Depuis plusieurs semaines, les choses allaient de plus en plus mal au cœur du Val. Ysilia n'avait pas assez de connaissance diplomatique, politique ou stratégique pour pouvoir dire si la décision de s'engager dans la guerre contre l'Empire, aux côtés des Puissances Centrales. Les éléments avaient défilé en quelques mois, et tout cela pouvait même paraître étourdissant. Elle avait pensé un temps que sa vie allait être liée à celle de Jon Stark qui était aujourd'hui devenu le nouveau souverain du Nord. Puis l'alliance avait été rompu et ses fiançailles par la même occasion. Alors, elle s'était concentrée sur autre chose, elle avait su trouver une nouvelle voie en devenant l'une des dames de compagnie de Nymeria Arryn, née Lannister. Elles avaient toutes les deux à peu près le même âge, et la fille venue de l'Ouest avait un tel tempérament, qu'il était difficile de pouvoir lui résister et de ne pas se laisser emporter également en sa compagnie. La jeune fille de la maison Royce avait véritablement apprécié les instants qu'elle avait pu avoir à ses côtés, mais la vie en avait décidé autrement, les Sept avaient rappelé Nymeria à leurs côtés, ainsi que l'enfant qu'elle portait. Ysilia avait été jusque dans l'Ouest pour rendre un dernier hommage à cette amie qui était malheureusement partie trop tôt. Le voyage avait été lourd, et tout le monde avait largement souffert de cette disparition. Il n'était même pas question de la peine qu'avait pu ressentir Ronnel après la mort de sa bien-aimée, et elle avait espéré ne jamais connaître une telle chose. Avec la situation politique qui venait à se détériorer, le fait qu'elle n'avait plus de véritables raisons de se trouver à la capitale du Val et de la Montagne, elle avait fini par regagner Roche-aux-Runes, retrouvant son foyer qui lui avait bien plus manqué qu'elle ne l'aurait imaginé, retrouvant sa mère qu'elle aimait tant et son petit-frère, si jeune, qu,'il était encore plein d'innocence et insouciance. Et cela lui convenait parfaitement. A partir de ce moment-là, elle s'était mise en attente de ce que son père pourrait décider pour elle, comment elle pourrait servir les intérêts de la maison Royce.

C'était chez elle qu'elle avait appris la grande annonce. Par une missive de son père, il lui avait alors indiqué un changement de destin qu'elle n'avait jamais véritablement envisagé jusque là. Ronnel était un cousin plus ou moins éloigné dans l'arbre généalogique qui liait les maisons Royce et Arryn. Mais il avait toujours été un ami pour elle, et elle avait bien essayé de rester une amie pour lui, un soutien après le décès de son épouse, mais il avait fini par se fermer au monde entier, et même elle, elle n'avait pas réussi à lui faire entendre raison. Mais y avait-il encore une quelconque raison quand on avait perdu tout ce qu'on chérissait le plus ou monde ? Et pourtant, eux qui avaient grandi l'un avec l'autre, eux qui n'avaient jamais imaginé un seul instant que leur lien puisse prendre une tournure particulière, se retrouvaient à présent fiancer l'un à l'autre. Elle se demandait sincèrement comment tout cela allait tourner, si elle pourrait véritablement l'aider autant pour le bien de la couronne, que pour lui directement. Dans tous les cas, elle avait fini par quitter Roche-aux-Runes et elle avait traversé le royaume pour rejoindre la capitale. Les Eyrié lui donnaient toujours un sentiment étrange. Une partie d'elle avait l'impression qu'elle retournait dans un second foyer, et une autre ne manquait pas d'être écrasée par la stature de la cité, ou par les personnes qui venaient à y évoluer. Ysilia avait entendu les murmures sur son passage à de nombreuses reprises, mais pour autant, elle avait fait en sorte de ne pas y répondre, de les ignorer, pour ne pas leur donner une quelconque importance. Et elle avait continué son chemin, ainsi, jusqu'à ce que l'un des serviteurs ne vienne à la trouver dans les appartements qu'on avait mis à sa disposition et lui annonce que la grande Sharra Arryn en personne désirait la rencontrer. La jeune fille eut besoin de quelques secondes pour pouvoir prendre l'ampleur de cette rencontre en tête à tête. Elle se releva alors, mettant un point d'honneur à vérifier que sa tenue, sa coiffeur était plus que correcte pour pouvoir la retrouver. La Reine Mère était réellement un modèle pour la jeune femme, autant au niveau de sa classe légendaire, de son charisme intemporel et de sa force malgré toutes les épreuves qu'elle avait traversé. Le rendez-vous avait été donné dans une partie des jardins et Ysilia fit en sorte de ne pas être en retard, mais elle était déjà présente quand elle arriva. La jeune lady fit la révérence devant la souveraine. « Ne vous inquiétez pas pour moi, votre Majesté. Je suis à votre disposition et je suis heureuse que vous ayez pris du temps pour me rencontrer avant votre départ. »  Elle était légèrement intimidée à ses côtés, mais elle faisait tout pour ne rien lui montrer. « Nous irons où vous le voudrez, ici ou dans vos appartements, les deux me conviennent parfaitement. » Elle baissa le regard un instant. « Des questions, j'en ai tellement que je ne saurai même pas par où commencer. »

