Elle a juste besoin de repos… [Tour VII - Terminé]

Deuxième semaine du mois 11 de l’an 1

Je rassemblais ma chevelure sur une épaule et écoutai les bruits de la vie entrant par ma fenêtre, Jenny finit par la refermer et me prendre par le bras pour me conduire au lit. Le chiot était avec Lyanna pour ce soir, Jenny n’aimait pas spécialement qu’il soit là en permanence. Mais moi j’aimais cette petite chose pleine d’amour et de tendresse. Je m’installais tranquillement dans mes draps en fermant les yeux, obscurité et obscurité. J’étais paisible, détendue. Depusi la sortie avec Lyanna je dormais bien. Jenny m’aida à boire la potion d’Ingheam, finit de rajuster la couverture autour de moi avant de me souhaiter une bonne nuit. Elle emporta avec elle la bougie et je me tournais en inspirant profondément, savourant par avance une nuit calme et sans cauchemars.

Je me réveillais couverte d’une sueur glacée, et pourtant brûlant d’un feu intérieur dévastateur. Je me sentais faible, horriblement faible. Le cauchemar… Non, ce n’était pas un cauchemar, le goût salé des embruns… un rêve vert… Où étais-je ? J’appelais Jenny aussi fort que je pouvais et en quelques instants la porte s’ouvrit en grand et je sentis la main familière de Jenny dans la mienne, elle repoussa en arrière mes cheveux en me murmurant quelques mots apaisants en me tenant avec fermeté la main avant que je ne retombe sur mes coussins, épuisée, chaque muscle de mon corps brûlant et je claquais des dents.

Jenny me passa doucement un linge sur la figure et je ne réagis pas… J’étais trop épuisée pour cela. Ma servante me caressa doucement la joue, vérifiant aussi qu’elle pouvait sentir mon souffle entre mes lèvres crevassées. Cela faisait bien longtemps qu’une vision n’avait pas été aussi dévastatrice pour moi. Elle porta à mes lèvres une tasse chaude, mais rien que l’odeur me fit avoir la nausée et je la repoussais doucement. On frappa et elle s’excusa avant d’aller ouvrir et revenir vers moi.

« Il s’agit de Lyanna Stark. Voulez-vous la voir ? »

Lyanna… Je hochai tout doucement la tête sans rien dire de plus. L’obscurité semblait encore plus épaisse aujourd’hui. Je tournai légèrement la tête vers ma meilleure amie quand je l’entendis enfin entrer. Je n’eus pas la force de lui tendre la main.

« Malade ». Ce mot résonnait comme un terrible glas dans l’esprit de Lyanna Stark. Une domestique venait de lui annoncer que sa très chère amie, Khayley Ardoise, ne pouvait pas quitter ses appartements et qu’elle avait besoin de repos. Si la formule avait été tournée d’une façon bien polie, elle n’empêcha pas pour autant la brune à faire volteface et à emprunter aussitôt le chemin la menant à la chambre à coucher de son amie.

Sans surprise, la fidèle suivante de Khayley se présente, coupant la route de la jeune Stark. Cette dernière ne s’offusque pas de la hardiesse de la servante, du moins pour aujourd’hui. Si elles s’adonnaient à un jeu de chat et de souris depuis de nombreuses années, alternant les rôles au gré de leurs humeurs et de leurs réussites passées, elles s’étaient toujours accordées sur un même sujet : la sécurité et la santé de la demoiselle des lieux.

Jenny, la suivante, s’éclipsa un court instant pour annoncer l’arrivée de Lyanna. Quelques minutes plus tard, elle était de retour, invitant la brune à se rendre au chevet de la malade. Doucement, et silencieusement, elle pénètre les lieux et cherche immédiatement du regard le joli minois de son amie. Son regard se posa bel et bien sur une silhouette, mais elle eut un grand mal à la reconnaître. Les traits tirés par la fatigue, le teint livide ou encore les lèvres sèches et crevassées avaient considérablement métamorphosé ce visage si familier, accentuant davantage l’angoisse de Lyanna.

- Oh par les dieux … Khayley, souffla finalement Lyanna. Qu’as-tu ?

