Festivités. Demoiselle en détresse. Collège. Rencontre diplomatique à venir. Mouvement des troupes. Réunion à venir des trois têtes pensantes. Missives à écrire. Les événements se bousculaient, ne m’octroyant aucune chance de respirer proprement – ou même penser. Mon Oncle me rassure que j’aurais suffisamment de temps libre – du moins autant qu’un Roi peut se permettre d’avoir – lorsque je me mettrais en chemin vers les terres du Conflans. Je suis assez peu convaincu. Il y a toujours à faire lorsque l’on porte la Couronne.

Aujourd’hui – ou demain, si des imprévus considérables arrivent -, je prends enfin chemin vers ces nouvelles terres alliées – ou autant que je peux les qualifier au vu de l’attitude du représentant du Conflans. Si je n’exige pas l’amitié de chacun – je ne suis ni idiot, ni naïf et j’ai moi-même des réserves et méfiances –, j’espère un semblant de respect due à mon rang, à mon sang et, tout simplement, à tout vaincu ayant cédé à toutes les caprices des vainqueurs. La poignée d’hommes d’armes qui m’a accompagné se prépare pour ce départ, prêt à rejoindre le plus gros de l’armée déjà en chemin.

Nous allons devoir cavaler à rythme soutenu pour rattraper ce retard. Si l’idée ne me semble pas impossible ou gênante, la présence d’un lynx et d’une dame du Conflans apportent son lot de difficultés. Le félin met mal à l’aise les chevaux : la cage est nécessaire – mais elle commence à être étroite. La seconde reste une noble de haute naissance, et reine portant encore un titre : elle doit être traité avec égard et non être trimballée comme un sac de patate.

D’ailleurs, on s’approche de moi. Un intermédiaire nous introduit, avec tous nos titres. Puis, il s’éclipse. Mon Oncle, non loin, observe attentivement cette scène. S’il ne montre pas, il est toujours amusé de mes interactions avec la gent féminine – ou plutôt, mon incapacité à interagir avec. Que suis-je censée dire à une femme que je ne connais pas et avec laquelle je ne partage rien – si ce n’est l’adhésion à l’Empire ? J’avoue que ce dernier sujet a été si souvent abordé que, si j’en viens encore à prononcer Empire, je vais vraiment devenir marteau.

- Votre Altesse, c’est un honneur que d’être en votre compagnie pour ces premiers lieux, lui dis-je. Notre itinéraire a changé. Un détour, long, va être nécessaire. Nous vous épargnerons ce désagrément et quelques soldats vous accompagnerons à bonne destination, assurais-je.

Bien.
Que reste-t-il à dire ?
Je ne sais pas.

- Si vous avez la moindre demande, faites le moi savoir et j’espère pouvoir y pourvoir, conclus-je. Et je ne dis plus rien, attendant une réponse.

Mes traits s’assombrissent un brin. Au loin, je vois la silhouette d’un Dragonnier, Orys Baratheon. Bon gré, mal gré et au vu de sa trajectoire, je sens que j’ai à le saluer immanquablement. Puis-je l’ignorer, sous prétexte que le soleil m’aveugle ? Je lance un regard au ciel nuageux, à peine éclairé par l’astre solaire. Il semble que ce mensonge est impossible, fort dommage ! Est-ce que je peux trouver un sujet de conversation subitement passionnante avec Helena Hoare ? J’en doute.

La familiarité entre le Prince Régent de Peyredragon et l’ancienne épouse du Roi Batard Yoren Hoare me perturbe grandement. Les piques sont lancées, mais aucun ne semble prendre le moindre ombrage. Je comprends bien vite que le Dragon a la langue extrêmement pendue et le caractère aussi râpeux et flamboyant que ces bêtes qu’il peut chevaucher. Il est fort dommage qu’il manque de convenance ! J’aurais pu supporter ces bêtises de langage et son absence d’étiquette en privé ou au sein d’une assemblée réduite ! Non, monsieur le Prince Régent victorieux et ayant eu le droit de placer qui il souhaite dans la lignée royale valoise a préféré se moquer ouvertement de moi, au milieu des festivités, là où hommes et femmes de tout horizon se sont réunis et sont à l’affût du moindre potins ou sujet de moqueries.

- Je suis fort heureux de vous voir prêt à prendre le chemin du Conflans. Je prie que votre présence, celle de l’Impératrice et de ses dragons sauront raviver la flamme dans le cœur de nos alliés. Nous devons gagner contre l’Ouest à tout prix, pour des raisons évidentes , me contentais-je de répondre, rebondissant sur quelques nouvelles peu reluisantes de ce front.

