Lamarck, royaume fédéré de Peyredragon, Empire – An 0 mois 5

L’imposante caraque Constellation venait de lever l’ancre sous un fort vent d’Est qui faisait rouler d’imposants nuages d’un gris clair éclipsant complètement le soleil. Le navire résonnait de tous les sons qui faisaient de cet ensemble de bois et de cordage un ensemble bien vivant : les voiles claquaient en se gonflant de vent, les ponts résonnaient des bruits de course de l’équipage tandis que ceux qui étaient encore perchés sur les vergues chantaient pour encourager les autres au cabestan remontant l’imposante ancre des profondeurs. Rapidement, le fier navire commença à prendre de la vitesse et amorça sa sortie de la baie ceinte de la forteresse de Château Larmark et le village de Carène. Alors que le navire prenait de la gîte tribord et qu’il commençait à affronter les creux plus importants qui attendaient le navire au large, un vol de goélands argentés longea le navire en piaillant.

Solidement campé sur ses jambes, Aylan Redwyne observait avec une satisfaction sans borne les chantiers navals des Velaryon et les nombreuses galères rassemblées sous la garde des remparts humides de leur fief. La rencontre avec Daena s’était bien déroulée, et le mariage prochain serait à célébrer sous les meilleurs auspices. Pour sûr, on râlerait un peu à Hautjardin mais cela importait peu au fils de La Treille. Emmitouflé dans un pourpoint de velours d’un violet sombre et doublé de fourrure d’hermine, le jeune chevalier considérait que la maison Velaryon était l’une des mieux placées pour servir ses futurs intérêts. Avec leur flotte, les Redwyne seraient sans rivaux sur les mers. Par les Sept, ils pourraient même en montrer à ces chiens de Fer-Nés si l’envie leur prenait de vouloir retrouver leur hégémonie de jadis !

Aylan avait toujours aimé l’océan. La Treille était une île, et si elle vivait principalement du commerce et de la vigne, la mer était omniprésente. Très jeune, il avait embarqué avec son grand-père ou son poivrot de géniteur sur les différents navires qui composaient la flotte Redwyne. S’ils pouvaient compter sur de splendides galères décorées avec goût qui composaient une flotte permanente déjà supérieure à ce que bien des maisons pouvaient produire, la réquisition des navires des guildes marchandes pouvaient gonfler les effectifs maritimes de la maison au raisin sans aucune mesure. Et ces guildes étaient nombreuses ! La Compagnie du Couchant armait principalement des navires rapides, susceptibles de pouvoir échapper aux snekkars des Iles de Fer, et avait un monopole sur le commerce avec le royaume du Roc pour la vente des différents vins de La Treille. La Guilde des Honorables Transporteurs contrôlait une part significative des importations de l’île. Quant à la dernière-née, la Compagnie Commerciale Maritime de La Treille, elle était directement contrôlée par la famille qui régnait sur l’île. L’idée était venue d’Aylan et il était parvenu à convaincre son grand-père de fonder une telle organisation. Après tout, la richesse des Redwyne venait principalement des taxes qu’ils collectaient dans toutes les étapes du négoce des vins de leur île : de la plantation des vignes à la cession finale aux clients multiples qui venaient de tout le monde connu. Esprit cartésien, le jeune chevalier s’était rapidement demandé s’il n’y avait pas une façon d’augmenter encore ces bénéfices pour être moins dépendants de l’économie viticole : l’idée d’une telle compagnie commerciale avait ainsi germée dans son esprit.

La Constellation était la dernière acquisition des Redwyne, et elle était destinée à la Compagnie. C’était un navire imposant, confortable, avec de grandes cales aménagées pour transporter en toute sécurité des fûts des plus grands vins de La Treille. Les nectars transportés par la Constellation se retrouveraient sur les tables des souverains et princes de ce monde. Depuis que l’Intrépide avait été sévèrement endommagée à la suite de la bataille de la Baie d’Ambre, Aylan avait utilisé ce navire. La caraque était fiable, solide et relativement rapide : tout ce que demandait le Bieffois.