En quelques secondes, Lyanna avait pris place au chevet de son amie, posant son regard tantôt sur cette dernière, tantôt sur la servante. En attendant une réponse, elle profite pour coincer quelques cheveux rebelles derrière les oreilles de la souffrante, avec un petit geste délicat.

- Que puis-je bien faire pour te faire plaisir ? demanda aussitôt la brunette, persuadée que le corps et l’esprit étaient intimement liés et que l’un pourrait apporter le réconfort à l’autre.

Naïvement, elle pensait que la malade avait peut-être un accès de fièvre, en raison d’un corps fatigué, et qu’il ne nécessitait que de beaucoup de repos et d’une bonne humeur pour en venir à bout. Elle était bien à des milliers de lieux de deviner que ce mal était causé par des rêves mystérieux, presque divinatoires, qui causaient un tort tant au corps qu’à l’esprit, et que nul remède n’existait.

Je sentis la main de Jenny prendre doucement la mienne et la déposer dans une autre main que je connaissais bien. Lyanna. Un mince sourire étira mes lèvres et je tournais la tête vers elle. Ce fut Jenny qui répondit à la question pour m’éviter sans aucun doute une gaffe :

« Une fièvre. Elle n’est pas contagieuse. Et ce n’est pas la première fois qu’elle en fait une. »

Ce que ne mentionnait pas Jenny que c’était la première fois où c’était aussi violent pour moi. Je serrais tout doucement la main de mon amie en battant avec lenteur des cils. J’avais l’impression de brûler ou de geler sur place. Mon corps ne savait plus ce qu’il devait ressentir ou non. J’eus un petit sourire en sentant la caresse de la main de mon amie repousser en arrière mes cheveux. Me faire plaisir ? J’avais froid, terriblement froid.

« J’ai froid… »

Je clignais des yeux en essayant de trouver quelque chose à dire. Atka… Atka était avec Lyanna cette nuit, heureusement. Je n’aurais pas pu m’en occuper d’une manière ou d’une autre. J’espérais qu’il allait bien. Je serrais maladroitement la main de Lyanna :

« Atka… Est-ce qu’il va bien ? »

J’entendis Jenny se déplacer un peu, le bruit de l’eau dans le bol, l’eau être essorée et un linge humide s’appuyer doucement sur mon front. Je laissais faire Jenny sans rien dire et serrais à nouveau la main de Lyanna.

« Raconte-moi une histoire, s’il te plaît… »

J’avais besoin de changer mes idées, d’essayer de chasser les images floues de mes rêves qui se tordaient devant l’obscurité de mon regard. Je serrais toujours la main de mon amie.

« Tout va bien Lyanna, ne t’inquiète pas, tu vas bien toi ? »

Je ne voulais pas qu’elle s’inquiète trop, j’inspirais à nouveau tout doucement et j’entendis poser une tasse près de moi.

« Essayez de la faire boire un peu. Et manger, il y a un peu de soupe. Elle n’a rien avalé depuis ce matin. Je serais à côté si vous avez besoin d’aide. »

Jenny sortit tout doucement et referma la porte derrière elle.

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Les propos de Jenny ne se rassurèrent nullement la jeune louve. Au contraire, elle était davantage inquiète pour son amie. Lyanna n’avait pas une grande connaissance dans le domaine ardu et mystérieux des soins, mais elle savait que les fièvres affaiblissaient chacun et qu’à terme, un jour, la personne y succombait.

- Pourquoi a-t-elle une fièvre, si subitement ? s’enquit-elle. Le Printemps est revenu, le temps est doux, et nous n’avons rien fait d’inconsidéré qui puisse la rendre malade.

La Princesse réfléchissait à leur dernière escapade, pour aller recueillir un chiot afin qu’il puisse apporter son aide à l’Aveugle. Elle n’avait nul souvenir d’avoir entraînée Khayley dans une quelconque aventure où il y avait de forts risques de tomber malade – pas de baignade, pas de balade dans la boue, pas de pieds trempés et pas de vents forts et inattendus.

- Oui, Atka et moi allons très bien, répondit-elle, le front plissé.

