Il paraît que j’étais un gamin plutôt dissipé et chahuteur, ce qui n’est pas tout à fait exact de mon point de vue. Dans mes souvenirs, je suis souriant, appliqué et enthousiaste. Certes, peut-être trop de l’avis de certains, mais ce n’était que de vieux rabat-joie et on ne peut décemment demander à un gamin de se tenir sage et silencieux des heures durant, pas vrai ?
… Bon, j’étais peut-être effectivement un peu celui qui distrayait les autres en faisant le pitre, celui qui n’en faisait déjà qu’à sa tête, celui qui préférait rejoindre les entraînements dans la cour plutôt que d’apprendre l’histoire. En même temps, ce genre de trucs n’a jamais sauvé la vie à qui que ce soit. Alors que les soldats si. Et ils sont bien plus amusants que les mestres et les septas. Je me souviens d’avoir désobéi plus d’une fois, que ce soit à ma mère, à oncle Bran ou même à oncle Torrhen… Moins à ce dernier soit, non parce qu’il faisait davantage peur, mais c’est le Roi. Il faut bien que j’ai quelques qualités il paraît, et il faut croire que la loyauté en fait partie. Ou quelque chose du genre… Ouais, ça me surprend moi aussi.
Et en vrai, après tout, ce n’était pas si grave. Mère dira que j’ai failli en mourir, d’être aussi têtu et imprudent, mais les mères exagèrent toujours ce genre de choses. Et si j’ai été quelques fois un peu insultant ou effronté, c’était uniquement à raison, ou parce que j’avais raison, ce qui revient au même. C’est à ce moment-là que je souligne oh combien j’ai été nécessaire et utile à cette famille ? Histoire de rappeler que je suis parvenu à les tirer de leur tristesse et de leur marasme dans lequel ils semblaient tous s’enfoncer ? Non parce qu’on a vite tendance à oublier tous les trucs cools et importants que je peux faire, en se focalisant sur les moments un peu moins héroïques, et ça, ce n’est pas très sympa. C’est franchement moche de ne soulever et de ne remettre en lumière que les événements négatifs, en omettant toute la grandeur et le courage dont je fais preuve. Ce n’est ni fair-play, ni équitable, ni honorable.
Et on sait tous que l’honneur est plus important que tout, pas vrai ?

Pas tous non visiblement.

Je me frotte la mâchoire d’une main, grimaçant en sentant le sang qui s’écoule de mon nez. J’ai un regard mauvais envers le soldat qui me surplombe. Regard qui n’obtient qu’un haussement de sourcils en retour.
« Laisse tomber Roland, tu peux pas gagner à tous les coups. » Mes sourcils se froncent en entendant Artos. Ce petit con se fout de ma gueule en plus. J’ai même pas besoin de le regarder pour savoir qu’il a un sourire jusqu’aux oreilles, même si je veux bien reconnaître que son ton a l’air un minimum inquiet. Je dois avoir une sale gueule quand même. « Écoute ton ami, gamin, t’as battu Medrick juste avant, satisfais-toi de cette victoire. T’es plus en état de me battre. » J’inspire profondément, avant de cracher plus de sang qu’autre chose. Il a fait exprès de viser haut, il aurait jamais dû viser la tête, même du pommeau de l’épée. C’est pas censé être un entraînement bordel ? Mais ouais, il a peut-être pas tort. Ça fait des heures que j’ai commencé, j’ai mal partout, je commence à avoir les bras qui tremblent et ma tête me fait un mal de chien.
Pourtant, je me relève tant bien que mal, tenant fermement mon épée, et je le fixe. « C’est Lord Stark pour vous. » Un sourire aussi narquois qu’arrogant vient orner mon visage quand je vois ses yeux qui se plissent, sourire qui s’agrandit quand il secoue la tête et se remet en position.