« Si monseigneur est d’accord, j’aimerais donner encore un peu de voile pour proposer de ce vent. »

Aylan abandonna la contemplation de cette place-forte où il devinait encore cette fine silhouette à la chevelure claire sur les remparts. Le commandant Vertys était un homme d’expérience, recruté à grands frais pour manœuvrer la Constellation avec un équipage trié sur le volet. Aylan avait en cet homme une confiance totale, et il écoutait toujours les conseils qu’il pouvait donner lorsqu’ils étaient en mer. Comprenant le message subliminal, le jeune chevalier hocha du chef avec un fin sourire.

« Vous êtes maître à bord, Vertys. Je vais vous laisser à la manœuvre et me retirer dans ma cabine. »

En descendant au pont inférieur où se trouvait l’espace qui lui était attribué, Aylan réfléchissait toujours à son mariage prochain. Daena Velaryon était une femme de toute beauté, elle portait en elle la grâce de l’Antique Valyria et pour cela, il devait s’avouer chanceux. Elle était d’une famille puissante et en grâce auprès de l’impératrice. Avec elle, viendrait une puissante dot qui renforcerait encore la maison Redwyne. Toutefois, Aylan la trouvait insipide. Depuis qu’il avait fréquenté de près les filles Targaryen Visenya et Rhaenys, il n’avait jamais pu trouver pareils caractères. Daena, elle, s’était révélée plutôt réservée, d’un naturel assez timide. Elle n’était en rien semblable à Rhaenys, la dernière des Dragons qui, elle, irradiait la grandeur. Au fond, Aylan n’avait jamais désiré qu’elle depuis toujours. Elle était certes plus âgée que lui, mais ils avaient eu une relation de connivence durant longtemps. Elle avait cette douceur que n’avait jamais eu Visenya. Daena, elle, lui semblait être une potiche un peu sotte qu’il avait séduit sans réel effort. Il espérait simplement qu’elle serait fertile et lui donnerait les moyens de son ambition…

Fort-Darion, terres impériales, Empire – An 1 mois 5

La rencontre des deux épées provoqua trois petites étincelles qui scintillèrent aussi fort que le claquement provoqué par le choc des aciers. Dans l’enceinte sobrement délimitée par des clôture de bois grossier, les deux hommes reculèrent en attendant de voir quel serait le prochain coup de l’autre. Le terrain était boueux, l’air était frais et tout autour d’eux, la neige accrochait encore au sol et aux toits. Aylan avait fini par s’habituer à ses jets de vapeurs qui sortaient de sa bouche à chaque expiration. Face à lui, l’homme n’avait jamais eu besoin de s’habituer à ce genre de climat puisqu’il avait toujours vécu en son sein. Autour d’eux, les badauds s’arrêtaient pour voir les deux hommes s’entraîner ; parmi eux, de nombreux hommes du Nord qui, bientôt, rejoindraient leurs terres. Si Fort-Darion était encore une ville de taille relativement modeste, l’océan de tentes, de pavillons seigneuriaux et de bannières ponctué de multiples feux de camp qui se trouvait tout autour avait de quoi impressionner. Et, enfin, comme dans toute terre conflanaise se respectant : de la boue, beaucoup.

Désormais au service de l’Empire, Aylan vivait dans la capitale champignon qui semblait chaque jour se développer davantage. Les ressources mobilisées par les Braenaryon avaient de quoi impressionner n’importe qui… et ce n’était que l’Hiver ! Que diable se passerait-il une fois que les jours rallongeraient ? La guerre, sans doute, reprendrait sa moisson d’âmes et les terres serraient de nouveau abreuvées du sang des justes et des impies. Le jeune chevalier attendait une reprise des conflits avec impatience. Il n’avait pas la sagesse de ses aînés : il avait dix-huit ans et la fougue de la jeunesse pour lui. Il voulait défaire chevaliers et seigneurs au combat. La guerre, il la connaissait déjà. A la Baie d’Ambre et à Veuxliard, il avait fait la preuve de sa valeur et de sa compétence. Pourtant, il avait dû abandonner sa gloire montante pour rejoindre sa muse et souveraine. L’impératrice était sa raison d’être et de faire. Il aurait jusqu’à abandonné son nom pour lui ravir son cœur. Il ne passait pas un jour sans que le jeune Bieffois ne se demandât si Rhaenys était heureuse dans son mariage de raison avec l’empereur Torrhen.

