Depuis de trop nombreux mois, Lyham avait été la proie d’une profonde mélancolie. La blessure morale liée à la perte de sa bien-aimée saignait encore à vif et les déboires incessants que subissait son Royaume, puisqu’il en répondait désormais en qualité de suzerain, avaient eu raison de sa force intérieure. Mais, sans qu’il sache vraiment pourquoi, il sentait s’insuffler en lui une flamme nouvelle depuis quelques jours. Peut-être était-ce à mettre sur le compte de la prise de Pierremoûtier aux mains du Bief ? Ou bien fallait-il y voir, plus simplement, les bienfaits vitaux que lui avaient procuré quelques précieuses nuits de repos, et une situation politique globalement plus stable dans le Conflans ? Il n’en avait aucune idée. Autre signe d’amélioration de son état : Lyham avait conscience de s’être laissé aller à sa tristesse pendant un temps trop important, et s’en voulait de n’avoir pas été suffisamment fort pour lutter contre les assauts répétés de cette dépression. Il percevait désormais les choses sous un angle plus positif, cessait donc de n’envisager toujours que le pire, et s’efforçait d’engager au quotidien des actions susceptibles d’alimenter une forme de cercle moral vertueux. Cela passait, en particulier, par une alimentation saine, de l’exercice physique et martial, diverses lectures des plus au moins utiles pour la conduite du pouvoir et l’abandon régulier au plaisir de la chair. A ce titre, Lyham s’était dernièrement entouré d’une poignée de maîtresses, originaires du Conflans et d’ailleurs, qu’il avait sélectionnées tant pour leur beauté que leur intelligence. Il avait perdu un peu son attirance pour Shaera de Volantis, qu’il fréquentait toujours de temps à autre mais sans lui accorder cette exclusivité quasi-matrimoniale dont elle avait pu jadis bénéficier. Il s’était rendu compte qu’en multipliant les relations sans sentimentale ni engagement marital, il n’avait plus à souffrir du risque de la perte d’un être aimé, ou de celle d’un enfant. Certes, cette vie un peu dissolue, qu’il n’envisageait qu’à titre temporaire, n’offrait aucune perspective véritable au Roi qu’il était aujourd’hui, mais elle présentait l’avantage considérable d’avoir l’effet d’un pansement sur son cœur et sur son estime personnelle.

Ce jour-là, le Roi Jon Stark, suzerain du Nord, aux côtés duquel il conduisait la Campagne du Conflans depuis plusieurs mois, avait sollicité une réunion dans la grande salle de Pierremoutier. L’ordre du jour proposé était simple : envisager la suite de leurs actions, quelles qu’elles soient, dans la conduite de la guerre en cours. Lyham s’y rendit donc, avec son écuyer Sacha Racin. Il y retrouva Jon Stark et son jeune frère Walton, Helena Bracken ainsi que Benjen Corbois. Il salua chacun des participants d’un signe de tête individuel, et vint s’asseoir sur l’une des deux chaises côte à côte qui avaient été disposées en tête de table, destinées aux Rois en présence.

Les relations avec Jon Stark étaient relativement mauvaises dernièrement, à cause d’un désaccord stratégique ayant permis aux armées de l’Ouest de fuir vers leurs terres. Le Roi du Nord en voulait à Lyham de n’avoir pas voulu engager le combat avec l’Ost des Lannister, et d’autant plus que cette action avait conduit au massacre d’une partie des troupes de l’armée de Jon. De son côté, Lyham aspirait à offrir à ses hommes un peu de repos martial et s’étonnait que son homologue nordien ne parvienne pas à comprendre qu’à trop user une armée, elle finit par être inefficace. Au fond de lui, il restait convaincu qu’une avancée trop risquée en direction de l’Ouest aurait fait courir le risque d’une nouvelle débâcle militaire ; débâcle que le Conflans ne pouvait en aucun cas se permettre, déjà largement amoindri dans ses rangs et dans ses forces morales.

Sur le terrain diplomatique, Lyham nourrissait un certain sentiment d’amertume et d’incompréhension depuis qu’il avait été informé que l’Empereur Torrhen sommait ses alliés fédérés d’interrompre toute hostilité avec le Royaume de l’Ouest, à la faveur de négociation en cours avec ce dernier. Et pour cause, il avait lui-même voulu engager des tractations avec les Lannister quelques mois auparavant, et s’était vu opposer une fin de non-recevoir de la part du Conseil impérial concernant tout rapprochement politique avec Castral Roc. Cette volte-face soudaine laissait donc Lyham très circonspect, bien qu’il ait cependant bien conscience que le mouvement diplomatique initié par Torrhen Braenaryon soit probablement davantage motivé par les circonstances que par un désir vigoureux de rallier à lui le Royaume de l’Ouest, plus connu pour sa passivité à toute épreuve que pour son courage politique. Du reste, ce n’était pas à titre personnel que le Roi du Conflans s’était formalisé de cet épisode diplomatique ; il n’avait que peu de considération pour les enjeux d’ego. Ce qui le faisait grincer des dents, c’est qu’il savait peut-être plus qu’aucun suzerain de l’Empire combien ses hommes étaient aujourd’hui précieux, et combien leur économie devait aussi servir de ligne de conduite. Ce refus catégorique, au départ, d’engager tout dialogue avec l’Ouest aurait pu avoir de lourdes conséquences sur l’armée de Lyham. Il n’en fut heureusement rien. Quoi qu’il en soit, ce dernier n’hésiterait pas à évoquer cette tractation en séance, et à s’en servir comme d’un argument pour appuyer sa propre vision de la suite de la campagne, puisque ses idées d’abord rejetées étaient finalement reprises en temps voulu par le Conseil impérial.

Lyham patienta donc que tout le monde termine de s’installer, et laissa à Jon Stark le soin d’ouvrir les discussions qu’il avait lui-même sollicitées. Le Roi du Conflans dévisagea quelques instants Helena Bracken, dont il connaissait un peu l’histoire, et qui incarnait à elle seule toute la laideur de ce qu’avait été le règne de la famille Hoare pour le Royaume des Rivières et des Collines. Lady Bracken avait été utilisée comme faire valoir politique à Yoren Hoare. Puis il détourna son attention vers une série de papiers étendus devant lui, et qui traitaient des affaires courantes de son Royaume. Il les rangea avec application, et attendit que démarrent les discussions.