La libération d’Accalmie du siège bieffois a joué en ma faveur. Les hautes instances ont été fortement sollicité par les troupes ou la noblesse. L’épuisement de ces longues semaines d’incertitudes a laissé place à une euphorie toute nouvelle. La fièvre de l’espoir s’empare des hommes et des femmes. Peu, ou personne, ne se préoccupe d’une petite poignée de réfugiés déguenillés.

Pour ma part, je reste insensible à cette joie collective. Je ne porte guère à coeur la maison Durradon et, par conséquent, tout ce qui se rattache à ce nom – son domaine, les gens loyaux à la Biche etc …. Pour la seconde fois, la capitale de l’Orage a été sauvé par ses alliés d’un désastre certain. La forteresse en feu, en flamme ou désordre aurait été un bien meilleur spectacle. Un baume à un coeur meurtri, tué et écrasé tant par la turpitude d’une Reine Mère de l’Orage que par la sauvagerie de Dragons de l’Est.

En vérité, tous et toutes, incluant ma propre personne, n’ont plus d’importance. Aujourd’hui, seules les funérailles de mon ami et protecteur, Baldyr le Voi, m’importent. J’ai eu à supplier des sœurs du silence pour apporter leur aide dans la préparation du corps du défunt, à soudoyer un fossoyeur pour qu’il creuse une tombe spécifique au seigneur dornien et à louvoyer auprès d’un ébéniste pour obtenir, en temps et en heure, une tablette portant le nom et quelques mots en l’honneur de cet homme. Le garde en charge de ma surveillance – Robyn et Léliana sont encore inconscients – a dû intercéder en ma faveur pour convaincre les Orageois les plus méfiants vis-à-vis des Dorniens.

J’ai eu à me délaisser d’un peigne incrusté de trois grosses et belles perles dans cette affaire-ci, par l’intermédiaire du garde. Cette somptueuse parure l’a étonné, au point où il se montre de plus en plus curieux à mon sujet. Je ne dis rien, optant pour le silence. J’ai autre chose à faire que de jouer des ronds de jambe politiques et protocolaires.

J’aide les sœurs du silence à laver ce vieil ami. J’apporte un minime effort pour creuser cette tombe. Enfin, je plante de mes mains ce bout de bois pour signaler tant l’emplacement que l’identité de la personne.

Baldyr Le Voi, Seigneur des Dunes Rouges, un époux et père aimant, un homme loyal.

C’est long pour une tablette, mais insuffisant pour résumer la vie d’un tel homme.

Les ongles incrustés de terre, les joues sillonnées de larme, la tenue tâche du sang d’ennemis comme d’alliés, je reste là, à tenter d’assimiler et d’accepter ce subit vide. Je reste jusqu’à ce que la voix du garde m’interpelle, m’invitant à rentrer dans la tente attribuée aux réfugiés. Il insiste au fur et à mesure que le soleil achève sa course du jour. Finalement, il avoue la raison de son entêtement. Il a peur de trainer auprès de tombes après l’heure diurne. Je soupire. Je ne suis qu’une invitée, ou prisonnière, ici. Je n’ai pas mon mot à dire. Ou, au contraire, j’ai déjà causé bien des remous avec mes exigences digne d’une noble. Là où la plèbe accepte la fausse commune, voire aucun enterrement en bonne et due forme, j’ai insisté pour suivre toutes les formes.

Avant que je ne quitte le garde pour ma couche, je l’interroge.

- Est-ce que le Prince Régent Orys Baratheon est présent à Accalmie ? Si oui, pouvez-vous lui faire savoir que Perle, de la Principauté de Dorne, est présente et serait ravie de le revoir ?

Cette dernière annonce achève l’homme. Il ne me croit pas. Je le devine à son regard. Il m’interroge davantage sur cette étrange requête, mais je ne réponds pas, me contenant de hausser les épaules.

- Je suis capable de le décrire physiquement, voire même d’énumérer quelques qualités et défauts. Je doute que vous en êtes capables. Dès lors, à quoi bon vous répondre. Tous mes mots seront des mensonges à vos oreilles.

Sans plus un mot, je me glisse dans la tente et me dirige vers la petite Léliana. Robyn est à côté. Ils dorment paisiblement, ou du moins, je le crois. Toute la nuit, je veille, tâtant leur front, aidant les guérisseuses et mestres de passage à changer les pansements ou à humidifier les lèvres des blessés. La nuit laisse place au jour et le garde réapparaît, m’informant que je suis attendue.

Finalement, j’arrive devant une petite blondinette dont la jeunesse et la grâce tranchent drastiquement avec mes traits fatigués et ma tenue grossière tâchée de sang et de boue de paysanne de l’Orage. Jadis, j’étais aussi belle et grâcieuse et charmante qu’elle. Ces temps me semblent subitement si loin, si superficiel, si … stupide. J’aurais dû apprendre autre chose qu’à être agréable et jolie à autrui.

J’ai été si bête.

Je ne prononce pas un mot, attendant qu’elle parle en première.

Codage par Magma.

