— An 2 Mois 7
@Walton Stark

Stationnés à Château-Rosières, le temps commençait à sembler long. Benjen s’était longuement entretenu avec Jon Stark quelques jours plus tôt et il attendait, comme tout l’ost Nordien, qu’ils ne se décident à marcher dans une direction. S’il se doutait de quel côté l’armée finirait par s’ébranler, il attendait le coup de sifflet pour lancer ses hommes. En attendant, ils essuyaient quelques escarmouches par-ci, par-là, rien de bien intéressant mais assez pour être agaçant.

Benjen était parvenu à récupérer le sommeil qui lui manquait. Ce n’était pas aussi bien que sur un bon lit de plumes, mais chacun savait que le rythme de sommeil était toujours erratique en campagne militaire. S’il lui arrivait de ruminer, le sommeil finissait toujours par venir le quérir. Il savait que ce n’était pas le cas de tous, les cernes étaient les vestiges de ces nuits esseulées et si longues. Le jeune homme arracha un bâillement alors qu’il finissait de s’habiller. Assis sur son lit de fortune, il lorgnait la lettre qu’il avait débuté pour l’envoyer à sa mère. Il n’avait pas écrit grand-chose encore, il peinait à trouver les mots pour évoquer son angoisse quant à la suite des évènements. Pas tout à fait. Il craignait surtout d’en dire trop. Leurs ennemis se montraient particulièrement habiles en manœuvres sournoises et viles, il était impensable qu’il puisse leur donner des éléments pour s’en servir contre eux. Il était si facile de tirer sur un corbeau. D’un autre côté, ce serait si réconfortant de recevoir des nouvelles de sa mère, de sa sœur et de son frère. À Fort-Darion, il les savait à l’abri.

Il se mordilla la lèvre inférieure, la vie à Corbois lui manquait. Même s’il aimait vivre auprès de ses hommes et accompagner Jon dans sa campagne, il ne pouvait s’empêcher de se languir de son domaine qu’il avait l’impression de trop peu habiter depuis qu’il était auprès du Roi du Nord. Chacun de ses hommes devait ressentir le même mal du pays, alors qu’ils se retrouvaient si loin du Nord, s’enfonçant dans les terres du Conflans, pour y mener bataille. Au moins, lui n’avait pas de femme ni d’enfant qui attendaient son retour. Il n’avait pas à culpabiliser de ne pas être présent, et il ne ressentait pas la frustration d’être si loin de sa famille.

Le jeune homme échappa un soupir, finit de lacer ses chaussures, et se redressa pour s’extirper de sa tente. Il pleuviotait à l’extérieur et il sentit immédiatement l’humidité sur ses joues encore chaudes de l’atmosphère douillet de sa tente. Le soleil était timide derrière la couverture de nuages en cette fin de matinée. L’environnement était sombre à cause de la pluie. Il marcha d’un pas décidé vers le camp Stark, cherchant la tente du jeune frère du Roi, Walton. Il n’avait pas encore eu le temps de réellement lui parler depuis qu’il avait rejoint l’ost de Jon, le croisant de temps en temps, aussi il avait fait en sorte de régler certaines choses ce matin pour partir à la recherche du jeune Stark.

Quand il arriva finalement à la tente qu’il cherchait, il la trouva vide. Il aurait dû s’en douter, il devait être affairé ailleurs. Bien décidé à le trouver cette fois-ci, il attrapa un homme qui passait par là et lui demanda s’il avait vu le jeune Stark par ici récemment. L’homme fut incapable de lui répondre. Alors que Benjen s’apprêtait à rentrer bredouille et à aller s’occuper ailleurs, il vit une silhouette familière dans son angle de vue. Pivotant sur lui-même, il la rejoignit en quelques enjambées puis posa sa main sur son épaule tandis que l’homme se tenait dos à lui.

« — Faut-il demander audience pour réussir à mettre la main sur Lord Stark ? » Dit-il d’un ton enjoué à son interlocuteur.

Depuis combien de temps n’avaient-ils pas réellement parlé ? Cela lui semblait être une éternité.