« Raconte-moi une histoire, s’il te plaît… ».
Une phrase qui, subitement, remontait un vieux souvenir oublié. Elle revoyait sa propre mère couchée dans le lit, le regard doux et triste, les traits tirés par la fatigue et le teint extrêmement pâle. Dans un coin de la pièce, le feu crépitait, et dans l’autre, une dame s’attelait à apporter des soins à la malade. La pauvre malade était bien trop lasse pour parler ou pour rassurer sa petite fille alors, pour tromper cette dernière et l’occuper, elle exigeait une histoire. Et la naïve s’exécutait, contant maladroitement un des récits qu’elle avait appris – ou entendu – de sa mère, ou de ses oncles ou des hommes loyaux à la maison Stark.

- Bien, je vais te raconter une histoire.

Elle se tut quelques secondes, farfouillant dans sa mémoire quelques vieux récits guerriers – ou amoureux – qu’elle connaissait, ou qu’elle avait pu inventer lors de ses longues journées pleines de rêveries et d’oisiveté.

- C’est l’histoire de la rencontre d’un homme qui ne connut que l’été, et d’un monstre qui ne connut que l’hiver. L’homme était un paysan, qui vivait seul, dans une ferme des plus reculées et des plus solitaires. La vie était bien dure. Si le temps était clément, il n’était pas épargné par un étrange événement. En effet, une fois dans l’année, ses belles terres labourées subissaient un mal étrange. Les pousses de plantes qui grandissaient mourraient et le sol gelait et dégelait du jour au lendemain. Un jour, il remarqua des traces de pas difformes sur sa belle terre, encore démolie. Il comprit, alors, qu’il avait affaire à un monstre !

Lyanna se tut immédiatement, guettant les réactions de la malade. Elle espérait avoir capturé l’attention de cette dernière, sinon ses projets risquaient d’être mis à mal. Car oui, elle n’avait pas accédé aussi rapidement à la requête de son amie, sans fomenter au préalable un plan afin que cette dernière se nourrice et se renforce : les histoires ne pouvaient pas faire de telles choses, malheureusement.

- Si tu veux connaître davantage, il faudra que tu termines la moitié de ta soupe, exigea aussi la brunette à l’Aveugle.

J’entendis presque Jenny se mordre les joues à la question de Lyanna. Elle ne pouvait dire la vérité… Ni elle, ni moi… Trop dangereux… Personne ne me croirait, je passerais pour folle et avec un magnifique risque de me prendre un coup de poignard entre deux côtes. Elle botta en touche :

« Je l’ignore. C’est comme ça depuis qu’elle est toute petite… Ingheam est venue la voir. »

Le sous-entendu du : Je ne suis pas sorcière ni mestre, je ne peux donner aucune information. Bonne idée Jenny. C’était bien mieux que rien du tout. Par contre cela risquait d’envoyer Lyanna voir Ingheam. Tant pis… Elle saurait sans doute inventer quelque chose pour l’apaiser et l’aider à se sentir mieux. À défaut de pouvoir m’empêcher d’avoir mes visions. J’eus un sourire en entendant qu’Atka et elle allaient bien, je serrais doucement sa main. Au moins une sur deux… c’était pas mal.

« Tant mieux. C’est le principal. »

Que le petit chien et que mon amie aillent bien. Moi j’avais tellement l’habitude d’être malade que… Je n’y faisais presque plus attention. Mais elle… Il fallait la préserver. J’aurais peut-être même dû refuser de la voir pour ne pas l’inquiéter. Quoi qu’elle serait quand même rentrer… Je préférais lui autoriser l’accès où elle deviendrait pire qu’un loup en cage. Dangereuse pour elle-même. Je m’installais sagement pour écouter son histoire, un petit sourire aux lèvres. Je ne connaissais pas son histoire… et elle m’intriguait au plus au point. Je continuai de regarder Lyanna durant toute la durée du début de son. J’eus un rire à sa remarque avant de tousser un peu.

« Tu es dure en affaire Lyanna… Je ne sais pas si je vais réussir à rien que manger la moitié… Je veux pas te vomir sur les pieds quand même. Et… tu vas devoir m’aider, je n’ai pas assez de force pour tenir ma cuillère, mais je veux bien essayer. »

Je lui souris avant de lâcher sa main pour me redresser un peu, gardant les couvertures contre moi, je sentis le linge froid quitter mon front et tomber sur les couvertures. Je tapotai les couvertures pour le récupérer à l’aveugle. En l’étant c’était logique. Je le passais sur le visage avec un soupire avant de m’adosser maladroitement contre les oreillers avant de passer une main sur mon visage en essayant de finir de m’installer seule.