- Mon compagnon se nommait Lord Baldyr Le Voi, un parent du dirigeant actuel de la Maison Le Voi. J’ai essayé de l’honorer au mieux et malgré que nous ne soyons pas au sein de la Principauté. La tradition des Seigneurs de cette Maison est d’enterrer leurs membres sous terre, là où ni le sable, ni les tempêtes, ni le soleil n’ont d’emprise, là où les morts peuvent paisiblement se reposer. Je ne sais pas … si j’ai choisi le bon emplacement, sur ces terres. Je l’espère.

Ma voix est un murmure, se brisant sur ces derniers mots. Ma fatigue est grande, mon impuissance est écrasante.

- Une dame de votre rang est un honneur. Il est fort plaisant de voir que des femmes réussissent à atteindre de telles fonctions hors des terres de la Principauté. Jadis, feu ma grand-mère m’a dit que ces femmes sont féroces, fortes et de bonnes têtes.

La petite me promet des vêtements propres et se renseigne sur l’état de mes compagnons encore vivants. Un sourire plein d’ironie se dessine sur mes lèvres. Jadis, la précieuse Arianne que j’étais se serait jetée sur une telle offre et l’aurait même agrémenté d’une demande d’eau chaude et de parfums et d’huiles. Aujourd’hui, je n’en ai que faire de ces considérations. Je me fiche de porter une tenue de sang et de boue ou une robe de soie et de perle. Qu’est-ce qu’ils valent, lorsque ceux que j’aime reposent dix pieds sur terre – et s’ils ont l’opportunité d’être enterré proprement ? La réponse n’en tient qu’à un mot : rien.

- Je vous prie de ne pas vous embêter avec ma toilette, Dame Chelsted. Sur ces derniers mois, j’ai appris à me contenter de peu et, surtout, à apprécier la simplicité. Je sais où les dames se procurent des vêtements et chaussures, je ferais de même.

Mes traits se crispent à la mention de Léliana et de Robyn.

- Si Baldyr a été un véritable compagnon, protecteur et ami, les deux autres personnes sont des épées-louées de fortune, que j’ai croisé durant mon périple. J’ai jugé qu’il était préférable d’être plusieurs, et non seulement deux, pour se protéger des brigands et des soldas un peu … imprévisibles.

Il est commun que les escouades se perdent dans quelques villages et s’adonnent à des excès dus à la boisson, à la fatigue ou à un sentiment inapproprié de puissance et d’ascendant.

- La courtoisie veut que je me présente à mon tour. Malheureusement, je suis indécise. Les rares fois où j’ai tenté de dire la vérité sur mon identité et mon parcours, on a cru que je mentais. Et les nombreuses fois où j’ai menti sur ces mêmes sujets, on m’a cru sincèrement. Ma Dame, mon récit exige une grande ouverture d’esprit.

J’inspire, je relève la tête et je la jauge du regard.

- Vous êtes de la Maison Chelsted, une maison de Peyredragon si je ne me trompe pas. Je me rappelle encore des quelques noms donnés par le Prince Régent Orys Baratheon, lorsqu’il était Prince Consort de la Principauté de Dorne. Vous avez grandi parmi les Dragons et avez été en contact de la mer et du ciel. Je vais donc assumer que vous saurez m’accorder le bénéfice du doute et que vous donnerez un semblant de crédit à mon récit. Mais il est très long, ma Dame. Je vous conseille de vous mettre à l’aise ou de reporter notre rencontre à plus tard si vous êtes occupés sur quelques affaires urgentes. Je ne partirais pas de sitôt, du moins, pas tant que mes compagnons ne se sont pas réveillés et que je n’ai pas obtenu le droit de quitter votre campement.

Tout au long, j’ai adopté un ton aussi courtois que poli et une attitude aussi humble que discrète. Je ne manque pas d’assurance, mais je ne suis pas bouffie d’orgueil. Une femme habituée aux rouages de la politique comprendra rapidement ma position : je reconnais qu’elle a de l’ascendant et je la respecte tant pour son titre que pour sa personne, mais je ne m’aplatis pas pleinement et je ne suis pas aussi misérable que mes vêtements laissent paraître.

- Si nous devons nous quitter, je me permets de vous donner ma véritable identité. Lorsque la prudence est nécessaire, je me présente sous une fausse identité, notamment en empruntant celle d’une amie : Perle, servante de la Maison Martell. Lorsque j’ai confiance en mon interlocuteur, alors, je donne mon véritable nom : Arianne Martell, née Sand, première née et illégitime enfant de feu Prince Nymor Martell.

Je glisse une main vers une poche cachée de ma jupe et en sors un collier. La chaîne et le médaillon sont en or véritable. Le symbole de la maison Martell est plus que visible et, à l’arrière du médaillon, quatre noms sont gravés : Nymor, Arianne, Deria, Anders, Roward. Je suppose que ce présent de mon père, que j’emporte avec moi partout, est largement suffisant pour prouver mes dires. Les escrocs, les servants ne peuvent pas détenir un objet aussi fin, aussi travaillé et aussi précieux.

Codage par Magma.

Les questionnements de la jeune conseillère vis-à-vis de Léliana sont légitimes. En toute réponse, je hausse les épaules et j’offre une réponse évasive. Comme entendu avec Ser Robyn et sa protégée, ils sont en charge de défendre leur propre cause, le temps venu.

- La jeune fille est la protégée de l’homme. Elle aspire à être une combattante. Je ne pourrais pas en dire davantage, tant par ignorance que par respect pour ces personnes. Je vous prie de prendre votre mal en patience et les questionner lorsqu’ils auront retrouvé leur esprit. Nous sommes nos meilleurs juges, après tout.

