Durant les festivités, j’ai bien remarqué que l’Empereur s’est déplacé jusqu’à l’une des rescapés de la Maison Mallister, Eira, et a échangé avec. Tout naturellement, je me suis intéressée plus sérieusement sur cette demoiselle. J’apprends qu’elle est issue de Salvemer, une forte forteresse du Conflans tombée entre les mains des derniers loyalistes à Eren Hightower.

J’ai également été mis au parfum du décès brutal et fort malheureux de deux fiancés. J’ai soupiré, aussitôt que les vieilles marâtres susurrent le mot malédiction. J’ai bien enterré un amant et deux époux mais, pour autant, je ne me considère pas maudite - ou catin. Pour autant, je n’ai ni le temps, ni l’envie, de rentrer dans un discours futile avec des esprits aussi étroits et inflexibles.

Enfin, on me reporte qu’il n’a jamais été question de mariage et de nuits de noce et que la dame n’est pas promise ! Ce détail attise tout naturellement ma curiosité, surtout dans un contexte où je recherche une épouse convenable à mon ainé. Il ne peut pas continuer à batailler sans assurer en parallèle son avenir et sa descendance. En prime, il est à un âge plus que raisonnable d’être enfin époux, puis père. J’aurais bien aimé une Princesse pour lui, mais nous en manquons bien cruellement ! Soit elles sont enfant, soit elles sont déjà promises ! Je dois reporter ces espoirs sur mes deux autres enfants …

J’ai volontairement bloqué quelques heures d’un après-midi pour la rencontrer et passer un peu de temps avec elle. Je ne compte pas l’interroger brutalement et sauvagement. Loin de là ! Je veux simplement faire connaissance avec la demoiselle, la jauger au fil des rencontres et déterminer si je peux la considérer comme une candidate à une heureuse union. Les idées claires, je vais aux appartements de la jeune fille et m’annonce avant d’entrer.

- Je suis fort heureuse que vous avez accepté ma proposition de faire quelques achats au sein de la Capitale. J’ai grand besoin de l’avis d’une jeune fille pour le présent de ma fille. J’ai peur que mes goûts ne soient d’une autre époque, susurrais-je.

Je m’habille toujours élégamment, mais je n’ai plus seize ans. Si je vois comment les demoiselles s’habillent aujourd’hui, et surtout les demoiselles du Sud, je crains que mon ame nordienne ne vienne biaiser cet achat et me pousser à offrir un présent nullement au goût de Lyarra.

- Dame Eira, avez-vous déjà eu l’occasion de visiter la Capitale Impériale ? Est-ce que votre séjour parmi nous est à votre goût ? , demandais-je, curieuse de connaître son avis. Le lieu est encore un chantier gigantesque, avec des quartiers plus ou moins construits, et des quartiers encore formés de tentes et de barricades en bois chancelantes. Malgré cet aspect très rustre, l’ordre règne en maître grâce aux garnisons présentes. Hormis les chantiers, je n’ai rien vu d’autres depuis un mois. Ces quelques heures vont me faire un grand bien.

Sourire aux lèvres, je me note déjà quelques particularités : rouquine, belles dents, regard brillant et alerte et aucune malformation du corps. Elle ne semble pas être frappée par quelques défauts de naissance, et j’en suis déjà bien aise. Pour autant, je ne me repose pas sur mes lauriers, prête à la juger davantage et plus durement.

Je n’ai jamais été une grande coquette mais j’ai toujours pris grand soin à paraitre présentable. Mon charme naturel comble l’absence de bijoux d’apparat couteux et lourds à porter, et m’octroie le droit de ne pas me fariner constamment le visage. Ce dernier a muri assurément, mais garde encore bien des traits de jeunesse. Il semble que je suis l’héritière de ces nordiennes dont la peau résiste aux ravages du temps. Pour autant, ma force ne réside pas uniquement sur ces quelques éléments.

On ne peut pas s’élever aussi haut au sein de l’Empire en ayant simplement un joli minois. L’Empereur jure uniquement par les compétences et les capacités. Quant à l’Impératrice, j’ai quelques doutes. Elle n’est pas spécialement sensible à la beauté, mais elle est plus sensible et tendre de cœur. Son cœur prime sur sa raison. Je respecte autant que je crains une telle mentalité. Elle chevauche un dragon, par les Anciens ! Elle ne peut pas se permettre de laisser sa colère, sa rage ou son désespoir dicter sa conduite sur dos de la bête. Un tel acte signera la fin de l’Empire et de ses nobles idéaux.

Je le pense. Je le sens. Si L’Impératrice est l’une des fondatrices de cette idéologie, elle est également celle qui pourrait la réduire en cendre. Par conséquent, elle est aussi importante que dangereuse.

Je relègue ces sombres pensées dans un recoin de mon esprit, et me concentre sur la belle rouquine. Une diction correcte, des hanches peu étroites, un regard vif … elle n’est pas vilaine, décidément. Je peux l’imaginer aux bras de mon fils, à porter les futurs enfants de la Maison Corbois. Cependant, ne mettons pas la charrue avant les bœufs, et étudions son esprit. Je ne désire nullement une sotte comme belle-fille. Il faut une femme capable de résister aux terribles hivers du Nord, à supporter la rudesse de certains seigneurs voisins, à gérer son domaine lorsque mon fils repartira au combat contre les sauvageons ou les ennemis du Nord ou ceux de l’Empire.

