Mina n'était pas totalement idiote des choses qui se passaient actuellement tout autour d'elle. Il lui était fort impossible de pleinement comprendre tout ce qui se tramait dans le secret des alcôves, même si celles-ci se déroulaient dans les petites pièces de la pauvre auberge où les plus éminents personnages de l'Empire avaient été accueillis, le temps que les décisions pour l'avenir de l'Orage, de sa Reine et de sa succession ne soient prises. Il y avait eu des cris à n'en pas douter, qui avaient montré qu'au sein du quatuor à la tête du monde, les dissensions semblaient intenses, principalement entre l'Empereur et son beau-frère, le Prince Baratheon. La jeune lady de Pierheaume n'avait jamais été une de ces femmes à rechercher avec un enthousiasme certain les commérages qu'on pouvait voir dans les différentes cours. Il fallait pourtant avouer, qu'à Hautjardin, le persiflage était devenue une joute comme les autres, mais celle-ci au lieu de n'être qu'une pratique d'hommes, était bien plus celles des femmes, bien que tous aimaient plus ou moins à y participer et à y apporter une information supplémentaire. Dans ce genre de situation, la vérité était toujours difficile à entrevoir, mais l'adage disait qu'il n'y avait jamais de fumée sans feu et forcément, une part de ce qui était amusant à colporter avait une base solide, ancrée dans le monde dans lequel ils évoluaient tous autant qu'ils étaient. Ici ou ailleurs, de son côté, elle n'était pas prête à se soumettre à une telle pratique, et fermer les yeux, autant que les oreilles étaient nécessaires pour parvenir à garder la tête aussi froide que possible. Cependant, ils n'étaient pas à la Cour de Fort-Darion, et il y avait donc moins de vipères ici que là-bas, mais cela ne venait pas pour autant à éteindre la curiosité des gens, qui étaient friands de voir le monde tourné, alors que le leur était en train de s'effondrer. La dispute paraissait bien plus intime qu'elle ne venait à concerner le sauvetage d'un royaume, alors qu'ils avaient tous fait le déplacement jusqu'ici pour pouvoir donner un nouveau souffle à la maison Durrandon et au peuple qui était sous sa protection. Rien ne devait surpasser les faits actuels, alors que la Reine était captive, ainsi que le Roi Consort, que le Bief était allé si loin dans le territoire qu'il était surprenant de pouvoir avoir encore des poches de survie et de révoltes à certains endroits. Le reste devait être mis de côté, ne devait pas empoisonner le présent car sinon, la réussite risquait de s'éloigner petit à petit et cette simple idée lui était pleinement insupportable.

Elle qui se sentait déjà si peu utile jusque là. On lui avait demandé en plein cœur du Collège Impérial qu'elle fasse le déplacement, qu'elle accompagne l'Empereur comme l'avait signifié les deux membres les plus éminents de ce dernier, et bien qu'elle ne prenait guère de plaisir à voyager par la voie de la mer, qui était aujourd'hui, une bien désagréable amie, elle l'avait fait car elle se devait de le faire, pour aider d'une façon ou d'une autre cette terre qui l'avait accueilli et qui lui avait donné les plus belles années de son existence. Mais elle n'était qu'une femme, ou plutôt, elle n'était qu'une femme qui ne partait pas à la guerre, qui ne portait pas une épée à la taille et qui était loin de monter à cheval avec cette dernière pour aller occire leurs ennemis. Elle n'était pas plus cheffe de guerre et donc, si elle était prête à servir sur un plan diplomatique, elle ne pouvait guère être missionnée tant que les combats faisaient rages et ne faisaient pas à nouveau pencher la balance de leur côté. Certes, elle écrivait des missives, essayait de prendre des nouvelles pour voir l'ampleur des dégâts mais bien souvent cela s'arrêtait là. Elle ne pouvait se permettre de tout raconter dans ces lettres qu'elle rédigeait, elle ne pouvait prendre de risques que des informations importantes soient prises par l'ennemi. Alors, puisque le temps était actuellement à l'orage, donnant raison au nom dont on avait affublé le royaume, elle avait envie de retrouver la plage, et cette sensation de liberté qui allait avec. Bien qu'elle était solidement gardée pour sa sécurité, ce qui remettait en cause le principe même de liberté. Elle