Aylan se fendit d’une feinte, faisant mine d’attaquer vers le flanc gauche pour finalement essayer un coup d’estoc qui fut contré sans grande difficulté par son adversaire qui contre-attaqua avec une surprenante rapidité en tentant de lui asséner un coup direct au crâne. Il s’ensuivit une brève empoigne où les deux hommes grognèrent avant de se séparer.

« Je dois dire, sénéchal, que vous avez de la ressource », lâcha le Bieffois avec un sourire sur un ton aussi admiratif que frustré.

La danse reprit, sous le regard des quelques hommes en faction sur les remparts un peu plus loin. Un énième choc métallique résonna dans l’air hivernal. Les deux hommes suaient, dégageant des jets de vapeur. Aylan repoussa l’assaut avant de s’éloigner de quelques pas, faisant quelques moulinets de son épée pour reposer et détendre son bras engourdi par l’effort. Le Nordien en profita pour lui répondre, d’un air amusé.

« Vous de même messire. Maintenant que nous nous sommes échauffés, voyons voir ce que vous direz de cette ressource-là. »

L’entraînement faisait partie intégrante du quotidien du jeune natif de La Treille qui cherchait à toujours à exceller à l’épée. Il se souvenait sans mal des combats de l’an passé. Son modèle de jadis, Manfred Hightower, avait un style qu’Alayn avait toujours admiré et cherché à égaler. Les Bieffois avaient une façon de se battre qui conféraient à leurs mêlées et à leurs duels des aspects presque théâtraux. Certains chevaliers avaient érigé l’escrime à un rang d’art et les regarder tirer leur épée était d’un délice particulier. Rien de cela chez Bowen Glover qui se battait avec un style bien plus rude, plus âpre et plus brut. Plus Nordien, en fin de compte. A force de voyages et d’expériences, Alayn se rendait bel et bien compte des limites de sa technique. Il était heureux de pouvoir se confronter à des adversaires d’une autre culture. Malheureusement, il ne progressait pas aussi vite qu’il l’aurait espéré. Bowen Glover lui asséna une passe rapide suivi d’un enchaînement qu’il ne parvint pas à contrer. Aylan perdit l’équilibre et glissa avant de manquer de s’étaler de tout son long dans la boue de l’enclos. Il leva une main suppliante.

« J’abandonne messire, vous m’avez vaincu ! »

Bowen Glover n’était pas n’importe qui. Aylan et lui avaient fait connaissance quelques temps après la victoire à Harrenhall. Le Nordien était venu lui demander l’autorisation de préparer un numéro musical avec son épouse Daena tout en venant lui assure que ses intentions à cet égard étaient parfaitement honorables. Aylan n’était pas stupide et avait bien vite compris que le personnage qu’il avait face à lui était un éminent membre de la cour du Nord. Il avait donc donné sa bénédiction à ses travaux et avait savouré avec le reste de la cour impériale le spectacle qui avait été donné le soir du banquet.

Fatigué, le souffle court, Aylan accepta la main chevaleresque que lui offrait son adversaire pour se relever. L’une des clés d’une vie longue et prospère, avait appris Aylan, était de savoir reconnaître lorsque quelqu’un était plus fort que vous. En l’occurrence, Bowen Glover se battait peut-être sans aucune grâce, mais il l’avait défait néanmoins. Aussi, le jeune chevalier n’en tirait aucune honte. Il était même plutôt heureux de pouvoir croiser le fer avec un personnage aussi important. Une brise fraiche lui rappela soudainement qu’il était en nage et qu’il avait froid. Il salua avec chaleur le Glover et se dirigea sans tarder vers les bains de Fort-Darion pour se décrasser et profiter d’une bassine d’eau chaude.