Isla Chelsted est donc une proche de la maison Targaryen et, par conséquent, de la Maison Braenaryon. Beaucoup peut immédiatement penser qu’elle n’a eu ce poste des plus importants et à un âge si jeune que par les faveurs capricieuses d’une souveraine chevauchant un dragon. Pour ma part, je ne pense pas. Je ne juge pas autrui aussi promptement et sur base de on-dit ou je pense. Bâtarde de naissance, née dans un bordel, j’ai eu droit à mon lot de médisances et d’injustices. Je sais, mieux que quiconque, à quel point ces quelques mots peuvent faire mal.

- Sa Majesté le Prince Orys est un homme passionné, dont la loyauté a été mise à rude épreuve entre son amour pour feu Princesse Deria et pour sa seule sœur, sa Majesté l’Impératrice Rhaenys. Combattif, il ne se défile jamais face à un combat ou un danger. Enfin, s’il a bien des qualités, son plus grand défaut est son irrévérence. Il peut manquer aux règles d’usage et blesser aisément quelques orgueils. La relation avec son épouse a été très houleuse lors des premières semaines, mais ils ont fini par trouver un terrain d’entente par la suite. Lorsqu’il sourit, il n’est pas rare que le sourire s’élargît davantage vers la droite. C’est un homme brun avec un regard brun. Je ne pourrais pas en dire davantage. Bien des événements se sont passés depuis, et ma mémoire commence à me faire défaut.

Est-ce que quelqu’un peut donner autant de détails sur base de quelques rumeurs ? J’en doute. Est-ce que ces éléments sont suffisants pour prouver que je connais l’homme ? Aucune idée. Nous nous sommes bien côtoyés durant son séjour à Lancehélion, mais son départ hâtif a mis un arrêt à cette entente naissante. Ces instants ne sont plus que de vagues souvenirs.

La blondinette m’invite à m’asseoir. Je la remercie silencieusement, en abaissant discrètement ma tête. Je prends place, pose mon verre d’eau sur une table et mets de l’ordre dans mes pensées. Ai-je à être entièrement honnête ? Bien sur que non. Il y a des éléments que je dois absolument taire, au risque d’y perdre ma tête.

Enfin, j’ai à ravaler une pointe de colère qui gronde au creux de mon ventre. Il n’y a pas que la Maison Valtigar qui a causé du mal à la Maison Martell. La Maison Hightower nous a humilié, la Maison Allyrion soutenue par l’Empire nous a affaibli et ma propre sœur, Deria, a mal joué à la politique et a humilié toute sa lignée – ancêtres et futures générations à venir.

Je ne dirais rien, malgré tout. D’une part, accuser ne m’avancera à rien. D’autre part, Hightower ou Allyrion sont bien le dernier de mes soucis. Seule ma vengeance envers la Maison Valtigar et tous les légionnaires qui la peuplent m’importent. Je vais me contenter des faits véridiques – en omettant qu’un ou deux éléments – et les assembler sous forme d’un récit.

- A la fin de mon récit, pouvez-vous m’indiquer si mon frère, Roward, est toujours vivant ? Je ne souhaite pas le savoir maintenant, au risque de défaillir de joie, ou de malheur.

Ma voix tremble. Je ne peux pas la contrôler, imaginant encore le pire. Ai-je à enterrer un nouveau frère, ou ai-je gagné quelques jours supplémentaires dans l’espoir ténu de le revoir vivant ? Je préfère me faire une idée lorsque je quitterais cette tente, et que je pourrais être seule pour y réfléchir longuement. Je ne veux plus partager mes peines avec quiconque. Elles attirent le malheur pour les bons et les vautours envers moi.

- Je prie, nuit et jour, qu’ils crèvent dans les pires souffrances. Et que je puisse être présente pour voir leur agonie.

Je n’ai pas pu m’empêcher. La haine est trop forte pour être contenue derrière un joli petit masque.

- A la suite de la défaite de la Principauté face aux armées bieffoises commandées par sa Majesté le Roi Manfred, le traité de Boycitre a été signé. Des terres ont été cédées, la Foi a gagné le droit d’imposer sa religion et des otages ont été donnés aux vainqueurs. J’ai été l’otage de feu sa Majesté le Roi Yoren.

Il est important d’observer l’étiquette, malgré la situation. Quoi qu’on dise du Roi Manfred ou du Roi Yoren, le premier a gagné par la voie des armes contre la Principauté. Le second a simplement tenté d’accomplir quelques faits d’armes. Ils ne sont pas populaires, mais ils ne sont pas si différents d’autres souverains. La méprise n’est réservée qu’à ceux qui, publiquement, se sont déshonorés.

