Aux mots d’Argella, Garlan laissa passer un léger sourire, le premier depuis le début du Collège, il faut dire que le sujet abordé n’était pas motif d’émerveillement. Il est vrai  que l’intrépidité et la vigueur, dont elle faisait preuve en tout temps, étaient connues de tous. Et le chevalier avait eu maintes  occasions de le constater que ce soit en la regardant s’entraîner, sur le champ de  bataille ou tout simplement en discutant avec elle. Une telle ferveur était contagieuse et réussissait à inspirer les hommes qui étaient placés sous son commandement, elle était une meneuse d’hommes et une excellente guerrière.  Cependant, tout ce qu’elle avait vécu avec Kevan, cet amour qui alimentait leur relation encore il y a peu, tout cela faussait peut-être son jugement. On ne pouvait pas l’en blâmer, il était difficile de mettre de côté ses sentiments, pour certains, cela s’avérait même impossible. Mais quand bien même, il pensait qu’elle n’était pas des plus impartiales et que ses mots étaient guidés par son impulsivité qui la caractérisait tant.

Le Bieffois espérait simplement qu’elle ne regretterait aucun de ses mots. Sous le coup des émotions, certaines paroles pouvaient nous échapper totalement. Kevan se disait prêt à assumer les actions de Garlan le temps pendant lequel il avait sous ses ordres. On pouvait voir en cet acte de la générosité, avant qu’il puisse rétorquer quoi que ce soit, le Piper le devança en prétextant que le Collège n’était pas rassemblé pour le juger. Un homme doit savoir assumer les conséquences de ses actes, prendre ses responsabilités, si bien qu’il lui emboîta le pas en s’adressant tour à tour à Kevan, puis à Ser Piper :   « Vous n’avez point à agir ainsi, Sire Gardener. Si le Collège souhaite prendre une quelconque sanction à mon égard suite à mes actions, alors soit, je l’assumerai, car vous le savez, j’ai toujours accepté les conséquences de mes choix et de mes actes.  »

Il se tourna alors vers le riverain pour lui adresser un profond et respectueux hochement de tête. C’est vrai que cela n’avait pas été chose aisée. Pas du tout même. Mais lorsque ses deux serments entrèrent en conflit, il avait dû faire un choix, il n’y avait pas d’autres solutions. Si bien qu’il avait tranché, en son âme et conscience. Les mots de Lady Orane Whent sonnaient juste, Garlan ne la connaissait point, mais elle semblait pleine d’esprit. L’Empereur intervint à son tour pour récapituler tout ce qui avait pu être soulevé par les différents membres du collège, n’hésitant pas à donner également son opinion sur les faits.  Kevan avait brillé par ses faits militaires dans le passé, c’était vrai, et l’Empereur le mettait bien en évidence. Il serait dommage de se priver de cette expérience. Si bien le Vieux Loup vint à faire une proposition, que cela soit au principal concerné, mais également à l’assemblée.

A vrai dire c’était cela ou rien, entendons par là que si l’ancien Connétable refusait, alors son sort serait scellé et il est clair que la clémence ne lui serait pas accordée. Le Nordien proposait de s’occuper lui-même de son cas, tout d’abord en exigeant de Kevan qu’il réalise des excuses publiques, une pénitence  qui pouvait ressemblait à une humiliation. Mais il fallait savoir reconnaître ses erreurs, se remettre en cause. Ce qu’il avait refusé de faire jusqu’ici malgré l’insistance générale qui tentait de lui prouver qu’il avait tord et où était son erreur. De plus, il allait recevoir des leçons de l’Empereur en personne, ce dernier espérait que cela ferait resurgir le meilleur du roi du Bief Fédéré, le ramener au bon vieux temps où il brillait pour ses compétences et son efficacité. Être un digne représentant de la Chevalerie, ce que chacun devait s’efforcer être lorsqu’il prêtait serment d’ailleurs.

Cette proposition était pleine de sens et évitait que ce cas soit réglé dans la violence. Plusieurs s’exprimèrent lorsque le moment du vote fut venu, tout le monde vota en accord avec les paroles de l’Empereur comme Lady Orane Whent, Ser Piper, le prince régent  Orys Baratheon et les deux nordiens. L’impératrice, quant à elle, avait confiée sa voix à Lady Whent et souhaitait se montrer impartial.  Quant ce fut au tour de la reine Durrandon, elle le surprit en déclarant ne pas être impartiale, c’était vrai dans un sens, elle était bien trop impliqué par rapport à ce qu’elle avait vécue avec Kevan. Si bien qu’elle lui léguait sa voix concernant ce vote, on ne peut plus surpris, il ne s’attendait nullement à une telle décision. Il entrouvrit la bouche, comme pour dire quelque chose, puis s’abstint. Garlan fixa un bon bout de temps Argella, essayant de comprendre ce qui avait motivé sa décision, le concernant. Il ne savait même pas si elle était en droit de lui léguer son vote.