Je ne suis guère heureux de le voir et j’ai encore moins de plaisir à m’entretenir avec lui. Je n’ai pas le courage, ou l’envie, de lui retourner une quelconque politesse. Si le Conseil du Faucon ou ma mère ont aimé jouer à différents jeux avec les voisins, je préfère ne pas trahir mes engagements initiaux et lécher quelques culs royaux. Je ne suis pas pleinement convaincu par l’Empire, j’y suis contre gré et je sais qu’une alliance ne veut pas dire amitié. Pour autant, j’ai admis ma défaite, j’ai capitulé et je fais au mieux maintenant d’honorer les engagements pris personnellement et par moi-même – et non à travers un quelconque intermédiaire.

- Le Prince Régent a connu bien pire affrontement qu’une météo désastreuse et il est toujours bien debout et fringuant , ajoutais-je d’un ton froid. Il a bien attaqué Goeville et a échoué. Sauf qu’aujourd’hui, ce fichu lézard se tient bien debout devant moi, vaillant et gaillard comme jamais. Et gagnant, en prime. Vous semblez être amis. Au risque d’outrepasser quelques limites, puis-je demander dans quelle circonstance vous vous êtes rencontrés ?

Je ne précise pas que l’une porte le nom Hoare, et que l’autre est la descendance illégitime d’un Targaryen. Toute cette guerre a commencé avec les ambitions du premier, Harren le Noir, et le désir de vengeance du second, Rhaenys Targaryen. Entre temps, les alliances ont changé, les noms se sont transformés et les forces se sont inversées. Je suis sincèrement curieux de connaître les raisons d’une association aussi drôle et particulière. Il y a là, aussi, une envie de comprendre mes nouveaux alliés de circonstances et ma place en leur sein – si j’en ai, ou que j’en aurais, évidemment. Rien n’est sûr vis-à-vis de ma position au milieu de ces grands. Toujours est-il que si la mienne est incertaine, je sais que mes enfants seront bien mieux accueillis. Cette certitude me conforte et me suffit.

Lyham Tully a promis de se plier aux décisions du collège, mais qu’en sera-t-il véritablement ? Est-ce qu’il va faire preuve de suffisamment de volontés, ou va-t-il se contenter que de menus actions ? Dans le premier cas, le système de l’Empire fonctionne parfaitement. Dans le second cas, ce n’est que les premiers signes de ce grand chaos à venir que je crains considérablement.

- Je pense que les actions de sa Majesté Lyham suite à cette visite sera la preuve du bon fonctionnement du collège impérial.

J’ai la terrible sensation d’être la cinquième roue de la charrette, l’homme qui tient la chandelle entre deux tourtereaux, le gamin interdit face à deux bouffons …. Bref. Je suis l’intrus. Je suis en trop. Je pourrais trouver une quelconque excuse pour m’extirper de l’inconfortable situation, mais j’en manque cruellement. D’une part, tout mon attention est alpaguée par l’échange inédit entre ces deux personnalités – un Baratheon ayant souffert des roueries d’un Hoare, et une Bracken ayant supporté ce même Hoare fidèlement jusqu’à récemment. D’autre part, l’orgueil joue ses vilains tours et m’empêche de prendre les jambes à mon cou.

Lorsque le Prince Régent m’alpague en tant Roi Fédéré, je me crispe, malgré moi. Je ne suis toujours pas habitué à ce nouveau titre – ou plutôt, cet avilissement. Si le collège impérial apporte une voix à chacun pour toute décision importante, il sous-entend tout autant que les royaumes fédérés ne pourront plus agir dans un intérêt « égoïstes » mais nécessaires. Il va y avoir bien des perdants et bien des rancunes. Pour ma part, ce premier collège m’a fait comprendre que je ne peux espérer nul soutien … hormis en la personne de Torrhen Braenaryon, Jon Stark et Mina Swann. Le premier est forcé, animé d’une logique militaire implacable. Le second ne peut qu’être heureux, ayant récupéré un bien beau port. Et la dernière est, finalement, la représentante d’un royaume qui a été vainqueur sur nous jadis.

