Je rejoins enfin les forces du Nord et du Conflan en campagne à la frontière Ouestrienne. J'ai obtenu du mestre l'aval de retourner sur le terrain après un long mois de convalescece à Fort Darion. Enfin, plutôt, je lui ai arraché cet accord, avec la promesse que je serais vigilant et que je ne force pas…

Autant dire que si ça avait été Mestre Roshar, qui me connait mieux, je n'aurais jamais eu cet accord.

Enfin, que je le veuille ou non, je sais que je n'ai pas intérêt à ne pas suivre ses consigne. j'ai bien conscience que mon bras est encore fragilisé, et que ce n'est pas en forçant que je retrouverais mon potentiel. même si ça me coûte, je vais devoir prendre mon mal en patience encore quelques temps… Mais, au moin, je me sentirais plus utile qu'à la capitale. Et je dois avouer que l'ambiance du camps militaire me manquait un peu. Je mentirais si je disait que je n'avais pas apprécié le confort de la forteresse impérial. Mais je ne pouvais pas m'empêcher de penser qu'une fois encore, je me retrouvai piégé derrière d'épaisse murailles comme les femmes et les enfants tandis que mon frère risquait sa vie contre nos ennemis.

et quels ennemis.

Pour être honnête, je ne digère toujours pas la déclaration de guerre de Lyman. Après avoir partagé le sel et le pain avec nous, après qu'il ait combattu à nos côtés, je ne peux pas croire qu'il puisse nous tourner le dos de la sorte. Et alors que ces faucons vallois ont rejoint l'idéal impérial, l'orgueilleux lion continue de rugir contre ceux qui auraient dû être ses alliés. mais pire est la situation de Jeyne, piégée entre le marteaux et l'enclume, et c'est là le vrai reproche que je fais à Lyman. Pour tout autre roi, j'aurais pu comprendre ce revirement. Les Royaumes fédérés, en rejoignant l'empire, acceptent de lui céder une partie de leur souveraineté pour un bien commun. Alors je peux comprendre qu'il se sente menacé. mais le Lion est uni à une Louve. Son fils porte en lui le sang de l'empereur, le sang du Nord. Par son orgueil aveugle, Lyman a contraint Jeyne et Martyn à pointer une épée contre leur propre sang. Et c'est ça qui est à mes yeux inadmissible.

Mais maintenant, le sort est jeté, et les armes sont tirées. et bien que celà me coûte, nous n'avons pas d'autre choix que de répondre à la provocation de celui qui aurait pu, qui aurait dû, faire partie de la meute…

Alors que je parcours les camps, tentant encore de prendre mes marques, je décide de passer mon temps de permission pour rendre visite à Sacha Racin. Je n'ai pas passé beaucoup de temps avec l'écuyer de Liham Tully, sans compter la fin des festivités qui ont suivi la Victoire d'Aubray, trop arrosée pour que j'en garde autre chose que des images floues. Mais j'ai apprécié sa compagnie, ce qui est assez rare pour être souligné. Après m'être annoncé, je me permet d'entrer dans sa tente et tend le bras droit pour le saluer.

"Content de vous revoir Racin"

j'ajoute ensuite avec un sourire non dissimulé.

"Je suis rassuré de vous voir sur pied, on m'a dit que le Voldrapeau avait été blessé, j'avais peur de vous retrouver dans un sale état.  

Je hoche la tête et m'assois tandis que Racin me propose un verre d'eau que j'accepte avec plaisir. Je n'aurais pas cru me lier ainsi avec un riverain, surtout après les guerres qui ont opposé nos royaumes au temps d'Harren… et pourtant, je ne peux pas m'empêcher un léger sourire de se dessiner sur mes lèvres alors qu'il évoque le concours de boisson qu'il aurait soit disant gagné.

"Je vous trouve bien arrogant, Racin, pour quelqu'un qui ne saurais pas raconter la fin de la soirée même si sa vie en dépendait!"

Je dois avouer que je suis quelque peu surpris par le comportement du jeune Racin. Surpris, mais pas contrarié, comme en témoigne mon ton amusé. Étant donné mon statut, je n'ai pas l'habitude qu'on me tienne tête, où qu'on se montre aussi familier avec moi. Il y a bien sûr une exception pour mes proches, mon frère, mes cousins, ou Benjen Corbois par exemple. Mais Sacha et moi n'avons pas ce lien. Ou plutôt nous avons un lien différent. Un lien de camaraderie forgé par la vie de camps, le combat et les festivités de la victoire.