allait gagner l'extérieur quand elle entendit quelqu'un la saluer. Se retournant, elle remarqua alors Orys Baratheon à quelques mètres d'elle. Elle s'inclina doucement à son tour devant le prince avant de faire quelques pas pour le rejoindre. « Il en est tout autant pour moi votre Altesse. » Un doux sourire se dessina doucement sur ses lèvres face à lui. « Je viens apporter mon aide comme je le peux, en attendant d'être pleinement utile. Je ne suis guère efficace je le crains, mais j'ose espérer que je le serai plus d'ici quelques temps, Dame Daena Redwyne que vous connaissez, m'a appris quelques rudiments de soins … » Elle lui fit un signe de tête, venant à quitter les lieux. « Je comptais prendre un peu d'air et d'aller voir la mer, peut-être même y tremper mes pieds si je le peux … Cela a toujours eu un effet réconfortant sur moi. Après tout, je suis née sur une petite île, cela n'est pas si surprenant. Votre compagnie ne pourra être qu'agréable. » Elle regarda vers le lointain. « Et vous, votre départ pour les grandes batailles est pour bientôt ? »

Revenir ici venait à faire remonter autant de doux que de difficiles souvenirs, sur ce qui avait été et sur ce qui aurait pu être. Mais aussi cette horrible sensation d'événements manqués dans un sens comme dans un autre et cela venait à lui donner un vague à l'âme qu'elle faisait au mieux de ne pas exprimer à voix haute, ou même montrer. Bien qu'elle était présente ici, elle ne serait pas bientôt en première ligne de front, elle ne porterait pas les armes pour l’estocade et s'ils venaient à perdre, elle serait sans doute une nouvelle prisonnière de marque plutôt qu'exécuter sans plus de cérémonie parmi tant d'autres cadavres. Rien que l'idée de revoir Manfred Hightower lui procurait un frisson glacé dans l'ensemble du corps. Elle n'était plus une jeune fille innocente et naïve comme elle l'avait été par le passé, et aujourd'hui, elle parvenait à se représenter en grande partie l'homme qu'il était réellement, et pas seulement l'image qu'il désirait bien renvoyer à son public. C'est pour cela, elle avait besoin de retrouver l'océan, de se perdre dans cet horizon, même si celui-ci semblait prêt à exploser à cause de l'orage et de la tempête que les gros nuages gris venaient à couver. Elle avait souvent passé du temps à observer les flots à la Treille, qui semblaient toujours plus paisibles qu'ici. Ils scintillaient sous le soleil du Bief et apportait un réconfort certain. Mais en grandissant, l'Orage et ses plages, mais surtout l'humeur de la mer avait bien plus été en accord avec les propres tourments de la jeune lady de Pierheaume. Dès qu'elle avait besoin de réfléchir, qu'elle avait besoin de se retrouver un peu seul, elle se rendait jusqu'au rivage, et laissait la marée emportée ses états d'âme. Combien de fois Béric était venu la rejoindre là-bas ? Combien de fois l'avait-il observé en silence, attendant que sa propre tempête se calme. Combien de fois l'avait-il étreint dans ses bras forts et puissants ? Il était bien plus fait pour la guerre que pour l'amour et pourtant, lui et Mina avaient réussi à s'accorder le peu de temps que leur mariage avait duré. Qu'aurait pensé Béric de tout cela ? Mina était certaine que son époux, vu de son statut de général en chef des armées de l'Orage, n'aurait jamais accepté de rester bien sagement comme représentant du royaume à Fort-Darion avec toute la menace qui pesait sur le territoire, autant que sur le peuple et par sa famille par extension. Il aurait combattu encore et encore, jusqu'à ce que la mort vienne à le trouver, même s'il était à la tête de la dernière poche de résistance qu'on venait à rencontrer ici. Son devoir était passé avant toute autre chose, et bien qu'il lui avait dit qu'accomplir ce dernier parviendrait également à protéger les siens, elle n'avait jamais réussi à être convaincu par cette discussion. C'était un mariage arrangé, qui ne laissait que peu de doute sur la place qu'elle devait tenir et sur le rôle qu'elle devait avoir ici. Être une lady était  Peut-être l'aurait-elle remplacé à la capitale, ou juste aurait-elle du barricader Pierheaume pour pouvoir éviter l'invasion ennemie jusqu'à la cité des Swann. En attendant, elle était là, et lui il ne l'était plus.

