Flashback — An 1 Mois 1

Les mariages étaient toujours un prétexte à la beuverie pour un homme du Nord. Encore davantage quand il s’agissait du dit Roi du Nord. Benjen n’y coupait pas même s’il prenait garde à ne pas trop s’enivrer et à garder une certaine prestance auprès des siens. Il n’était qu’aide de camp mais il estimait avoir des devoirs auprès de Jon, et ne pas se montrer dans un état lamentable le jour du mariage de son Roi. Armé de sa coupe bien remplie, il piochait avec appétit dans son assiette tandis que ses voisins à sa table riaient à gorge déployée sur une blague de l’un des leurs. La conversation semblait dériver irrémédiablement un peu au-dessous de la ceinture et Benjen en était quelque peu gêné. Le jeune homme suivait la conversation, riant un peu moins fort que ses voisins de table, buvait de temps à autre quand les coupes s’entrechoquaient en l’honneur des Stark ou des Tully.

À vrai dire, il était difficile pour lui de prendre entièrement part à cette conversation car sa voisine d’en face était une jolie brune d’à peu près son âge. Il était embarrassé de tenir ces propos si proche d’une jeune femme. Celle-ci avait été plus ou moins absorbée par son repas depuis le début, s’adressant à ses voisins de table en maugréant des plaintes. Benjen l’avait écouté d’une oreille distraite sans réellement s’adresser à elle, si ce n’est pour lui adresser des salutations respectueuses quand il s’était installé. Le banquet était particulièrement étoffé et il se régalait des différents mets qu’on leur apportait les uns après les autres. Il commençait d’ailleurs à se sentir un peu à l’étroit dans ses vêtements ajustés aux couleurs de sa maison.

Encore quelques bouchées et il irait se dégourdir les jambes. Cela faisait trop longtemps qu’il n’avait pas dansé et il était également un débutant quand il s’agissait de faire la cour, si jamais l’occasion se présentait. Il n’était pas venu pour trouver une donzelle mais surtout pour accompagner son Roi dans cette étape de sa vie. Enfin, quelques pas de danse au mariage de son Roi ne constituait pas une épreuve trop grande. Savait-il encore danser correctement ? N’allait-il pas se ridiculiser devant toute la cour ? Les seules danses qu’il pratiquait régulièrement étaient celles armées d’une épée et vêtus de mailles. Rien d’utile dans un mariage à première vue.

Qu’elle ne fut pas sa surprise quand il fut soudainement attaqué par une carotte venue de nulle part. Le légume s’écrasa dans son repas, éclaboussant son pourpoint brun d’un peu de sauce malgré un mouvement de recul quand il avait été surpris par le projectile. Malheureusement, il n’avait pas été assez rapide car quelques gouttes finirent leurs courses sur son visage, mouchetant ses joues. Éberlué, il resta pantois pendant un instant mais déjà il entendait des rires à côté de lui. Le pauvre Benjen sentit ses joues s’empourprer, un rire nerveux au bout des lèvres tandis qu’il cherchait d’un regard agacé, le fautif pour qu’il se dénonce. Il n’eut guère besoin de sortir les crocs car ce fut une dame qui se glissa jusqu’à sa table, embarrassée par la situation, s'excusant de sa maladresse. Elle lui expliqua qu’il n’avait été qu’une victime collatérale et pas une véritable cible.

« — Me voilà rassuré ! » Il leva les yeux vers elle, sa mine agacée se muant rapidement en de l’amusement et de la curiosité. « J’imagine que vous auriez visé un peu mieux si vous aviez voulu attenter à ma vie. » Répondit-il sur un ton amusé alors qu’il prenait une serviette et qu’il entreprenait de retirer la sauce qui avait éclaboussé son visage.

Il ne lui fit pas l’affront de manger l’arme du crime, et lui tendit simplement son assiette pour qu’elle puisse reprendre l’œuvre de son délit. La jeune femme en profita pour se présenter. Au fond, Benjen ne se plaignait pas trop car ce n’était pas tous les jours qu’une jolie dame l’attaquait à coups de carottes volantes. La technique étant originale, Benjen n’était pour autant pas persuade d’être conquis par la méthode.

« — Enchanté, ma Dame. » Enchanté, il l’aurait été davantage s’il n’avait pas reçu une carotte comme guise de bienvenue. « Je suis Benjen Corbois, Lord de la maison Corbois… » Se présenta-t-il à son tour. « …Et aide de camp du Roi du Nord ». Ce n’était pas pour se pavaner mais, quitte à servir le Roi, autant s’en vanter un peu ?