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La vie était bien rude pour les gens de Westeros, où qu’ils vivent et quelles que soient leurs richesses ! Entre les caprices des saisons, les récurrentes maladies ou encore les animaux sauvages et imprévisibles, la Mort guettait chacun et à chaque occasion. Dès lors, les propos de Jenny ne calmèrent pas l’inquiétude de la brunette. Son amie montrait déjà des signes de faiblesse à un bien jeune âge. Qu’adviendra-t-il de l’Aveugle lorsque les années et les hivers rudes passeront ? La peur de perdre bien tôt cette amie étreignit subitement Lyanna, jetant un froid des plus mordants en son sein.

- Avale déjà une ou deux cuillères, encouragea la brunette, bien décidée à faire avaler bien plus que la moitié.

Elle avait bien quelques idées : elle n’en était qu’au début. Elle ne pourrait pas s’en octroyer tout le mérite. C’était l’accumulation des idées transmises d’une génération à une autre, d’un arrière-grand-parent qui inspira son enfant qui lui-même répétait le même schéma sur le sien, à son tour, et ainsi de suite. Le cycle de la vie touchait à bien des aspects de notre quotidien et de notre environnement, ne se contentant pas de façonner un passé ou un présent, mais également de marquer les générations futures tantôt par des bâtisses, tantôt par des récits, tantôt par des valeurs. Malheureusement, dans son cas, ce n’était pas ses parents qui lui avaient transmis leurs savoirs, mais l’oncle Bran tout simplement.

C’est le regard inquiet et les gestes hésitants qu’elle accompagne au mieux la dame Ardoise. Une bouchée est offerte aux pâles lèvres de la malade, ainsi qu’une suivante. Comme promis, la Louve s’arrête et continue ce récit impromptu mais qui l’avait tant subjugué lorsqu’un vieux guerrier lui avait conté, un beau jour. Entre temps, elle réajuste un tantinet le coussin de Khayley.

- Cependant, l’homme qui vivait dans une région où le soleil régnait en maître toute l’année n’avait nulle idée sur comment poursuivre ce monstre aux pouvoirs forts étranges, dont notamment d’apporter un rude hiver sur ses belles terres en une nuit. Le paysan réfléchissait de nuit et de jour à une solution à cet épineux problème ! Comment, lui, le pauvre paysan, pouvait-il espérer être de taille contre le monstre ? Il eut alors une tout autre idée : demander audience à son Seigneur, et obtenir son appuie. Il se mit donc en route et alla à la rencontre de ses pairs. Ces derniers s’étonnèrent de le voir si tôt dans l’année, alors que les cultures commençaient à peine à donner des fruits. Il profitait pour rencontrer quelques rares commerçants, et compter son histoire. Chacun le regarde, rit ou lui claque la porte au nez en le traitant de fou. Et puis, une phrase échappa à l’un des hommes à qui il avait compté son histoire « Oyé ! Il serait temps d’épouser une femme, pour que tes hivers soient moins rudes ! ». Le pauvre paysan fut étonné : de quel hiver parlait donc cet homme, sur ces terres bénies par le soleil ?

L’enfant qu’elle était n’avait, évidemment, pas pu trouver immédiatement réponse à cette curieuse situation. Pourtant, les adultes n’étaient pas non plus prompts à en déceler le secret. C’était uniquement le cas de seigneurs ou de dames dont l’esprit avait été aiguisé par de longues lectures ou discussions intellectuelles avec leurs pairs.

- Allez deux cuillères, et je te révèle la fin de l'histoire !