Elle avait besoin de la mer, elle avait besoin de sentir le vent dans ses cheveux blonds, elle avait l'envie de plonger dans cette eau vive et de se laisser emporter par le courant, vers un autre horizon. Elle n'avait pas pensé qu'elle croiserait le Prince Régent sur sa route, et qu'il viendrait à s'intéresser un tant soit peu à elle, après tout, ils n'avaient pas échangé autre chose que des salutations polies depuis que lui et l'Impératrice les avaient rejoint ici. Elle eut un sourire délicat à son égard. « Je ne suis pas certaine que je possède véritablement un talent, et bien que notre amie commune usa de bonté et de patience envers moi, je ne suis pas la plus qualifiée. Je tourne facilement de l’œil face à la vue du sang, ce qui ne manque pas d'être handicapant dans un tel contexte. Mais il est hors de question que je reste ici à rien faire ou à moquer de paperasse qui se limite drastiquement avec la situation politique actuelle. » Quand elle pensait à tous ces malheureux, et à l'espoir qui baissait petit à petit, il fallait contribuer d'une façon ou d'une autre. « Un fâcheux ou heureux concours de circonstance que cette amitié avec lady Redwyne. J'ai pris beaucoup de risques personnelles en suivant Argella Durrandon jusqu'à la capitale impériale, il y a de cela plusieurs mois, même plus d'une année maintenant. Je me remettais à peine de mon dernier accouchement qui s'était mal passé, et pendant le voyage en mer, j'ai été prise d'une forte fièvre, je me suis réveillée trois semaines après à Fort-Darion, et j'ai dû bénéficié tout autant de semaines de soin après pour me remettre. Daena fut à mes côtés pendant tout ce temps et nous avons noué un lien très fort depuis. Je lui serai à jamais reconnaissante pour diverses raisons. » Elle se mit à rire avec légèreté en l'entendant parler. « L'appel de la mer était peut-être plus fort que le reste. Si vous avez besoin, je vous tiendrai la main pour éviter que vous ne tombiez involontairement dedans. » Elle lui fit un clin d'oeil avant de se mettre à le suivre.

Son regard se perdait déjà sur l'horizon maritime, alors que la légèreté de leur conversation variait lentement entre les différents sujets qu'ils abordaient. Une petite voix dans sa tête n'oubliait pas, n'oubliait jamais que ceux de l'Orage qu'elle estimait, allaient combattre ceux du Bief qu'elle avait aimé. Mina avait toujours l'horrible inquiétude qu'un jour, elle tombe sur le corps d'un de ses frères, ensanglanté sur le champ de bataille. « Je ne peux souhaiter que votre réussite, ainsi que celle de l'Empire face à notre ennemi. Pour autant, je viens à prier pour que la mort ne soit pas la seule condition de la victoire. Elle est immanquable, et j'en suis parfaitement consciente, mais tout comme nous sommes animés par une vision et par la loyauté envers une entité, ils le sont tout autant ... » Elle garda le silence pendant de longues secondes, continuant à regarder droit devant elle. « Effectivement, c'est une possibilité qui pourrait se manifester à moi. Mais pour cela, il est question de passer par une union qui m'amènerait à effectuer certaines tâches au nom de l'Orage autant qu'au nom de l'Empire. D'être une sorte de relais entre l'un et l'autre. Ne me voyez pas pleine d'ambition, ce n'est pas le cas. Je suis née modestement, et les titres ne m'intéressent pas. Il n'y a jamais eu de femme plus heureuse que moi que quand j'étais gouvernante des jumeaux impériaux. Mais le devoir nous appelle tous un jour ou l'autre vers d'autres horizons que ce soit le devoir envers une croyance ou envers une ou plusieurs personnes. Et ce n'est pas toujours évident d'allier les envies, les désirs, les passions et les rêves et de se confronter à une réalité implacable. » Elle ferma les yeux, humant l'air empli d'embruns marins et elle poussa un doux soupir. « Il n'y a rien de mieux que cette sensation pour moi … » Elle leva son regard vers Orys et elle sourit avec malice. « Je suis née sur la petite île de la Treille … Dans le Bief. Vous voilà en présence de l'ennemi, j'en ai bien peur. » Elle se mit à rire avant de se baisser pour en retirer ses chaussures et elle fit quelques pas pour avancer jusqu'à la mer. « Mon parcours est des plus atypiques … Mais ma fidélité à l'Empire n'ait aucunement à remettre en cause. Pour autant, je ne désespère pas un jour de retrouver les miens ... »