Ses voisins étaient hilares par la façon dont cette rencontre avait débuté. Benjen l’aurait été tout autant si cela ne lui était pas tombé dessus. La dame en question, Eira Mallister, était une jolie femme aux traits de visage doux et malicieux. Elle avait du charme et le jeune Corbois en était conscient. Aussi, il lui pardonnerait très probablement sa maladresse. Il fallait parfois être clément avec son prochain. Surtout quand celui-ci avait de jolis yeux. Son visage à priori propre, Benjen entreprit de détacher son pourpoint en trempant sa serviette dans un peu d’eau, mais il eut moins de succès pour retirer les tâches sur le tissu, à son grand desarroi.

« — Est-ce une coutume chez les Mallister que le lancer de carottes ? » Fit-il d’un ton plus léger, alors qu’elle s’était réinstallée.

Elle était ravissante, maquillée d’embarrassement et de rouge sur ses joues. Comment Benjen aurait-il réellement pu en vouloir à une si jolie demoiselle ? Il ne put s’empêcher de rire devant la repartie dont la jeune femme faisait preuve. Il s’était tenu devant elle depuis une heure, peut-être même un peu plus, et il avait eu plutôt le sentiment qu’elle avait la bougeotte mais pas qu’elle était effrontée. Ce n’était pas pour lui déplaire. Un sourire malicieux sur les lèvres, il se pencha un peu vers la jeune femme pour s’assurer qu’il ne serait pas entendu par les regards curieux et les visages rieurs qui se tournaient vers eux.

« — Je devrais pouvoir faire en sorte que cet incident ne soit pas trop ébruité… » Lui souffla-t-il à l’oreille. « Un tel affront pourrait ébranler le mariage de Sa Majesté et de sa ravissante reine. Je compte sur votre discrétion, bien entendu. » Dit-il arborant un visage sérieux dont seuls les coins de ses lèvres trahissaient son sarcasme.

Le vin le rendait joueur et le temps d’un mariage était aux rires et à la joie. Aussi il n’y avait pas de raison de tirer une tronche de six pieds de longs parce qu’on lui avait jeté une carotte dessus. Un regard avait suffi pour se rendre compte de la simple maladresse de la jeune femme. Il aurait pu la laisser là, cependant, et ne pas décider de poursuivre la conversation. Or, sa curiosité était piquée et voilà qu’il avait envie d’en apprendre davantage sur son agresseuse.

« — Oh visiblement vous n’avez guère besoin de l’apprendre car vous maitrisez déjà la discipline. » Ajouta-t-il avec un sourire.

Le détachage du pourpoint était médiocre mais le jeune Corbois se contenta de hausser les épaules et de laisser tomber l’idée de retrouver un vêtement impeccable. Benjen remarqua qu’Eira adressa un regard à un homme, peut-être son frère à la vue de leurs traits ressemblants comme dessinés par le même pinceau, et que son comportement sembla se normaliser après ce coup d’œil. Elle semblait s’efforcer de se montrer convenable devant son proche, et reprit une voix moins narquoise, s’excusant à nouveau de sa maladresse. En retour, Benjen hocha la tête.

« — Pas d’inquiètude, ma Dame. » Répondit-il d’une voix légère.

Il crut s’étrangler quand Eira se leva subitement et l’invita à danser. N’était-ce pas aux hommes de faire ce pas ? Le pauvre homme sentit ses joues s’empourprer à nouveau alors qu’il se retrouvait un peu stupide devant la ravissante femme qui lui faisait face et dont la main se glissa jusqu’à la sienne. Benjen se leva et prit sa main avec douceur, un sourire un peu crispé sur les lèvres.

« — Je… euh… J’en serais honoré. » Répondit-il, pris de cours un instant, puis portant sa main jusqu’à ses lèvres où il effleura la peau tiède de la demoiselle, avant de l’entrainer doucement dans le groupe de danseur.

Ils firent quelques pas côte à côte puis l’un en face de l’autre alors que Benjen faisait de son mieux pour s’accorder au rythme de la musique, en plus de s’accorder aux mouvements de sa comparse.

« — Vous semblez quelque peu avoir besoin de vous défouler. » Souffla-t-il après un silence qu’il mit sous le compte de la concentration. « Je crois que votre maison est assez importante dans le Conflans, même si je connais assez peu votre région. » Il marqua une pause. « Connaissez-vous bien Dame Eleanor ? » La questionna-t-il, son regard coulant sur la nouvelle Reine du Nord. Simple curiosité et discussion. Il ne pouvait pas débuter la conversation en la questionnant sur l’homme dont elle semblait vouloir s’éloigner.

La musique était entrainante et agréable aux oreilles du jeune homme. De nombreux couples et partenaires se joignaient dans un silence commun ou bien en se chuchotant des mots dont ils en étaient seuls les témoins. C’était un moment hors du temps, un moment où il faisait bon de rire et de ne pas penser aux jours qui viendraient ensuite, aux semaines et aux mois, à la guerre qui se profilait encore et toujours. Combien d’hommes ne seraient plus là dans quelques mois ? Est-ce que lui, survivrait à la prochaine bataille ? Depuis la mort de son père, et sa participation à sa première bataille, ces pensées le parasitaient de temps à autres. Était-ce ces pensées qui gardaient les hommes en vie ? Dans cet instant d’extase et de joie, l’ombre de la guerre, pourtant, semblait bien s’étendre sur les invités. Mais juste un instant, ils ne souhaitaient pas se tourner vers celle-ci. Ils la contempleraient bien assez tôt.

