir ? Je ne saurais dire. Immaculée ? Je ne suis pourtant pas ainsi. Un troisième choix que l’on attendait pas, que l’on ne voulait pas. C’est toi qui aurait dû porter cette couronne, et non moi. Il aurait été bien meilleur que moi. Il aurait été bien plus pris au sérieux par les autres têtes couronnées également. Je suis femme, bien que dragonne. Je n’étais pas née avec les bons attributs. Et à cause de cela, je devais conclure des alliances maritales… Et le sacrifier. S’il avait été à ma place, je n’aurais pas été vendu comme il l’avait été. D’accord ou non, les faits restaient les mêmes. Une illusion. De la poudre aux yeux tu veux dire... Dis-je doucement concernant cette liberté qu’il évoque. Une vaste blague. Comment pouvait-il ne pas m’en vouloir ? c’était à moi de me sacrifier, pas à lui. Père m’avait demandé de veiller sur lui, et je venais d’échouer lamentablement. Lui aussi avait toujours voulu plus pour Ryry. Je m’étais rendue trop tard compte que s’il n’avait jamais fait de lui un « Prince », un « Baratheon » c’était pour le préserver de tout cela. Et je m’étais aussi rendue que si, Aegon voulait cela pour sa part, ce n’était pas altruiste mais parce qu’il y voyait un intérêt. Il aimait Orys oui, mais tout comme nous l’étions avec Visenya, il voyait Orys comme un atout dans sa manche. De nous tous, il était le plus stratège, le plus malin, le plus… Visionnaire. Pas de promesse Ryry. Pas de promesse que tu ne sauras pas tenir… Deria est une belle femme. Elle est chaleureuse. Tu m’affirmeras que non, mais je sais que tu finiras par d’éprendre d’elle. Je connais ton cœur bien plus que tu ne le connais toi-même. lui dis-je en posant ma paume à plat sur son torse. Mes yeux n’avaient pas quitté les siens lorsque j’avais dit cela. C’était une évidence pour moi, même si j’étais certaine qu’il ne serait pas d’accord avec moi. Au fond, tout au fond de lui, il voulait un foyer, une famille, qui lui était propre. Il ne voulait plus des miettes qu’on pouvait lui lancer, il voulait tout le pain. Et il avait raison de penser ainsi. Il le méritait. Et même si cela me crevait le cœur, je souhaitais qu’il soit heureux. Il m’oubliera, comme il l’avait fait si souvent par le passé. Je n’avais jamais été une constante dans sa vie. Tant mieux pour lui. Je soupire quand il parle de mon propre mariage. Je recule de plusieurs pas pour venir m’accouder à la fenêtre et regarder au loin. Faudrait-il encore que l’on soit intéressé par une union avec moi… Je ne sais franchement pas. Nous verrons bien. Les desseins de nos dieux sont imprévisibles après tout.

Je n’aime pas les adieux. Ils ont un goût de… définitifs. En s’en allant pour Dorne, Orys allait en devenir le Prince, le défenseur… Au côté de Deria. Si j’appréciais la femme, je détestais déjà l’épouse et la princesse qui me prenait mon Frère. Il ne reviendra pas à Peyredragon, pas de manière permanente. Sa place était pourtant là bas. Sa place était à mes côtés et non à l’autre bout de Westeros. Et si Meraxès me permettrait de le retrouver assez rapidement, ce ne serait pas la même chose. Il allait appartenir à une femme qui lui appartiendrait aussi. Ils feront le serment de se lier jusqu’à la mort. Comment cela pouvait-il me plaire? Je l’aimais bien trop pour que cela me réjouisse. Arrête Ry’. Arrête de te dévaloriser. Tu es autant Targaryen que je le suis. Et tu es un homme. Tu aurais dû prendre la suite d’Aegon, toi et non moi. Je n’ai pas appris à gouverner. Je ne sais pas quoi faire de toutes ses vies qui sont entre mes mains. Sans tes conseils et ceux de Baâl… Notre île aurait déjà coulé. Les dieux m’ont choisi pour être une chevaucheuse et non pas une Reine. Père ne m’a pas élevé en ce sens et tu