Les murmures étaient une chose, mais la réalité en était toute autre. Certes, elle savait que si elle venait à rencontrer, ce jour-là, la Reine-Mère du Val et de la Montagne, c'est que les murmures étaient bien plus proches de la vérité et de la concrétisation d'une alliance que cela ne relevait d'un voile de fumée. Pour autant, Ysilia savait combien les choses pouvaient changer, évoluer d'une façon ou d'une autre avant que le mariage ne soit célébré et qu'elle puisse venir, peut-être à porter le nom de Arryn à la place de celui des Royce. Cela ne manquerait pas d'être un grave outrage envers la maison de Roche-aux-Runes, si finalement l'aînée de la maison ne voyait pas son destin lié à celui du Roi régnant sur le royaume du Val et de la Montagne. Même si certains pouvaient dire que les Royce avaient déjà eu assez de soutien de la maison royale. Il était vrai que la grand-mère paternelle de la jeune femme était née Arryn, ce qui en faisait des potentiels héritiers à la couronne si le branche principale venait à décliner, voir même à disparaître. Lord Asher Royce avait été récompensé, grand commandant de l'Ordre du Barral qui œuvrait pour le Val et pour le Roi, il avait réussi à obtenir une place de choix tout à côté du souverain lui-même et il était certain que cela pouvait faire naître quelques jalousies parmi les autres maisons importantes qui avaient sans doute tous, une jeune fille à marier et qui était d'aussi bonne naissance qu'Ysilia. Déjà que le coche avait été manqué lors du premier tour, puisqu'il avait été décidé et choisi qu'une alliance avec un autre royaume serait bien plus bénéfique pour le Val et la Montagne. Nymeria avait gagné dès qu'elle était arrivée ici, et surtout sur le cœur du jeune prince qu'elle avait alors rencontré. A l'époque, elle était encore une amie proche de Ronnel et il lui avait longuement parlé de la jeune fille venue de l'Ouest, des lettres que les deux venaient à s'échanger depuis leur rencontre et de l'amour sincère qu'il ressentait pour elle. Combien de fois, s'était-elle surprise à rêver qu'il lui arrive la même chose, qu'elle soit aimée par quelqu'un autant que Ronnel pouvait aimer Nymeria. Mais cela n'était pas arrivé, et Ronnel avait sombré dans le plus terrible de chagrin alors qu'il perdait l'amour de sa vie. C'était donc peut-être mieux ainsi qu'on ne vienne pas à l'aimer et qu'elle n'ait pas quelqu'un à aimer aussi fort, car la perte devenait trop lourde à porter, à supporter. Cependant, elle venait malgré tout à songer que Ronnel avait toujours une alliance avec l'Ouest, et que maintenant qu'il se trouvait en plein cœur de la guerre, il en avait aussi avec les autres Puissances Centrales, et donc, peut-être qu'une proposition plus alléchante pourrait avoir son utilité et qu'elle serait à nouveau reléguer au rôle de suppléante.

