TOUR IX — An 2 Mois 0
@Khayley Ardoise

Benjen n’avait pas suivi le mouvement de la bataille menée par Bowen Glower et était resté auprès de son Roi quand celui-ci était retourné à Winterfell pour s’enquérir de l’état de sa femme. Le jeune homme serait bien allé sur ce nouveau champ de bataille, en compagnie du Sénéchal du Nord et de Walton Stark, mais Jon lui demanda de rester auprès de lui. En plus de cela, une visite au mur s’était profilée et son jeune Roi lui avait proposé de l’accompagner avec ses hommes pour rencontrer la garde de nuit. Benjen en avait été très heureux. En plus de pouvoir poser ses yeux sur le mur, l’idée d’aller rencontrer les frères jurés de la garde de nuit lui apportait un engouement certain. De plus, il était très satisfait que Jon lui fasse assez confiance pour le garder auprès de lui. Alors que son Roi avait été occupé auprès de son bambin et de son épouse, le jeune Aide de Camp s’était attelé à la tâche de préparer leur voyage pour s’assurer que la charge mentale de Jon ne soit pas alourdie par ses projets, et qu’il puisse se consacrer pleinement à la petite demoiselle qui avait fait irruption dans sa vie, le faisant jeune père désormais.

Le voyage dans le Nord s’était également bien déroulé et Benjen était toujours resté aux côtés de son Roi pour l’épauler. Ils étaient rentrés depuis peu de temps et chacun se reposait à la suite de ce long voyage. Tandis que Jon était parti rejoindre son épouse et sa fille, Benjen en avait proposé pour reprendre des forces et profiter de la quiétude du château. Le froid qui régnait à Winterfell était agréable après les températures glaciales qu’ils avaient vécu auprès du Mur. C’était comme si l’édifice glacée irradiait une atmosphère aussi magnifique que glaçante. Le jeune homme avait été impressionné par le géant de glace, et par la rudesse de la garde de nuit. Il avait appris des choses lors de cette épopée, et il avait le sentiment d’en revenir un peu plus mature. Bientôt, ils partiraient pour un nouveau voyage, vers le Sud et vers de nouvelles batailles.

Alors qu’il dévorait un bon repas lors de son déjeuner, dans la grande salle de Winterfell, il vit passer en coup de vent la jeune dame d’une certaine blonde dont il avait fait la connaissance juste avant de partir pour le Mur. Sa curiosité attisée, mêlée à l’anxiété de revoir la jeune femme, il avala tout rond ce qu’il lui restait de plat et fit descendre le tout avec l’aide d’un peu de vin. Il se leva et suivit discrètement les pas rapides de la dame de compagnie. Celle-ci était venue chercher un potage, probablement enrichie avec un peu de fromage et de viande, et s’en allait maintenant en prenant garde à ne rien renverser de son plateau. Le jeune Corbois poursuivit sa filature et arriva finalement à ce qui devait être l’appartement de la jeune femme. Il attendit patiemment que la servante ressorte, quelques minutes après être rentrée, étonnée qu’elle ne soit pas restée plus longtemps en compagnie de sa dame.

Quand les bruits de pas de la jeune femme cessèrent de raisonner dans le couloir, il s’y avança et vint toquer timidement à la porte en bois. Il lui sembla entendre du bruit à l’intérieur… Ou bien était-ce le son de son cœur battant dans ses tympans ? Celui-ci s’affolait dans sa poitrine quand il prit son courage à deux mains et pénétra finalement dans la pièce.

Les odeurs d’herbes médicinales, de thé et de potage lui remplirent aussitôt les narines, et il plissa un peu le nez le temps qu’il s’y habitue. Au milieu de ces odeurs peu désagréables, les effluves de renfermé, de maladie et de sueur prirent le relais. Ces odeurs-là, il peina à s’y faire. Ses pupilles mirent quelques secondes à se faire à l’obscurité qui régnait dans l’appartement et il manqua de trébucher sur un livre qui avait été jeté à terre. Benjen se baissa, attrapa le livre pour lisser la couverture du plat de sa main, tandis qu’il faisait un nouveau pas en avant en prenant garde à ne rien faire tomber, et à ne rien casser. Également, à ne faire aucun bruit car il avait tout de suite remarqué que ce bruit régulier et doux qu’il entendait depuis qu’il était entré dans la pièce, n’était rien d’autre que le ronflement tenu de la jeune femme au fond de son lit.

Il resta un instant bête, indécis sur la conduite à tenir. Il avait été si heureux de pouvoir la revoir, mais il n’avait jamais désiré la déranger dans son sommeil, encore moins si elle était souffrante. Bien décidé à s’extirper de là pour éviter d’être pris pour le pire des goujats, il fit demi-tour en posant le livre sur le premier meuble qu’il croisa et s’avança vers la porte.

C’est alors que cette même porte s’ouvrit et que le visage de la jeune servante apparut, passant de la surprise à l’horreur en un instant quand son regard se posa sur le jeune homme qui se tenait tout près d’elle.

« — Mais que faites-vous là ! » Vociféra-t-elle. « Vous n’avez rien à faire ici ! Dame Khayley doit se reposer ! » C’était à peine si elle n’allait pas prendre un balai pour lui flanquer une rouste.

Le pauvre Benjen en fut cramoisi mais il se redressa, la dominant de sa taille, tentant de garder un semblant de dignité dans cette situation plus que gênante. Qu’irait penser sa mère si la servante déformait la réalité quant à sa présence dans la chambre de Khayley ?

« — Chut ! » Fit-il en posant sa main sur la bouche de la jeune femme d’un seul mouvement hatif. « Taisez-vous, vous allez la réveiller… » Chuchota-t-il assez fortement en intimant à la servante de ne rien ajouter. Il fallait qu’il trouve une excuse. Vite ! « Nous avions convenu de nous revoir à mon retour et je devais l’emmener marcher un peu. » Dit-il le plus naturellement possible, heureusement la couleur rouge vif de son visage était masquée par l’obscurité de la pièce. « Je ne pensais pas qu’elle était souffrante, veuillez m’en excuser… » Sa voix s’adoucit et il relâcha la bouche de la jeune Jenny. « Est-ce grave ? Puis-je faire quelque chose pour vous aider ? »

Le visage de la pauvre femme semblait tout à fait confus et elle s’apprêtait probablement à lui hurler dessus à nouveau, qu’il n’avait rien à faire dans les appartements de la jeune femme et qu’elle devait se reposer. Devrait-il la frapper pour qu’elle se taise ? Un léger bruit se fit cependant entendre derrière lui, un grognement presque, signe que l’agitation avait probablement réveillée la blonde endormie.