- J’ai eu la naïveté de croire qu’en tant que demi-sœur de feu la Princesse Deria, je serais écoutée et je pourrais avoir un véritable rôle diplomatique sur les terres Hoare. J’ai été bien naïve. Lors d’une balade solitaire entre les murs de Pierremoutier, j’ai failli être violée. A plusieurs reprises, les soldats se sont manqués de la Principauté, de ma sœur ou de moi. Feu sa Majesté le Roi Yoren a été trop occupé aux affaires de guerre pour m’accorder la moindre audience, et sa Majesté la Reine Helena a été tout autant sourde à mes conseils ou insistances de rebrousser le chemin et éviter de suivre l’armée à chaque étape. Voyez-vous, je suis une diplomate, avant tout. Je ne suis pas une soldate : je ne sais ni tenir une arme, ni un bouclier. Quant à la Reine, elle était enceinte et le danger devenait plus pressant, entre l’armée impériale au devant et les nombreux complots et empoisonnements tout autour.

Je repense à toute ma frustration ou solitude à cette période-ci. Je n’ai eu que trois interlocuteurs durant de longs mois : Perle et Emris et, de temps en temps, Helena.

- Vous pouvez écrire à sa Majesté la Reine Helena, si elle détient encore ce titre. Elle confirmera ces propos.

Mon ton est tranquille, le ton d’une femme lasse et ayant déjà trop vue et trop vécue.

- Plus nous nous enfoncions dans le Conflans, plus la garde attribuée à ma surveillance et ma protection déclinait en nombre comme en qualité. J’ai craint, pour ma vie. Si feu sa Majesté le Roi Yoren gagne, quelles sont mes garanties que je ne serais pas servie en femme-sel à l’un de ses généraux, ou carrément à une escouade ? L’alcool peut vite rendre les hommes joyeux, et inconsidérés. Et si ce même Roi perd, qui va me protéger ? Personne. Je serais qu’un plaisir de passage, pour les hommes, quels que soient leurs allégeances. Ma Dame, ne prenez pas la mouche vis-à-vis de mes propos. J’en dirais la même chose avec les Dorniens. La guerre rend les hommes un brin … fous. Les privations, l’absence de conséquence à leur acte, le chaos … tout contribue à sortir le pire dans les âmes les plus faibles. Je le sais car je suis née dans un bordel et j’y ai vécu jusqu’à mes sept ans. Je le sais car mes obligations politiques m’ont amené à côtoyer bien des … caractères.

Est-ce qu’elle me comprend ? Est-ce qu’elle va se réfugier dans sa haute morale, incapable de croire qu’une bande d’hommes puisse être barbare et violent avec une femme ? Si les femmes peuvent être très solidaires, elles peuvent aussi être les pires entre elles.

- J’ai fui, malgré que je courais de gros risques si on m’attrapait, et malgré que je brisais le Traité par cet acte. A cet instant, ma survie m’importait plus que tout l’or du monde. Ou, si j’ai à mourir, je désirais avoir le choix de ma mort et non la subir. Depuis cette fuite, j’ai gardé mon anonymat au mieux, ne me révélant que si nécessaire. Avez-vous des questions sur cette première étape de mon récit, Dame Isla ?

Je me tais, attendant ses réactions.

Codage par Magma.

- Je suis ravie que mes propos ne vous ont pas heurté, mais attristée également d’un tel constat. Le prix de la sagesse est lourd et terrible, tant pour les hommes que pour les femmes.

Je ne bondis pas de joie à ce semblant de complicité et je ne verse pas de larmes aux propos de la Dame. Nous ne nous connaissons pas assez pour nous confier chaque secret ou pour panser les blessures de l’autre. Je maintiens donc cette attitude respectueuse, celle qu’elle mérite tant par son rang que pour son attitude à mon égard. Un soupçon de remord me gagne mais est vite étouffé tant par ma haine pour les Valtigar que par mon nouveau deuil. Je n’ai plus le droit à une faiblesse du cœur.  

- Jusqu’à récemment, j’ai été la plus couarde et la plus lâche de ma fratrie face aux dangers. Je peux jeter la faute à l’éducation reçue, me justifier avec mille et un arguments ou m’apitoyer sur ce défaut ou cette qualité de caractère. Je n’en ferais rien car je l’ai déjà trop fait. Je suis lasse de remuer le passé et les décisions prises. Et je n’ai plus grand espoir vis-à-vis de mon futur. Il ne reste plus que le présent, dorénavant.

L’amertume peut être entendu à travers mes paroles.

- Cependant, je vais vous partager les conseils de ma tendre mère. Ils pourront vous apporter quelques lumières sur mon parcours. Elle m’a répété, à de nombreuses reprises, qu’une fille du peuple qui n’a ni nom, ni rang, ni influence, ni richesse, ni armée est la plus vulnérable des créatures. Un cheval est bien mieux traité qu’une femme par les hommes, en tant de paix comme en temps de guerre.

Les chevaux sont un moyen de transport comme un outil de guerre. La femme n’a pas un tel rôle. Elle peut donner naissance à des guerriers, et voilà toute son utilité en ces temps troubles. Dès lors, selon si nous sommes les femmes des vainqueurs ou celles des vaincus, notre destin peut être drastiquement impacté. Dans le premier cas, nous pouvons souffler et apprécier la vie. Dans le second cas, la question est de se poser s’il vaut mieux vivre avec l’humiliation du plaisir de plus d’un homme étranger ou crever et disparaître de l’Histoire de ce monde.

- Elle m’a dit qu’une fille du peuple doit fuir tout danger ou soupçon de danger. Si elle ne peut pas le fuir, elle doit jouer avec et triompher par la ruse. Si elle ne peut ni fuir, ni triompher, alors elle doit subir et espérer survivre.