C’est bien le jeune Stark qui se retourne vers lui, celui-ci semble surpris comme si Benjen l’avait tiré de quelques rêveries. Il était jeune, plus jeune que lui de quelques années. En somme, il avait l’âge de sa sœur et cela lui faisait toujours étrange d’imaginer sa sœur vieillir aussi vite que Walton. Il était plus grand et plus costaud que sa sœur, mais pas beaucoup plus lumineux. Le jeune Stark était plus doux et accueillant que ne l’était son grand frère, mais il avait encore du temps pour se faire son caractère. Les traumatismes de la guerre et de chaque bataille menée finiraient probablement de transformer son caractère en un homme fait. Le Corbois avait déjà le sentiment que le Stark n’était plus le même que la dernière fois qu’ils s’étaient vus. Entre temps, Walton était partie en campagne avec Lord Glover et avait été présent à ses côtés jusqu’à ce qu’il tombe au combat. Perdre un homme tel que lui n’avait pas dû être facile à accepter. Et pourtant, l’homme qui lui faisait face affichait toujours ce même sourire tandis qu’il faisait preuve d’humour face aux paroles de Benjen.

« — Mon Prince ?! » Le jeune homme laissa échapper un rire. « Est-ce comme ça que tu aimerais être appelé par les donzelles, Walton ? » S’esclaffa-t-il.

Il sourit, d’un sourire sincère, jovial. Benjen était heureux de le retrouver et espérait sincèrement qu’il n’avait pas trop souffert ces derniers mois. Chacun vivait des choses différentes en temps de guerre, certains s’en imprégnaient davantage. Les traumatismes peinaient à s’extirper des cerveaux meurtris. Le Corbois tira l’épaule de Walton dans sa direction pour engager une franche accolade.

« — Je vais aussi bien que je le peux, en dépit de la situation. » Répondit-il une fois que chacun se soit éloigné l’un de l’autre. Il haussa les épaules. « On peut dire que ça pourrait aller plus mal, tu ne penses pas ? » Il fit la grimace. « Tant que nous sommes encore là, debout et assez forts pour tenir notre épée, tout va bien. » Il lui adressa un nouveau sourire. « Et toi, comment vas-tu ? Tu tiens le coup ? »

Benjen appuya son regard sur le visage fatigué de son compère, sur les cernes qui marquaient ses yeux notamment. Il était évident que personne ne parvenait à faire des nuits entières, et cela se voyait sur les visages. Même si Walton était jeune, son visage était pétri de fatigue, de la même manière que l’était celui de son frère.

« — J’ai entendu que tu avais été pas mal mis à contribution depuis que tu nous avais rejoint. Ne va pas me voler tout mon travail, hein ! » Dit-il d’un ton malin avant de se radoucir. « Sans blague, ça fait plaisir de te voir par ici. »

Le Corbois était sincère, le jeune homme lui avait manqué.

Le jeune Stark fut réceptif à son trait d’humour, mais de façon embarrassée. Ses joues s’empourprèrent et il s’enferma dans un mutisme temporaire, le temps qu’il ne change de sujet. Si Benjen remarqua cette gêne, il ne chercha pas à lui tirer les vers du nez pour en savoir plus. Il était évident qu’il ne désirait pas que le sujet soit soulevé par le jeune homme, et le Corbois pouvait bien le comprendre, encore davantage en discutant librement autour d’autres hommes qui allaient et venaient de part et d’autre. Peut-être lui partagerait-il cela plus tard, un jour, ou bien jamais. Benjen n’était pas du genre à forcer les gens à lui parler, il se contentait d’être présent et d’offrir une oreille attentive au besoin. C’est ainsi qu’il avait pris l’habitude de se comporter avec le frère ainé du jeune homme qui se tenait devant lui.

Devant la mine fatiguée de Walton, Benjen conserva un sourire quelque peu embarrassé. Heureux de le retrouver, il ne savait pas tellement comment aborder le sujet, et comment trouver les mots sans raviver de douloureux maux. Ils avaient tous les deux vécu la guerre de manière différente, et en retiraient certainement les mêmes choses : du chagrin et des traumatismes.

« — J’ai appris pour Lord Glover… » Reprit-il doucement, hésitant. « Ça n’a pas dû être facile. Je comprends que tu veuilles travailler pour penser à autre chose, mais n’oublie pas de te reposer. » Un sourire, à nouveau. « Jon a besoin de son frère en forme à ses côtés. Il est soulagé que tu sois là. »

Nul besoin d’ajouter les états d’âme du Roi du Nord, Benjen est certain que Walton l’a déjà vu et qu’il a pu en prendre conscience de lui-même des sentiments de son frère envers lui. Nul besoin de lui expliquer à quel point son frère était éreinté et colérique. Nul besoin de lui faire entendre qu’ils étaient tous fatigués et que la guerre laissait des traces indélébiles en chacun d’entre-eux.