La jeune femme s’était redressée dans son lit et son visage tourna vers l’origine du bruit, c’est-à-dire vers le Corbois cramoisi et sa dame de compagnie hystérique. Celle-ci n’ajouta rien après ses derniers mots car ils furent interrompus par la voix fluette de la blonde qui essayait de comprendre ce qu’il se passait dans ses appartements. La servante se rapprocha rapidement de sa dame dans un mouvement de réassurance tandis que Benjen resta bêtement à côté de la porte d’entrée n’osant pas tellement lever les yeux vers la jeune femme en vêtements de nuit. Il n’avait décidément pas réfléchi assez quand il avait passé le pas de cette porte. Cependant, le malaise le quitta rapidement, quand la jeune femme reconnue sa voix et le nomma, devant une servante médusée et accusatrice.

Les quelques échanges dont il fut témoin ne laissaient aucun doute. Khayley était alitée depuis quelques temps et sa servante s’occupait entièrement d’elle pour s’assurer de sa santé. Elle en prenait toutes les décisions, semblait-il. Il n’osait toujours rien dire devant la situation, même quand elle s’adressa à lui pour lui demander de patienter le temps qu’elle se débarbouille et s’apprête pour sortir avec lui. Benjen acquiesça, il était heureux qu’elle veuille bien le suivre, mais aussi inquiet de la voir affaiblie.

« — Je… Euh… Bien sûr, Dame Khayley. » Bredouilla-t-il avant de faire brusquement volte-face. « Je vous attends à l’extérieur. » Et il s’extirpa de la pièce d’un pas, sentant le regard accusateur de la servante dans son dos.

La jeune femme ne mit pas longtemps à sortir également de ses appartements, vêtue plus dignement d’une jolie tenue couleur de pins, et surtout chaudement pour affronter l’extérieur. Malgré ses traits tirés, il entendit ordonner à sa servante de ne pas les accompagner, ce qui soulagea grandement le Corbois, avant de se tourner vers lui et de lui faire une révérence. Il la lui rendit avec un sourire franc.

« — Ma Dame. » Répondit-il, n’osant pas rajouter quoi que ce soit sur son état et l’importance de se reposer pour récupérer ses forces. La pauvre devait déjà bien assez entendre ces prières.

À la place, il prit délicatement son bras et l’entraina doucement avec lui en la guidant afin qu’elle ne trébuche pas. L’après-midi débutait tout doucement et les rayons du soleil tapaient dans les vitres alors qu’il passait devant. Maintenant qu’ils n’étaient plus dans l’obscurité, il pouvait la voir et se rendre compte de l’état de son corps fatigué, de ses cernes, et de la pâleur de sa peau.

« — Votre Jenny… N’est-elle pas un peu de la famille des dragons ? » Lui murmura-t-il quand il fut sûr d’être assez éloigné pour qu’elle ne les entende plus.

Ils continuèrent leur chemin vers le réfectoire mais Ben n’entra pas, il se tourna vers la jeune femme dont il tenait toujours le bras, dardant son regard sur celui hagard de la blonde.

« — Voulez-vous aller vous promener en extérieur ? » Il marqua une pause, réfléchit un instant. « Pensez-vous tenir à cheval ? Je connais un endroit très joli. » Et même si elle ne pouvait pas voir la beauté de l’endroit, il pourrait la lui décrire. Si cela n’était pas possible, il trouverait bien un autre endroit où se balader.

Puisqu’il était devenu sa canne d’aveugle préférée, il se fit une mission de la conduire dans les couloirs du château en toute sécurité. Il sourit quand elle retorqua la lignée de geôlier de sa servante mais n’ajouta rien dans ce sens pour ne pas attiser de feu pour le moment. La jeune Jenny devait être bien inquiète pour Khayley, et elle n’agissait que pour la protéger. Elle devait en avoir conscience. Cela ne rendait pas la frustration de la jeune femme moins légitime pour autant, mais les deux côtés se valaient autant. Et probablement que la servante s’en voudrait affreusement d’avoir accepté qu’elle ne se blesse, ou bien la famille de la jeune dame le lui ferait ressentir dans tous les cas. Les Nordiens avaient tendance à être rancuniers, en était-ce de même pour la maison au blason gris de sa compagne ?

Le réfectoire dépassé, ses pas les emmenèrent à la sortie qui menait sur la cour du château. Le soleil vint réchauffer la peau des deux jeunes gens avec douceur et malgré le froid qui régnait dans le creux de l’hiver. À la lumière de l’étoile, Benjen put facilement observer les joues creusées sur le visage blafard de la jeune femme. Ses yeux bleus ressortaient de plus belle sur sa peau laiteuse et il devinait plus d’os que de chair sur le corps de la demoiselle. Déjà mince, elle avait perdu du poids, et il était capable de le percevoir même sous ses lainages. La jeune dame avait dû passer un certain temps sous les couvertures pour être aussi famélique. Il lui adressa une mine un peu inquiète mais n’émit aucun commentaire, car déjà il l’entrainait en direction des écuries pour rejoindre son destrier, comme s’il craignait qu’elle ne change d’avis.

« — Bien sûr, je ne comptais pas vous laisser chevaucher en solitaire à mes côtés. Je m’en voudrais si vous deviez glisser de votre selle. » Un seul coup d’œil suffisait pour jauger la fragilité de la jeune femme. Il ne prendrait aucun risque, il craindrait trop de se faire dévorer par le dragon qui fulminait quelques étages plus haut. « Nous prendrons mon cheval, j’ai davantage confiance en la bête que je monte régulièrement. Même si je ne doute pas que cette Lune soit adorable… J’aime mieux chevaucher sur mon propre cheval. » Il marqua une pause, et la souleva un bref instant du sol. « Vous êtes légère, n’ayez crainte, il vous portera facilement. » Et ça le fatiguerait davantage, ce qui le rendrait plus docile sous la selle.