Pour l’heure, Benjen ne faisait pas non plus face à cette ombre et concentrait son attention sur la charmante demoiselle qui tenait ses mains et qui dansaient à son rythme, rencontrant ses prunelles de temps à autres. Elle était bien plus douée que lui pour la danse, et bien que le jeune seigneur ait appris à danser, il n’était jamais tellement à l’aise dans la pratique, encore moins en face d’une jeune femme dont le regard et le franc parler le déconcertait. Il fut surpris que la jeune femme ait besoin de ses frères avec elle pour assister à un mariage. Elle était un peu plus âgée que lui et avait déjà dû être promise à un seigneur, pensa-t-il. Il aurait pu s’imaginer que c’était un fiancé ou un mari, mais maintenant qu’il y regardait mieux, l’homme avait des traits similaires au niveau du visage.

« — Vous semblez avoir assez de caractère pour ne pas nécessiter d’être chaperonnée. » Répondit-il avec un fin sourire. « S’inquiéter, c’est ce que font tous les parents. » Ajouta-t-il en pensant à l’inquiétude de sa mère, à défaut d’avoir celle de son père. « Avez-vous essayé de lancer une carotte à l’un de vos frères ? » Plaisanta-t-il car il sentait la jeune femme tendue et visiblement agacée.

Eira poursuivit en expliquant qu’elle ne connaissait pas davantage le royaume que lui-même, ce qui étonna Benjen. Même en étant une femme, elle devait avoir le droit de sortir de son château, ou du moins c’est ce qu’il pensait. D’une main légère, il suit ses mouvements quand elle commence à tourner sur elle-même puis la retient quand elle s’arrête, plaçant une main sur sa hanche puis reprenant le rythme de la musique et des pas, plus rapidement. Il ne répondit pas, ne sachant pas tellement comment reprendre la parole après cela, mais quand elle ajouta ne pas connaitre la nouvelle reine du Nord, le jeune homme acquiesça.

« — Oh, c’est tout autant un privilège qu’un devoir, que de frayer avec eux. » Il haussa légèrement les épaules. Non pas que sa place auprès de Jon Stark lui déplaisait, mais surement que sa vie en serait autrement s’il ne tenait pas ce rôle dans l’armée du Nord. Il espérait ne pas s’arrêter là, pourtant.

La jeune femme le questionna alors sur le Nord et la musique s’arrêta à peu près à ce moment-ci. Elle s’éloigna de lui et s’inclina, Benjen en fit de même, un peu essoufflé lui-même, la transpiration perlant sur ses tempes et ses joues. Bombant le torse en se redressant, il fit un pas de côté et reprit le pas quand la musique récidiva d’une allure douce et lente. Il vint rejoindre une main à la sienne, paume contre paume, ne la quittant pas de ses prunelles.

« — Si le froid ne vous fait pas peur, c’est un bel endroit. Les forêts Nordiennes sont remplies de proies et il y a de beaux endroits dans lesquels chevaucher. » Il reprit la parole où la musique les avait arrêté. « Je me ferais un plaisir de vous accueillir à Corbois si l’envie vous prenait de venir au Nord. » Fit-il avec un sourire.

Ce n’était pas tous les jours qu’il pouvait inviter une jeune femme dans son fief.

Elle semblait dans son élément sur la piste de danse, sous la musique et ses atours aux couleurs de sa maison. Quand ils dansaient, sa robe se soulevait doucement dans ses mouvements, lui donnant presque l’impression de flotter à côté de lui. Il semblait si gauche à côté de sa légèreté mais elle semblait ne pas être gênée par ses pas et le suivait avec aisance. Il sourit à sa remarque sur le fait qu’elle soit chaperonnée justement à cause de son caractère. Si Benjen en fut étonné, il ne le montra pas. À moins qu’elle ne soit de celles qui s’acoquinent facilement aux messieurs, il ne voyait pas l’utilité qu’elle soit surveillée par ses ainés. De toute évidence, la situation ne lui plaisait pas et son agacement se lisait sur son visage quand le sujet était sur le plateau, aussi le jeune homme préféra ne pas insister davantage et risquer de la mettre de mauvaise humeur. Il rougit quand elle répondit à sa énième mention de carotte en évoquant son charme. Il tenta de cacher cette gêne derrière un sourire et une fausse concentration sur ses mouvements. Bien sûr, il était réellement concentré, mais pas à ce point.