Et c'est d'ailleurs ces festivités qui me font fortement douter de la bonne foi du jeune riverain! Clairement,  après Aubray, nous avons l'un comme l'autre trop bu, poussé par l'allégresse du succès et ma pression du groupe. Nous n'avons pas pu nous empêcher de nous lancer dans une compétition amicale, sous l'arbitrage de Bowen. J'ignore comment cette compétition s'est terminée, même Bowen n'avait sû l'affirmer derrière la brume. Mais une chose est sûre : la seule chose que nous ayons réellement gagnée ce soir-là, c'est un mal de crâne carabiné et un nouveau surnom chacun.

Je reprends ensuite la parole, d'une voix plus posée et sérieuse.

"Cela dit, je vous concède volontier le titre pour la blessure la plus impressionnante."

Oui, et même plus qu'impressionnante. Je dois avouer que lorsque je suis arrivé au camp et que j'en ai eu vent, j'ai immédiatement repensé à la Mort au Loup. Combien de blessures de ce genre ai-je vu lors de cette bataille? Combien de blessés ai-je aidé à soigner lorsque Jon m'a puni pour ma transgression ce jour-là ? Enfin, je parle de blessé, je pourrais aussi bien parler de cadavre en suspens, tant ce genre de blessure peut vite devenir fatal. Père lui-même n'est pas passé loin. Quant à Oncle Bran, lui n'a pas eu la chance d'en ressortir… Alors oui, savoir que Sacha s'en était sorti était un soulagement… Je secoue la tête, comme pour chasser ces mauvaises pensées, et soupire, avant de reprendre.

"Je dois avouer qu'après en avoir entendu parler, je ne m'attendais pas à vous voir en etat."

Je continue ensuite avec un sourire taquin.

"Et encore moins en état de me provoquer"

je ne peux m'empêcher de secouer la tête avec un rictus un peu moqueur quant à l'affirmation de Sacha, mais décide de ne pas y répondre. Certes, je n'ai pas plus de souvenir de cette soirée que lui. La seule chose dont je suis certain, c'est que s'il avait été gagné, Bowen n'aurait pas manqué de me le ressasser encore et encore, à tel point que, souvenir ou pas, je n'aurais pas eu le moindre doute sur l'issue du duel. Il est fort probable que les festivités se soient terminées de pitoyable manière et que, si vainqueur il y eut, ce dernier à probablement fini aussi misérable que le perdant.

En revanche, je fronce les sourcils quand il évoque sa blessure. Il semble la minimiser, peut-être pour ne pas montrer de signe de faiblesse. Pour être honnête, j'aurais sans doute fait la même chose si ça avait été moi qui avait failli y passer. Mais étrangement, l'entendre de quelqu'un d'autre est beaucoup moins rassurant. Ou peut-être suis-je trop impliqué sur la questio parce que Bowen est parti avec le même type de blessure. Je décide toutefois d'y répondre par un trait d'humour.

“Vous refuseriez à un prince du Nord le droit de s'inquiéter ? Allons, pas de ça entre nous Racin, Il n'y a personne à impressionner ici. Je vous rappelle que j'ai vu vos exploits à Aubrey, je connais votre valeur.”


Je continue ensuite d'un ton plus calme et serieux.

" je ne pense pas avoir eu l'occasion de vous le raconter, en tout cas pas suffisamment sobre pour m'en souvenir. Mon frère m'a fait aider les mirs à l'issue de la bataille de la Mort-aux-Loups, quand nous avons affronté les sauvageons. J'ai vu de nombreux soldats minimiser leurs blessures, et s'effondrer après quelques pas. Et j'ai vu suffisamment de boyau et de blessures à l'abdomen pour en comprendre la gravité. Une blessure est une blessure."

Viens ensuite mon tour de narrer mes exploits. Enfin, qu'y a-t-il à dire? À peine sorti d'Aubray, je me suis pris une arbalète dans le bras et ai été immobilisé jusqu'à ce que mes os soient complètement réunis. Rien de bien glorieux… je lève mon bras gauche, dont la manche tombe legérement, laissant apparaître un début de cicatrice soignée mais encore fraîche

"Je crains de ne pas avoir grand chose à vous narrer. Si ce n'est que j'ai développé une sainte horreur des arbalètes pendant l'assaut des sœurs."

Je marque un temps de pause pour sourire et reprendre.

"Pas vraiment de quoi écrire une chanson de geste…"

Je fais tourner mon verre, regardant l'eau tourbillonner. Est-ce que je dois en dire plus? Est-ce que j'ai envie d'en dire plus? Je n'en suis pas sûr. Je soupire. Autant crever l'abcès tout de suite.

"Vous vous souvenez de Lord Glover, qui menait les forces nordiennes à Aubray et qui a arbitré notre concours…"

Je prend une gorgée d'eau,

"Il a perdu la vie lors de l'Assaut des Soeurs."

Je force un sourire et lève mon verre dans la direction de Sacha.

“Alors comprenez que je remercie les Dieux, les vôtres comme les miens, de vous retrouver en vie et suffisamment en forme pour me taquiner.”