Je ne dis rien et pris la cuillère de Lyanna avec difficulté la laissant m’aider à accompagner la soupe jusqu’à mes lèvres. C’était lourd pour moi… J’avalais presque avec difficulté la soupe avant de sourire à sa remarque. J’avalai simplement en prenant de profonde inspiration pour ne pas tout lui vomir sur les pieds, même si cela ne servait à rien, je gardais les yeux bien ouverts comme si cela pouvait m’empêcher de m’endormir, si je devais m’endormir je le ferais, j’étais trop fatiguée pour réellement pouvoir lutter si mon corps avait besoin de dormir, en priant pour que je ne sombre pas dans d’obscures visions devant Lyanna. Il ne manquerait plus que je l’inquiète elle également. Je clignais des yeux en la laissant me rajuster les oreillers :

« Merci… »

La suite de l’histoire maintenant ! Soit. Je souris légèrement bien que l’histoire était particulièrement triste. Enfin pour l’instant elle n’était pas des plus joyeuses et faisait résonner en moi des histoires anciennes que Jenny m’avait lu il y a longtemps. L’histoire de l’hiver et des marcheurs blancs. Est-ce que c’était ça ? Ou est-ce que c’était la guerre ce monstre qui venait ravager les cultures de l’homme. J’avais mal à la tête et je ne parvenais pas réellement à réfléchir, même si son histoire était agréable. C’était simplement ma tête, mon corps en général et surtout le reste d’image qui me tournaient dans la tête. Tout cela était pénible, quand bien même qu’Ingheam me dise qu’elle s’en souviendrait pour moi, c’était moi qui subissais les rêves, mais il me fallait un journal des rêves, peut-être que cela pourrait m’aider ? Je ris tout doucement à son chantage.

« À vos ordres, altesse. »

J’adorais la taquiner sur son rôle de princesse, à nouveau j’accompagnais sa main pour tenir la cuillère, je sentis une mince pellicule de sueur recouvrir mon front à ce maigre effort. J’avalais péniblement la soupe qui eut du mal à passer avant de serrer doucement la main de mon amie, j’avais plus l’impression d’avoir des serres que des doigts à la place des mains.

« L’être qui détruit les cultures… Est-ce la guerre ? Ou un marcheur blanc ? »

Oui, j’étais impatiente de connaître la suite de l’histoire, une vraie enfant, il fallait dire que Lyanna racontait extrêmement bien les histoires et ça me faisait plaisir de passer un peu de temps avec elle, même si c’était couché dans un lit, relativement faible.

« Merci d’être là Lyanna, je suis contente de t’avoir avec moi. »

Je lui souris gentiment.

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Lyanna sourit sous cape. Elle était bien heureuse que son amie soit bien loin de résoudre le mystère de cette étrange histoire. La fin n’était donc pas gâchée, et ne pouvait qu’être plus savoureuse pour les deux jeunes filles. Subitement, prise par son propre compte, Lyanna en oublia la soupe ou la faiblesse passagère de Khayley. Il semblerait que le fait d’être taquinée - ou être appelée Princesse - l’avait conforté sur l’état de cette dernière.

- L’homme se présente au Seigneur de son domaine, et lui compte son histoire. « Mon Lord,commença-t-il, je crains qu’un monstre ou une sorcière vit en vos terres. Cette chose détruit mes belles cultures, en gelant et en dégelant mes belles plantes, légumes et fruits le temps d’une nuit ! Je ne suis point fou : j’ai une preuve. Ce monstre contre nature a laissé une trace de pas, qui n’a rien d’Humain ! » Le récit intrigua le Lord, et il envoya son plus valeureux chevalier accompagner le paysan et vérifier la véracité de l’histoire. Ce chevalier, sans nom dans notre histoire, était bien jeune mais extrêmement courageux ! C’est donc bien habillé et bien armé qu’il entame sa quête aux terres du paysan.

L’histoire est très longue évidemment, mais la Louve raccourcissait autant que possible pour le bien-être de Khayley. Il ne fallait guère être une guérisseuse ou une mère expérimentée pour voir les traits fatigués de la brunette. Or, il était difficile d’entretenir une telle personne bien longtemps. Il fallait savoir être bref, et divertissant à la fois.

- Le paysan et le chevalier chevauchent nuits et jours, et arrivent à destination, et tous deux constatent bien la trace de pas inhabituelle. Le brave combattant est malheureusement bien trop fatigué et décide de se reposer cette nuit-là.

La « Princesse » s’arrête un court instant pour poser son regard sur la fine silhouette puis sur la soupe. Un message implicite et pourtant aussi clair que l’eau de roche. Si le corps allait mal, l’esprit aussi le serait. Et inversement. Tel était la logique implacable de la brunette. Qu’importe que l’estomac s’y refuse, qu’importe que la nausée soit importante : il fallait s’y forcer, pour se relever au plus vite et toujours aussi fort.