On est d’accord que je peux pas me laisser traiter de gamin quand même ? Et puis, très sincèrement, il cogne comme une gonzesse. Je crois que je lui dis d’ailleurs, avant de me prendre un nouveau coup à l’épaule. Mais qu’est-ce que j’y peux moi si j’ai connu pire ? Je me souviens des premiers entraînements que j’ai reçus. Avec Brandon. Je savais à peine tenir une épée qu’il me poussait et me forçait plus que je ne le pouvais. Soi-disant que c’était de ma faute et que j’étais trop présomptueux déjà à l’époque. J’ai encore mal quand je pense à certains combats contre lui ou contre Conrad. Lui, on peut pas dire qu’il y allait mollo, quel que soit l’âge ou le rang de celui qu’il avait en face. J’ai dû perdre une dent une fois face à lui. Alors clairement, après les avoir affrontés, comment avoir peur des autres ? Et puis, étant donné que j’arrive à le toucher aussi, malgré mon état comme il a dit, c’est que je ne me débrouille pas si mal, pas vrai ?

Comme si c’était mon genre d’avoir peur ou d’être raisonnable de toute manière. On m’a toujours dit que j’avais la tête dure et que j’étais un peu trop… Emporté, pas assez réfléchi, ce qui est sans doute vrai. En même temps, c’est chiant à mourir d’être sage et prudent. Il suffit de regarder Jon ou Denys, j’ai envie de me pendre parfois rien qu’à les regarder. Alors c’est la famille, ils sont chouettes, et on s’entend bien en général. Et Jon est roi, donc il a sans doute besoin d’être tout ça. Mais heureusement que je suis là, leur vie serait d’une tristesse absolue sans moi. Au moins, je suis là pour détendre l’atmosphère et pour les pousser à être un peu moins obtus, à agir plutôt que de tergiverser des heures pour rien… Et pour leur rappeler qu’ils seront toujours moins bons que moi accessoirement, mais ça, c’est bonus. Enfin, j’étais là. Jon m’en veut peut-être, sans doute, à sa place, je me serais traité de tous les noms. Mais je suis pas à sa place, donc ça tombe bien. Il est juste jaloux de pas pouvoir bouger maintenant qu’il est Roi. Et père. Ça me fait marrer de l’imaginer avec un mioche, encore plus de l’imaginer avec un sourire crétin.
J’aurais ben aimé le voir, mais je ne pouvais pas rester là-bas, j’adore être au centre de l’attention, mais pas pour m’entendre dire que c’est à mon tour de me marier et d’assurer une descendance. C’est important, mais franchement non, pas maintenant. Sans parler que c’est ici que les combats ont lieu, c’est ici que je peux obtenir ce que je veux, que je peux devenir ce que je suis destiné à être.

Bon… Ce n’est pas exactement ce que j’avais en tête quand j’ai aimablement demandé à mon oncle de les rejoindre lui et son armée pour pouvoir faire mes preuves et me démarquer. Ce n’était pas exactement à ça que je pensais quand je rêvais de gloire. Me retrouver sur un lit d’infirmerie à me faire examiner par un vieux mestre pour quelques bleus c’est totalement ridicule. C’est bien pour cela que je me sauve dès qu’il a le dos tourné. Sans doute une mauvaise idée, mais je n’allais pas non plus rester allongé toute une journée. Ou pire.

Je me sauve et me fond au milieu des soldats, jetant des regards peu amène à ceux qui me dévisagent. Je retrouve Artos et les autres à la taverne, me joignant à eux sans attendre, pour voler la chope de ce jeune crétin qui s’est moqué de moi. « Qu’est-ce que tu fais-la ? Au moins jusqu’à demain qu’il a dit. » Sauf qu’il me connaît. Et qu’honnêtement, personne ne serait resté, faudrait être cinglé. Je finis la chope et fais signe à la serveuse, que je dévisage avant de lui sourire. Si elle sourit en retour, elle s’éclipse néanmoins rapidement. « Cherche pas, t’as une gueule à faire peur. Si tu veux une fille ce soir, faudra sortir la bourse. » Ils se marrent tous en trinquant. Quelle bande de cons. Mais peut-être bien que je me marre avec eux tout en les envoyant paître.