Elle était peut-être jeune encore, et ne maîtrisait pas tous les rouages du jeu des trônes et des grands de ce monde, mais elle n'était pas pour autant idiote et le calcul était facile à faire. D'ailleurs, l'idée venait-elle de Sharra ou de Ronnel en personne ? Qui avait pensé à elle pour une telle union ? Car suivant la personne qui avait songé à la choisir comme futur épouse pour le Roi du Val et de la Montagne, les motivations pouvaient être bien différentes et cela pouvait avoir peut-être une influence sur le résultat que tout cela pourrait donner. En attendant, il était question de passer un moment en tête à tête avec Sharra Arryn, et surtout de ne pas faire de faux pas, pour ne pas risquer de compromettre son avenir. Elle refusait de décevoir son père, ou de créer de la défiance auprès de la couronne et de sa future belle-mère, si les Anciens Dieux en décidaient ainsi. « Je suis bien d'accord avec vous. L'air est ici bien vivifiant et il a le don de réveiller tous les sens. Cela diffère de la Roche-aux-Runes qui bénéficie de l'air marin et de la douceur que cela peut apporter. » Et de l'aspect réconfortant que cela pouvait avoir sur la jeune femme. Soudainement, les Eyrié lui semblaient être quelque peu terrifiant par sa haute stature, sa position naturellement surélevée vis-à-vis du reste de son environnement. De plus, le bruit de la mer lui manquait, le mouvement des vagues contre les côtes également. Cela était hypnotique et surtout apaisant. Comme une musique qui venait à vous bercer tendrement. « Je sais qu'il me faut apprendre encore beaucoup de choses votre Majesté, mais je ne manquerai en aucun cas à ma tâche et à mon devoir. Mes parents, et surtout mon père, ont su me transmettre les armes nécessaires pour mener ce combat. » Elle savait qu'elle devait encore faire ses preuves, mais elle avait la volonté et c'était déjà un point pour elle, non ? Elle se mit donc à suivre Sharra, suivant les pas de cette dernière, elle essayait d'avancer la tête bien droite. « Comment je me sens … Voilà une bien lourde question. » Elle prit quelques secondes pour réfléchir avant de répondre. « Si nous discutons en toute franchise, alors je vous dirais que cela m'angoisse un peu. Je ne veux ni déshonorer ma famille, ni déshonorer la vôtre. Je ne veux pas décevoir le peuple du Val, ni mon futur époux. Et j'ai peur parfois de ne pas être à la hauteur de cette tâche, mais surtout ne pas parvenir à vivre avec le fantôme de Nymeria, dans le cœur des hommes et des femmes du royaume, et surtout dans le cœur ou au moins, dans l'esprit de Ronnel. »

Ysilia savait que les jours de la Reine-Mère était comptée ici, et bien qu'elles ne se connaissaient pas aussi parfaitement que la jeune femme l'aurait désiré, elle devait se faire à l'idée qu'elle aussi allait partir et que d'une certaine façon, elle allait se retrouver seule, la seule femme encore au pouvoir. Certes, elle n'était que fiancée, les vœux n'avaient pas encore été prononcés avec Ronnel, mais elle était consciente que son destin était maintenant scellé. Il aurait été fort compliqué, politiquement parlant, de pouvoir envisager le souverain de se dévier de cette nouvelle alliance, et de refuser un mariage qu'il avait lui-même envisagé. Ce n'était qu'une question de temps, mais c'était en réalité, bien plus effrayant qu'excitant. Et c'était un peu ce que représentait Sharra à ses yeux, aussi fascinante qu'imposante. Il allait sans doute être difficile d'avancer au sein de cette Cour, de faire ses premiers pas comme nouvelle souveraine du royaume du Val et de la Montagne, sans avoir à ses côtés, la mère du Roi en personne pour la soutenir, pour valider ce qu'elle faisait, la conseiller aussi. Comme un passage de relais qui pouvait être intéressant à voir. Oublier qui était Sharra serait une bêtise immense, elle n'en doutait pas un seul instant. Pour autant, elle avait déjà le fantôme de Nymeria avec lequel elle allait devoir composer dans sa vie future, dans chaque moment sans doute en tant qu'épouse, mais aussi peut-être en tant que Reine, bien que Nymeria n'avait pas eu beaucoup le temps de laisser sa marque. Tout le contraire de Sharra, qui avait eu tout le loisir, à de nombreuses reprises mêmes entre son règne et les deux régences de marquer son peuple, de marquer son temps. Ysilia n'était pas faite pour suivre le même chemin que cette dernière, et sans doute, il ne fallait pas si elle voulait réussir à trouver sa propre voie, mais elle n'en restait pas moins une figure importante qui continuerait à avoir une certaine influence même sans être physiquement là.

Il allait falloir faire avec ou sans. Dans tous les cas, elle était maintenant en tête à tête avec celle qui allait devenir sa belle-mère et elle devait se montrer à la hauteur de cette rencontre. Elles avançaient l'une à côté de l'autre et Ysilia s'était laissée aller à la confidence en parlant de la Roche-aux-Runes, de cette cité en bord de mer qu'elle affectionnait tout particulièrement, de ses souvenirs d'enfance qu'elle voyait s'éloigner petit à petit alors que la date de son union approchait. C'était réellement stupide de penser comme ça, alors qu'elle aurait du être heureuse et simplement honorée de ce qui était en train de se profiler pour elle. Si elle venait à devenir Reine du Val, alors elle serait aussi Reine de ses terres familiales, et elle pourrait toujours gagner la demeure familiale si elle en avait le profond désir. Mais il était certain que sa vie future serait aux Eyrié et qu'elle devait se préparer, s'habituer à vivre ici. Sharra vint alors à lui parler de sa propre expérience, et de ses souvenirs de Cordial et comparer à ce qu'elle avait elle même été confronté. « Il est bien vrai que depuis les hauteurs des Eyrié, nous avons une vue imprenable sur tout ce qu'il y a autour, cela donnerait presque le tournant, à la fois si impressionnant, et qui semble si gigantesque. Je ne manquerai pas de suivre vos conseils, si cela m'apparaît nécessaire. »