« — Me voilà fort chanceux, alors. » Il lui adressa un clin d’œil amusé.

Sa cavalière tourna la tête, dévia son regard, comme si elle n’était pas tout à fait fière de cette petite touche de drague. Benjen coula un regard vers les ainés Mallister qui avaient temporairement détournés leurs regards, cela ne venait donc pas d’eux, à priori. Bien vite, elle retorqua sur un autre sujet et prit de cours le Corbois par sa question emplie d’honnêteté. C’était une interrogation très personnelle qu’elle lui lançait là, et sous les yeux des convives, assourdis par la musique et masqués par les mouvements des autres danseurs. La réponse n’était pas difficile pour le jeune seigneur.

« — Je ne vois pas laquelle. » Il lui sourit tandis qu’il lui prenait la main et la faisait doucement volter au bout de ses doigts. « Il m’est difficile d’imaginer une autre vie que celle-ci. J’ai grandi pour suivre les pas de mon père et la place que le Roi du Nord m’a offert près de lui m’emplit de fierté. Je crains que je ne m’ennuie si je n’avais pas tous ces devoirs. Et vivre en tant que mestre m’interdirait ce moment que je vis avec vous. » Il lui adressa un nouveau sourire, cherchant son regard. Puis il relâcha ses mains et fit un petit pas en arrière. « Combattre sur le champ de bataille n’est pas une partie agréable de ces devoirs, cependant. » Conclut-il avec une légère grimace. « J’ai le sentiment que ce n’est pas votre cas, que vous aimeriez vivre une autre vie, plus simple. » Puisqu’elle était directe avec lui, il n’avait pas de raison de tourner autour du pot. Son comportement, et cette question, démontrait un certain mal-être qu’avait la jeune femme.

Elle déclara n’avoir peur de rien et Benjen ne pouvait que la croire sur parole. Elle n’avait pas l’air d’être aisément effrayée. La lueur de malice qui brulait dans ses pupilles en était un bon indice. Le jeune seigneur n’insista pas sur son invitation dans son fief, il ressentait une légère retenue mais se dit que cela devait être certainement liée à la distance, au climat, et peut-être à sa situation actuelle. Son invitation était pourtant sincère. Le vin lui montait aux joues, une petite sortie en extérieur lui ferait le plus grand bien, aussi il acquiesça quand Eira l’interrogea sur un éventuel incident diplomatique.

« — Cela dépend. Pensez-vous que vos frères me tueront ? » Lui murmura-t-il pour être certain de ne pas être entendu par ces derniers. « Allons-y, sortir me fera le plus grand bien également, si vous souhaitez que je vous accompagne, bien sûr. »

Il s’esquiva entre les danseurs pour s’éloigner des tables et s’approcher de la porte dont certaines personnes gardaient l’entrée. Il vit du coin de l’œil le Roi du Nord qui semblait un peu moins tendu qu’il ne l’avait vu les jours précédents, même s’il n’était pas encore dans un état idéal. Une fraicheur agréable les enveloppa quand ils s’extirpèrent de la salle, lui procurant une sensation plus que bienvenue. Il tourna son regard vers la jeune femme.

« — Connaissez-vous un peu Vivesaigues ? » L’interrogea-t-il alors qu’il lorgnait les couloirs pour savoir de quel côté se rendre. « Par ici, je pense. » Il l’entraina dans un couloir qui devait déboucher sur une petite cours, à moins que son sens de l’orientation soit si mauvais.

Benjen était arrivé quelques jours auparavant avec la suite des Stark et ne connaissait pas bien le château. Il était un peu perdu dans ce nouvel environnement.

La jeune rousse avait tendance à éviter son regard quand Benjen cherchait à l’attraper au vol. Il sentait bien une retenue et celle-ci semblait de plus en plus évidente à mesure qu’ils se rapprochaient, que la conversation devenait plus intime. Bien que les échanges puissent paraitres légers, il y voyait beaucoup de vérité. Le souhait du jeune homme était de ne pas la mettre mal à l’aise, qu’elle se sente capable de dire ce qu’elle souhaite, sans risque d’être dénoncée par la suite. Les inquiétudes qu’il devinait dans son regard n’avaient peut-être pas de lien avec sa présence, mais il ne pouvait s’empêcher de s’interroger. Était-elle gênée par sa présence ? Avait-elle souhaité danser avec lui par simple politesse, ce qu’il avait interprété comme une invitation ? Dansait-il si mal que ça ? Ou bien, il ne lui plaisait pas.

Et pourtant, la coloration de ses joues, ses regards à son encontre, démontraient qu’elle n’était pas insensible à leurs échanges. Le pauvre homme avait bien trop peu de connaissances dans la gent féminine pour comprendre les réactions de défense de sa comparse. Aussi décida-t-il de se concentrer sur la conversation et de ne pas trop se triturer les méninges avec des questionnements sans réponses.