Les chemins ne cessaient de se croiser sans parvenir pleinement à prendre le temps de s'attarder pour créer de véritables liens. Les gens allaient et venaient jusqu'à Fort-Darion, les échanges étaient nombreux et on finissait par reconnaître certains visages dans la cohue générale et l'animation incessante des rues ou du château. Était-ce un bien ? Était-ce un mal ? Ce n'était pas à elle de répondre à la question mais elle ne pouvait s'empêcher de se demander : qu'est-ce qui parvenait à rester après tout ça ? Chacun venait à reprendre sa route après et les aléas du destin permettaient ou non de nouvelles rencontres. Et ce phénomène allait même jusqu'aux plus hautes sphères de la société impériale. Les Royaumes Fédérés étaient nombreux, et leurs représentants officiels ou officieux également, il était donc tout à fait normal que les différentes personnes. Le jeu du pouvoir était réel, et cela ne pouvait faire qu'attirer toujours plus de monde au sein de la communauté que formait aujourd'hui Fort-Darion et il aurait été fortement décevant qu'une capitale telle que celle de l'Empire ne vienne pas à tirer son épingle du jeu. On voyait la prospérité d'une cité et d'une civilisation toute entière si cette dernière parvenait à unir les peuples en un seul lieu, car derrière une seule idée, un seul espoir, cela était bien souvent insuffisant. Le Collège Impérial était grand, entre les membres siégeant et ceux qui étaient là pour les suppléer, il y avait de nombreuses possibilités à envisager, mais pour Orys et Mina, aucune ne s'était véritablement concrétisé jusqu'à ce jour, jusqu'à ce qu'il lui adresse plus qu'une salutation polie, et qu'elle, elle ne vienne à faire autre chose que d'y répondre avec la même solennité. Encore une fois, elle remettait en doute la décision d'Argella Durrandon de l'avoir nommé à une telle place, et bien plus encore depuis que le royaume était tombé, avec elle dans les filets du Bief. Et si d'une certaine façon, elle se retrouvait à une place qui n'était pas vraiment la sienne, il lui était tout bonnement impensable de tout abandonner ici. Elle finirait bien par être utile d'une façon ou d'une autre.

En attendant, leurs pas allaient les guider tous les deux ensemble vers le rivage qui n'était pas si loin, et qui pour deux êtres qui étaient nés et avaient grandi au milieu des flots, représentait une musique qui les appelait, telle une sirène cherchant à éteindre les marins sans plus jamais les libérer. D'une manière ou d'une autre, Mina continuait à avoir besoin d'y retourner, comme si cela était en fait le seul moyen pour qu'elle reprenne un semblant d'équilibre. Elle laissa la conversation en suspend quand il parla du talent caché que toute personne pouvait avoir, et attendre une révélation qui ne viendrait peut-être jamais. Il serait sans doute bien plus aisé qu'elle soit moyenne dans de nombreuses choses, plutôt qu'excellente dans une et totalement incapable pour le reste des tâches du quotidien. Cependant, elle ne s'attendait pas un seul instant à la réflexion de son compagnon de promenade et elle ne put s'empêcher de lâcher un rire cristallin avant de se mordre la lèvre. « Dois-je envisager que ce talent a été exploité dernièrement et que vous ayez, par conséquent, fini par glisser sans le désir dans l'eau ? A moins que vous ne soyez finalement que maladroit, en plus d'être agaçant ? » Il n'y avait aucune once de méchanceté dans le ton de sa voix ou dans les paroles qu'elle prononçait, juste de la taquinerie. Après tout, ce n'était qu'une petite supposition, et par les temps actuels, elle avait le désir d'améliorer un peu le moral, même si c'était d'une façon maladroite. Il avait ce petit sourire goguenard, qui venait à lui faire penser, qu'il avait dû être un véritable petit fripon pendant sa jeunesse, et qu'il en avait gardé un peu de ce caractère turbulent. Cela avait quelque chose de rafraîchissant. Elle inclina la tête doucement pour pouvoir le remercier de ces quelques paroles, parlant de hardiesse et de volonté en la désignant elle. « Nous verrons cela, quand je tournerai de l’œil au milieu des soldats et qu'il faudra me réanimer ... » Elle lui fit un sourire amusé, bien que sa crainte n'en restait pas moins réel.