Vu que Sharra la questionnait, elle osait être franche avec cette dernière, ou au moins, elle essayait de l'être au maximum, elle ne voulait pas paraître faible, ou qu'elle se fasse une mauvaise opinion d'elle tout simplement. Il était important de plaire à sa future belle-famille et du côté des Arryn, il ne restait plus grand monde en dehors de Sharra et de Jonos. Et le jeune garçon était quelque peu difficile d'accès. Était-ce un trait familial récurent au sein de cette maison ? Elle écouta attentivement les paroles de Sharra, hochant la tête à ces dernières. Trouver sa première manière de gouverner, de gérer le Val, cela risquait de ne pas être une mince affaire, il y avait tant de choses qui venaient à perturber l'obligation du pouvoir. Et la guerre n'arrangeait rien malheureusement pour elle, malheureusement pour eux. Ce n'était certainement pas le meilleur moment pour arriver au trône, mais au moins, cela allait la mettre devant le fait accompli. « Elle n'a peut-être été qu'une parenthèse à côté de Ronnel pour assurer le pouvoir, mais sa disparition a eu des conséquences sur votre fils, et sa tristesse, son deuil, ont eu des répercussions sur l'ensemble du royaume pendant plusieurs mois. Il serait difficile pour moi de l'ignorer, et même si vous avez été présente pour sauver la situation en reprenant les rênes du pouvoir, venant à nouveau à assurer la régence, nous sommes toutes deux conscientes que cela a causé une certaine désorganisation politique. C'est non négligeable. » Souffla-t-elle tout en continuant à avancer. « L'amour viendra ou ne viendra peut-être pas. Nous sommes amis, lui et moi depuis notre plus tendre enfance, si nous parvenons déjà à conserver ce lien, alors cela m'ira très bien. » Elle s'appuya longuement sur les pierres des remparts, avant de tourner son regard vers Sharra, passant du paysage aux yeux presque hypnotiques de la Reine-Mère. « Nous n'avons pas vraiment eu l'occasion de discuter depuis l'annonce de nos fiançailles, je ne sais guère ce qu'il pense de tout ça, et encore moins ce qu'il peut bien ressentir. »

Ysilia avait passé beaucoup de temps aux Eyrié, accompagnant sa mère ou son père suivant les nécessités du pouvoir, après tout, Lyra avait joué pendant un temps le rôle de conseillère auprès de la Reine Sharra Arryn en personne, et cela avait été le cas jusqu'au moment où le Val, Peyredragon et le Nord avaient vu leur alliance promise, voler en éclat. Par la suite, la jeune femme n'avait pas réellement su qui avait pris la décision soit de renvoyer Lady Royce, soit qu'elle décide elle-même de quitter le service de la Reine pour se retrouver avec ses enfants et continuer son rôle de Lady de Roche-aux-Runes. Dans tous les cas, leur collaboration s'était terminée, et quelques mois après cela, c'était son père, Asher qui avait plus ou moins succédé à ce rôle, en venant à avoir une place autour de la table du Conseil du Faucon pour pouvoir soutenir au mieux le jeune souverain du royaume du Val et de la Montagne, et il était certain que Ronnel avait besoin d'avoir des personnes sûres pour pouvoir s'appuyer dans les moments de crise et il fallait bien l'avouer que ces derniers temps, les situations complexes pour le roi comme pour le royaume s'accumulaient dans un enchaînement qui pourrait peut-être se révéler funeste pour chacun d'entre eux. En attendant, même si Ysilia avait véritablement joué le rôle d'amie d'enfance ou de cousine pour Ronnel et pour Jonos, Sharra n'en restait pas moins une figure importante et imposante avec qui elle avait eu bien moins l'occasion de passer des moments d'amusement. Aujourd'hui, elle se retrouvait confronter à elle et même si d'une certaine façon, son comportement ou l'étendu de ses connaissances n'allaient pas pleinement rentrer dans la balance, alors qu'il était bon pour Ronnel d'épouser une jeune fille qui faisait parti d'une maison pouvant réclamer le trône des mains des Arryn. Il n'en restait pas moins qu'elle devait malgré tout plaire à sa belle-mère pour ne pas partir avec un handicap dans sa future place de reine, ou d'épouse.