Ils traversèrent la cour d’un pas sûr, évitant les obstacles de type boue ou enfants joueurs, s’approchant à grand pas de l’écurie. Aux mots fluets de la jeune dame, Benjen lui adressa un sourire, qu’il s’empressa de joindre par la parole pour qu’elle puisse l’entendre.

« — Je suis tombé tout à fait par hasard sur votre servante. Je ne savais pas que vous étiez encore à Winterfell. Y séjournez-vous tout le temps ? Ne restez-vous pas à… » Il réfléchit un instant. « …C’est à Noirétang qu’est votre maison, je crois ? » Il évita un crottin de cheval sur leur chemin, tenant fermement la jeune femme pour éviter qu’elle ne chavire sur les pavés. « Je suis content de vous revoir également… » Le rouge qui collait à ses joues en disait déjà bien assez.

Ils atteignirent finalement les écuries, alors qu’elle lui demandait comment son voyage s’était passé. Il sourit à nouveau en revoyant l’édifice devant ses yeux l’espace d’un instant.

« — C’était merveilleux. Encore plus impressionnant que je n’aurais pu l’imaginer, jamais. » Un sourire béat accrochait ses lèvres. « Mais également un peu effrayant, je dois dire… S’imaginer qu’il y a encore tout un monde au-delà, c’est aussi excitant qu’effrayant, vous ne trouvez pas ? Et puis la Garde de Nuit… » Il laissa sa phrase en suspens. Les hommes de la Garde de Nuit arboraient toujours une mine aussi sombre que l’étaient leurs habits.

L’animal était d’une jolie couleur grise avec des pommelures plus foncées sur toute sa robe, habillé de chaussettes noires sur les membres, et le nez rose. Il n’était pas très grand mais musculeux et ses crins noirs tombaient sur son chanfrein et son encolure en cascade. En voyant arriver son cavalier, le destrier leva son nez et renâcla doucement en leur direction, raclant le sol et la paille de ses sabots. Il était déjà harnaché. Benjen avait demandé à ce qu’il soit sellé un peu plus tôt dans la journée car il avait eu dans l’idée d’aller chevaucher dans le bois de Winterfell pour se dégourdir les jambes. Il n’était pas ressorti de l’enceinte du château depuis qu’il était revenu du Mur.

« — Je vous présente Cendre. » Dit-il en s’approchant de l’équidé. Curieux, celui-ci avança la tête et toucha légèrement le front de la jeune femme du bout de son nez. « Il ne mord pas et il est très doux en général. » Sauf quand il en avait décidé autrement. « Il vous aimera tout de suite si vous le gratter derrière les oreilles. »

Elle accepta sans protestation de prendre son propre cheval pour la balade qu’il lui proposait, validant ensuite le fait qu’elle avait peu mangé ces derniers temps. Au moins était-elle honnête, mais cela voulait dire qu’elle était alitée depuis quelques temps car il ne suffisait pas de quelques jours pour perdre autant de poids. Elle lui expliqua alors la raison de sa présence dans le château. Il fut étonné d’apprendre que la jeune femme était menacée par les Fer-Nés, et tout autant surpris de savoir qu’elle pourrait repartir dès qu’elle irait mieux. Ses parents l’attendaient donc là-bas, mais ils avaient préféré qu’elle aille à Winterfell pour être en sécurité chez les Stark. Cela ne devait pas être facile pour elle de vivre si loin de sa famille et de sa maison. De son côté, Corbois lui manquait terriblement à certains moments, bien qu’il n’eût jamais à se plaindre de sa place à Winterfell.

« — N’avez-vous pas envie de retourner chez vous ? » La questionna-t-il, curieux. « Corbois me manque. » Ajouta-t-il avec une pointe de nostalgie.

Khayley suivit rapidement son conseil, grattant derrière les oreilles de son étalon. L’animal étendit un peu son encolure, renâclant doucement, signe qu’il appréciait l’attention qu’elle lui donnait. Cendre sembla apprécier les caresses de la jeune femme, la poussant du bout du nez de façon un peu brusque parfois comme pour vérifier qu’elle ne cachait pas une sucrerie. Benjen devait bien avouer qu’il ramenait toujours un petit morceau de fruit ou de pain rassis quand il venait voir son compagnon.

« — Oui, c’est un bon compagnon. Il est rapide et surtout très brave. » Il pouvait dire ce qu’il voulait sur l’animal, mais il ne l’avait jeté à terre sciemment. Il avait néanmoins été surpris à certains moments par le côté fougueux et caractériel de l’étalon, qu’il avait appris à apaiser au fil du temps. « Je peux toujours compter sur lui dans les situations difficiles. » Il sourit à l’animal et lui gratta le long de l’encolure avant de sortir de la poche de son pourpoint un quart de pomme. Cendre ne mit que quelques secondes avant de sentir le morceau et de l’attraper pour le macher bruyamment, visiblement content. « Ne dites pas trop fort qu’il est beau, il se pavanera déjà bien assez comme ça. »

Benjen essuya sa main sur son pantalon et entendit le garçon d’écurie leur proposer de le sortir pour eux. Le Corbois fit signe au garçon qu’il s’en occuperait seul, et attrapa les rênes pour conduire son cheval hors de la stabule et de l’écurie ensuite. Il prit garde à avancer doucement, tenant la jeune femme de l’autre main pour éviter de la perdre en cours de route, bien qu’elle sache aisément entendre les bruits du fer des sabots sur le pavé. Il ne voulait pas non plus que Cendre ne lui marche sur un pied ou qu’elle se fasse bousculer.

Une fois à l’extérieur, il demanda simplement au garçon de tenir son cheval le temps qu’il puisse mettre la jeune femme sur la selle. Son cheval avait la fâcheuse tendance de bouger au montoir et il ne pourrait pas aider sa compagne à monter, et tenir l’animal en même temps.

« — Vous allez monter avant moi, je vais vous aider. » Lui proposa-t-il alors qu’il la guidait proche de Cendre pour la soulever au-dessus de ses pieds et jusqu’au-dessus du garrot pour la soulever jusqu’au pommeau de la selle. Il espérait qu’elle ne serait pas trop inconfortable sur sa selle. Il n’y avait pas vraiment de possibilité de monter confortablement à deux.

Benjen remercia le garçon d’écurie, récupéra les rênes et bondit en selle derrière Khayley, essayant de se positionner le plus confortablement possible, en tenant la jeune femme tout près de lui, son dos contre son torse, lové l’un contre l’autre. Il n’avait pas le choix après tout, il fallait bien qu’il s’assure qu’elle ne tombe pas !