Mina balaya les excuses du Prince Régent d'un mouvement de la main, comme si cela ne devait en aucun cas rentrer en considération. « Nous avons tous vécu des moments difficiles un jour où l'autre, et même si le pincement au cœur n'en reste pas moins réel, et parfois plus étouffant encore qu'au premier jour, il faut utiliser cela comme une force, sinon, le naufrage ne sera pas loin et on ne peut parvenir à s'en sortir. » Elle savait que l'ombre était là dans son cœur et qu'elle ne partirait jamais. « Elle m'a dit en tout cas, que vous avez fêté à grand renfort d'alcool, les festivités en l'honneur du Val … Au vu des mots que vous avez eu ce soir-là, je suppose que tout cela ne vous enchante guère ? » Elle hocha doucement la tête. « En effet, j'ai une petite fille ainsi qu'un tout jeune garçon, ils sont ce que j'ai ... » Mina ne réussit pas à finir sa phrase, bien trop surprise que le Peyredragonien ne vienne à nouer sa main à la sienne. Elle regarda leurs paumes et leurs doigts joints avant de lever son regard vers lui, puis elle éclata à nouveau de rire, ne parvenant pas à s'arrêter pendant de longues secondes, sans pour autant relâcher la pression et plutôt en augmentant cette dernière. « Promis, je ne vous lâcherai pas un instant, vous pouvez compter sur moi. » La situation était totalement cocasse mais il y avait un petit côté agréable néanmoins à un tel geste. Ce n'était sans doute qu'une plaisanterie, mais cela n'empêchait pas un certain réconfort. Elle venait à avancer sur le chemin, préférant poser son regard sur le sol quelque peu glissant, plutôt que de répondre à ses paroles, son ventre venait de se tordre à la simple pensée que du sang allait encore couler en masse, sans qu'elle ne puisse avoir la certitude que cela fera réellement pencher la balance. « Si nous voulons être des personnes logiques, et possédant, dirons-nous, une certaine sagesse face à la vision du monde, nous venons à laisser le devoir prendre le pas sur le reste … Mais quand le devoir sera accompli, que la paix sera à notre portée, peut-être pourrons-nous nous laisser aller à un peu de passion après tant de sacrifice. » Elle soupira. « Voilà que je divague maintenant, c'est votre présence, cela doit me perturber ... » Elle lui fit un petit clin d'oeil avant de prendre une moue faussement blessée. « Je suis désolée de vous l'annoncer, mais vous êtes à présent contaminés. Si vous voulez la nettoyer, je peux toujours vous pousser dans l'eau pour prendre un nouveau bain ! Qu'en dites-vous ? » Elle le regarda avec un air de défi. « Ma famille n'a pas rejoint l'Empire … Il n'y a que min frère, Garlan Goldwyne que vous avez sans doute déjà croisé à Fort-Darion et moi-même. Et nous avons été renié autant l'un que l'autre par notre entourage. Garlan a suivi Kevan Gardener quand il s'est rapproché de l'Empire, et il est resté au sein de ce dernier quand le Prince est décédé. Quant à moi, j'étais à la Cour de Hautjardin, la famille de mon époux possède des mines, et nous nous sommes rencontrés pendant l'un de ces voyages commerciaux. A l'époque l'Orage et le Bief n'étaient pas encore ennemis. Je l'ai épousé, j'ai quitté les miens et la guerre a été déclaré quelques mois après … Ma famille est au sein de l'Empire maintenant … Et je me dois de la protéger. Et vous alors, comment avez-vous envisagé votre ralliement à cette entité politique ? »

Orys Baratheon semblait quelque peu insaisissable, mais peut-être était-ce une chose naturelle chez les Targaryen, qu'il soit de sang pur, ou non. Il y avait quelque chose chez eux qui faisait qu'on gardait inévitablement une certaine distance avec eux. Sans doute par manque de connaissance de l'autre, parce qu'ils venaient de contrées éloignées les unes des autres, parce que bien souvent, quand Mina était à Fort-Darion, Orys lui était quelque part en train de combattre l'un des nombreux ennemis de l'Empire. Il était un combattant, et elle, elle venait à osciller entre le rôle de Dame à la Cour, de politicienne à ces heures perdues, et de gouvernante impériale la majorité de l'année. Ce n'était pas forcément évident de se croiser et de s'apprivoiser dans de telles circonstances. Même avec Rhaenys, qui lui avait fait le grand honneur de la placer dans son cercle de confiance, et tout particulièrement pour le bien des jumeaux impériaux, les deux femmes n'arrivaient plus à se croiser, ni à se parler. Mina était parfaitement consciente que cette dernière avait vécu des choses difficiles au cours des derniers mois, avec la perte de son enfant qu'elle portait, mais bien qu'elle aurait eu l'envie de la soutenir au maximum, elle était consciente qu'elle n'avait pas réellement sa place dans son entourage le plus intime, en tout cas, elle ne jouait pas un tel rôle. Alors cette rencontre anodine avec le frère de la Targaryen, alors qu'il était arrivé sans doute depuis plusieurs jours sans qu'elle n'ait l'occasion même de le saluer, ne pouvait être vu que comme une aubaine de nouer de nouvelles relations au sein du Collège Impériale dont ils étaient tous les deux des représentants, et au sein de l'Empire plus encore. Comme toujours, Mina était de bonne constitution, et elle ne voulait nullement se laisser envahir par des préjugés, des murmures qui pouvaient circuler pour pouvoir tout simplement apprendre à connaître l'autre. Orys semblait dans tous les cas vouloir être aussi agréable que possible pendant cette petite promenade improvisée.