« — Craindre l’ennui ? » Il réfléchit. « Je n’ai jamais vu mes parents s’ennuyer. Encore aujourd’hui, je ne pense pas que Dame ma Mère sache ce qu’est l’ennui. On a toujours tendance à craindre ce que l’on ne connait pas. Auprès de Jon Stark, je n’ai pas le loisir de m’ennuyer. C’est une bonne chose, l’ennui ouvre la porte à toutes sortes de ruminations. »

Et c’était la vérité. Aucune journée ne passait sans qu’il n’ait rien fait. Le Corbois était toujours actif et considérait qu’il perdait du temps s’il ne l’était pas. La vie pouvait être si courte, pourquoi la gâcher en n’en faisant rien ?

« — Si vous désirez une vie plus simple, c’est que vous considérez la vôtre compliquée. » Dit-il en réponse à ses rêveries.

Ils avançaient dans ce même couloir tandis qu’il se questionnait silencieusement sur son orientation, dubitatif quant à ses capacités à se repérer dans l’espace. Par bonheur, il ne s’était pas trompé et une petite cour se dessina à quelques mètres d’eux, en retrait des convives et des musiques sans pour autant y être tout à fait hermétique. Il sourit en retour à sa partenaire quand ils se retrouvèrent seuls. Le froid lui piquait doucement les joues, le revigorant. Sa comparse se hissa sur un muret pour être plus confortable, tandis qu’il restait debout face à elle. À nouveau, elle lui posa une question assez intime dont la réponse, pourtant évidente, n’était pas facile à dire ou à se l’entendre dire.

« — Pourriez-vous le comprendre ? Vous, une femme, qui n’a jamais mis les pieds sur un champ de bataille ? » Il n’avait nul désir de la rabaisser. « Une bataille est une chose perturbante. Vous combattez pour votre vie et à la fois pour une armée dans un objectif commun. Vous donnez votre vie à la cause choisie, et en même temps, vous vous démenez pour ne pas la perdre. » Il n’était pas aisé de mettre en mots des émotions et des sensations. « Je n’aime pas envoyer mes hommes au combat quand je sais qu’ils risquent de ne pas retourner à leurs familles. Le poids de cette culpabilité est difficile à porter. »

Benjen s’appuya sur le mur de pierres et croisa ses bras. Peut-être s’était-elle attendue à autre chose qu’à la culpabilité d’un seigneur envers ses hommes. Entendre les cris de chagrin des veuves n’était pas plaisant. Bien que ce soit leur devoir de se battre pour lui et avec lui, il était bien incapable de s’y habituer.

« — Et vous, que fuyez-vous ? » Dit-il de façon un peu plus directe, puisqu’elle ne se gênait pas pour l’être.

Il sourit à la jeune femme quand celle-ci lui confia l’ennui d’être une femme à épouser, de n’avoir rien à faire. Benjen ne connaissait pas tellement ce qu’une femme se devait de savoir-faire avant de devenir une épouse. Avait-elle des tâches précises ? Du plus loin qu’il se souvienne, il avait toujours été occupé à Corbois, soit par les leçons de sa mère, soit par les entrainements avec le maître d’armes. Mais une femme devait avoir d’autres leçons que celle de manier une épée correctement, se doutait-il. Que faisait sa sœur déjà ? Il grimaça devant le vide de ses souvenirs. Il ferait mieux de s’intéresser davantage à ce que faisait sa fratrie où il serait considéré comme un grand frère ingrat.

« — Mais sans l’inconnu, la vie serait probablement bien trop simple. » Il agrémenta ses paroles d’un sourire.

Elle était définitivement curieuse, cherchant à comprendre les atrocités auxquelles un homme faisait irrémédiablement face sur un champ de bataille. Mais Benjen n’avait pas réellement envie d’en parler avec une jolie femme qu’il ne connaissait que trop peu. Ni même avec quiconque, après réflexion. Les démons qui habitaient chaque homme à la suite d’une bataille étaient bien connus et il existait comme une entente commune, de ne pas trop en divulguer. Elle ne semblait pas tellement effrayée par ce qu’il pourrait lui dire mais comment pouvait-elle réellement savoir les émotions qui traversaient un homme sur un champ de bataille. Il ne lui en voulait pas de ne pas savoir. Si cela faisait partie de sa vie, il n’était pas nécessaire que cela fasse partie de la sienne.