« — Est-ce que ça ira ? » Il voulait s’assurer qu’elle n’était pas trop mal installée.

Sous la selle, Cendre ne bronchait pas, comme s’il avait senti qu’il ne valait mieux pas qu’il se conduise mal.

Le jeune Corbois fut surpris d’entendre de telles choses sur la vie de la demoiselle dans son propre fief. S’il pouvait comprendre les raisons de sa rancœur et son besoin d’ouvrir ses ailes à la vie, l’idée qu’elle ne puisse plus revoir ses parents ou sa famille, ne serait-ce qu’à certaines occasions, l’emplissait de morosité. Et pourtant, n’était-ce pas ce qu’il vivait depuis un peu plus de deux ans ? Plein d’ambition et de volonté de suivre la voie de son paternel, il s’était enrôlé à ses 15 ans, auprès de Jon Stark, pour le seconder auprès de ses armées. À l’époque, il n’était pas encore Roi, et il lui semblait qu’il était encore un gamin. Farouchement en recherche de reconnaissance d’une figure masculine. Seulement, Jon était à peine plus âgé que lui et il ne pouvait pas le considérer comme la figure œdipienne.
Pour ce rôle, il avait quitté sa mère, son frère et sa sœur, et son futur fief. C’était sa maison, son château à lui, et son petit peuple. Et pourtant, c’était à Winterfell qu’il passait le plus clair de son temps. À vivre auprès des loups, il en perdait presque ses bois.
Si seulement il en avait eu au départ.

Seulement, Benjen ne voulait pas voir le rapprochement des deux situations. Car lui était arrivé à Winterfell par choix. La jeune Khayley n’avait pas eu le choix de partir vivre auprès du loup-garou. Dans la volonté de la protéger, ses parents l’avaient bien plus émancipé qu’ils n’auraient pu l’imaginer.

La légèreté de la main de la demoiselle sur la sienne le fit rougir. Il s’assura qu’elle était bien installée en selle et que sa cape était bien accrochée, avant de se saisir de ses rênes dans chacune de ses mains. Il n’avait encore jamais chevauché avec une autre personne avant, et la sensation était très étrange. Ses mouvements étaient considérablement empêchés par la présence frêle de sa compagne et il craignait de la perdre en route, si bien qu’il jaugeait chacun de ses mouvements.

« — Accrochez-vous, ma Dame. » Souffla-t-il à son attention.

Désormais juchés tous les deux sur le destrier du jeune homme, il n’avait plus qu’à faire claquer sa langue contre son palais pour que la bête se mette en avant. D’un pas froid, il s’éloigna des écuries et s’engagea dans la cour vers la porte de Winterfell. On ne lui adressait que quelques regards curieux, qu’il s’efforçait de ne pas voir, le rendant nerveux qu’on ne dise quoi que ce soit sur lui par la suite. Il ne voulait que d’odieuses rumeurs soient colportées contre lui ou sa compagne.

« — Pensez-vous que votre servante puisse dépêcher des espions pour s’assurer de votre bonne santé ? » Lui murmura-t-il, un sourire amusé dans la voix. Enfin… À y réfléchir, en serait-elle capable ?!

La porte derrière eux, il sembla se détendre un peu et, d’une main douce, attrapa celle de la jeune femme pour lui faire prendre les rênes de son cheval. L’animal était étrangement calme, il ne le sentait absolument pas piaffer sous sa selle comme il se l’était imaginé. Sentait-il qu’il devait rester sage ? S’était-il trompé de cheval ?

« — Montez-vous souvent à cheval ? Vous semblez bien à l’aise… » Il faillit ajouter « pour votre condition » mais n’en fit rien, de crainte d’être blessant. Et il espérait tellement passer une bonne journée avec la jeune dame qu’il ne souhaitait pas gâcher toute la sortie quelques mètres après la porte du château.  

Il émit un soupir de soulagement faussement exagéré à l’attention de la jeune femme, quand elle lui assura qu’il n’y aurait pas d’espion à leur poursuite. L’idée de devoir fuir des hommes en noir, en filature contre eux, sous le compte des Ardoise pour s’assurer que leur jeune fille ne perdrait pas sa vertu, était excitante mais peu envieuse.

« — Tant mieux, un peu de paix nous fera le plus grand bien. » Conclut-il en hochant la tête, même si la jeune femme ne pouvait le voir.

Une fois les rênes dans les douces mains frêles de la jeune demoiselle, il la laissa guider l’animal tout en soutenant la présence de ses mains, plus grandes et trapus, sur les doigts fragiles de la dame. Il craignait de la briser s’il touchait une seule partie de son corps, tant elle semblait faite de porcelaine. Et le ton de sa peau n’arrangeait rien à cette sensation. Il s’imaginait qu’elle devait effectivement mieux ressentir les mouvements de l’animal, que chacun de ses pas et mouvements de sa tête, ne devaient pas passer inaperçus pour elle. Pourtant, il lui fallait bien des yeux, car les chevaux ne savaient pas se rendre dans un lieu qu’il ne connaissait que trop peu. Quand il s’agissait de rejoindre des écuries connues, celle de Winterfell, alors l’animal pouvait retrouver seul son chemin, mais pour les guider en forêt ? Cela n’était pas possible en étant dénué de vision.

« — Cela se voit que vous êtes à l’aise. Les chevaux ressentent cela, ils sont très intelligents pour ressentir le bon cœur des gens qu’ils côtoient. » Il sourit.

Il guidait doucement l’animal avec l’aide de ses talons et de son poids du corps, gardant légèrement ses mains sur celles de la jeune femme. Son cheval marchait doucement mais son pas s’accélérait à mesure qu’il s’éloignait du château. Benjen avait pris l’habitude de l’élancer à bride abattue dès qu’il s’en éloignait, et Cendre appréciait particulièrement cette habitude. Or avec Khayley en plus sur son dos, il craignait de la perdre en route s’il se laissait aller à une telle facétie.