le sais mieux que quiconque. Je n’avais eu aucune contrainte que notre aînée. J’avais toujours eu cette liberté parfois sans réelle limite. Notre Père m’avait toujours permis de faire ce que je désirais tant que cela ne me mettait pas en danger. Il m’avait protégé et plus d’une fois, il était entré en confrontation avec ma Mère sur ce point. Je n’avais jamais été obligée de suivre ces cours interminables de couture par exemple. Je n’avais jamais eu besoin de rester enfermée dans une salle à boire du thé en parlant de sujet que je jugeais creux. Je passais bien plus de temps dehors à grimper aux arbres, dessiner, voler, et discuter avec mes proches. Je n’étais pas sotte ni dénuée de connaissances mais c’était des connaissances que j’avais choisi. Je me sentais illégitime dans ce rôle de Reine, pas à la hauteur. Je ne fais que suivre le chemin tracé par Ae et Vis’. Tu le sais aussi bien que moi ‘Ry. Il avait été là lui aussi, pendant ces longues réunions où nous refaisions le monde, où nous débattions de ce qui serait le mieux pour Westeros et la manière dont nous pourrions le changer. Les deux têtes pensantes avaient toujours été nos deux ainées. J’étais le “coeur”, celle qui faisait preuve de sensibilité. Et ‘Ry était le réaliste, celui qui nous ramenait les pieds sur terre et qui nous aidait à rendre nos projets réalisable. Ce que je voulais accomplir, c’était leurs desseins à tous. Je ne sais pas si je vais y arriver sans toi. lui avouais-je sans honte. Sans lui, je serai encore au fond d’une obscure chambre à Peyredragon, à pleurer les miens, sans aucune couronne sur la tête. Sans doute me serais-je laissé mourir d’ailleurs de chagrin, comme Mère après que Père nous ait quittés. Pas de promesse que tu ne sauras tenir lui redis-je avant d’ajouter Mais promets moi de ne jamais oublier où se trouve tes racines. Elles étaient à Peyredragon. Elles étaient à mes côtés aussi. Et s’il doutait au sujet de Deria, je n’en avais aucun de mon côté. Je la connaissais et je connaissais mon Valonqar. Derrière cette armure qu’il portait et affichait, il y avait un homme qui aimait et voulait l’être. Le temps nous le dira Orys. Je n’y croyais pas. Je n’y croyais pas parce que je l’avais toujours bien plus aimé qu’il ne m’avait lui, aimé. Il avait eu plus qu’une relation et pas seulement charnelle. Je n’étais pas chaste ni vierge. j’avais aussi connu mon lot d’hommes et de femmes par le passé. Mais je ne les avais aimé comme je l’aimais lui. Et nous avions conscience l’un comme l’autre que c’était cet amour que je lui avais porté qui faisait qu’Ae’ ne pouvait s’empêcher d’être jaloux de lui. J’étais destinée à épouser mon aîné, mais une partie de mon cœur était et battrait toujours pour Orys. Il était mon premier amour et il en sera le dernier. Et si Aegon n’était pas arrivé à le supplanter, je doutais que quelqu’un d’autre y arrive. Je ne le désirais pas de toute façon. Posant ses mains sur mes épaules, il rit en m’affirmant que l’on s’intéressera à moi. Je n’en étais pas aussi certaine que lui. Je n’étais pas une femme conventionnelle et je ne supporterai pas laisser un homme me donner des ordres et faire de moi une plante verte. Des alliés oui, mais des époux? Roward avait des moeurs et une culture se rapprochant de la nôtre. Sa soeur dirige un royaume. Il était capable d’accepter qui je suis… Nous verrons si d’autres le pourraient lui dis-je en toute honnêteté. Je le regarde avant de venir me réfugier dans ses bras. J'enfouis ma tête contre son torse. J’avancerai oui… Parce que nous le devons. Mais cela ne veut pas dire que l’on doit tout accepter, tout abandonner, tout oublier. Je t’aime. Je ne renoncerai jamais à ces sentiments que j’éprouve à ton égard.