A l’inverse, Rhaenys Braenaryon est une personnalité entière, et rancunière. Qu’importe mes actions, elle ne me pardonnera pas, ou ne me prendra jamais au sérieux. Si les récents drames l’empêchent de s’exprimer librement, Orys Baratheon s’en est largement chargé, fait du même bois que sa demi-sœur. Le représentant de Lyham Tully m’a clairement fait comprendre que son souverain, et lui-même, n’accordent aucune confiance en mes paroles. J’aurais pu accepter cette méfiance … si ce même représentant n’avait pas eu l’affront de dire qu’il accorde plus de crédits aux paroles des Ouestriens. La représentante de Mahée Allyrion semble être bien neutre vis-à-vis du Val, laissant donc une zone d’ombre sur les possibles ententes ou non.

- Il semble que sa Majesté Orys est prompt à l’insulte, en public comme en privé, à une personne ou à une assemble entière. Est-ce qu’il vous arrive d’être agréable ? , demandais-je, avec une sincère curiosité.

Ce très cher homme m’a courtoisement insulté devant tout une assemblée, puis s’est excusé au collège. Ce qui m’agace, dans cette affaire, n’est pas l’insulte mais son foutu caractère et manque de protocole. Il aurait mieux valu qu’il ne dise rien devant tout le monde et me couvre d’insulte dans l’intimité d’une discussion ou d’un collège. Je peux ignorer quelques bouffonneries ou critiques constructives susurrées, mais nullement celles dites à haute voix.

- Non, ma Dame. Il sait montrer ses crocs. Les navires Goëville ont bien été mordu.

J’ai grand mal à oublier tous ces événements désastreux qui m’ont amené à une telle situation. Je ne sais pas d’où cette bonne femme tire sa force pour rire, j’en manque considérablement.

- Si la bêtise humaine pouvait se contrôler, il n’y aurait plus d’affrontement entre homme. Méfiez-vous de votre intrépidité et irrévérence, votre Majesté. Tous vos interlocuteurs ne sont pas des dames aussi retords et amusés que Dame Helena, ou des rois ayant capitulés et ayant les poings et les pieds liés comme moi.

Certaines guerres ont débuté pour bien moins qu’une insulte.

Vous êtes roi, votre royaume dépent de vous et de vos actions.

Depuis que je suis né, mes parents m’ont répété cette même leçon. Chaque bêtise faite a été sévèrement réprimée, chaque accomplissement louable a été considéré comme naturel et de droit. En raison de la couronne, j’ai récolé davantage de peines que de gloires, davantage de contraintes que de libertés. Sauf que je suis las d’avoir à me restreindre pour le royaume, d’avoir à penser au futur, d’avoir à assumer mille rôles quand je ne veux qu’un ! J’ai moins de vingt hivers, par les Sept ! Et j’ai autant d’envie, de colère, de force que ceux de mon âge !

Les sages paroles de la Hoare tombent dans l’oreille d’un sourd. Les vantardises du Prince Régent flambent mon imagination.

- Très bien, votre Majesté Orys, j’accepte le duel.

Le regard est solide et droit. La voix ne tremble pas et est bien forte.

- Un duel à l’abri des regards, où notre seule juge sera Dame Helena. Elle décidera, également, comment désigner le gagnant.

Je maintiens le regard du Dragon.

- Je ne veux nul autre témoin. Vous et moi … enfin, nous n’avons pas besoin de jeter de l’huile sur le feu d’une alliance trop fraîche et encore controversée par beaucoup.

Beaucoup englobe tant les doutes incohérents du Roi Lyham - l’homme donne plus de foi aux Lions avec leurs crocs qu’aux Faucons déplumés - que la moitié du Val des plus mécontents de cette capitulation. S’il y a un public, il n’y a pas de gagnant. Un combat singulier entre deux souverain sera un tel événement que les protocoles, les règles, les lois gâcheront tout et sèmeront le doute sur l’issue du combat pour ne pas mettre à mal l’un ou l’autre des royaumes.

- Et faisons le maintenant, avant que nos chemins ne se séparent. Au moins, l’affaire sera close … et vous ne pourrez pas dire que je me défile, cette fois-ci. Ou que je suis un hypocrite.

J’ai énoncé mes conditions, ou plutôt je les ai imposé un tantinet. La question est de savoir si le Prince Régent les accepte, les amende ou les complète. Quant à la dame, elle se retrouve pris entre deux feux malheureusement et n’a pas véritablement d’échappatoire. Si elle part, et si l’idée se maintient, Orys et moi ferons notre propre duel avec nos propres règles. Si elle reste, elle a une infime chance de tempérament nos caractères respectifs.

