Le renard et les loups

Goëville - Royaume du Val
An 0 Mois 1

Les loups ont toujours été des bêtes territoriales, restant dans leur terrain de prédilection, voyageant que si cela devenait nécessaire. Les Nordiens sont à l’image même de leur animal royal, casaniers et réservés, voire même renfermés sur leurs terres. Or, leur solitude n’est pas toujours une bonne chose, notamment en matière de politique. En cela, le Roi Torrhen l’avait bien compris. Se battre seul n’était jamais une bonne solution. Pourtant, le Nord a longtemps fait cavalier seul. Seulement, pour perdurer, il fallait évoluer, requérir des alliances. Le Forrester reconnaissait que cela était une décision sage, bien qu’il était risqué de subir une quelconque trahison et de perdre beaucoup.

Le conclave de Goëville tombait alors à point nommé. Les souverains de tout Westeros se retrouveraient en un même point, de quoi souligner les besoins de chacun, et les rancœurs des autres. Faisant partie de la Garde-Loup, Aymeric s’est vu chanceux d’accompagner son Roi dans les terres montagneuses du Val. Une terre lui rappelant ses aventures d’enfance, chassant dans les bois ferrugiers mythiques de son fief, ou encore escaladant dans la vallée rocheuse de sa demeure. S’il n’a jamais aimé sa maison, il n’oubliait pas les souvenirs passés à l’extérieur, il n’y avait qu’au dehors où il se sentait réellement à l’aise. La demeure des Forresters n’était que mépris et souffrance en comparaison de la liberté à portée de la flore.

Leur séjour se verrait alors empli d’activités, entre le conclave des grands de Westeros, les festivités de la cité, le tournoi équin et les mêlées à venir. Cela ne serait pas de tout repos. Qui dit grands évènements, dit extrême vigilance en ce qui concerne la protection du Roi et de ses enfants. Alors pour évacuer les moindres nervosités, certains Gardes-Loup en profitaient pour découvrir les tavernes de la région avant que le plus gros du travail n’arrive. Comment Aymeric s’était-il retrouvé là ? Il n’était pas franchement friand des lieux abondants de monde, où l’alcool coulait à flot. Mais il s’avérait qu’il avait perdu un pari sur le chemin de la route, et se devait de payer les pintes de son camarade. Bien sûr, ils furent rejoints par une tripotée de frères d’armes à la langue bien pendue.

Il s’était tout de même laissé aller à une hydromel, avant de jeter son dévolu sur sa pipe, enflammant des brins d’Armoises pour profiter du spectacle. Il n’était pas un grand parleur, mais il appréciait écouter certaines histoires ou anecdotes affriolantes de ses camarades. Laissant alors esquisser un mince rictus au coin de ses lèvres tandis que la tablée à leur côté s’égosillait de rire. Godfroy quel plaisantin. Il racontait comment il s’était mis à courtiser une femme marié avant qu’elle ne le couvre de honte au beau milieu d’un marché, en le frappant avec un saumon.

Alors que le Forrester envoyait valser la fumée par la fenêtre à ses côtés, un silence inhabituel prit de court les loups. Tournant la tête vers la cause du mutisme de ses compagnons, il vit de nouveaux arrivants à l’entrée. Aux vues des gardes, il s’agissait de nobles, avec pour écusson un Renard. Aymeric n’était assurément pas le meilleur pour reconnaître les maisons étrangères, outre certaines qu’il aurait déjà rencontrées. Il s’était bien plus concentré sur son éducation militaire que celle historique. Mais il entendit un homme murmurer qu’il était Bieffois. Tant qu’il n’était pas fer-né, cela ne posait aucun problème au Forrester. Cependant, ce n’était guère de l’avis de tous. Certains n’étaient point très ouverts à ceux d’autres religions.

La preuve étant, Godfroy ayant sans doute déjà bien trop picolé, lança un regard noir au nouvel arrivant en ricanant de son appartenance. Le Forrester roula des yeux face au peu d’intelligence de celui qui fustigeait le Bieffois. Il n’était pas connu pour sa lumière certes, mais ils n’étaient clairement pas chez eux, d’autant que cela témoignait d’un manque de savoir vivre. Alors que les autres nordiens riaient des paroles de Godfroy, Aymeric s’est décidé à se lever, délaissant son activité décontractante et attirant quelques regards.

- Ça suffit mon ami, nul besoin de créer des problèmes inutilement. Dit-il en posant sa main sur l’épaule de son frère d’arme.

- Tu défends des païens ? Rétorque-t-il avec indignation, s’écartant du toucher de l’homme pacifique.

- Ranges tes crocs, ne fais pas honte à notre roi. Le Garde-Loup lâcha un rire mauvais avant de se détourner. Espérons que le renard n’est guère mal pris la mauvaise langue et que l’ambiance ne se ternira pas davantage. Excusez-le, il gueule bien plus qu’il ne mord.