« — Non, je ne vous emmène pas au bois sacré, nous n’aurions pas besoin de mon ami à sabots si tel avait été le cas. » Il se cambra un peu derrière elle, cherchant une position confortable, tout en faisant son possible pour ne pas la gêner. « C’est un joli endroit au cœur d’une clairière où la rivière coule. C’est très reposant comme lieu. »

Les claquements des sabots sur le chemin pavé cessèrent quand ils passèrent sur la terre recouverte d’humus, à l’abris des arbres de la forêt. L’ombre de celle-ci les recouvrit et ils poursuivirent sous le couvert des arbres. Quand elle ramena le sujet de sa maison sur le devant de la conversation, il laissa échapper un léger soupir.

« — Ne vous excusez pas. Je comprends votre rancœur et votre amertume bien que je ne puisse pas imaginer ce que vous vivez. J’ai moi-même décidé de rejoindre Winterfell pour suivre le Roi du Nord et je suis un homme d’honneur et de paroles, même si cela signifie d’être loin de chez moi. Corbois me manque et j’espère pouvoir y retourner quand nous serons en temps de paix, bien que je ne pense pas que cela soit pour tout de suite. » Un autre soupir, plus las. « Je me suis attaché à Winterfell et à son climat glacial, et j’apprécie passer du temps auprès de Lord Stark… Mais j’ai la chance d’être l’héritier d’un domaine, que je ne peux pas gouverner car je passe plus de temps sur les routes que dans ses murs. » Il était nostalgique de ses jeunes années dans le château de son père, où il avait aimé courir dans les galeries, s’entrainer à brandir une épée et à jouter, où il avait attendu, chaque jour, que son père rentre du front pour lui montrer son évolution. Il y avait autant de souvenirs heureux que de souvenirs tristes, mais il espérait qu’il pourrait en créer d’autres, encore plus heureux, à l’avenir.  

L’odeur de la forêt emplit doucement ses narines à mesure qu’ils pénétraient au cœur de celle-ci. Les effluves de l’humus, des feuilles et des arbres se mixaient allègrement avec le froid qui aurait pu lui pétrifier lentement les doigts s’il ne les avait pas eus au chaud, et contre ceux de sa compagne. Elle ne pouvait pas se rendre compte, mais Benjen avait hoché la tête en réponse à la jeune femme. Il avait trop l’habitude d’utiliser le langage non verbal qu’il ne prit pas garde à l’obscurité dans laquelle Khayley était à chaque instant. Elle ne pouvait pas voir ses mouvements, seulement sentir son corps contre le sien, et sa respiration qui s’accélérait peu à peu, derrière son oreille. À la demande de la jeune dame de visualiser davantage le fief Corbois, Benjen s’exécuta pour lui plaire.

« — Mmmh… Oui. » Bercé par les mouvements réguliers du pas de Cendre, son regard porté vers l’avant, il ne semblait plus voir le chemin devant ses yeux. « C’est un château plus modeste que l’est Winterfell, au Sud-Est, tout proche des Collines des Toisonnées, et au bout d’une des branches de la Brèchesaigues. Les collines permettent d’avoir un point de vue sur les plaines alentours, et sur le château lui-même. Le château est d’une taille respectable, avec tout ce que vous trouvez à Winterfell, en plus petit bien sûr, et moins de fortifications. » Attrapant une branche à leur hauteur, il l’éloigna de la jeune femme avant qu’elle le vienne lui griffer la joue. « Quand j’étais enfant, je trouvais Corbois gigantesque, avec tant de pièces, que j’adorais me cacher de ma mère quand je savais que l’heure de la leçon approchait. La plupart du temps, ce sont les gardes qui me trouvaient, ma mère y parvenait parfois, quand je ne pouvais pas me retenir de rire. » De vieux souvenirs lui revint, les moments d’insouciance d’un jeune garçon. « L’ambiance au château a beaucoup changé après la mort de mon père. » Son regard s’était obscurcit. Les souvenirs qui suivaient étaient emplis d’une certaine amertume et de chagrin. Mais c’était ainsi, il ne pouvait pas ramener les morts à la vie, seulement dans ses souvenirs. Il ajouta : « Notre devise est ‘vertueux dans la colère’. »

Quant à l’endroit où le jeune homme les menait, il ne le considérait pas particulièrement secret. C’était un endroit un peu reculé dans lequel il appréciait se rendre pour penser à autre chose, souvent avant un départ du château pour suivre Jon dans ses croisades. Par la paix qui y régnait, il aimait s’y rendre pour faire le vide dans son esprit, pour se concentrer avant d’affronter la mêlée et le chaos des combats. Rien de tel aujourd’hui entre les deux compagnons, Benjen voulait simplement l’emmener hors des murs du château, et il avait envie de partager quelque chose avec la jeune femme. Il ne savait pas quand il la reverrait la prochaine fois.

« — Et vous, pouvez-vous me parler de Noirétang ? Cela fait-il longtemps que vous êtes à Winterfell ? » La questionna-t-il, curieux.

La jeune dame écoutait les paroles de Benjen avec patience tandis qu’elle suivait les mouvements des pas de son cheval. Il arrivait que Cendre tâte du bout du nez quelques herbes, qu’il essaye un peu de brouter quand il en était assez téméraire, sous les rênes de la douce Khayley. Benjen était toujours là dans ces moments, administrant un petit coup de talon dans les flancs de l’animal, qui avait pour réaction de relever la tête et d’accélérer le pas. Elle lui présenta ses condoléances, ce que le Corbois entendit même si cela ne lui faisait plus grand-chose désormais. Quand son père était parti, il avait été encore un jeune enfant. Maintenant qu’il était un homme, il savait pourquoi il avait disparu et comprenait parfaitement ce qu’il se jouait lorsque les épées s’entrecroisaient et que les corps tombaient. C’était malheureusement le risque sur un champ de bataille, même parmi les nobles.

« — J’adorais apprendre des choses, et j’étais un bon élève. Enfin je crois ! » Il sourit, plein de souvenirs dans la tête. « J’aimais bien jouer dans le château, embêter un peu les adultes. Ce que j’aimais moins, c’était de devoir rester assis. J’étais impatient et j’avais surtout très envie d’apprendre à manier les armes. » Afin de pouvoir rendre son père fier des évolutions de son fils quand il rentrerait des batailles. « Ne vous en faites pas, mon père est décédé il y a bien longtemps. J’ai grandi avec son absence, sans qu’il ne soit véritablement absent de ma vie. » Le besoin de reconnaissance était si important pour le jeune lord.