Son regard se perdit sur le paysage qui se déployait sous ses yeux et elle finit par soupirer doucement. « Sans doute, ce que je vais vous dire là est totalement naïf. C'est même certain que c'est le cas mais … J'ai vu Ronnel parler d'amour infini depuis la première fois qu'il avait rencontré Nymeria. Et quoi qu'on puisse dire … On rêve tous de pouvoir aimer à ce point, et d'être aimé ainsi, parce que dans un cas comme celui-ci, on sait qu'on pourra toujours compter sur l'autre. Cependant, un tel amour, ne peut qu'être dévastateur quand il prend fin et c'est ce qui est malheureusement arrivé à Ronnel. Tout le monde ne réagit pas de la même façon même quand on traverse la même épreuve. Et il aurait du faire passer le Roi avant l'homme, mais il était juste incapable de penser normalement à ce moment-là, je crois que je n'ai pas besoin de le rappeler. Et même si j'aurai préféré que cela n'arrive pas, c'est arrivé et je vais devenir Reine dans quelques semaines maintenant. Je ferai en sorte de ne pas faillir à la tâche, ni auprès du peuple, ni auprès de mon époux. » Elle préféra garder le silence alors qu'elle était en train de recevoir une leçon de la part de Sharra, qui lui faisait parfaitement comprendre que sa jeunesse ne serait pas éternelle et qu'elle finirait par se faner un jour ou l'autre. Devait-elle comprendre que c'était le seul attrait que son époux pouvait avoir pour elle ? Qu'une fois qu'elle ne serait plus aussi agréable à regarder qu'aujourd'hui, elle ne servirait plus à rien ? Il était difficile à dire ce que signifiait totalement les paroles de la Reine Mère mais dans tous les cas, mais cela sonnait négativement aux oreilles d'Ysilia. Quant aux clés du cœur de Ronnel, elle n'était pas certaine d'y parvenir. Il avait été aimable quand ils s'étaient vus pour une annonce plus ou moins officieuse de leurs fiançailles futures, mais une distance avait fini par s'installer au cours des derniers mois, même entre les deux amis d'enfance qu'ils étaient. « Je pense qu'il faudra qu'on s'apprivoise l'un et l'autre, il y a ... » Elle se mit à rougir tout en baissant la tête à ce moment-là. « Il y a un aspect intime qui va s'ajouter à tout cela, et c'est une chose que lui connaît et pour laquelle je suis bien évidemment totalement innocente. Mais j'avoue que … Je n'ai jamais imaginé que cela puisse arriver avec Ronnel. Comme tout mariage arrangé, je me doutais que je ne saurai pas grand chose sur mon époux … Peut-être que là, j'en sais un petit peu trop. Après tout, j'ai été également la dame de compagnie de Nymeria et … » Elle redressa la tête. « Je ne sais pas si je ferai une bonne souveraine, mais je ferai tout pour y parvenir en tout cas, et pour pouvoir donner au Val ce qu'on attend de moi. »

Qu'il était fort difficile pour Ysilia de faire face à Sharra Arryn. Tout le monde à travers Westeros venait à l'appeler la belle du Val, et pour le peu de voyages qu'elle avait réalisé, bien souvent d'ailleurs en sa compagnie, il était certain que la réputation de la Reine, aujourd'hui devenue Reine-Mère, avait marqué les esprits de plus d'un homme et de plus d'une femme également. Mais sa beauté ne faisait pas tout. On pouvait être magnifique, mais ne rien avoir dans la tête, et ainsi donc passer pour une brave fille, qu'on pouvait désirer dans son lit, sans la désirer dans sa vie, avec qui la conversation venait à passer au second plan. Cela n'était certainement pas le cas avec Sharra, qui était aussi magnifique, qu'elle possédait un esprit aiguisé et affûté, qui faisait pâlir la jeune femme d'envie. Elle s'était affirmée sur bien des points, et quand Jehan Arryn n'avait plus été de ce monde, quand Ronnel n'avait plus été vraiment là, elle s'était sacrifiée pour le bien du royaume, pour le bien d'un peuple qui l'avait vu évoluer au fil des années. C'était une fleur à la fois belle et rebelle, qui n'avait rien perdu de son esprit et de sa verve, et cela venait clairement à impressionner la jeune lady Royce, qui en était encore à s'habituer à l'idée qu'elle allait se marier, alors à s'imaginer avec la couronne sur la tête et son lourd poids sur les épaules, tout cela avait quelque chose de nébuleux pour elle. Pour autant, même si elle était là à se confesser auprès de celle qui allait devenir sa belle-mère dans un laps de temps plus ou moins long, elle n'était pas pour autant assez distraite pour ne pas entendre les paroles de la Reine-Mère et surtout tout ce qu'elle venait à sous-entendre derrière. « Je l'aiderai, autant que je le puis, aussi longtemps qu'il le faudra. Jusqu'à ce que la vie vienne à nous quitter l'un ou l'autre … Je sais que c'est là où se trouve mon devoir, peut-être autant que donner un fils à la maison Arryn. » Elle pouvait devenir Reine, oui, mais elle devrait avant tout aider Ronnel à reprendre sa place de souverain et à s'affirmer comme tel, bien loin des terribles fantômes qui le hantaient aujourd'hui encore.