Les leçons sont cruelles mais plein de réalités. J’ai fui, là où ma sœur n’a pas cessé de jouer dangereusement avec les démons et les monstres : je vis, elle est morte. J’ai joué, là où beaucoup refuserait par égo ou pour l’honneur : j’ai pu sortir vivante et plus ou moins libre du campement du Roi Manfred, un monstre parmi tant d’autres que j’ai connu, croisé et fréquenté.

- J’ai suivi, scrupuleusement, ces enseignements. Ils m’ont permis de survivre uniquement, mais non de vivre. C’est la philosophie du peuple et non de la noblesse, ou de la royauté.

Elle me pose une question assez légitime : est-ce que je regrette ?

-  Je ne regrette pas cette fuite-là.

Je sous-entends qu’il y a eu une autre fuite et que celle-ci m’a couté considérablement.

- En essayant de fuir les troupes impériales et les troupes de feu sa Majesté le Roi Yoren, mes pas m’ont mené au Royaume de l’Ouest. Durant ce trajet, la bataille d’Aubray a eu lieu. Je ne pourrais pas dire si quelqu’un a été lancé à ma recherche ou non. Je vous invite à écrire à sa Majesté la Reine Helena. Elle saura mieux vous répondre. Quant à ma famille, je peux anticiper un pan de mon récit et vous dire qu’elle n’a été ni prévenue, ni pressée de lancer quelques recherches. Je l’ai appris que plus tard et directement auprès de ma défunte soeur.  

Je profite d’un instant de silence pour remettre de l’ordre dans mes idées. Je me suis trop éloignée du récit initial.

- La Maison Lannister est connue pour louvoyer avec bien des puissances, alliées ou ennemies. Ma crainte et prudence excessives m’ont fait craindre le pire, si je cherchais refuge parmi les Lions, alliés des Martell à cette époque-ci. Est-ce que je serais accusée, d’une façon ou d’une autre, des tentatives d’empoisonnement ou des échecs militaires de la Maison Hoare ? Est-ce que je serais, encore, otage entre les mains de nouveaux bourreaux ? Est-ce qu’ils profiteront de ma simple présence pour invoquer une brèche au Traité et tirer quelques avantages ? J’ai donc décidé de rester anonyme, en me faisant passer pour une marchande. J’ai eu à négocier ardemment pour obtenir un laissez-passer jusqu’à la Principauté, par bateau. Je pourrais vous dire comment, mais je ne préfère pas, ma Dame. J’ai quitté le campement avec hâte, accompagnée de deux servants Dorniens qui m’ont accompagné depuis le début de cette captivité et que j’ai libéré par la suite. Nous avions à peine pour nous nourrir ou nous loger. Sachez que ce que le peuple peut accepter comme pratique peut être vu comme déshonorant, grotesque ou ridicule pour les gens de la noblesse …

J’ai eu à séduire, à charmer et à piéger. Je peux tout dire si elle en souhaite chaque détail.

- Enfin, au gré des caprices de la mer et après un bon mois de trajet, je suis arrivée à la Principauté. Et, ma Dame, mes désillusions ont été légions et à chaque étape.

Je ne dis plus rien. Comme précédemment, j’attends qu’elle me pose ses nouvelles questions.

Codage par Magma.

La sollicitude muette de la conseillère à mon égard m’émeut. Ces miettes de compassion nourrissent ces charbons incandescents de l’espoir qui se meurent au fond de mon cœur. Il se peut que l’Empire soit bon, comme il se peut qu’Il ne soit qu’une nouvelle source d’hypocrisie et de mauvaises graines. Or, l’Histoire ne nous a-t-il pas appris que l’Homme ne peut pas construire sans détruire les œuvres de ses prédécesseurs, que tout nouveau monde s’élève uniquement sur les cendres de l’ancien ? Ainsi, le cynisme et l’Histoire ont raison de ce soubresaut de chaleurs, soufflant un énième vent froid sur ces braises mourantes.

- Ma Dame, je vous prie de prendre votre mal en patience. Écoutez mon histoire jusqu’au bout. Lorsque je vous conterais mon retour parmi les miens, je vous partagerais quelques détails de ma relation avec ces personnes. Alors, vous serez juges tant de leurs actions que des miennes et pourrez faire votre propre opinion sur une Maison qui décline et qui se meurt. Cependant, par respect pour les morts comme pour les vivants, je vous prie de garder vos pensées pour vous. Je ne pourrais pas souffrir d’une quelconque discussion sur la justesse ou la maladresse des actions de ma fratrie, ou de la mienne. Du moins, je ne le peux pas aujourd’hui.

Je préfère être honnête. La fatigue et le deuil ont raisons de ma patience comme de mon énergie. Le flot des paroles ralentit, le ton est plus grave et mon corps frissonne davantage à chaque minute passée. Mes nerfs lâchent. Ce n’est pas surprenant car nous nous attaquons à cette partie du récit qui m’a fait le plus de mal et qui m’a dévasté.

Un sourire aussi amer que moqueur se dessine sur mes lèvres lorsqu’elle clame que je n’ai rien fait de déshonorant, que j’ai pris les décisions les plus dures pour ma survie. Oh douce jeune femme ! Elle n’a absolument aucune idée de tous les sacrifices que j’ai déjà fait pour me tenir là. Si elle a connaissance de tout, l’admiration et la sympathie laisseront place au dégoût et au dénigrement.

