— An 2 Mois 8
@Eira Mallister

Il était préoccupé par tout ce qu’il avait entendu depuis qu’ils avaient pris Pierremoutiers. La ville était à eux et le Bief en était chassé. Il en était soulagé et satisfait, mais il avait appris que cela marquerait également un tournant dans la guerre contre l’Ouest. Il attendait que les choses évoluent, que les discussions se fassent et aboutissent. L’espoir était permis et c’était une chose à laquelle ses hommes devaient croire. Pour qu’ils puissent continuer à se battre avec la même fougue, et pour qu’ils ne perdent pas leur temps à ruminer des inquiétudes sur lesquelles ils n’auraient jamais aucune prise. Lui le premier, craignait pour Corbois, le château de son enfance, bientôt celui de son futur. Peut-être. S’il revenait un jour de cette campagne. Et si son fief était toujours debout quand il en aurait fini.

Cela lui rappelait la dernière missive reçue de la part de l’Empereur lui-même, lui rappelant ses obligations en tant que Seigneur et en tant qu’homme. Il ne s’était pas attendu à recevoir pareille lettre de l’ancien Roi du Nord car il recevait déjà assez de pression de la part de sa mère à ce sujet. En plus de cela, il y avait bien une dame pour qui des sentiments s’étaient développés, mais il savait que ce n’était pas apprécié par son Roi actuel, et par sa mère non plus, très certainement. Il ne savait comment faire. Jamais, il n’avait voulu blesser qui que ce soit, et surtout pas elle. Mais plus il y songeait et plus il sentait son corps se tordre de culpabilité et de douleur.

Il y avait décidément trop de questionnement, trop d’interrogation et d’inquiétude. Vivre dans l’attente n’était pas une bonne façon de faire, alors il s’occupait du camp sans trop de répit, commandant à ses hommes de continuer à s’entrainer, et les rejoignant régulièrement pour l’entrainement du matin. C’était une habitude qu’il avait commencé à prendre, renforçant les liens avec ses hommes en passant, et gardant une forme physique pour la prochaine bataille à venir. Parce qu’il y en aura bien une, bien qu’il ne sache pas quand, ni où celle-ci se trouverait. À force de s’entrainer, son corps avait changé. Son visage aussi, avait été modifié par les diverses batailles. Il arborait une expression moins insouciante que par le passé.

Benjen était dans les murs du château de Pierremoutiers, revenant d’une discussion avec Jon Stark, lorsqu’une silhouette apparut au croisement d’un couloir, une femme aux cheveux roux qu’il ne reconnut pas au premier regard. Absorbée par son livre, elle marchait aveuglément et le percuta avant qu’il n’ait eu le temps de se rendre compte à qui il avait à faire. Le jeune homme tituba un instant et recula d’un pas tandis que la jeune dame lui adressait ses excuses sans le regarder encore. Cette voix tinta à ses oreilles, il sembla la reconnaitre. Et quand il croisa les prunelles bleues de le dame rousse, il se rappela précisément où il l’avait entendu. La surprise fut la première émotion à se glisser sur son visage, et l’incompréhension. Que faisait-elle là ? Si proche d’un champ de bataille ? Était-il arrivé une atrocité ? Ou accompagnait-elle quelqu’un qui les avait rejoints ? Et pourquoi ?

« — Dame Eira ! En voilà une surprise, en plein milieu du Conflans, et si proche de la guerre. » Il lui adressa un regard circonspect. « Que faites-vous là ? N’êtes-vous pas au courant que votre fief est plus au Nord ? » Dit sur le ton de la taquinerie, la question restait bien présente.

Il la regarda tandis qu’elle lui faisait une modeste révérence et prit sa main comme réponse à sa politesse, glissant un baiser sur le dos de sa main comme salutation à la rousse. Sa peau était toujours aussi douce et chaude. Son visage s’alluma d’un sourire, puis d’un rire tandis qu’il repensait à la façon dont leur première rencontre avait débuté. Une fois qu’elle se fut présentée avec la politesse de rigueur, il fit semblant de chercher autour d’elle.

« — Pas armée cette fois-ci, ma Dame ? » Faisant bien sûr allusion au légume orange qu’elle avait utilisé pour l’attaquer la première fois.

Cette rencontre lui semble irréelle tant il ne s’attendait pas à tomber sur la rousse au détour d’un couloir en plein milieu du Conflans. Cela ne devrait pas pourtant, car le Royaume des Rivières et des Collines était bien le sien, et non celui du Nordien qui n’y était de passage, depuis plusieurs lunes maintenant. Mais qu’une jeune dame se trouve si proche d’un champ de bataille, sachant que la guerre pourrait prendre un tournant précisément en ces lieux, il ne s’y était pas attendu. Le temps avait passé depuis leur dernière rencontre, le mariage du couple royal du Nord avait été prolifique même si Jon n’avait guère pu en profiter. Cela lui semblait désormais trop longtemps qu’ils parcouraient les terres du Conflans, et le Nord lui semblait bien loin, acculé par leurs ennemis.

Devant ce regard surpris et circonspect, la jeune femme lui expliqua la raison de sa présence en ces lieux. Elle venait de Fort-Darion pour rejoindre la femme qu’il avait vu lors de son dernier entretien, une envoyée de l’Empire, jadis Reine du Royaume qu’il foulait. Elle était donc sa Dame de Compagnie ?