Si Sharra parlait sans détour de ce que pouvait être la première fois d'une jeune fille dans les bras d'un homme, pour Ysilia le sujet était bien plus sensible, et à partir de cet instant-là, elle ne put regarder pleinement la Reine-Mère, ses joues rougissant au fur et à mesure de la discussion. Ce n'était pas tabou, ou pas totalement, si les femmes ne venaient pas à s'entraider, on ne pouvait compter sur les hommes pour apporter un quelconque réconfort à leurs épouses encore novices en la matière, en tout cas pour la majorité d'entre elles. « Je ne doute pas que cela est un apprentissage, mais ce n'est pas un apprentissage comme un autre … Et si … Et si je ne plais pas à Ronnel, et si … S'il refuse de partager ma couche, je … Je …. Je ne sais pas ce qu'il faut faire pour … Je n'ai jamais cherché à faire une telle chose … Je n'ai jamais vu un corps nu. » Et elle avait déjà un peu de mal à appréhender le sien, elle n'avait jamais été de ses jeunes femmes qui se pavanaient devant la gente masculine, certaines de leurs atouts. Ysilia se sentait profondément ridicule à cet instant, en plus elle n'avait de cesse de chercher ses mots. Ce n'était pas évident de parler d'un sujet aussi intime. « Nous en avons discuté un peu avec ma mère, bien sûr mais … » Elle garda le silence un long moment et quand Sharra posa sa dernière question, elle vint doucement à hocher la tête. « Je ne sais pas grand chose de ce qu'il se passait au lit entre Ronnel et Nymeria, nous n'avons pas discuté de cela avec elle, bien qu'elle semblait pleinement heureuse. Mais … Je ne suis pas elle, je ne le serais jamais. J'ai adoré Nymeria, nous étions amies, réellement amies, mais aujourd'hui, je dois lui succéder, et c'est bien dans le domaine le plus intime que cela m'inquiète. Je ne veux pas que son fantôme s'immisce pendant que … Enfin vous avez compris. » Son ventre se nouait à cette simple idée. Continuant à discuter sur divers sujets, elle se tourna à nouveau vers elle, légèrement plus assurée sur cette question que sur la précédente. « Je ne veux pas éclipser votre règne et tout ce que vous avez apporté au Val, je chercherai juste à exister également en tant que Reine pour mes propres décisions, mes propres choix, sans être constamment comparé à vous. N'y voyez là aucune offense. »