Elle lui raconta alors des souvenirs à Noirétang, sa connaissance aveugle des lieux et le réconfort que l’endroit lui apportait tant par sa quiétude que par sa distance des conflits. Benjen comprit aisément que la jeune femme avait été éduquée dans un environnement de silence, dont la quiétude construite autour d’elle avait pour but de la préserver de sa santé fragile.

« — Cela semble être tout à fait l’inverse de Corbois. Il y a souvent du bruit là-bas, il faut dire qu’il y a beaucoup d’hommes sous le commandement Corbois. Les hommes y sont bienveillants, ou du moins c’est toujours ce que j’y ai ressenti. Mais nous restons des Nordiens, toujours enclin à boire et rire, croisant le fer parfois pour s’entrainer et se jauger. C’est peut-être en cela que Winterfell me plait tant, l’ambiance y est assez proche de celle que je connaissais à Corbois. » Il marqua une pause, fit accélérer un peu son cheval en sifflant. « Un endroit calme n'est pas non plus désagréable, cela doit être plaisant d’être dans un lieu intouché par les conflits qui règnent actuellement dans tout Westeros. »

Il acquiesça quand elle évoqua les bruits de la cour de Winterfell. Le chemin qu’ils avaient emprunté se jeta dans une petite clairière où l’herbe haute venait lécher les jarrets de son cheval et jusque sous son ventre.

« — Oui, c’est plaisant d’entendre les piaillements des oiseaux et de sentir le vent sur la figure. » Répondit-il doucement. « Et c’est agréable de passer ce moment avec vous. »

Il tenait fermement la jeune femme contre lui quand il ordonna à son cheval d’accélérer l’allure. L’animal s’exécuta, prenant un bon pas. Le lieu qu’ils rejoignaient n’était pas encore tout proche mais Benjen n’osait pas augmenter davantage l’allure de son cheval.

Il ne savait pas si tous les garçons aimaient jouer avec les épées, mais cela avait été le cas pour lui. Pas spécialement pour l’épée en elle-même mais plutôt pour faire comme son père. Il jouait à la guerre, se plaisait à s’imaginer sur un champ de bataille, prêt à défaire n’importe quel opposant qui se dresserait sur sa route. Il s’était fantasmé à la place d’un chevalier légendaire au destin incroyable, que la mort ne pouvait toucher. Jusqu’à la disparition de son père qui avait ébranlé toutes ses certitudes d’enfant insouciant. Et le chevalier était brusquement devenu mortel. Et cela impliquait de ne plus jouer avec des épées, mais d’apprendre réellement à bien les manier pour se défendre.

« — Vos frères aussi aimaient jouer avec les épées ? » Il haussa les épaules. « Les enfants veulent imiter leurs parents. Je voulais courir sur les pas de mon père. C’est la raison pour laquelle j’ai commencé à manier l’épée et à vouloir m’améliorer. Mais les épées ne sont plus du tout un jeu quand il s’agit de tuer d’autres hommes. » Ces souvenirs-là n’étaient guère plaisants.

La jeune femme décrivit des différences de traitement entre son père, aimant et joyeux, et sa mère, plus secrète.

« — Votre mère voulait simplement vous protéger, n’est-ce pas ? » Il ne pouvait pas en être autrement.

Le jeune Corbois ne pouvait se reconnaitre dans ces descriptions. Sa mère avait toujours été droite avec lui et il ne lui semblait pas qu’elle n’ait jamais été secrète avec son fils. Il avait toujours su trouver en elle une femme à l’écoute mais souvent autoritaire. Avec le recul, ce n’était pas étonnant. Elle avait dû assurer la gérance de Corbois après le décès de son père et Lord de la maison, jusqu’à ce que son ainé soit assez grand pour reprendre le fief sous son autorité. Mais sa mère n’avait jamais failli et il savait qu’elle avait tout fait pour protéger ses enfants et leur assurer le meilleur avenir. S’il avait longtemps eu le sentiment que l’ambition qu’elle avait pour ses enfants ne lui servait qu’à elle, il savait désormais qu’elle faisait ça pour eux et pour qu’ils puissent évoluer dans leur vie.

« — J’aimerais vous y emmener un jour. Je pourrais vous décrire les lieux en même temps que nous marcherons. » Il souriait, l’idée lui plaisait.

Son cheval partit au trot. Un trot calme, pas trop rapide mais assez pour qu’ils rebondissent un peu trop dans la selle. Benjen claqua la langue, ordonna à son cheval de prendre le galop, allure plus agréable. Son cheval s’élança un peu plus rapidement mais son galop était confortable, et régulier. Tant qu’ils n’étaient pas dans la forêt, il n’y avait aucun risque. Khayley lui demanda quel lieu il aimerait voir ensuite, Benjen prit le temps de réfléchir. Il ne s’était pas réellement posé la question avant.

« — Je serais curieux de voir le Sud même si j’ai bien peur d’avoir trop chaud ! Un monde de dunes de sable comme à Dorne ? Je ne sais pas trop si cela me plairait. Je suis sûre que la chaleur est si étouffante que je ne saurais comment m’habiller ! » Rien de mieux que le Nord car il était toujours possible de se réchauffer quand il faisait froid dehors. « Et vous ? Aimeriez-vous voyager ? Même si vous ne pouvez pas voir, j’imagine que voyager vous apporte de nouvelles odeurs, de nouvelles sensations, cela doit être tout aussi riche pour vous. »

Benjen entendit la jeune femme répondre qu’elle aurait aimé être comme sa sœur ainée, et que c’est à elle que la petite fille avait voulu rassembler. Il avait bien eu une sœur quand il avait eu 3 ans, puis deux ans après, un frère, mais sa place d’ainé ne lui avait donné l’opportunité de ne ressembler qu’à son père. Il vint à songer à sa fratrie, cependant, et se questionna à ce sujet. Lyarra avait eu quatre ans au décès de leur père, Kiran seulement deux ans. Si Lyarra avait pu avoir de vieux souvenirs sur son paternel, il n’était pas persuadé que Kiran puisse s’en souvenir. Mais de là à l’avoir assez côtoyé pour en faire un modèle ? Mais cela voulait-il dire qu’ils avaient pris exemple sur leur ainé en grandissant ?