Car, quelques part, nous restons deux hommes respectueux de la volonté des dames. Telle est leur force douce ! Un mot, un regard, une apparence frêle suffissent à exacerber notre volonté de servir, de protéger ou simplement d’écouter. Je ne peux pas m’empêcher de penser à Ysilia. Elle sera furax si jamais elle a vent. Loin de grimacer, je m’en amuse. Elle peut être drôle lorsqu’elle est énervée et que je suis hilare.

Citation :

ÉDIT : je propose de lancer 3 dés (1 dé = 1 round). Le dé le plus fort du round gagne. Celui qui cumule deux rounds a gagné.

Le coup de coude du Prince Régent est très bien placé, coupant mon souffle. J’ai mal, extrêmement mal. Un grognement de douleur s’échappe d’entre mes lèvres. Pour autant, je ne m’y éternise pas. Les réflexes prennent le pas, façonnés à travers les longs exercices et entraînements imposés par mon oncle, le maître d’armes de la maison royale et l’Amiral Graffton lors de mes visites sur son domaine. Quoi que le monde dise sur moi - que je suis un fils à maman, un roi faible, un gamin indécis et trop doux -, mon éducation n’a pas été aisée.

À la mort de mon père, mes jeux d’enfant ont été totalement et entièrement remplacés par des réflexions sur des sujets graves, sérieux et aux conséquences aussi réelles que grandes. Ni la reine régente, ni le mestre, ni mes précepteurs d’armes ne m’ont laissé le droit de souffler ou d’être faible. Je ne comprends pas un sujet, alors il va falloir l’étudier jusqu’à ce que je saisisse tous les tenants et aboutissants. J’ai mal, alors il faut continuer à frapper pour l’endurcir contre les coups et pour forger quelques réflexes défensifs. J’ai tout accepté et tout subi sans broncher, sans me plaindre, sans faire des remous. J’ai essayé au mieux d’être ce roi que tous ont voulu et ont attendu.

J’ai failli, certes, à bien de mes rôles. Cependant, j’ai appris et je continue à apprendre. L’apprentissage n’est pas perdu. Il peut se manifester à temps, comme tardivement, mais il est là, dans mon esprit ou dans mon sang. J’ai une bonne mémoire, de tête comme de corps.

Un Valois descendu tout fraîchement de sa montagne a davantage d’endurance et de souffle qu’un Valois ayant vécu toute sa vie dans la plaine ou près des cotes.

La leçon fait son chemin dans mon esprit. Je me demande si la règle s’applique également à cet homme qui chevauche des dragons et qui peut voler plus haut que nos montagnes. Qu’importe, je ne réfléchis pas. Je visualise ses points faibles, je me coordonne à sa vitesse et à ses mouvements, je maitrise mon propre souffle et mes gestes, et je saisis les occasions dorées pour frapper à mon tour. Du coin de l’œil, je vois qu’il avance tout droit vers une petite fosse. Il va perdre l’équilibre d’une seconde à l’autre. Alors, j’économise mes forces, je m’amuse à le repousser par à-coup. Là, lorsque le pied est déstabilisé par ce vide, je fonce sur lui.

Et je gagne.

J’ai transpiré. Pas mal. Beaucoup même. Mais le souffle est encore régulier. Ce constat m’enorgueillit un tantinet. Je m’apprête à retourner une remarque tout aussi courtoise au Prince Régent, mais nous sommes interrompus par la riveraine. Elle frappe l’arrière du crâne du brun et hésite longuement avec moi, avant de se raviser. Heureusement, je serais assez peu ravi d’être traité comme un gamin - ayant déjà droit à un tel traitement à bien des occasions, à tort et à raison.

- Si le Prince et moi sommes d’accord sur les modalités d’un duel amical et sans témoin gênant, je ne vois pas exactement où est la problématique.

Je la fixe, d’un air faussement candide. Il vaut mieux ce genre d’affrontements, qu’un affrontement violent et sanglant entre deux armées. Bien des guerres ont été déclarées pour bien moins qu’un égo froissé. Les quiproquo, les appétits … voire l’ennui ont été des moteurs générateurs.

Mon regard se perd à l’horizon et notamment sur la course du soleil.

- Nos chemins se séparent là, Prince. Je vous propose un nouveau duel, lorsque votre bras sera guéri et que j’aurais acquis davantage de crédits au sein de cette nouvelle alliance et davantage d’expériences à l’épée. Notre confrontation sera juste.

Nous ne tardons pas à nous mêler, à nouveau, aux hommes et aux gens qui viennent faire des adieux. Je salue le Dragon, et j’invite poliment Helena Hoare à me suivre. Il semble qu’elle est mon invitée pour quelques jours.