Était-ce véritablement le genre de conversation que toutes les futurs belles-filles venaient à avoir avec leurs belles-mères ? Ou était-ce au contraire, la particularité de ce mariage royale, qui succédait un an tout juste après les premières épousailles de Ronnel qui donnait lieu à cet embarrassant échange ? Ysilia ne saurait le dire, la seule fois où elle était passée proche d'une union avec un homme, celui-ci avait déjà perdu sa mère et donc la question ne s'était pas posée de rencontrer cette dernière pour discuter de nombreux sujets. Sujets que la jeune femme aurait estimé bien plus politique que relevant de la sphère privée entre deux époux. Néanmoins, il était parfaitement hors de question qu'elle énonce sa gêne à voix haute et de façon claire, après tout, le rose de ses joues venant petit à petit à tourner à un rouge de plus en plus concentré était déjà assez évident pour exprimer le malaise de la future épouse. Elle n'en avait jamais autant discuté avec sa propre mère, et c'était sans doute une bonne chose pour son équilibre personnel, elle n'aurait pas aimé apprendre certaines choses sur l'intimité de ses parents, alors cela était peut-être mieux de l'entendre de la bouche de Sharra. Et si un jour les inquiétudes revenaient ou que d'autres questions venaient à faire leur chemin dans son esprit, elle pourrait toujours se tourner vers sa propre mère pour en obtenir les réponses. Ysilia se voyait difficilement écrire une lettre à l'égard de Sharra, qui serait bientôt à l'autre bout de Westeros, pour parler d'un tel sujet. Il y avait des priorités dans l'existence et celle-ci n'en faisait clairement pas partie. « Il serait déjà particulièrement étrange que vous soyez au courant, et sans doute encore plus que vous preniez la décision de me donner cette information … Je ne l'ai pas su à l'époque où j'étais la suivante de Nymeria, je ne désire pas plus le savoir aujourd'hui de la part de la mère du souverain. » Dit-elle sur un ton un peu plus malicieux. « Je me doute que la première fois ne sera pas forcément un moment évident, plus pour moi que pour lui sans doute, puisqu'il a déjà eu l'occasion de partager des moments charnels. Mais peut-être aussi que je m'angoisse pour rien … C'est un ensemble de choses, je crois qui fait que mes inquiétudes se cristallisent autour de cette question-là. Mais d'ici peu, je devrais avoir toutes les réponses à mes questions. » Souffla-t-elle doucement, le regard au loin.

Le feu, néanmoins, reprit de façon plus violente encore au niveau de ses joues et elle secoua la tête vivement. Il n'était pas question qu'elle se mette à lire ce genre de littérature pour trouver des idées pour procurer du plaisir à son époux, elle désirait d'abord tenter de faire ses preuves elle-même avant de se sentir obliger d'en arriver à une telle solution. « Non je vous en prie … N'en faites rien … Je préfère m'appliquer à découvrir la chose par moi-même avant de devoir en arriver à chercher des solutions dans un livre. » Elle s'imagina un instant à en venir à gifler son époux, en plein pendant l'acte car celui-ci aurait pu se tromper de prénom et venir à énoncer celui de Nymeria au lieu du sien. L'idée était quelque peu cocasse, elle ne manquait certainement pas de piquant, mais pour autant, elle n'était pas certaine que c'était la meilleure chose à faire pour qu'ils parviennent à s'accorder. Ysilia n'aurait pas le choix néanmoins, si le fantôme de la jeune Reine aux cheveux d'or se faisait persistant, même dans les moments les plus intimes du couple. Quant au cœur de Ronnel, ça serait une mission encore plus grande qu'elle devrait réussir, si elle avait véritablement envie que cela réussisse bien sûr. Chaque chose en son temps, pour le moment, ils n'étaient même pas encore unis par les liens du mariage, et la guerre prenait une place si grande qu'il était complexe de savoir comment les choses allaient pouvoir s'articuler les unes avec les autres. Et de ce fait aussi, comment le début de son règne pourrait se passer. « Je ne sais pas … Je dois être honnête. Les combats ne sont pas prêts de prendre fin, et tellement de choses peuvent arriver sans qu'on ne s'y attende.  Il va falloir que je prenne une place dans un contexte politique compliqué, qui aura attisé beaucoup de haine, beaucoup de peine et qui viendra à réveiller certaines velléités de personnages de haut rang qui se sentiraient bien plus aptes à régner que Ronnel. Je ne peux donc prévenir l'avenir, mais je ferai en sorte d'être parée pour l'affronter. »

Le temps venait à s'étirer entre les deux femmes, la conversation s'éternisant d'une certaine façon, sans que pour autant, Ysilia puisse un instant penser que leur discussion viendrait à prendre un tel tournent. Elle s'était attendue à beaucoup de choses, mais certainement pas à cela. On ne pouvait pas dire, cela créait une certaine forme d’intimité, ou plutôt de complicité, mais c'était généralement le genre de choses qu'on venait à partager avec une mère, ou une amie, non pas avec celle qui avait donné la vie à la personne qu'on s'apprêtait à épouser. La rencontre entre deux générations, entre deux femmes qui connaissaient ou allaient connaître le pouvoir, se devait de se faire, comme un moyen de transmettre certains éléments essentiels à la prise du pouvoir avant que l'existence ne vienne à les séparer et qu'elles prennent toutes les deux des chemins différents. Sharra allait quitter le Val, alors que Ysilia allait rester ici. Sharra allait vivre une ou plusieurs nouvelles aventures à l'autre bout de Westeros, et elle, elle allait se retrouver à vivre une nouvelle ici, en se sentant un peu démuni sans figure sur laquelle pouvoir se reposer. La jeune fille de Roche-aux-Runes ne pouvait nullement prétendre que l'une comme l'autre étaient prêtes pour ce nouveau chapitre de leur vie, mais elle espérait sincèrement que chacune d'elle viendrait à y trouver le bonheur et peut-être un peu plus de paix après tout ce que la Reine-Mère du royaume avait donné pour le bien de celui-ci et de ces deux fils respectifs. Les Eyrié perdaient une Reine pour pouvoir en gagner une nouvelle, qui n'avait ni la beauté, ni la sagesse, ni le savoir ou la connaissance essentielle du royaume et de son peuple, ni le talent pour la diplomatie ou la hardiesse du tempérament quand la situation l'exigeait. Son père, lord Asher Royce, avait pris la décision d'accepter son union, et s'ils n'avaient pas discuté de la raison d'une telle prise de position, elle estimait qu'il devait savoir ce qu'il faisait. Pour autant, cela était profondément effrayant à diverses raisons.