Elle se mit à sourire doucement alors qu'il était en train de répondre à sa question quelque peu impertinente, bien que quelque chose lui disait, qu'il appréciait assez les taquineries et qu'il ne manquerait pas à utiliser ces dernières avec une certaine complaisance. « Au moins, je peux vous accorder que vous êtes assez honnête pour reconnaître que cette fâcheuse situation qui a été la votre, fut un peu de votre faute. Néanmoins, il serait bon de ne pas réitérer l'expérience, les bains de mer sont agréables, mais le sel peut finir par gratter un peu au bout d'un trop long séjour dans l'eau. » Il n'était ici question que de malice, d'un peu d'asticotage, elle ne connaissait pas après tout le pourquoi du comment il avait fini par tomber à l'eau et même si cela pouvait être juste une maladresse, elle se demandait si cela n'était pas plutôt le résultat de la tension qui semblait régner dans toutes l'auberge où les illustres membres de l'Empire s'étaient retrouvés avant de partir à la reconquête de l'Orage. Mais cela ne la regardait en aucune façon. « Votre charme ? Si vous venez à en parler, c'est que vous n'avez aucun doute sur le fait que vous en possédez. Dois-je envisager que vous allez essayer d'en faire usage sur moi ? Cela pourrait être vu comme bien inconvenant mon Seigneur. » Le rire d'Orys se propagea jusqu'à elle, et elle vint à le suivre à son tour, cela faisait du bien pour une fois, de ne pas tout prendre au sérieux. Au vu de la situation, plus personne n'osait trouver le sourire par ici, il y avait les informations, et toutes les déductions sur les conséquences que cela allaient obligatoirement avoir sur le royaume de l'Orage, et par la même occasion l'Empire. S'ils venaient à tomber, les uns après les autres, cela serait une catastrophe sans aucun retour en arrière possible. « Oh, un preux chevalier vous dites ? Espérons alors qu'il soit comme vous, plutôt que comme certains soldats, qui en ont le titre, mais qui ont le teint ainsi que l'haleine trop aviné … Après tout, dans ces temps compliqués, chacun trouve du réconfort comme il peut. Par mesure de sécurité, je vais éviter de tourner de l'oeil, je ne voudrais pas avoir de mauvaise surprise au réveil. » Et puis elle allait continuer à vivre parmi les soldats et donc les blessés, elle finirait bien par s'habituer à tout ça.

Le sujet bascula sur un ton un peu plus formel quand elle vint à parler de ce qu'il s'était passé pendant la soirée en l'honneur du ralliement du Val, chose qui n'avait pas semblé plaire à tout le monde, et c'était encore un euphémisme. « Je ne doute pas un seul instant que la négociation avec l'Impératrice aurait donné un tout autre résultat. Et il faut bien l'avouer, sans Torrhen dans l'équation, la situation actuelle serait sans doute bien complexe à gérer. Ils ont tous les deux du tempérament, mais l'un sait mieux que l'autre le dompter. Ce n'est pas toujours une réussite, mais cela permet de maintenir un certain équilibre. Et pour le moment, c'est ce dont on a besoin, car si la balance penche de trop, nous pourrions tout perdre. Quant à Ronnel Arryn, il faudra veiller à ce qu'il suive les directives mais nous ne pouvons le condamner immédiatement entièrement. Voyons ce que donnera la suite des événements. » Il n'avait pas trop le choix. Elle hocha doucement la tête quand il employa son prénom. « Bien sûr que vous pouvez m'appeler ainsi, si de mon côté j'ai le droit de vous appeler Orys, après tout, nous allons sans doute avoir l'occasion de nous voir assez régulièrement au cours des prochaines semaines de bataille, et puis nous nous baladons main dans la main, nous avons passé la limite d'être des inconnus l'un pour l'autre. » Mina lui lança un regard plein de malice et en même temps de défi. « Vous oseriez envoyer une jeune lady dans les eaux de l'Orage ? Dois-je remettre en cause l'idée que vous puissiez être un preux chevalier ? »

