Nelya Omble

Intendante de l'Empire, elle représente la couronne impériale. Bien des droits et des devoirs se rattachent à ce titre mais elle ne plie pas sous leurs poids. Au contraire ! Elle redouble d'efforts pour mériter toujours mieux - ou garder ce rôle unique et important - et, surtout, assurer un avenir glorieux à ses enfants. Amante de deux Stark, elle a un lien fort avec cette dernière tout naturellement. Et aujourd'hui, voilà que l'un d'eux - qu'importe qu'il se nomme Braenaryon dorénavant - va en direction d'Herpivoie pour une nouvelle bataille. Elle désire discuter avec l'Empereur, avant un nouveau départ pour un retour incertain.

Une jeune fille a des nuits calmes et reposantes. Une jeune épouse – ou amante – connaît quelques veillées tardives aux bras d’un homme – ou d’une femme. Une mère, de trois enfants de surcroît, se découvre un sommeil léger, prompt à se réveiller au moindre bruit – ou mauvais pressentiment. Enfin, une Intendante d’une Maison Impériale ne dort plus, tout bonnement. Si mes pensées ne sont pas occupées par mes enfants, elles le sont par la gestion quotidienne de la Capitale Impériale. Cette dernière tâche est devenue extrêmement ardue avec l’entrée en guerre de l’Ouest et, non loin, du Val.

Malgré moi, je me sens personnellement responsable de cette situation. Lors de la formation de l’Empire, j’avais eu pour mission de rallier ces deux puissances à nos idéaux. Malheureusement, soit par manque de verve, soit par manque de discernement, j’avais échoué à cette tâche. Si je ne suis guère étonnée par nos voisins, la Maison Arryn – leur mère a été la première déception pour l’Empereur, et son fils n’a pas tardé à la suivre il semblerait –, l’affaire est tout autre avec la Maison Lannister. Est-ce que Jeyne a manqué d’apporter sa voix à la décision ?

Je soupire. Que puis-je espérer d’une pauvre petite incapable de protéger sa propre foi, refusant – ou oubliant – le fort soutien de son propre père. Malheureusement, j’ai grand mal à m’apitoyer sur le sort de cette demoiselle – ou, au contraire, éprouver une haine profonde. Si j’ai parié sur l’Empire, portant déjà ses couleurs, Jeyne a préféré le faire sur l’Ouest, louve devenue lionne. En somme, elle a fait un choix et elle aura à en assumer les conséquences futures.

Par contre, si je considère cette situation d’un regard à la fois impartiale et froid, je doute que ce soit pleinement le cas avec Torrhen. Et quand on parle du vieux loup de Winterfell, voilà qu’il me convoque à ses appartements. Sans tarder, me saisissant de quelques missives – davantage des copies – et de livres, j’entame une marche rapide entre les couloirs d’un palais aux fondations solides et à l’architecture pleine de promesses.

- Tu n’as pas à t’excuser, Torrhen. Si tu ne m’avais pas convoqué dans tes appartements, j’aurais veillé malgré tout sur des missives, des livres de compte et quelques textes de lois, répondis-je. Il n’y a nulle reproche, fatigue ou énervement dans le ton de ma voix. Elle est assurée, tranquille, presque ravie. Et, puis, je pense qu’il est plus agréable de tarder à deux, que seule.

Aussitôt, il s’enquiert de quelques dispositions. Si je veux boire, si je suis prête à écrire des lettres – ou à lire certains rapports – ou à prendre quelques dispositions. Je ne peux pas m’empêcher de lui lancer un regard inquisiteur sur ce dernier point. Ne vient-il pas d’hésiter sur ce dernier point ? Je connais assez ce Stark, pour deviner aisément qu’il est un tantinet gêné et soucieux. Je réfléchis aussitôt aux derniers rapports fournis, ainsi que commérages. Un sourire mi-figue, mi-raisin, se dessine sur mes lèvres. Je pense savoir de quoi il parle, mais je préfère qu’il le dise lui-même. Les suppositions peuvent coûter beaucoup … et surtout à moi.