- Avant que je ne continue, et par curiosité, quelle image te fais-tu du paysan et du chevalier ? Mon oncle me taquinait beaucoup à ce sujet. Enfin, oncle Bran.

Il la charriait aux yeux de Lyanna mais en vérité, il cherchait à cerner les goûts de cette nièce turbulente. Être orpheline et pupille d’un oncle offrait souvent un statut des plus avantageux. L’éducation de Lyanna était un exemple parfait ; elle avait eu des libertés et des largesses que Jeyne, par exemple, n’aurait pas pu rêver. Alors, un mariage d’amour, pourquoi pas ? Mais Lyanna avait un caractère un brin ... peu féminin. Ou disons peu dans la norme. Une explication qu’il n’aura jamais la chance d’offrir à la nièce, mais qui commençait - en cette belle journée - à comprendre. Un court instant, elle en fût troubler et se mit à repenser à toutes ses réponses enfantines - des souvenirs vagues et presque perdus.

Je ne savais pas d’où Lyanna tirait son histoire, mais elle le faisait extrêmement bien… Je l’écoutais tranquillement, ce n’était pas comme-ci je pouvais faire autre chose. Mais même si j’aurais pu, je l’aurais écouté me conter l’histoire encore et encore. Elle avait une voix agréable, douce, et enivrante. C’était intriguant cette histoire, je n’avais aucune idée de comment son histoire pouvait bien finir, alors j’écoutais sagement, en essayant de conserver le peu de soupe que j’avais réussis à avaler dans mon estomac et que je ne le rende pas sur les pieds de Lyanna. Je notais brusquement que Jenny n’avait pas utilisé l’excuse fournie par Ingheam, elle n’avait pas donné l’excuse de mes saignements. Avait-elle oublié ? Ou avait-elle peur de trop mentir à Lyanna ? Aucune idée. Je lui poserais la question plus tard. Si Je le faisais maintenant cela promettait d’être légèrement suspect quand même ! Peut-être gardait-elle cela pour une prochaine fois ? Sans doute. Je me laissais bercer par sa voix sans rien dire, essayant d’imaginer le spectacle et l’histoire. Je tournai le regard vers elle quand elle évoqua le chevalier avant de rire :

« Lyanna ! Je suis aveugle, comment veux-tu que je te décrive ce chevalier ou ce paysan ! »

Je soupirais en serrant tout doucement sa main avant de réfléchir à sa question. En vrai je ne savais pas, je ne pourrais jamais décrire vraiment un homme en étant aveugle. Je soupirais un peu avant de décrire à ma manière.

« Le paysan… Je le vois avec une odeur particulière de terre et de transpiration, la peau rugueuse… Assez grand avec des cals aux mains, les cheveux courts et une barde sûrement… Le chevalier une odeur de transpiration aussi, mais recouverte de l’odeur métallique de l’armure et aussi une odeur plus propre. La peau moins rugueuse et des cals aussi aux moins. Des cheveux plus longs et une barbe de trois jours. »

Je haussais les épaules je ne pouvais pas en dire plus, c’était ma manière de faire pour les décrire. Un Chevalier… À quoi pourrait ressembler le chevalier de mes rêves ? Je ne savais pas. Je sentis un élancement de fièvre et je me tordis légèrement de douleur avant de tourner la tête vers la table pour essayer de reprendre un peu de soupe histoire de m’hydrater.

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- Ah oui, c’est vrai.

La remarque de Lyanna manquait cruellement de considération, à n’en point douter, mais elle savait que Khayley ne s’en offusquerait pas. Elles étaient amies d’enfance, et connaissaient parfaitement les travers et les qualités de l’une et de l’autre. Aussi maladroite soit Lyanna – et aussi oublieuse soit-elle sur l’handicape de son amie –, elle ne pensait pas à mal et ne nourrissait aucun vile sentiment.

Et pourtant, Khayley savait surprendre la demoiselle à sa façon. Elle offrit bien une description, mais faites d’odeurs et de sensations. Discrètement, la dame de la maison Stark ferma les yeux et tentait de reproduire la scène du point de vue de son amie, un monde dépourvu de couleurs et de forme et pourtant un monde chargé d’émotions et de détails.