La suite de la conversation tourna sur ses origines. Elle n'avait aucune honte à parler du fait qu'elle était née dans le Bief et qu'elle appréciait ce multiculturalisme dont elle avait la chance de bénéficier, elle estimait que cela lui ouvrait un peu plus son champ de vision, et qu'elle était moins fermée sur la nature des gens. Et puis elle se devait d'être honnête, elle ne voulait pas qu'on vienne à lui reprocher dans un avenir plus ou moins proche d'avoir menti sur celle qu'elle était, et donc d'être envisagée comme une potentielle traître. Elle était peut-être née chez l'ennemi, mais elle défendait l'Empire et son projet plus vivement que la plupart des gens qui vivait dans ce dernier. Elle haussa doucement les épaules à la question du Prince Régent. « Je crois qu'il cherche toujours à garder un œil sur moi, nous avons été séparés pendant plusieurs années, alors nous faisons en sorte de veiller l'un sur l'autre comme on peut. Je ne suis pas du genre suicidaire, mais venir à suivre une armée pour une noble dame peut comporter certains risques, même en étant solidement protégée à l'arrière. Néanmoins, je ne veux pas être un fardeau pour vous, je saurai très bien me gérer toute seule. » Répondit-elle avec aplomb. Sa main se serra un peu plus autour de celle d'Orys alors qu'il venait à lui conter ce qu'il avait vécu à Dorne, cela devait être terrible d'avoir du faire un tel choix. « Je suis sincèrement désolée pour vous Orys, le sacrifice que vous avez du faire, est une chose que l'on ne devrait jamais demander à personne. Dorne semble aujourd'hui plus prompt à prendre en considération les idées de l'Empire, mais cela reste une terre fort complexe qui semble avoir l'idée d'indépendance profondément ancrée en elle. Et rien n'est facilement gagner là-bas. Vous êtes un homme contrit par le devoir, et c'est une noble cause, mais j'espère que quand la paix viendra, vous arriverez également à penser un peu à vous de temps en temps. Pour ne pas laisser l'avenir devenir plus sombre avec les regrets, les remords et les rancœurs dissimulées. » Son regard se perdit à nouveau à l'horizon et elle prit quelques secondes pour répondre. « L'Empire m'a tout donné, et je viens d'accepter de me donner entièrement à lui pour le bien de son développement, en approuvant un mariage avec un noble orageois pour réaffirmer les liens entre le royaume et l'Empire, pour être la passerelle entre les deux. Donc je dirai que mon destin est forcément lié à celui-ci … Je crois à ce projet, et je le porte pour mes enfants, ceux qui sont déjà nés et ceux qui viendront sûrement au monde. Pour qu'ils connaissent la paix. Et vous ? Comment vous voyez-vous quand cet objectif sera atteint ? »

Derrière l'apparente personnalité du Prince Régent de Peyredragon, qui semblait chercher à tourner chaque mot en dérision et lui avec, elle avait l'impression que cela venait à cacher des sentiments, des émotions bien différentes, signe d'une souffrance qu'il cherchait à masquer aux yeux du monde, d'un manque de confiance en lui peut-être ou toute autre chose. Mina n'aurait su dire quoi tout particulièrement, mais quand on venait ainsi à se dévaloriser, c'est qu'il y avait certainement quelque chose, une faiblesse, qu'on voulait faire taire, des doutes qui parfois venaient à nous empoisonner l'existence. Elle ne le connaissait pas assez pour savoir exactement ce que c'était, et elle doutait tout simplement d'en avoir le temps, car la guerre risquait de les appeler tous les deux sur des fronts différents, et elle, elle n'était certainement pas là pour prendre les armes et aller se battre aux côtés de personnes telles que lui. En tout cas, elle ne pratiquait pas le même genre de combat, elle, elle était plus sur la diplomatie, que sur la stratégie guerrière ou la force brute. En attendant, elle le trouvait touchant, mais elle voyait aussi quelqu'un avec des fêlures bien plus grandes qui transparaissaient dans certaines remarques, comme dans celle qu'il venait de déclamer tout haut, sur son intelligence qui avait fini par s'amoindrir progressivement, ou plutôt, qui venait à se corroder par l'effet du sel des bains de mer. Même si elle lui adressa un sourire amusé à sa boutade, elle finit par secouer la tête en le regardant droit dans les yeux. « Je vous interdis d'être aussi amer et corrosif à votre égard, vous vous dévalorisez grandement, et je vous trouve même injuste avec vous-même. » Elle détourna son regard, après tout, elle même manquait de confiance en elle à de nombreux moments, et elle était la première à se remettre en question, mais elle n'avait pas les mêmes responsabilités que Orys Baratheon, elle n'était qu'une lady qui essayait d'apporter sa pierre à l'édifice. « Je suis certaine que vous avez des capacités que vous n'exploitez même pas, et c'est bien dommage. »