« — Hélas, la guerre fait partie de notre monde. Depuis que je suis enfant, j’ai appris à me battre pour le jour où je devrais réellement le faire, pour mon Roi, et maintenant pour le couple Impérial. C’est mon devoir de Seigneur. » Appuya-t-il en inclinant la tête un peu. « J’ai espoir que Westeros puisse vivre en paix un jour, mais cela n’empêchera jamais de mauvaises personnes de semer la mort. Que pouvons-nous y faire ? D’autres se plaisent à attaquer pour répandre le sang de leurs ennemis, entrainant des vies innocentes dans leur folie. » Il serra la mâchoire. « Ces gens-là ne méritent que d’être enterrés six pieds sous terre. »

Benjen n’était pas un homme violent. Il était même plutôt optimiste et ne cherchait pas vainement la confrontation. Au combat, il préférait user de stratagèmes car il n’était pas doté d’une force brute. Cependant, il était vengeur et rancunier. Il serait satisfait quand les forces impériales auront venger son père. Bien que cela nourrisse le cycle de guerre, il ne s’imaginait pas agir autrement que de chercher à rendre hommage à son paternel, même s’il irait risquer sa vie dans le processus. C’était risquer celle des autres qui était compliqué.

« — C’est pourquoi nous défendons le Nord…Et l’Empire. » Ajouta-t-il.

Elle répondit ensuite à sa question, au sujet de ce qu’elle fuyait, évoquant d’abord ses frères puis, de façon plus sincère, ses angoisses de mort. Et elle ne parlait pas de sa propre mort mais de celle de ses proches, et de ceux qu’elle aimait le plus. C’était intriguant, inquiétant même. Benjen se pencha un peu vers la jeune femme, hésita un instant, puis posa une main sur l’épaule de sa compagne de danse.

« — Je n’ai pas beaucoup d’expérience là-dedans, je n’ai perdu que mon père et j’étais jeune. Mais je ne pense pas que la mort puisse suivre des personnes en particulier. Il y a bien de vieilles histoires sur des sorcières… » Il marqua une pause, la toisa. « …Mais les sorcières sont laides, et vous semblez vouloir bien faire. Je ne suis pas un expert mais ça ne ressemble pas au comportement d’une sorcière. » Il sourit. « Peut-être avez-vous été simplement malchanceuse. » Il haussa les épaules, relâcha l’étreinte de ses doigts sur son épaule et fit un pas en arrière, étirant son dos.

Il ne s’était pas attendu à ce qu’un rapprochement se passe entre eux. Même s’ils venaient de danser ensemble, même si elle était belle et loquace. Il ne s’était pas imaginé qu’elle réduise la distance qu’il y avait de nouveau entre leurs corps, pour le prendre dans ses bras. Le jeune homme en resta presque tétanisé, il eut l’impression d’être en apnée pendant seulement quelques secondes. Alors que ses mains rejoignaient les côtes de la jeune femme, celle-ci le relâcha avec un soupire. Ses prunelles la regardèrent, interloquées, et soudain gêné de voir le visage triste, las, défait de la jeune femme. Peut-être aurait-il dû macher ses mots, après tout, tant elle semblait atteinte par ce qu’il venait de lui faire part.

Et pourtant, il ne regrettait pas de lui parler. Il avait le sentiment qu’il pouvait facilement lui dire les choses. Il y avait dans son regard quelque chose qui lui signifiait qu’elle ne craignait pas d’entendre ces choses-là, et qu’elle avait déjà eu son lot de chagrin. Eira n’était pas beaucoup plus âgée que Benjen et ils avaient chacun côtoyé la perte, le chagrin et la mort, mais de façon différente. Le Corbois restait surpris par cet élan de tendresse et d’empathie. Il n’avait pas eu le temps d’apprécier ses bras et il avait tout juste pu sentir sa respiration chaude et humide dans son cou, qu’elle était déjà partie.

Est-ce qu’il était seul ? Oui, probablement. Sa mère allait se marier de nouveau bientôt et allait quitter Corbois. Il avait ses hommes mais ces derniers avaient une famille. Il côtoyait beaucoup de personnes sans avoir réellement de personne à qui se confier entièrement. Bien sûr, il y avait sa mère mais il n’appréciait pas tellement qu’elle se remarie et leurs relations étaient tendues depuis qu’il avait appris qu’elle allait prendre un nouveau nom et accepter un nouvel homme que son père. Mais Benjen n’avait pas le sentiment d’être réellement seul. Concentré sur sa tâche d’Aide de Camp de Jon, il n’avait pas le temps d’y songer.
Quant à la colère, celle-ci faisant partie de l’adage de sa maison, il ne pouvait probablement pas y échapper. Peut-être fallait-il être en colère pour combattre sur un champ de bataille. Mais en colère de quoi ? Qu’on ait pris la vie de son père ? Si elle trouvait que Benjen était en colère, la jeune femme n’avait assurément pas parler au Roi du Nord.

Quand Eira reprit la parole, Benjen fut renvoyé dans le moment présent. Il hocha doucement la tête.