- Vous me flattez grandement, jeune fille. J’essaye de suivre l’ère du temps et à m’y adapter, répondis-je tranquillement, cachant toutes mes frustrations ou difficultés à comprendre les nouvelles problématiques de ces gens nés en plein été ou au sud.

Bien de leurs caprices auraient été inimaginables, de mon temps.

- Lorsque l’Empire triomphera enfin de son plus grand ennemi, alors nous aurons une Capitale encore plus florissante et plus vivante. Vous pourrez gouter aux délices bieffoises comme dorniennes, obtenir les plus belles étoffes valoises comme nordiennes, et voir les plus beaux bijoux de l’Ouest. Et ces gens de différents royaumes se mêleront et apprendront des uns et des autres, dis-je, miroitant un avenir rêvé par bien du monde au sein du Collège.

Je l’entraine à ma suite.

- La cohabitation ne sera pas sans heurt, évidemment. Il y aura quelques tensions, mais nous saurons les surmonter.

Mon ton n’est pas fataliste. Il est plein d’espoir et d’assurance. Nous y arriverons. Je le sens dans mes tripes.

- En tant qu’Intendante Impériale de la Maison Braenaryon, je dois assister le couple impérial à la gestion de leur domaine. En leur absence, et si nécessité fait loi, je les supplée au Collège et je gère le domaine en question, expliquais-je. La guerre les occupe considérablement, voire leur arrache bien des êtres précieux. Alors, je m’évertue au mieux à rendre leurs courts séjours agréables, améliorant le confort au sein du Palais ou encore à m’assurer que les travaux ne prennent pas du retard. La vue des chantiers peut être impressionnante mais bien vite agaçante et désagréable.

Nous sommes enfin sorties, posant pied à la route principale.

- Jusqu’à maintenant, qu’avez-vous apprécié surtout ? , interrogeais-je.

Elle est intimidée, mais je ne m’en étonne pas. La demoiselle n’a pas eu une existence extrêmement agréable, perdant les êtres les plus chers dans des circonstances bien tristes. Chaque décès emporte une part de l’âme des proches, laissant la place vacante pour de nouveaux traits de personnalité – meilleurs, ou pires, selon les caprices des Anciens Dieux ou la force de caractère de l’Homme. Pour ma part, j’ai surtout appris à apprécier avec force chaque instant passé avec les vivants, surtout s’ils me sont importants ou si je les aime profondément.

Cependant, la petite ne manque pas totalement d’esprit. Sa réponse est fort plaisante, quoiqu’un brin naïf. Certes, de nombreuses personnes suintent l’espoir et l’enthousiasme mais elles ne sont pas toujours désintéressées. Si on étudie attentivement leur regard, leur parole, leur ton ou leurs gestes, on découvre bien vite l’envers du décor et les ambitions cachées. Je ne suis pas exempt de ce crime, moi-même. D’abord, j’ai suivi mon souverain – et un homme que j’aime, plus que tout et depuis trop longtemps. Puis, j’écouté cet appel du pouvoir, rêvant des mille et une possibilités d’occuper l’un de ces éminents postes vacants.

Au Nord, une telle position aurait été presque impossible. La culture nordienne manque de souplesse en comparaison de celle de Peyredragon. J’avoue que j’ai profité des largesses de l’héritage de l’impératrice pour obtenir ma part de lion dans cette nouvelle et unique organisation politique. Un tel choix m’a couté mes terres natales et, pourtant, je ne regrette rien. Je suis fort heureuse de ma situation personnelle, me permettant de considérer des positions et des mariages extrêmement avantageux pour mes enfants ou de côtoyer davantage ce cher empereur occupé.

- Vos paroles semblent dire que votre cœur n’est toujours pas fixé. Ne vous inquiétez pas. Il est tout naturel de se questionner sur cette nouvelle organisation, et davantage si votre père y a montré une farouche suspicion.

Je rassure la demoiselle. Dans un contexte de guerre, il est si aisé d’être accusé d’espionnage ou de traitrise …. Chaque semaine, je reçois de nombreux rapports basés sur des soupçons d’un voisin, d’un rival amoureux ou que sais-je. Il faut savoir démêler le vrai du faux, les faits aux sentiments ….

- La première fois que l’empereur Torrhen, jadis le roi du Nord, m’a présenté son nouvel idéal, je n’étais pas convaincue. Malgré tout, ses plus loyaux et anciens serviteurs et moi-même l’avons suivi, prêts à le servir ou à nous battre pour lui. Aujourd’hui, pour la majorité de ces camarades, ainsi que pour moi-même, nos réticences ont disparu et nous croyons fermement à l’idéal de l’empereur et de l’impératrice. Nous apportons notre pierre à l’œuvre. Certains en versant sang et sueur sur des champs de bataille, comme mon fils, Lord Benjen Corbois. D’autres usent de leurs talents en intendance, comptabilité ou commerce ou équivalent pour soutenir ces mêmes armées, expliquais-je.

Je me demande si la demoiselle va relever que je ne partage pas le meme nom de famille que mon très cher ainé.

- Lorsque vous aurez servi un souverain aussi longtemps que moi, vous découvrirez que vous êtes fidèles à l’homme et non au royaume.

Je ne dis rien de mon amour pour ce Vieux Loup, évidemment. D’une, il est marié. De deux, il a une maitresse qui semble le combler de bonheurs. De trois, j’aurais du être simplement plus audacieuse par le passé, avec lui, pour clamer une telle chose, aujourd’hui.