- Je dois donc garder les esprits clairs jusqu’au matin. Je me contenterai d’un pichet d’eau, et de quelques infusions énergisantes que j’ai apportées avec moi, du Nord. Le Train Impériale est prêt, et est déjà sous étroite surveillance … Au cas où. Quant aux prêtres et septons, ils sont en train de finaliser les prières et bénédictions.

Je profite de la fin de mon exposé pour alpager un serviteur, ou l’un des gardes, afin d’exiger quelques boissons – mon infusion, la boisson favorite de l’Empereur et enfin un peu d’eau.

- Profite de ta dictée pour t’allonger un peu, s’il te plaît. De longues journées, voire semaines, t’attendent. Tu penses que ton corps s’y est habitué, mais je suis sincèrement convaincue qu’il a besoin d’un peu de repos.

Je glisse un regard pour voir s’il allait m’écouter … ou n’en faire qu’à sa tête.

Nelya Omble

Intendante de l'Empire, elle représente la couronne impériale. Bien des droits et des devoirs se rattachent à ce titre mais elle ne plie pas sous leurs poids. Au contraire ! Elle redouble d'efforts pour mériter toujours mieux - ou garder ce rôle unique et important - et, surtout, assurer un avenir glorieux à ses enfants. Amante de deux Stark, elle a un lien fort avec cette dernière tout naturellement. Et aujourd'hui, voilà que l'un d'eux - qu'importe qu'il se nomme Braenaryon dorénavant - va en direction d'Herpivoie pour une nouvelle bataille. Elle désire discuter avec l'Empereur, avant un nouveau départ pour un retour incertain.

Nous ne sommes plus jeunes. Chaque jour, mes enfants, mes amis vieillissants ou mon propre reflet me le rappellent. Et pourtant, à cet instant, à parler tantôt légèrement, tantôt gravement, je me sens rajeunir. Je me surprends à repenser à cette nuit ou ce même homme – jeune homme, à cette époque-ci – m’avait tenu des propos similaires. L’Hiver Vient, avait-il dit. Le lendemain est plein d’incertitudes et de risques, avait-il soutenu. Est-ce que la neige allait le recouvrir finalement, avait-il exprimé. Du moins, plus ou moins dans ces mots-là : ma mémoire fait défaut, tant cette nuit date ! Finalement, ce fameux hiver est venu et est passé. D’autres l’ont suivi et ont aussi cédé leur place à des étés plus doux – ou ardents. Et il a été témoin de toutes ces saisons, gorgeant le sol du sang de ses ennemis et des siens. Et, le voilà couvert de cette fameuse neige.

Je ne l’interromps pas pour autant, préférant l’écouter jusqu’au bout. L’écoute est la qualité première d’une bonne diplomate. Tout être vivant a besoin d’attention, consciemment ou inconsciemment. Qu’il déverse peine, rage et joie, et se dévoile pleinement et sans honte sa véritable nature. Alors, il peut devenir malléable à des personnes comme moi. Le Vieux Loup n’échappe pas à la règle. Malgré le contrôle qu’il a sur lui-même, je ne suis pas dupe. Je vois à travers ses illusions. J’ai assez fréquenté sa maison – lui, puis son jeune frère – pour déceler leurs subterfuges plus ou moins habiles. Par le sang, ils partagent des manies et des traits physiques similaires. A quelques reprises, je me suis surprise à reconnaître Rickard dans quelques gestes, ou paroles de Torrhen – et l’inverse peut également se vérifier. Une vague de mélancolie me submerge en repensant à cette fratrie dissoute et notamment à ce Stark fou d’amour pour moi … Pour un instant, la culpabilité m’étreint. Je ne l’ai jamais aimé autant que son ainé, ou mon premier époux, Lucan.