Lamarck, royaume fédéré de Peyredragon, Empire – An 1 mois 9

« Ma chère, il me faut vous confesser que je crois bien n’avoir jamais respecté Kevan Gardener. »

La phrase tomba comme un pavé dans une mare. Daena releva ses yeux bruns vers son époux, stupéfaite d’entendre pareille confession. Aylan ne partageait pas grand-chose avec sa Velaryon d’épouse. Il n’avait jamais réussi à véritablement forger de lien avec elle, mais il s’était récemment déterminé à lui offrir la fiction à laquelle il pensait savoir qu’elle voulait croire : celle d’avoir épousé un prince charmant, issu des balades pour jouvencelles. Les deux époux partageaient un dîner intime dans les appartements qui leur étaient échus à Fort-Darion. Sans doute qu’Aylan seul n’aurait pu prétendre à autant d’attention de la part de l’Empire, mais – malgré ses erreurs passées – Daena restait la fille d’un puissant vassal de Peyredragon et il avait à ce titre des entrées lui permettant de bien traiter sa fille et son gendre. Restant un instant silencieuse, la jeune femme finit par boire gracieusement un peu de vin avant d’interroger son époux sur un ton presque soumis.

« Mais cher époux, je pensais pourtant que vous lui aviez juré fidélité. »

Un bref sourire se dessina sur les lèvres du Redwyne. Il n’avait pas d’affection particulière pour son épouse, mais il devait reconnaître qu’il lui arrivait d’être bien plus clairvoyante que la potiche qu’il le pensait la plupart du temps. Il hochait lentement du chef, savourant un morceau de venaison au miel et aux oignons.

« Oh si. Il était mon roi, et je lui avais juré fidélité en arrivant ici. Mais nous l’avons tous deux rencontré, et nous pouvons le dire sans fard : l’homme était un boulet. »

Il n’écouta pas la réponse de son épouse, mais il sentait qu’elle acquiesçait timidement, comme elle avait l’habitude de le faire. Kevan Gardener avait toujours été un boulet pour la cause bieffoise au sein de l’Empire. Il aurait mieux valu qu’il ne parvienne jamais auprès des Braenaryon. Aylan n’avait jamais agi à la va-vite, ou une seule fois : en essayant de faire chanter Rhaenys. Il avait depuis appris de ses erreurs. A son arrivée à Fort-Darion, il s’était empressé de prêter allégeance à Kevan et de le montrer. Ainsi, il n’était pas un traître et un déserteur, mais un loyaliste à la cause de la Main-Verte. Kevan n’avait été d’aucune aide, et il avait fini sa vie pitoyablement, jetant le discrédit sur tous ceux qui l’avaient rejoint. Aujourd’hui, la cause du Bief fédéré était morte. Il incombait pourtant aux derniers chevaliers d’honneur de la garde rapprochée du dernier des Gardener d’entretenir le feu de cette cause.

« Quelle est la suite, alors ? », demanda Daena d’un air visiblement contrit.

Alyan fit la moue. Sa question était véritablement intéressante. Le dégel était maintenant bien avancé, et les jours avaient commencé à rallonger. On entendait déjà plus d’oiseaux qu’auparavant, et la neige avait pratiquement disparu. Toutefois, avec le retour des jours plus chaud allait venir celui des armées. La situation était déjà explosive. Daena l’avait compris d’elle-même, et elle redoutait la réponse à sa question, bien qu’elle la connût d’avance.

« Nous allons marcher sur les ennemis de l’Empire, j’imagine. Entre ces païens du Crépuscule et ces traîtres à la solde de la Tour, nous avons de quoi faire… Reste à savoir quel rôle l’on voudra bien me confier là-dedans. Je brûle de rester à tes côtés, mais le devoir me requerra sans doute et, le jour venu, je ne pourrai me soustraire à son appel. »

Le couronnement de Manfred Hightower était un cruel coup du sort pour Alayn qui avait toujours admiré le personnage. Toutefois, il était désormais un ennemi de l’Empire et un ennemi des ambitions du chevalier de La Treille et devait, par conséquent, disparaître. Aylan était patient, son jour viendrait : il saurait attendre. D’ici là, il ferait honneur à son nom. Lui n’avait jamais rompu le serment d’allégeance initial des Redwyne, proféré des années auparavant, par Jaden Redwyne à Aegon Targaryen. Il était le plus honorable de tous, et il porterait le fer, le feu et le sang dans le Bief au nom de l’Empire, de Rhaenys… et du sien.