« — Oh. » Il ne sut pas trop comment réagir face à cette information. « Je vois que vous avez trouvé un moyen de vivre quelques aventures. » Il sourit. Benjen se doutait que la jeune femme n’avait pas réellement de désir à rentrer à Salvemer, elle ne semblait pas tant attachée à son fief, ou peut-être ne voulait-elle pas l’être puisqu’une dame se devait de changer de fief une fois mariée.

Il rit à nouveau lorsqu’elle lui montra son livre pour lui signifier qu’elle était belle et bien armée. Benjen fit semblant de se protéger la tête.

« — Bien sûr, il va nous en falloir beaucoup pour terrasser ce qui va nous tomber... Dessus. » Le Corbois marqua une pause, regrettant aussitôt la perche qu’il venait de lancer à la jeune femme. Il ne devait pas dire ce qu’il avait entendu. Mais pouvait-il seulement le garder pour lui ?

Il échappa un soupir, adressant un sourire las à la jeune dame puis lui prit le bras avec douceur pour prendre le pas dans le couloir en sa compagnie, lui signifiant qu’il ne souhaitait pas discuter au détour d’un couloir.

« — Tant de choses ont changé depuis que nous avons dansé ensemble au mariage du Roi et de la Reine du Nord, n’est-ce pas ? » Lui dit-il d’une voix un peu triste. « …Et à la fois, le temps me semble si long alors que je suis si loin du Nord et de Corbois. Le froid me manque. Mais, je vais bien ! Je suis entier. » S’empressa-t-il de répondre finalement. « Juste… Fatigué et soucieux quant à la suite du conflit. » Il se pencha un peu vers elle, un regard inquiet sur son visage. « Et vous ? Le chemin de Fort-Darion n’a pas du être de tout repos. Il y a des escarmouches un peu partout en ce moment. »

La belle est si semblable et si différente à la fois. Le sourire qu’elle lui donne le remplit d’une certaine euphorie. À la surprise de la rencontre, fait place à la joie de retrouver la jeune dame de façon si inopinée. Il avait bien besoin de penser à autre chose, de s’accaparer un peu de temps pour digérer toutes les informations qui lui sifflaient aux oreilles. Fermer un peu les yeux sur le monde qui l’entoure et sur le futur à venir, sur ce qu’ils vivraient dans les prochains jours et les prochaines semaines. Si Eira était proche de l’héritière du Royaume des Rivières et des Collines, alors peut-être était-elle au courant des enjeux. Dans le doute, il lui faudrait tenir sa langue.

Il hocha la tête face à ce qu’elle lui répond. Certes, les armées avaient survécu a bien des escarmouches et bien des affrontements, mais le temps passait et la lassitude s’égrenait dans les rangs. Ils étaient tous enthousiaste à l’idée de pouvoir un jour remarcher vers le Nord. Mais sachant ce qu’ils pourraient y trouver, Benjen n’en était plus si certain. Soucieux, il l’était. Ses traits étaient naturellement froncés depuis quelques temps, bien que la vue de la rousse lui apportât une certaine détente. Cela ne durerait probablement pas.

« — Eh bien, aussi étonnant que cela puisse paraitre, non ! Je préfère de loin la neige à la boue ! » Il exagère les traits de son visage puis sourit de nouveau. « C’est un véritable cauchemar de marcher dans ce bourbier et cela épuise les chevaux. La seule consolation c’est que nos opposants vivent la même chose. Enfin, l’armée du Nord est résistante et résiliente. Il n’y a qu’à espérer que cela ne soit pas tant le cas de ceux d’en face. »

Il la tint doucement près de lui tandis qu’ils marchaient ensemble le long du couloir. Il eut pour simple habitude de la conduire vers l’extérieur de la bâtisse. À sa question, Benjen tourna sa tête vers son visage, la sonda un instant puis acquiesça d’un geste lent.

« — C’est ce qu’on dit. Encore faut-il que les conditions de chacun soient entendues et acceptées. Après les pertes subies des deux côtés, il ne sera pas aisé de trouver un terrain d’entente. Laissons les loups discuter entre eux, peut-être sauront-ils s’entendre. » Bien qu’il s’efforçât de la cacher, Benjen en doutait. Ce ne serait pas qu’une discussion entre un frère et sa sœur mais entre un Roi et une Reine. Il y avait beaucoup d’enjeux pour l’un et pour l’autre. Et le Roi de l’Ouest était un lion, il pesait lourdement dans la balance.

Il marqua un temps d’arrêt lorsqu’elle lui dit avoir été attaquée par des bandits. À nouveau, il se tourna vers elle et sembla l’inspecter comme s’il allait trouver un hématome sur son visage qu’il n’avait pas vu plus tôt. Il n’y avait rien.

« — Je suis soulagé de vous l’entendre dire, je n’aurai pas aimé entendre qu’il vous soit arrivé quelque chose. » Il reprit le pas, salua un homme qui passait près d’eux puis poursuivit. « Était-ce une attaque à l’aveugle ? Ou peut-être essayaient-ils d’atteindre l’Empire en dérobant son émissaire et sa ravissante suite ? »

« — Il serait plus prudent de ne pas repartir tout de suite, même si j’imagine que vous suivrez votre Dame, car le territoire est tendu et vous risqueriez d’être à nouveau prise pour cible. » Il sourit puis changea de sujet. « Est-ce la vie que vous souhaitez mener ? Servir une dame de haute noblesse ? » Au détriment de la sienne presque. Se mettre de côté, se sacrifier, s’oublier.