- Dois-je en conclure que ton futur époux doit sentir bon, et doit avoir de douces mains ? finis par demander Lyanna, sourire malicieux aux lèvres et le timbre de voix rieur. Fais attention, un homme qui n’a pas de cals ou une peau rugueuse signifie un homme qui ne s’est pas suffisamment entrainé, un lâche voire un pleutre !

Lyanna ne pouvait pas concevoir qu’un homme ne puisse pas vouloir porter l’épée et aller défendre sa patrie, par manque de volonté ou – pire – par peur de l’ennemi ! Une telle engeance n’avait nullement le droit de s’appeler « Nordien » à ses yeux, et devrait tout bonnement être jetée du Royaume sans titre, sans armure et sans bien ! Si seulement les femmes pouvaient prendre les armes mais, malheureusement, son cousin avait formellement décrété qu’elles étaient interdites dans les campagnes militaires !

- Le chevalier reste tout l’été et tout l’automne, s’aventurant dans les plus profondes grottes des montagnes environnantes, dans les plus puantes marais en contrebas et dans bien d’autres dangers ! Cependant, il ne trouve nulle trace d’un monstre ! Il s’apprête à partir, dès que les premières tempêtes s’abattront, signifiant la fin des récoltes et le début de l’hiver. Cependant, un beau soir, alors que le chevalier dormait non loin de la cheminée du paysan, il entend un terrible boucan de la pièce d’à côté. Là ou dort le paysan. Et là, horreur ! Il entend les os craquer, il est témoin de ce cri de douleurs effroyables et il croise le regard globuleux de celui qui fut jadis un paysan. L’homme s’était changé d’humain en monstre … Il saute par la fenêtre et il disparait dans les montagnes. La surprise passée, le chevalier tente de la poursuivre mais s’y refuse par une nuit aussi noire et aussi agitée par le vent et les premiers flocons de neige. L’hiver était arrivé bien plus tôt ! Au lendemain, lorsqu’il met pied dehors, juste devant la maison et sur une portion non recouverte de neige, il voit la géante trace de pas, la même qu’il avait vu la première fois qu’il était venu ici. Le chevalier comprend que le monstre et l’humain ne font qu’un. Il comprend pourquoi le paysan n’a jamais connu l’hiver. Il comprend pourquoi le pauvre homme pensait être victime d’une sorcière.

Et Lyanna se tait, attendant de voir la réaction de l’amie.

Je souris doucement à mon amie, je ne lui en voulais pas d’oublier que j’étais aveugle. C’était… habituel en réalité, elle l’oubliait toujours ! Ou presque, ce qui expliquait quand on était petite qu’elle me faisait prendre des murs quand elle m’entraînait derrière elle. Ah ça ! J’en avais eu des bosses grâce à elle ! Et on s’étonnait que Jenny n’aimât pas qu’elle m’entraîne dans les couloirs pour jouer. Entre ça et le fait que je finisse couverte de boue ou quoi. Non, Lyanna oubliait parfois ce petit détail même lorsqu’elle me demandait de décrire des choses. Alors, moi je décrivais ma manière de « voir » et de sentir un homme près de moi. Le toucher, l’odeur… C’était chacun sa manière de décrire le monde. Alors j’essayais de lui faire compte d’un chevalier. Je ris un peu à sa remarque, avant de tousser en détournant la tête dans mon coude.

« Non ! Pas douce ! Un peu moins rugueuse que le paysan parce qu’il porte des gants et qu’il ne travaille pas la terre ! Et surtout les cals ne sont pas au même endroit ! Puis… futur époux… Lyanna… soyons sérieuses… »

Je fis une petite moue peu convaincue. Je n’aurais jamais d’époux, je resterais toujours aux côtés d’autres femmes, je n’aurais sans doute pas d’époux, pas d’enfant. Ou alors un chevalier qui passait par là. Contrairement à Lyanna, je n’aurais pas un choix vaste d’époux, personne ne se battrait pour moi, pour avoir ma main ou mon cœur, une aveugle issue d’une petite maison… J’avais beau toutes les connaissances pour tenir une maison… Mais non, je finirais sans rien, je le savais très bien. Je serrais doucement les doigts de mon amie avant d’écouter à nouveau son histoire.