Elle était des plus imprévisibles, il n’avait jamais réussi à prévoir aucun des ses agissements.  Soit. Le regard de Garlan se porta vers Kevan et vers l’Empereur, il prit de nouveau la parole : « Ayant moi-même reçu une chance de me faire pardonner pour mon erreur, je serai un bien mauvais homme si je ne votais pas en faveur d’une opportunité de rédemption. Je vote donc pour la proposition qui a été soulevée par l’Empereur, je ne puis qu’espérer que cela ramènera à de meilleurs esprits Sire Gardener, comme celui que j’ai pu connaître dans le passé.   »

Tout allait beaucoup trop vite pour Mina, elle n'avait pas le temps de prendre réellement conscience de ce qu'il se passait ici et du pourquoi du comment ils avaient été tous convoqués pour pouvoir juger un Roi, mais en tout cas les accusations pleuvaient, mêlant colère, rancune et violence. Certains essayaient d'apaiser la fureur des autres mais cela ne semblait pas être une chose très simple à réaliser. Mina était là pour accompagner Argella Durrandon, elle faisait donc partie de l'accusation contre Kevan Gardener, de quelle liberté de parole disposait-elle ? Devait-elle s'interposer entre un homme qui avait été son ami, et celle qui était aujourd'hui sa Reine et dont elle partageait bon nombres de croyances et de conviction. Il fallait donc choisir entre son cœur, ou son devoir, et elle détestait ça au plus au point. Cependant, elle estimait à présent, que si Argella lui avait proposé une telle place au cœur du collège impériale c'est qu'elle estimait que la jeune Dame Swann était capable de prendre des décisions en son âme et conscience, d'en assumer également les conséquences pour la suite de leur collaboration. Tout le monde s'exprimait chacun à son tour, pour autant, même si elle relevait des détails intéressants, elle restait muette, cherchant presque du regard le soutien, la complicité à cet instant avec son frère qui devait également se défendre des choix qu'il avait fait, celui au départ de suivre Kevan Gardener, avant de finalement prendre la décision de se détourner de lui pour pouvoir revenir ici à Fort-Darion en repantir. Ce qu'elle avait toujours apprécié chez lui c'était son honnêteté à toute épreuve, sa force en ses convictions et sa loyauté pour ses principes et pour ceux qu'il aimait. Il savait se défendre, même si cela n'était pas simple, lui rappelant alors qu'il s'était passé tellement de choses au cours de ses trois dernières années, et que lui aussi avait grandis dans sa façon d'être.

Mina fut un instant perturbé par l'idée même d'un combat entre sa Reine et celui qui aurait pu être son Roi. Il était impensable, au vue de la situation au sein de l'Orage, qu'Argella puisse venir à périr pour une situation comme celle-ci, même si l'honneur avait été baffoué, et qu'elle ne pouvait pardonner à Kevan, il serait dramatique de perdre la reine de l'Orage qui n'avait aucun héritier. Peut-être que si les deux femmes avaient eu le temps de se concerter avant le collège, elles auraient pu prévoir ensemble quelque chose, sans que cela mette sa vie en danger, aussi bonne guerrière fut-elle. Cependant, tout c'était fait dans la précipitation et la colère que sa souveraine éprouvait à cet instant, était sans aucun doute du à la succession rapide des événements et la découverte soudaine de la vérité. Ce qui n'était jamais chose aisé à appréhender. Mina dut se retenir de pousser un soupir de soulagement quand l'empereur prit le soin d'intervenir et d'apaiser les âmes pendant quelques instants. C'était une solution à l'amiable, qui ne pourrait pas satisfaire tout le monde, mais c'était sans doute la plus sereine pour pouvoir punir Kevan pour ses actes, sans pour autant remettre en cause l'unification de l'empire et surtout la légitimité des souverains. Elle fut surprise de voir qu'Argella laissait sa place pour le vote … C'était une sage décision, bien qu'elle se demandait si cela était possible. De plus, elle aurait dû continuer sur sa voix, même si les autres cherchaient à prendre la direction d'une solution moins expéditive et définitive, il aurait été totalement légitime qu'elle parle en son nom. Elles auraient sans doute l'occasion de pouvoir en parler seule à seule dans un autre contexte. Au contraire, elle, elle avait toujours sa voix et il fallait à présent qu'elle s'exprime à ce sujet. « Je vote pour également. » Simple et efficace, elle ne voulait pas s'étendre sur les raisons de cette décision. Elle ne manqua pas de lever les yeux au ciel en entendant Kevan demander à ce que la séance soit levée. Son impatience n'était sans doute pas le meilleur trait de caractère à présenter à cet instant.