« — Tu as été longtemps en convalescence ? » Répondit-il curieusement. Il ne souvint alors qu’il avait entendu qu’il avait été blessé. « Tu es de nouveau d’attaque ? »

Il lui adressa un regard plus poussé comme s’il cherchait une trace, un hématome, une jambe en bois. Mais il semblait aller, globalement, bien. Il rit de bon cœur quand le Stark lui dit pouvoir en discuter avec Jon pour lui trouver plus de travail. Benjen ne s’ennuyait pas tellement et il avait toujours des tâches sur lesquelles il pouvait s’occuper l’esprit. Ce qu’il appréciait également. Tout comme Walton, rester occupé lui permettait de garder les idées claires et de rester utile. Pas de rumination quand les mains étaient occupés.

« — Je ne doute pas qu’il me trouvera du travail mais je risque de dormir debout et je serais alors bien inutile pour tout ! Non, ça ira pour le moment. Mais je n’hésiterais pas à t’en faire part si l’ennui se pointe, pas d’inquiétude ! »

Le jeune homme marqua une pause.

« — Où te rendais-tu ? Peut-être que je peux t’aider ? » Non pas qu’il n’avait rien à faire pour le moment, juste qu’ils pourraient faire le trajet ensemble.

Amener le sujet de Bowen Glover sur le tapis eut irrémédiablement la conséquence de tirer le jeune Walton du moment présent. Son esprit se mit à divaguer, ses pensées à s’échapper tandis qu’il était renvoyé quelques temps en arrières. À moins que ce ne soit des pensées dirigées vers son frère ainé dont le caractère ne s’améliorait pas ? Difficile pour Benjen de savoir devant un homme qui ne parlait pas facilement de ses sentiments, ni n’exprimaient beaucoup ses émotions. La famille Stark était d’ailleurs réputée pour cette froideur qui se répercutait jusque dans leur devise et dans le nom de leur épée familiale. Ils étaient, bien souvent, de glace, quand il s’agissait de parler avec leur cœur.

« — Tu as dû croiser ma mère, Nelya, pendant ce temps à Fort-Darion. Comment va-t-elle ? Et Kiran et Lyarra ? » Dans ses paroles se discernait une pointe d’appréhension. Il s’imaginait que sa mère irait râler que son cher fils ne lui envoie jamais de missives pour la tenir au courant de sa bonne santé.

Il se demanda s’il la reverrait bientôt. Sa famille lui manquait beaucoup à certains moments, lorsqu’il y songeait, avant de fouler le champ de bataille souvent. Souvent, il réfléchissait à ce qu’il laisserait derrière lui. Force était de constater qu’il ne laisserait pas un grand vide, si ce n’était dans le cœur de son frère, de sa sœur, et de sa mère. Fort-Darion n’était pas si loin d’où ils étaient stationnés. Le chemin serait toujours moins long qu’en partant du Nord pour rejoindre la capitale. La question ne se posait pas pour l’instant, les regards étaient davantage dirigés vers l’Ouest, que vers l’Est.

Le Corbois acquiesça quand Walton lui expliqua ce qu’il était parti faire. Il était heureux de le croiser mais comprenait que le Stark préfèrerait poursuivre seul. Sa proposition suivante, cependant, fut accueillie avec un sourire, et un regard presque inquiet en le dévisageant.

« — Je peux bien t’accorder un peu de mon temps ! » Répondit-il avec enthousiasme. « Les stocks ne bougeront pas, et mes corvées peuvent bien patienter le temps d’un entrainement. » Il étira ses bras en haut de sa tête. « Cela me fera le plus grand bien également. »

Ils leur faudraient rejoindre un terrain d’entrainement s’ils voulaient s’entrainer tranquillement, sans risquer de gêner autour d’eux.

« — Si tu veux, nous pouvons nous retrouver dans une heure, le temps que tu aies pu te ravitailler, au terrain d’entrainement. À moins que tu ne veuilles le rejoindre maintenant ? Je te laisse choisir, je ferai en fonction. » De toute manière, cela ne modifiait pas tant son emploi du temps de la journée.