Et c'était pour cela, qu'elle comptait sur cette entrevue avec Sharra pour avoir quelques réponses, ou peut-être des solutions miracles devant telle ou telle situation. Elle n'avait pas imaginé un seul instant qu'elles allaient venir à échanger sur ce qui se passait au sein d'un couple, au sein du couple qu'elle allait former avec Ronnel, et si elle avait pu croire avoir une certaine prestance jusque là, le rougissement de ces joues devait montrer la grande jeunesse et la grande naïveté de la jeune femme sur la question. Bien sûr qu'elle était effrayée parce qui allait se passer une fois que la porte de la chambre serait refermée et qu'on attendrait qu'ils s'unissent par la chair. On lui avait même raconté qu'il arrivait que plusieurs personnes importantes de la Cour soient présentes à ce moment-là pour être certain que le mariage avait été consommé. Cela avait de quoi lui donner envie de vomir. Elle refusait qu'on s'introduise aussi loin dans quelque chose qui ne devait appartenir qu'à Ronnel et à elle. « De l'inspiration ? Et bien … Pourquoi pas … Je me laisserai peut-être l'opportunité de trouver mon inspiration par moi-même, avant d'aller recherché cette dernière dans un quelconque ouvrage. Peut-être que cela se passera bien, peut-être que cela plaira à sa Majesté, peut-être ... » Qu'il en oubliera les moments vécus avec Nymeria. Si elle passait son temps à penser à la défunte épouse de ce dernier, elle n'était pas certaine de parvenir à grand chose avec lui dans un lit. Elle hocha doucement la tête. « Je voudrais communiquer avec lui, et par le passé j'y arrivais, mais les enjeux n'étaient pas du tout les mêmes. Nous nous côtoyons depuis notre plus tendre enfance, nous avons presque le même âge et nous sommes amis, ou nous avons été amis. Pas une seule seconde, il a été écrit qu'un jour nous deviendrons mari et femme. Et même si peut-être qu'une partie de moi a été amourachée de ce prince qu'il était à une époque, cela n'avait pas d'intérêt, cela n'avait pas d'importance car le sort en était déjà jeté et Nymeria était toute nommée pour occuper les fonctions qui me seront bientôt attribuées. C'est une chose d'êtres amis, c'est tout autre chose de devenir un couple, et de devenir des amants. Il s'est fermé à moi, comme à tous après sa mort, et d'une certaine façon, cela a cassé quelque chose. J'espère pouvoir le réparer assez, pour que nous soyons fonctionnels ensemble. »

S'adapter, c'était sans doute là que la tâche allait principalement être la plus compliquée. Ils étaient en temps de guerre et les liens entre les uns et les autres changeaient bien plus rapidement qu'on ne pouvait véritablement le prédire. Elle se devait d'être méfiante, et en même temps, elle ne devait pas passer pour une personne totalement inaccessible. Elle devrait se faire à la vie de cour mais également aller à la rencontre de la noblesse du Val un peu partout dans le royaume. Réussir à être séductrice sans trop l'être non plus pour qu'on ne puisse pas avoir quelque chose à lui reprocher, même si elle était certaine qu'on trouverait toujours à redire sur son comportement, sur son attitude ou sur sa façon de s'habiller. Elle garda le silence quelques instants, cherchant quelles autres questions pourrait-elle lui poser. « La future fauconne pour le moment en est encore au stade de l'oisillon, j'en ai bien peur. » Elle ne voulait pas lui mentir à ce propos. « Vous connaissez les us et coutumes ici et ailleurs, dites-moi, de qui je dois me méfier le plus ici dans le Val ? Ainsi que chez nos alliés ou nos ennemis. Car dans un cas comme dans l'autre, je finirais certainement par les rencontrer. »