Ou pas, mais cela il n’avait pas besoin de le savoir, sauf s’il comptait renchérir. Dans ce cas, les problèmes ne seraient point loin.

Le renard et les loups

Le froid du Nord semblait s’être installé dans la taverne auparavant si bien animée. Les rires qui s’exclament ne sont que moqueries et éloignement, dans le simple but de geler les potentiels adversaires ayant eu la malchance de croiser leur chemin. Si Aymeric n’était pas l’individu le plus chaleureux qui soit, il pouvait souvent se montrer pacifique, ayant à cœur de servir les volontés de son roi, mais d’autant plus d’apaiser un quelconque conflit. Il n’était après tout pas de ceux qui aimait fatalement se battre. Ce qu’il préférait était la symbolique derrière ses combats, celle d’une terre soulagée de la guerre et de la misère. Non pas le plaisir du sang versé sur sa lame. Puisqu’il avait bien trop vu son peuple souffrir au fil des années.

Imbéciles, stériles, voilà comment le Forrester voyait ses camarades en ce moment précis, pourtant il les sait agréables au quotidien. Il suffit d’un rien pour éveiller la plus mauvaise partie d’une personne. Celle qui se tapit derrière les apparences. Les démons de tout un chacun. Rien n’est tout blanc ni tout noir, les humains sont bien plus complexes que cela, il y a tout une forme d’équilibre. Elle ressort inévitablement lors des moments d’alertes comme ici. Les Bieffois semblent tout comme eux aux aguets, mais c’est pour la simple et bonne raison qu’ils ne sont que des étrangers les uns pour les autres. D’autant plus de religions différentes. Et cette différence là est bien capable d’exploser en un conflit. Les différences, c’est souvent ce qui déclenchent les guerres.

Alors qu’Aymeric tentait d’apaiser les tensions, remballant son frère d’arme et le renvoyant à sa tablée, des paroles tenues de jeunes Bieffois attisèrent les flammes du foyer. Des grommellement se firent entendre dans le dos du Garde-Loup. Les plus susceptibles et impulsifs fustigeant les nouveaux venus. Mais à son grand soulagement, le doyen des Bieffois prit le parti de calmer les ardeurs. Voilà une autre personne bien censée. Les lames ne seraient point alors tirés dans cette pauvre taverne, dont le propriétaire semblait trembler d’avance à propos de cette rencontre. Un faible sourire naquit sur les lèvres du brun qui se voulut cordial et avenant, en répondant aux excuses échangés par le noble renard sur un ton plus léger :

- Il n’y a aucun mal à cela, nous avons tous été jeunes et intrépides. D’autant qu’il faut savoir clouer le bec de certains ivrognes pour se faire respecter.

Avait-il ajouté en baissant la voix comme une confidence alors qu’il sentait le regard de Godfroy sur sa personne. Ce dernier aurait soit oublié cette soirée au réveil, soit il ronchonnerait quelques jours à son propos, quelques bières et coups échangés compenseront sa susceptibilité.

- Joignez-vous à moi mes chers amis Bieffois, cette taverne est suffisamment grande pour contenter tout le monde. Continua-t-il en se retournant, leur adressant un signe de main pour le suivre avant qu’il ne pose une bourse remplie de pièces d’or sur le comptoir du propriétaire : Krane, la tournée est pour moi, emmènes-nous donc ton nectar !

Ce dernier lui échangea un sourire de remerciement pour avoir évité un bain de sang sur ses planches en bois. Aymeric rejoignait alors à nouveau sa table près de la fenêtre donnant sur la pleine lune lumineuse. Une bataille sous une lune pareille aurait certainement été de mauvaise augure … Le Forrester s’installa à sa précédente place et invita les Bieffois à le rejoindre avec un autre de ses camarades toujours présent. Celui-ci qui ne semblait pas tant à l’aise au vu du regard qu’il adressait au fils de Mont-De-Fer.

- Faisons comme si mes rustres confrères n’avaient point agit comme des imbéciles, voulez-vous ? Appelez-moi Aymeric mon ami, je suis de la Maison Forrester du Bois-Aux-Loups, fidèle Garde-Loup de mon roi. Se présenta-t-il solennellement avant de s’interroger sur l’identité de son interlocuteur : Et vous alors, vous arborez le blason d’un renard ..? Pardonnez mon ignorance, je ne connais presque aucune maison du Bief, j’ai toujours été piètre élève en la matière.

Ricane-t-il de lui-même à ce sujet. Oui, il était jadis bien plus motivé à manier une arme, plutôt qu’à apprendre auprès d’un professeur qui ne voyait en lui qu’un enfant maudit à la naissance.