- A nouveau, ma Dame, réfrénez-vous de me jauger sur cette première partie du récit. La seconde partie peut vous faire changer d’avis.

J’inspire profondément, tentant de contrôler autant que possible le tremblement de mes mains. La tension est visible, même pour un aveugle. L’attitude peut semer le doute et la confusion. Est-ce la peur d’une menteuse ? Est-ce le désespoir d’une femme sans maison, sans famille, sans rien ? La réponse est oui aux deux questions.

- En arrivant aux Météores, je découvre que la Principauté est à feu et à sang, divisée entre les forces de la Maison Martell et celles de la Princesse Rebelle … sa Majesté Mahée Allyrion. J’ai pris mon premier risque, sans réfléchir, sans m’inquiéter davantage des conséquences. J’ai rencontré Lord Barristan Dayne, en secret. Il était encore neutre à cette époque-ci. J’ai essayé de le convaincre de supporter ma sœur, prête à négocier bien des termes et selon ses convenances. Il a refusé tout compromis, tout soutien à ma sœur. Il m’a accordé cette audience privée et m’a laissé partir sans conséquence … par respect pour notre amitié passée. Il faut savoir que je suis née aux Météores et que tout enfant du peuple apprend, avant tout, à adorer et à être loyal à son seigneur avant son souverain. A nouveau, vous pouvez lui écrire : il confirmera mes propos.  

Mon ton est implacable, mes traits sont durs, mon regard est furieux. Aujourd’hui, ils n’ont plus que mon mépris.

- J’ai compris que je ne peux pas rencontrer de nouvelles Maisons sans information claire sur leurs allégeances officielles ou officieuses. J’ai donc pris la direction de Lancehélion, la queue entre les jambes, cherchant des solutions pour aider ma jeune sœur. Je suis arrivée à bon port et j’ai obtenu ma seconde rencontre secrète, avec ma propre sœur, feu Princesse Deria. Elle a été ravie de me savoir vivante, mais …

L’émotion m’étouffe. Les morts ont toujours tort dit-on. Va-t-elle me croire ?

- La rébellion l’a rendu irrationnel. J’apprends qu’elle n’a pas pu envoyer le moindre homme à ma recherche car tous les hommes étaient trop précieux pour sa propre bataille contre les forces de Mahée Allyrion. J’ai préféré ne tirer aucune conclusion au risque d’être blessée ou vexée. J’ai bien eu tort. Méfiante, elle voyait l’ennemi partout … incluant en moi. Nos vieilles querelles ont refait surface, l’improbabilité de me revoir au sein de la Principauté a rajouté de l’huile sur le feu. Après une longue et houleuse discussion, sans queue ni tête, ma sœur m’a posé un ultimatum : retourner en otage aux Îles de Fer pour respecter le Traité, voire convaincre le nouveau roi Fer-Né de soutenir Dorne, soit me cacher dans l’anonymat le plus absolu au sein de Dorne ou au sein d’Essos jusqu’à ce que le Traité soit brisé d’un commun accord avec les alliés.

Je me tais, les joues colorées tant par la honte que par la colère.

- Cette attitude a eu le goût de la trahison, Dame Isla. Celle qui m’a tant protégé au sein de la Cour contre la jalousie, la méfiance, la condescendance, la haine et les moqueries des nobles, voire de ma propre belle-mère, exige que je retourne m’humilier auprès des Fer-nés, croit que je peux comploter contre elle au profit de la Maison Allyrion. Elle a posé cet ultimatum à moi, son aînée qui a rendu son amour au centuple en sacrifiant absolument tout pour elle. Ce sentiment est … indescriptible, ma Dame. C’est le travail de toute une vie, de sacrifices absolues et douloureuses sur lesquels elle a craché. Vexée, déçue, je lui ai fait savoir que je préfère vivre libre, mais cachée et sans famille, que prisonnière, en tant qu’Arianne Martell qui n’a Martell que de nom. Je suis partie.

Ma voix tremble, incontrôlée.

- J’ai … voulu convaincre Anders, mon frère, de me suivre. J’ai essayé de lui faire comprendre que Deria est devenue folle. Qu’elle est prête à sacrifier tout le monde pour le trône. J’ai eu peur, pour lui. Il ne m’a pas écouté. Il m’a simplement souhaité … bon voyage. Et bon vent. Mais, je ne lui en veux pas pour ses paroles. Au contraire. Je suis la fautive. J’aurais dû … insister. J’aurais dû … rester. J’ai … échoué.

Ma voix se perd. Mes pupilles se fixent sur un horizon lointain et fantôme. Mon discours est plus décousu, l’émotion est plus forte. Lui avec qui j’ai partagé bien des secrets, lui qui a défié la morale pour m’embrasser, lui qui a été plus qu’un frère ou un désir interdit … J’ai failli. Je ne pourrais pas m’en remettre, qu’importe les années, qu’importe les bonnes ou mauvaises rencontres que je ferais depuis.

- J’ai échoué à les protéger … par orgueil. Je ne pleurerais pas, car j’ai déjà assez pleuré. Je n’accepterais pas votre compassion ou vos bons ou mauvais mots, ma Dame, car je me suis assez apitoyée et détestée.