Elle eut un petit rire, cette rencontre venait un peu à soulager les mots de son cœur et de son esprit qui ne cessaient d'être en ébullition, l'un comme l'autre, ces derniers temps. « Je suis certaine que cela vous ferait bien trop plaisir que je vous accorde que votre charme marche sur moi. Je suis pratiquement sûre que vous avez déjà une foule de femmes qui doivent être à vos pieds, vous avez ce côté mauvais garçon je trouve. Cela doit en séduire plus d'une à n'en pas douter. Mais moi je suis une lady tout ce qu'il y a de plus convenable, ça ne serait en aucun cas raisonnable et me laisser avoir par un séducteur. » Elle vint à lui faire un clin d’œil. Cela faisait une éternité qu'elle ne s'était pas sentie aussi libre de parler, sans que quelqu'un ne viendrait à lui reprocher cette familiarité avec le Prince. Ce n'était qu'une parenthèse au sein d'une vaste intrigue dont ils étaient tous les protagonistes. L'Histoire venait parfois à les emporter plus vite qu'ils n'avaient véritablement le temps de prendre conscience de tout cela. « Je pourrais vous engager comme garde du corps personnel, mais vu que vous êtes Prince, cela me coûterait malheureusement une fortune que je ne dispose pas. Je vais donc devoir me passer de votre service, j'en ai bien peur. Mais j'ose espérer, quand il y aura la nécessité d'avoir un soutien pour protéger mon corps et mon esprit, que l'Empire saura m'accorder la protection nécessaire. Et puis, je sais de toute façon que je ne suis pas vouée à suivre une quelconque armée. Dès que nous pourrons atteindre Accalmie, je suppose que je ne partirais plus de la capitale, je ne suis qu'une diplomate, pas une guerrière. »

« Je ne dis pas que le Val ne doit pas assumer la portée de ses actes passés, et les répercussions que cela a pu provoqué dans le présent. Je ne cherche pas à les défendre à tout prix, loin de là. Tout n'est pas bon, nous sommes tous certains de cela, mais tout n'est pas mauvais non plus. C'est tout ce que je voulais dire à ce sujet. Nous verrons en effet ce que la suite nous réserve. » Mais à ses yeux, le Val avait réagi à temps, et même si sa position était délicate, elle le serait nettement moins que pour l'Ouest ou le Bief, s'ils venaient à se rendre. Néanmoins, elle doutait que cela serait aussi simple que pour les Arryn, mais elle n'était pas voyante et elle ne pouvait prédire l'avenir. Tout ce qu'elle espérait, c'était de pouvoir embrasser à nouveau cette famille dont elle était séparée depuis de si longues années. Elle hocha doucement la tête alors qu'il continuait à parler, de sujets plus appréciables que quelques instants auparavant. « Pour connaître Rhaenys, certainement moins que vous, bien sûr, je ne doute pas qu'il faut savoir trouver sa place auprès d'une telle femme, alors s'il y en a de nombreuses ainsi autour de vous, ce n'était clairement pas évident. » La famille était ce qui était le plus important, c'était le cas pour elle, bien qu'elle soit devenue une traîtresse aux yeux des siens à présent. Il ne lui restait que Garlan. Et il était si loin, il était blessé et elle avait à peine eu l'occasion de veiller sur lui. Mina faisait sans doute une bien piètre sœur et elle aurait aimé que le devoir ne vienne pas à les séparer à nouveau. « Je ne suis pas certaine d'être prête à assumer tant de charges … Je sais que je ne serai pas seule et que cela ne sera sans doute que temporaire avant qu'on ne puisse réinstaller Argella sur le trône. Le devoir est une chose délicate qui peut tout vous donner et tout vous prendre à la fois. Il y a des moments où j'aimerai n'avoir jamais quitté la Treille ... » Elle releva son visage vers lui. « Votre dévotion à la maison des Targaryen est extrêmement louable, et vous avez déjà accepté beaucoup de choses pour cette cause-là. Ce n'est pas ridicule, cela se saurait si c'était si facile. » Elle tourna son regard vers le large. « Nous devons gagner, nous n'avons pas le choix … Sinon … Sinon votre famille, la mienne, tout disparaîtra et ce n'est pas une chose que je suis prête à accepter. »