J’ai toujours été le plus jeune d’un conseil ou d’un rassemblement politique. Au Conclave de Goëville, je faisais pâle figure face à cette multitude de souverains tantôt expérimentés, tantôt grisonnants. Au conseil du Faucon, j’étais le Roi sous régence, écoutant sagement et docilement une mère déterminée et protectrice et des conseillers aussi rusés qu’un renard et aussi toujours plus vieux que moi. Le Collège Impérial ne fait presque pas exception. Il y a bien l’Impératrice ou le Prince Régent. Pour autant, nous ne sommes pas pareils. Là où certains sont marqués par de longues années de guerre, je me joins à peine à la bataille.

Nullement intimidé, à mon aise, je me plie à tous les usages – au besoin. Je ne tarde pas à découvrir une table bien garnie mais, surtout, bien entourée. Si je reconnais aisément les représentants de l’Empire, de Peyredragon et de l’Orage, je devine plus ou moins les origines des trois autres inconnus à certains signes – la couleur de peau, l’accent, les tenues. Prévenante, à moins que mes traits ne m’aient trahi, Mina décline discrètement l’identité de ces inconnus à Asher et moi.

J’écoute solennellement le discours de l’Empereur, tentant de faire le tri d’autant d’informations. Si la situation de l’Empire et des Royaumes Fédérés n’est ni splendide, ni terrible : elle est dans la balance. Si mon entrée en guerre a apporté un certain contretemps, ma capitulation rapide a rétabli l’équilibre – potentiellement en leur faveur. Je ne réponds pas immédiatement, ravalant quelques désagréables nouvelles vis-à-vis de mon armée.

Des appréhensions, il y en avait beaucoup concernant cette réunion au sommet. Pourtant j’étais plutôt heureux, naïvement allègre de la soirée passée avec mes camarades qui s’étaient révélées être une agréable difformité dans le quotidien de la guerre permanente qui nous accompagnait. S’en était risible, inénarrable. Seulement, j’avais l’étrange émoi d’avoir récupéré un souffle d’air précieux après une trop longuette plongée, comme si finalement, je reprenais goût à une vie qui bien trop automnale. Peu de choses avaient changé, aucun projet n’avait fleuri sur le terme, aucune grande ambition sur le futur ou bride d’imagination sur l’après guerre. Sobrement le plaisir d’accepter les liesses d’une accalmie temporaire. Les traits de mon visage devaient certainement être encore marqués par la fatigue, mais celle-ci était plus acceptable. Et si la nuit avait été courte, elle avait été reposante. La matinée fila en un instant, laissant place à l’importante réunion que l’Empereur avait fait demander afin d’élaborer les stratégies présentes et à venir. Peut-être la dernière avant un certain temps. L’antre où s’écrirait peut-être les futures comptines sur nos personnes, nos royaumes et nos terres. Ou alors là où nous nous précipiterons vers notre chute. Difficile à dire. L’ambiance est solennelle, comment pouvait-il en être autrement. Habillé fièrement avec une armure peyredragonienne je tançais vertement du regard le reflet que je pouvais avoir de moi-même sur le plastron vierge de toute bataille. Prions pour que tout ceci se termine rapidement.

Je suis fatiguée. Et peu importe les artifices mis en place par Kora, mes traits restent marqués. La soirée de hier a été éprouvante au point que je laisse Torrhen me raccompagner sans être capable de parler. Me lever avait été extrêmement difficile. Plus que cela aurait dû l'être pour une personne qui s'est réveillée en hurlant et incapable de de rendormir. J'avais demandé à ne plus porter en écharpe mon bras, et le mestre qui avait vu mon épaule, sans y toucher avait donné son aval. La plaie cicatrisait bien et Kora était devenue une experte en soin même si cela n'empêchait pas mon corps de souffrir. Je buvais parfois trop. Je dormais et mangais que trop peu. Ma peau était de plus en plus tirée sur mes os, et les cicatrices ressentaient bien plus, qu'elles soient anciennes et faites par mes dragons, ou plus récentes, obtenues dans toutes ses batailles menées. Kora m'ayant fait porter une robe noire qui ne tenait que par une attache autour de mon cou, afin que le tissu ne touche pas le pansement qu'elle m'avait refait. Et pour le masquer, elle avait posé sur mes épaules un chale rouge, dont la couleur tranchait avec celle de ma robe.