« — Ne vous excusez pas. Il n’y a aucun mal à évoquer ces sujets-là… C’est seulement étonnant de le faire avec une dame. » Dit-il un peu gêné. Il songeait à sa mère avec laquelle il pouvait discuter de ces choses-là de manière générale. « Vous êtes une femme intelligente avec laquelle il est aisé de parler, même de la guerre. Mais ce sont des souvenirs qui ne sont pas faciles à évoquer car nous sommes tous des tueurs en puissance sur un champ de bataille, et ce n’est pas bon de trop s’en souvenir une fois en bonne compagnie. » Il avala sa salive, grimaça.

Il était vrai qu’il pouvait facilement lui parler tant elle semblait capable de comprendre ce qu’il lui disait. Mais il était également évident que ce n’étaient pas des sujets à aborder lors d’un mariage.

« — Je ne suis pas le plus à plaindre. » Fit-il simplement. « L’adage de ma maison est ‘vertueux dans la colère’ alors peut-être suis-je condamné à l’être, en colère. »

La jeune femme poursuivit ensuite pour parler de la perte de sa mère et de deux fiancés. Il fut surpris d’apprendre qu’elle avait été fiancée déjà deux fois et que, visiblement, les élus n’avaient pas su être présent assez longtemps pour qu’ils puissent se marier. Elle avait des croyances, ou plutôt des certitudes, sur sa malchance. Sur les pertes pouvaient être troublantes, Benjen ne pouvait pas croire que la femme en face de lui puisse avoir des pouvoirs mystiques et revêtir une robe de sorcière bien malgré elle. Ce ne pouvait qu’être de la malchance, des mauvaises rencontres et du hasard. Celui-ci semblait s’attarder un peu trop sur elle. Sa fascination de la mort et son empathie venaient probablement de ses pertes-là.

« — Votre mère vous a donné sa propre vie. Ce n’est pas de votre faute si elle est morte, peut-être celle des mestres, mais assurément pas de la faute d’un jeune enfant qui ne sait pas encore ce que signifie vivre ou mourir. Quant à vos fiancés… Le mystère reste entier. » Il hésita puis poursuivit. « Vous n’avez qu’à vous fiancer une troisième fois pour en être certaine. » Pouvait-il en rire ? « Que comptez-vous faire sinon ? Vivre avec vos frères ? Rester dans le Conflans ? Vous ne pouvez pas vivre dans la peur de déclencher des atrocités. »

Si la venue à ce mariage avait été un exercice de socialisation pour la Mallister, elle avait encore beaucoup de choses à apprendre sur sa façon de se comporter auprès de la haute noblesse. Bien heureusement pour elle, les différentes personnes qui avaient été témoins de son attaque à la carotte avaient davantage été hilares qu’outrées, si on ne comptait pas ses frères. Les hommes du Nord étaient bien trop occupés à boire à outrance et à se gaver des plats servis au mariage de leur Roi, pour relever ces facéties de comportement, ces accidents. Quant à leur discussion au sujet de la mort, de la guerre et de la perte, elle ne resterait qu’une parenthèse entre deux jeunes gens. Il y avait bien des sujets plus joyeux à aborder à un mariage car il était souvent synonyme d’un futur joyeux fait d’amour et de naissance, même si la réalité n’était pas tout à fait la même dans le cadre d’un mariage royal et politique.

Benjen sourit lorsqu’elle lui jura de parler des napperons lors de leur prochaine rencontre. Le jeune Corbois espérait déjà qu’il puisse réellement y avoir cette seconde rencontre car il aurait envie de revoir cette jeune dame au discours si gris. Quant à la discussion sur les napperons, cela voudrait assurément dire qu’elle irait psychologiquement mieux, pour ne plus lui évoquer la mort et le chagrin, n’est-ce pas ?

« — J’espère simplement que, lorsque nous nous reverrons, vous vous sentirez mieux. » Répondit-il d’une voix calme, un sourire dans la voix. « Et si vous avez autre chose à me dire que de me conter ô comment les napperons sont beaux, je vous écouterai. » Il tourna légèrement la tête de côté. « Même si vous me parlez simplement des napperons, je vous écouterai également. Mais ce n’est pas certain que je ne m’assoupisse pas. » Ajouta-t-il, doucement blagueur.

Il était surpris d’apprendre qu’il dégageait une aura de colère car il n’avait pas le sentiment de le montrer réellement à autrui. Bien sûr, il savait qu’il souffrait de cette colère et que ces objectifs de vengeance n’y étaient pas pour rien, mais il ne s’était pas imaginé que cela puisse être visible aux yeux des personnes qu’il cotoyait. Peut-être avait-elle raison, il aurait besoin de se détacher de cette colère, peu à peu, quand le temps viendrait. Il ne répondit rien à cela, se contentant d’acquiescer doucement, le visage un peu plus grave quand elle aborda la suite de ses inquiétudes sur son passé. Benjen aussi craignait le passé mais d’une autre manière. Il se contentait souvent de mettre ses pensées anxiogènes de côté car il était certain qu’il n’irait pas se marier tout de suite et qu’il était, quelque part, bien en sécurité auprès du Roi du Nord. Il avait peu de choix à prendre dans sa position actuelle, et cela était rassurant d’une certaine manière.