Je fronçais les sourcils, une malédiction donnée par une sorcière ?! Malédiction… Malédiction… Je sentais le mal de tête revenir brusquement. Je me léchai doucement les lèvres.

« Une malédiction ? Tu penses vraiment… que… les sorcières peuvent imposer de telle malédiction ? Des transformations tout cela ? »

Et si j’avais été maudite ? Si on m’avait maudite pour que j’eusse ces rêves ? Je ne savais pas et je sentis une bouffée d’inquiétude grimper dans mon corps et je toussais à nouveau dans mon coude en serrant plus fort sa main avec inquiétude. Si je m’écoutai je lui aurais demandé de venir me prendre dans ses bras et que je puisse me nicher dans ses bras. Mais je n’osais pas… Alors je m’agrippais à sa main comme je le pouvais. Je ne voulais pas qu’elle me lâche.

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La réaction surprit tant la jeune Louve que celle-ci ne sut comment continuer ou agir convenablement pour calmer l’Aveugle. Lorsque l’Oncle Brandon avait raconté cet étrange histoire, aucun des louveteaux Stark qui lui faisaient face n’avaient exprimé de telles sentiments. Il y avait de la curiosité, de l’ébahissement et un petit soupçon de peur, mais non une subite terreur. Le petit monstre qu’était Lyanna avait suffisamment tapé des garçons, et écouté les récits de guerre de vieux soldats fatigués pour reconnaitre cette peur profonde au fond des prunelles.

- Khayley … c’est une histoire, voyons …

Malheureusement, la dame de la maison du Roi n’eut guère davantage le temps pour calmer la nervosité inattendue de son amie. La suivante de cette dernière ne tarda pas à entrer dans la pièce, les traits déformés par l’inquiétude et l’affolement. Meme le chiot acheté s’agitait, grognant, beuglant à droite et à gauche.

- C’est juste une histoire ! se défendit la brunette, ne comprenant pas subitement ce remue-ménage.

Jenny parle, Jenny demande, Jenny supplie : il faut que Lyanna quitte cette pièce, afin que Khayley puisse se reposer. C’est à contrecœur que la brunette accepte, se promettant de revenir à la charge sur cet instant et de demander des comptes. Au vue de toutes les belles – ou violentes – aventures enfantines qu’elles avaient vécu, il était impensable pour la Louve que l’Aveugle a peur d’une sorcière sortie tout droit de vieilles légendes ou histoires apprises par un vieux Stark.

- Repose toi, Khayley. Je reviendrai, un peu plus tard.

Pensive, elle remarqua à peine que le chiot gambadait à ses côtés, la langue à l’air, le museau scintillant et mouillé et le regard brillant. Il semblait déjà avoir oublié son affolement de l’instant. Il s’arrête subitement, relevant la jambe, prêt à faire ses besoins sur un mur. Lyanna n’attend pas, devant la bête, se mettant à son niveau et le regardant droit dans les yeux.

- Non, Atka ! Non, Atka !

La bête hésite, se ravisant enfin. Lyanna ne peut que souffler, contente d’avoir réussi à faire entendre raison un tantinet à la bête, à force d’entrainement. Elle se demandait quand même si elle avait une bonne idée de trouver un chien pour son amie. Si cette dernière tombait malade, ou se montrait si effrayée par de petites histoires, qu’en serait-il lorsque le chien commencera à montrer les crocs ou à vouloir jouer un peu trop violemment.

- Je sens que je ne vais pas avoir droit de revenir dans cette chambre avant longtemps. Toi aussi, je parie … dit-elle à la créature canine qu’elle guidait jusqu’à la cour pour lui offrir le droit de faire ses besoins.

Elle soupire, constatant une amère situation : elle s’était promise de protéger le Nord des murs de Winterfell, mais la voilà la gardienne d’un chiot, notamment celui d’une amie qui semblait lui mentir sur bien des choses. Si Lyanna n’était pas versée dans l’art de lire les émotions ou de comprendre les intentions cachées de chacun, elle était suffisamment futée pour savoir quand ses proches – familles comme amis – lui dissimulaient de gênantes vérités.