Je me mords la langue jusqu’à m’en saigner. Qu’importe, cette douleur n’est rien en comparaison de mes propres émotions.

Codage par Magma.

Je me saisis de ce chiffon tendu et la tapote sur mes lèvres rougies. Confuse, je ne sais plus si la bienséance exige que je lui rende son mouchoir taché ou si j’ai à la laver avant. Ces longs mois passés sur les routes et loin des grandes cours royales m’ont rendu bien gauche.

- Je vous remercie.

Ma voix est brisée, mes mains sont tremblantes. Je ne feins rien. La difficulté est de retrouver sa contenance et être apte à terminer ce long récit. J’ai à aller au bout, afin que toutes les zones d’ombre soient éclairées par la vérité ou par le mensonge.

C’est, également, une occasion pour deviner ce que l’Empire sait à mon sujet et, notamment, sur mon périple sur ces terres. Les espions pullulent et une dornienne ne passe pas inaperçue aisément. J’ai bien pris soin de me dissimuler au mieux, usant de la boue si nécessaire.  

J’inspire. Je reprends.

- J’ai rejoint une compagnie marchande, faisant un commerce entre Dorne et l’Orage. Les risques sont grands, les profits sont élevés, disaient-ils. Pour ma part, je nourrissais un tout autre projet, soit remonter à Fort-Darion. La curiosité m’a étreint, l’envie de commencer une nouvelle vie au milieu d’une masse grouillante de tout horizon m’attirait.

A de multiples reprises, j’ai à m’arrêter et à reprendre mon souffle. Cependant, à aucun instant, je n’ai désaéré mon méprise sur ce bout de chiffon.

- Mort de Deria et d’Anders, abandon de la couronne par Roward, deux nouveaux dragons dans le ciel, Lancehélion aux mains d’ennemi … les nouvelles tombées, dramatiques. Je ne savais plus quoi faire … où aller. J’ai suivi les marchands, sans véritablement les suivre. Le blocus maritime du Bief nous a obligé à emprunter la voie maritime. Nous avons été arrêtés par des bieffois, privés de nos biens. Les hommes ont été battus et renvoyés, s’ils sont chanceux, ou tués, s’ils sont trop audacieux. Les femmes ….

Je repense à ma rencontre avec Manfred. Ma mâchoire se crispe, mon corps se tend. Le souvenir est désagréable pour le corps et pour l’esprit. Sa figure rime avec humiliation, souffrance, violence, plaisirs coupables. Est-ce véritablement important ce que j’ai fait ? J’ai joué avec lui, comme j’ai joué avec tant de ses semblables par le passé pour me sortir d’un guêpier. J’inspire profondément, rejetant au mieux toutes ces images dégradantes, où les visages de tous mes bourreaux se mêlent et s’entremêlent. Je retiens un haut le cœur.

- J’ai trouvé refuge dans une ferme, assez isolée, déjà pillée par les armées. J’ai profité pour me reposer, pour récupérer, pour réfléchir.

La lassitude me regagne, la tension retombe.

- La vengeance. Voilà ce que je souhaite. Voilà à ce que j’aspire. Venger ma sœur, venger mon frère et tuer ces chiens avant qu’ils ne tuent mon dernier frère.

Je ne cache ni ma haine, ni ma colère, ni mon dégoût.

- Deria Martell n’a pas été une bonne alliée ou une bonne princesse. Et malgré que notre dernière discussion a été violente et décevante, elle a été surtout une sœur chère à mon cœur. Et … je n’ai pas pu l’enterrer. Et je ne peux pas honorer sa mémoire avec quiconque. J’ai espéré … J’ai  désiré un dernier hommage à elle, et à Anders, avec une personne qui les a connu personnellement, qui les a aimé et qui les a apprécié. J’ai voulu, égoïstement, revoir Orys … pour pleurer une dernière fois nos morts. Pour boire au nom de nos morts. Pour ressasser quelques souvenirs de nos morts. Avant que je ne parte pour Lancehélion.

J’en oublie tout. Convenance, titre, émotion … je suis lessivée.

- Mais, il n’est pas là.

Non, il n’est pas là. Tout ce chemin parcourut pour rien …

Codage par Magma.

- Demander l’aide au Prince Régent revenait à demander l’asile auprès de l’Empire … de ma propre famille. Si je n’ai aucun droit à la succession, je n’en reste pas moins une batarde légitimée et portant le nom Martell. La symbolique aurait été forte et aurait fait vaciller davantage le pouvoir de ma sœur. J’ai été blessée, mais pas au point de la trahir par égoïsme et par insouciance.

Mon amour et ma loyauté pour ma fratrie ont été les raisons de cette solitude imposée. Jusqu’à ce que Roward nous libère du poids de la Couronne, toutes mes actions avaient des conséquences. Au sein des Puissances Centrales, j’étais l’otage de marque des Fer-nés, en vertu du Traité de Boycitre. Ils suffisaient qu’ils la brandissent pour me réclamer et disposer de ma personne à leur guise. Au sein de l’Empire, je serais un symbole fort, celle d’une sœur et d’une loyale conseillère qui s’est retournée contre son sang. Je serais la preuve supplémentaire que Deria ne mérite pas de s’asseoir sur ce trône et qu’elle doit céder sa place à la Princesse Rebelle. Je ne désirais être ni l’un, ni l’autre. Je souhaitais être libre, mais toujours loyale.