« — Pourquoi vouliez-vous imiter votre sœur ? » Demanda-t-il curieusement, s’imaginant que cela avait à voir avec le souhait de marier un jeune Lord et d’avoir des enfants.

Le jeune Corbois connaissait si peu la jeune femme et il l’avait tout de suite considérée comme une damoiselle à protéger car elle semblait bien incapable de le faire par elle-même. Ce n’était pas la façon dont il avait appris à considérer les femmes. Il avait été à bonne école avec une mère très impliquée dans la politique, et assez ambitieuse pour s’élever comme conseillère suppléante du collège impérial. Mais une jeune femme aveugle qui avait besoin d’aide à chaque instant pouvait-elle arracher une place aussi importante ? Cela devait être bien difficile de gravir les échelons. Même en étant une pleine possession de ses moyens, la tâche était ardue.

Ses joues s’empourprèrent quand elle confia avoir très envie de découvrir sa demeure. Benjen apprécia la douceur de la jeune femme alors qu’il sentait la légère pression de ses doigts fragiles cherchant le contact des siens. Il ne pouvait qu’imaginer la douceur de sa peau à nouveau, cachée sous ses épaisseurs de cuir.
Alors qu’il avait pris le galop et que son destrier évoluait à bonne allure dans les hautes herbes, Benjen se pencha un peu plus sur elle afin qu’elle puisse l’entendre sans qu’il n’ait à trop hausser la voix. Il songea à Dame Eleanore, née Tully, et désormais mariée au Roi du Nord, son suzerain Jon Stark. Il songea également à la situation dans le Conflans et à ce qui l’attendait quand il serait envoyé avec l’armée du Nord aider le Roi Lyham Tully.

« — Oui, la situation se tend et je crains bien que le Nord doive bientôt leur porter secours. » Son départ pour Fort-Darion ne pouvait qu’envisager ce scénario mais Benjen ne se risqua pas à lui parler de la guerre à venir. « J’espère un jour que ces contrés pourront retrouver la paix. » Même si cela sera au prix du sang et de la vie des soldats. « Je pense que, même en voyageant ailleurs, le Nord me manquerait. » il prit une grande inspiration. « L’odeur de la forêt en hiver est agréable. La pluie, un peu moins. Mais cela serait si étrange de vivre dans une région où il ne pleut quasiment jamais, vous ne pensez pas ? »

Alors qu’ils pénétraient à nouveau dans un petit bois, Benjen ralentit un peu sa monture tout en prenant garde à ne pas perdre sa passagère en route. Il arrêta finalement son cheval et intima le silence d’une main douce à la jeune femme.

« — Dites-moi ce que vous entendez. » Lui demanda-t-il. Ils approchaient du lieu secret et il pouvait entendre au loin le crépitant léger d’une rivière glissant contre la pierre moussue.

La jeune femme prit un peu de temps pour répondre à sa question, elle expliqua ce que sa sœur représentait pour elle, ce qu’elle ressentait auprès d’elle. C’était un témoignage émouvant car il était toujours surprenant d’entendre sa vision des choses tant elle était un peu différente de celle du commun des mortels. Néanmoins, il comprenait très bien ce qu’elle lui décrivait et il était logique pour la petite fille qu’elle avait été, de s’accrocher à une telle personnalité.

« — Je comprends, cela donne envie de la connaitre, cette jeune dame. Elle doit beaucoup vous manquer. Mais vous pouvez toujours prendre de ses nouvelles, et lui rendre visite de temps à autre. » Il fit la grimace car il réalisa en le disant que ce ne devait pas être possible de réellement quitter Winterfell pour le moment. « Enfin, au moins lui écrire… Ou demander à ce que votre dame de compagnie le fasse pour vous. » Est-ce qu’elle savait écrire ? Il n’osa guère l’interroger sur ce point.

Il sourit quand elle lui dit vouloir prier les Dieux pour qu’ils veillent sur lui. Benjen croyait en les anciens Dieux, mais il ne voyait pas comment ses Dieux pouvaient le protéger dans de telles circonstances que sont les batailles. Tout ceci lui semblait tant fouillis sur le champ de bataille que même un Dieu aurait bien du mal à se rendre compte de quoi que ce soit. Enfin, le jeune homme entendait tout de même ses prières et cette attention lui réchauffait le cœur. Par la suite, elle se mit à décrire les environs comme il le lui avait demandé. Benjen ferma les paupières alors qu’elle parlait, bercé par le rythme de sa voix, par sa douceur, ainsi que par les sons qui lui venaient à mesure que Khayley les nommait. Il n’entendait plus certains bruits par habitude. Doucement, il intima à son cheval de reprendre la marche afin de s’approcher de la petite rivière qu’elle entendait. Benjen aussi l’entendait.

« — Je ne vois que des arbres ! » Répondit-il en riant. Finalement ses yeux semblaient lui faire défaut devant la description plus complète de sa compagne. Il fit un effort. « La lumière perce difficilement à travers les feuillages des bois mais je peux distinguer une autre petite clairière plus loin qui marque la présence du lit d’une petite rivière. »

Il la tenait fermement contre lui alors que son cheval avançait vers cette rivière. Il arrivait enfin à leur point de chute. Le bruit de l’eau qui s’écoule le long des pierres commençait à grandir de plus en plus, jusqu’à ce qu’ils atteignent le trou de lumière dans les feuillages. Le bruit de la rivière était doux, il n’avait pas plu depuis quelques jours, le débit de l’eau n’était donc pas très élevé.

« — Je vais vous aider à descendre. » Dit-il avant de descendre précautionneusement de son cheval. Une fois pied à terre, il l’attrapa par la taille et la fit doucement glisser du dos de son destrier en assurant qu’elle ne tomberait pas. Une fois qu’elle fut en sécurité sur le sol, il lui laissa un temps d’adaptation pour les bruits et la lumière ambiante. « Est-ce que ça va ? Vous n’avez pas trop froid ? » S’enquit-il.

Il y a avait un tronc sur le sol, non loin du lit de la rivière, et il lui proposa de s’y asseoir, tandis qu’il attachait son cheval à un arbre non loin de là.