Le Corbois fronça les sourcils quand Eira déclara vouloir disparaitre. Crispé, il ouvrit la bouche pour protester devant ce discours si dépressif et si proche du néant qui effrayait tant. Il ne pouvait tout simplement pas accepter d’entendre cela, venant d’une si jolie femme, si jeune, à un mariage qui plus est. Mais celle-ci ne lui laissa pas le temps de grommeler qu’elle reprenait déjà la parole pour s’expliquer, ayant évidemment remarqué le ton de sa voix, et les paroles énoncées. S’il fut rassuré de l’entendre dire qu’elle ne voulait pas mourir, les paroles restèrent là, les mots toujours lourds de sens.

« — Je ne pense pas que cette vie à laquelle vous aspirez soit plus douce ou plus facile. Les problèmes sont différents et pas moins difficiles à surmonter. Peut-être en auriez-vous marre de danser s’il ne vous restait plus que cela pour vivre. Je crois que la perte fait partie de nos vies, et que nous devons simplement apprendre à vivre avec, à la surpasser, pour vivre heureux à nouveau. » Il soupira. « Venant d’un homme en colère, c’est assez utopique, c’est vrai. Mais j’ai espoir d’atteindre mes objectifs et de vivre plus heureux dans l’avenir, même si cela ne remplacera pas les moments passés perdus. » Il restait proche d’elle. « Ce désir d’une vie plus simple, de disparaitre comme vous le dites, ne vous fera pas oublier ce qui vous tourmente déjà. Vous l’oublierez peut-être, pour un temps, mais rien ne sera résolu. » Il sourit, lui prit naturellement la main, comme s’il voulait lui montrer qu’elle avait simplement besoin d’un ancrage dans le présent, pour l’aider à avancer vers un futur plus léger.

Un silence s’installa entre les deux jeunes gens et Benjen ne la quittait pas des yeux. Il se trouvait presque inquiet du futur de cette dame qui semblait tant tourmentée par son passé. Dans quel état la trouverait-il s’ils étaient amenés à se revoir ?

« — J’ai certainement très hâte que vous me parliez des napperons lorsque nous nous reverrons. » Renchérit-il finalement sur le ton de la blague.

Ils ne se reverraient pas tout de suite. Elle aurait bien assez de temps pour trouver un autre sujet que les napperons pour quand ils se rencontreraient à nouveau. Qu’importe le sujet évoqué, Benjen serait heureux de la revoir. La jeune femme abdiqua devant la persuasion dont il faisait preuve. Du haut de son adolescence, il avait réfléchi à la perte et aux peines qu’il avait vécu. Son existence n’était certainement pas plus riche que d’autres, mais il essayait de s’en servir pour grandir, et pour devenir l’homme auquel il aspirait devenir dans le futur.

« — S’il existait un tel moyen d’oublier, je vous en ferais part. Pour l’heure, il semble qu’une bonne chute de cheval sur la tête soit la meilleure solution pour vous débarrasser de vos tourments. » À nouveau une petite pointe d’humour. Une légère inquiétude traversa son regard cependant, et il s’interrogea sur la possibilité qu’elle puisse se faire du mal pour cesser de penser à ses maux.

La jeune femme voulu le convaincre qu’elle n’était pas si triste et tourmentée d’habitude. S’il voulait bien la croire, elle ne lui avait pas donné matière à le faire. Il pourrait voir, dans les prochains mois, si elle avait évolué. Probablement que lui deviendrait un homme fait, certainement un peu plus tourmenté par les différents combats et la pression qu’il aura vécu auprès de ses hommes sur les champs de bataille. À ses mots, il acquiesça et se laissa entrainer par sa compagne d’un soir. Tandis qu’ils rentraient de nouveau dans le château et qu’ils rejoignaient la fête, le bruit et l’agitation, il se pencha un peu vers elle.

« — Tout le plaisir est pour moi, ma Dame. » Il ne parlait pas très fort, s’assurant qu’elle serait la seule à l’entendre.

Ils rejoignirent le cœur de la fête où des cris et des rires s’élevaient. Cela était une drôle d’ambiance après la conversation qu’il venait d’avoir avec l’élégante demoiselle qui tenait son bras. Et quand celle-ci lui proposa une énième danse, il accepta avec un sourire. Benjen prit sa main avec douceur et l’entraina auprès des autres danseurs tandis que le tempo de la musique les entraina l’un contre l’autre, histoire de sceller tous les mots échangés. Ils danseraient ainsi, sous le regard des frères de la jeune femme, jusqu’à ce qu’il en ait mal aux pieds, et qu’elle ne soit plus capable de ruminer.