J’ai échoué.

- Si je ne peux pas entièrement pardonner sa Majesté la Princesse Mahée Allyrion de ses actions envers ma famille, je ne suis pas pour autant aveugle et sourd à ses arguments et à ses idéaux. Je sais que le peuple a souffert des décisions malavisées de ma sœur, de la défaite face au Bief, aux Fer-nés et à l’Ouest et de l’humiliation du Traité de Boycitre. J’entends leurs colères, je comprends leurs souhaits. A défaut de pouvoir m’impliquer dans ce conflit activement, en usant de mes propres forces, rejetée par ma propre famille … j’ai souhaité faire ma propre avis de cette capitale et de ce nouvel empire.

J’aime faire ma propre idée d’une situation, ou d’une personne. Bien souvent, je tombe dans la gueule des loups. J’en ressors déchiquetée, brisée, malmenée, voire souillée. Aussi douloureuses soient-elles, ces expériences m’ont appris à voir par-delà les apparences et à entendre par-delà les mots. Je peux reconnaître les monstres, les anges, les saints, les démons, l’honnête, le juste et l’hypocrite. Le coût a été élevé et je me suis souvent apitoyée sur ma bêtise. Ce temps est révolu. Je suis heureuse, maintenant, car ce savoir va me servir et va m’être précieux.

- Un temps, j’ai eu cette folle idée que je pourrais me convertir en marchande, m’inventant une nouvelle vie et me mêler au peuple de Fort-Darion. Puis, je me suis rappelée qui je suis et qui traine ses guêtres là-bas, comme sa Majesté Prince Régent Orys.

Un sourire aussi doux qu’amer se dessine sur mes lèvres.

- Alors, les choix se sont naturellement imposés. Je m’y rends, je me fais mon propre avis. Si je suis convaincue, alors je serais le pont entre les Martell et l’Empire, quitte à ce que cela coute la couronne à ma sœur. J’aurais su trouver les bons mots, malgré nos différents. J’aurais pu rétablir notre lien, malgré les derniers événements. Sa survie, son bonheur, sa paix m’ont toujours plus à cœur que toute la gloire, le pouvoir … voire même la Principauté.

Qu’est-ce qu’un bout de terre, quand nous n’avons plus quiconque à aimer ? Rien.

- Et si je ne suis pas convaincue par les idéaux de l’Empire, alors je ne pourrais ni convaincre ma sœur, ni défendre une quelconque paix entre les parties en conflit au sein de la Principauté. J’aurais eu à quitter Westeros, définitivement, pour les terres d’Essos et notamment pour Braavos. J’ai encore des amitiés, là-bas. Elles m’auraient aidé à m’établir, à me lancer dans le commerce, à prospérer.

En somme, des choix cornéliens et cruels. Des choix impossibles.

- Je n’ai plus à m’inquiéter d’un tel choix. Les Valtigar m’ont ouvert une nouvelle voie. Ils m’ont aussi insufflé la volonté d’ajouter une quatrième voie aux recommandations faites par ma mère. Si je ne puis ni fuir, ni jouer, ni subir un monstre … alors je veux le battre.

Qu’importe le prix que j’ai à payer.

- J’ai rencontré mes compagnons après que les marchands et moi-même ont été dépouillés par une escouade bieffoise. J’ai trouvé refuge dans un petit village de ces terres, le temps de … récupérer.

Mes traits affichent autant confusion et honte au souvenir du Roi Manfred. Est-ce que j’aurais pu être là, libre de mes mouvements, si j’avais été plus mesurée et plus scrupuleuse ? Est-ce que je suis véritablement libre ? Un mot de lui et je suis condamnée. Un mot de moi et il peut aisément se dédouaner.

- Lord Baldyr … Feu Lord Baldyr a craint qu’il ne puisse pas assurer ma protection. Alors, lorsque nos chemins ont croisé ceux des épées louées, nous avons noué un contrat.

Voilà le second mensonge du récit. Je les ai rencontré bien plus tôt. Si je n’ai pas peur de la discrétion de Robyn, je crains considérablement la langue pendue de Léliana. Enfin, craindre est un gros mot. La fatigue et la lassitude sont telles que je me fiche dorénavant de vivre ou de crever. Soit je vis et je me venge, soit je crève et j’ai enfin la paix. Tout le reste, comme les valeurs et autres, est vain et sans importance.

- Jusqu’à mon départ avec la compagnie marchande, vous pouvez vérifier mon cheminement en écrivant à sa Majesté la Reine Helena ou à Lord Barristan Dayne. A la cohérence de ce récit avec mon caractère, vous pouvez écrire à sa Majesté le Prince Régent Orys ou à son Al … à Lord Roward, mo frère.

Il n’a plus de titre, c’est vrai.

- Est-il toujours vivant ? Mon frère … Si oui, est-il en danger ? Si non, comment ?

Ma voix s’étrangle, mon corps se tend, mes mains serrent le mouchoir jusqu’à blanchir mes phalanges. Je ne suis plus capable de respirer, attendant cette réponse. Plus les secondes s’écoulent, plus je sens des sueurs se former sur mon front.

Codage par Magma.