La jeune femme demandait des détails et questionnait Benjen, l’interrogeant sur des détails plus précis, une description plus complète de son environnement. Cela restait un exercice auquel il n’était guère accoutumé et cela lui faisait toujours bizarre de réfléchir à ce qu’il percevait, de réellement voir les couleurs qui l’entouraient, ainsi que les différentes nuances de son environnement. Sa compagne était en demande de ces détails-là car ils étaient absents de son existence au premier coup d’œil. Elle devait les percevoir d’une autre manière que par la vision de ses yeux clairs. Benjen ne répondit pas tout de suite à sa demande, cependant, occupé à l’aider à s’installer sur le tronc, en prenant soin qu’elle ne se blesse pas contre l’écorce, ou qu’elle ne tombe pas à la renverse devant l’absence de dossier pour son dos. Une fois la demoiselle installée, il s’assura que son cheval ne s’éloignerait pas d’eux. Il n’avait guère envie de courir après et ils devaient toujours rester prudent de ne pas importuner les habitants de la forêt.

Alors qu’il revenait vers Khayley après l’avoir laissée seule quelques instants, il vint s’asseoir non loin d’elle, sur le même tronc d’arbre. Ils faisaient tout d’eux face au lit de la rivière et l’odeur de mousse emplissait les narines de quiconque s’approchait du cours d’eau. Benjen affectionnait l’odeur que dégageait la forêt.

« — J’ai découvert cet endroit un jour alors que je chassais le cerf avec d’autres hommes. Nous nous sommes arrêtés pour faire boire les chevaux avant de poursuivre la chasse. J’ai trouvé la luminosité tellement agréable que j’ai eu envie de m’y arrêter à nouveau. » Expliqua-t-il. « J’y suis déjà retourné plusieurs fois car c’est un endroit paisible, et je pense que c’est important pour le mental d’avoir un lieu dans lequel on peut trouver la paix. Certains vont au bois sacré, j’y vais parfois, mais mon bois sacré est un peu celui-ci aussi. Il m’apporte autre chose, une quiétude et une certitude de ne pas être interrompu par autrui venu prier. »

Il se tourna vers elle et s’assit à califourchon sur le tronc d’arbre pour faire face à la demoiselle. Elle avait l’air encore davantage fragile avec sa peau laiteuse et ses grands yeux bleus hagards. Benjen approcha l’une de ses mains de la sienne et vint la prendre avec douceur, pour la réchauffer et sentir sa peau contre la sienne. Il ne portait pas de gants, il préférait souvent monter sans car les sensations étaient différentes. Le bout de ses doigts étaient froids mais ses paumes émettaient une certaine chaleur, maintenue par le contact des rênes sur sa peau, et par l’activation de ses muscles.

« — Y-a-t-il un endroit qui vous apporte la paix ? » Il pensa au bois sacré et s’imagina qu’il pourrait être un lieu de paix aux yeux de la demoiselle.

Les mains de Khayley étaient chaudes d’avoir été sous les gants, la chaleur de sa peau lui décocha un sourire.

« — J’espère que vous ne serez pas plus souffrante après cette escapade, je m’en voudrais. Enfin… Nous avons de la chance, il ne fait pas trop froid. » Il n’avait pas tellement réfléchi, ne songeant qu’à son désir de l’emmener quelque part. Maintenant qu’ils étaient arrivés, il prenait conscience de la fragilité de la demoiselle, et de ce qu’il pouvait arriver.

Il faisait plutôt doux en cette fin d’après-midi. Ils avaient mis à peu près une heure pour rejoindre leur point de chute. Le soleil commençait déjà sa chute même s’ils avaient encore du temps devant eux avant que le crépuscule ne leur tombe dessus.

Il haussa les épaules à la réponse de la jeune femme, bien qu’elle ne puisse pas le voir, elle pouvait probablement entendre le frottement de ses vêtements dès qu’il faisait un mouvement. La moue qu’il faisait avec sa bouche, cependant, n’était pas audible. Moue qu’il fit quand elle dit qu’il s’était approprié l’endroit. Benjen ne pouvait pas en dire tant. À vrai dire, il ne savait pas si d’autres individus déclaraient des endroits tels que ceux-ci pour s’apaiser l’esprit avant une épreuve. La jeune femme semblait toujours le comprendre et adorer ce qu’il lui proposait, il en était satisfait et le sourire qu’elle arborait sur ses lèvres roses l’emplissait d’allégresse.

Khayley remarqua la chaleur de ses mains, prit l’une d’elle entre ses mains, et la porta jusqu’à ses joues. Le mouvement fit rougir le jeune homme qui agita lentement ses doigts contre les joues tièdes de la jeune dame à son contact.

« — J’ai de bonnes idées, n’est-ce pas ? » Lui dit-il, un ton malicieux dans la voix.

Il aimait passer du temps avec la jeune femme. Son cœur s’emballait doucement en sa présence et il avait envie de la serrer contre lui. Bien sûr, lui aussi avait en mémoire le moment passé dans le bois sacré. Quand il l’avait embrassé sur le front, à défaut d’être assez courageux pour l’embrasser où cela comptait vraiment. Mais l’était-il aujourd’hui ? Était-il assez courageux pour lui dire ce qu’il ressentait ? Pour lui signifier à quel point il tenait à elle et à sa douceur ? À nouveau, il désirait la protéger et prendre soin d’elle. À la manière d’un chevalier terrassant le dragon pour sauver la princesse séquestrée. Quelle drôle d’image était-ce. Cela lui décocha un sourire.

« — C’est un endroit encore plus agréable quand vous êtes à mes côtés. » Souffla-t-il timidement, rougissant furieusement.

Doucement, il retourna sa main pour que sa paume soit en contact avec la rondeur de la joue de la jeune femme, caressant doucement la peau tiède. Il descendit jusqu’à ses lèvres qu’il effleura du bout des doigts, et jusqu’à son menton sur lequel il s’attarda. Il n’avait pas dans l’idée de préméditer quoi que ce soit mais son regard se figea sur ses lèvres. Il se mordilla l’intérieur des joues, comme s’il cherchait à contrôler une pulsion qui enserrait son corps tout entier.

Doucement, il se pencha en avant. Ses prunelles plongées dans les siennes bien qu’elle ne puisse pas le voir comme lui pouvait la voir. Cela le peinait et le soulageait en même temps. Si elle avait été en mesure de constater l’angoisse qui l’étreignait, peut-être en aurait-elle été amusée.

« — Je vous le promets. » Murmura-t-il.

Doucement, ses lèvres se posèrent sur les siennes.