- A qui la faute ? A m’apporter l’hiver dans cette pièce, j’ai bien besoin de me réchauffer, lui glissais-je d’un ton mi-sévère, mi-amusée. J’en profite pour me saisir de cette seconde coupe. Il semblerait que j’ai demandé mes herbes bien inutilement. Cette situation a quelques allures de déjà-vu, ne trouves-tu pas ? Remplace ces murs par ceux de mon domaine natal. Troque tes Valois et tes Bieffois contre les Sauvageons. Enfin, oublions ces marques du temps et remémorons-nous jeunes, fringuants, toi qui nage dans une armure un brin trop large et trop lourde et moi qui a les yeux emplis de mille rêves. Tu me tenais un même discours, prédisant un destin funeste. Et j’ai dû chercher à te réconforter de belles paroles, à moins que je n’aie usé de baisers … T’en rappelles-tu, à tout hasard ?, l’interpellais-je, avec un air faussement interrogateur. Certaines choses n’ont pas changé : nous sommes toujours ensemble, et nous sommes toujours prêts à nous battre pour nos idéaux et nos valeurs. A l’époque, je n’étais qu’une jeune fille naïve. Entre temps, J’ai grandi, j’ai découvert le monde et je suis devenue l’Intendante de ta Capitale. Je peux aider, j’en suis persuadée. Tu m’insultes, en sous-entendant que mon seul rôle consiste à attendre sagement que tu gagnes ou perdes une bataille, conclus-je d’un ton tranchant, celui qui ne laisse place à aucune discussion ou réponse. Es-tu en train de me dire que je ne peux pas t’obtenir une opportunité d’une plume et d’une lettre, par la voie de la diplomatie ? Sous-entends-tu que nous ne pouvons pas atteindre la politique, ou l’orgueil, de Ronnel, Lyham, Manfred, Eren ou le Grand Septon et obtenir quelques avantages ?

Je finis par m’approcher, brisant toute distance. Je le darde d’un regard plein de défi.

- Ce soir, nous nous séparerons qu’en ayant tout tenté, ou envisagé, pour que tu as une chance d’aider ton fils, ta femme et tes alliés.

Croit-il que je bluff ?
Pense-t-il que je fabule ?
Qu’il ose, et je saurais lui prouver qu’il a bien tort.
Nous avons affaire à deux gosses, un vieux sénile, une folle et surtout un arriviste, par les Anciens Dieux !

Nelya Omble

Intendante de l'Empire, elle représente la couronne impériale. Bien des droits et des devoirs se rattachent à ce titre mais elle ne plie pas sous leurs poids. Au contraire ! Elle redouble d'efforts pour mériter toujours mieux - ou garder ce rôle unique et important - et, surtout, assurer un avenir glorieux à ses enfants. Amante de deux Stark, elle a un lien fort avec cette dernière tout naturellement. Et aujourd'hui, voilà que l'un d'eux - qu'importe qu'il se nomme Braenaryon dorénavant - va en direction d'Herpivoie pour une nouvelle bataille. Elle désire discuter avec l'Empereur, avant un nouveau départ pour un retour incertain.

Je respire. Enfin. A son regard et à son ton, je comprends que je peux parler librement. Fort bien ! Lorsqu’il est question de malmener le destin d’une personne – ou d’un Royaume –, nous ne pouvons pas nous permettre de faire preuve d’hypocrisie. La diplomatie n’est qu’une autre forme de guerre. Nos ruses sont nos lames, et comme une épée, il faut savoir planter franchement. Dès lors, à l’abri des ténèbres même, les complices doivent parler en toute transparence. Les sous-entendus peuvent mener à des quiproquos fatals. Or, les enjeux sont trop grands pour l’Empire, nous ne pouvons pas nous permettre de commettre des erreurs de débutants.



Je me pose confortablement, attendant calmement que le Vieux Loup fasse son choix. Les hommes d’armes peuvent rester debout durant de longues heures – je le sais, à force de les fréquenter. Pour ma part, je cours suffisamment d’un point à l’autre de la Capitale tout au long de la journée – tantôt en tant qu’Intendante, tantôt en tant que mère – et apprécie grandement quelques instants d’accalmie autour d’une chope de bière, d’une tisane ou tout autre remontant.



Je réfléchis, cherchant déjà quelques idées.



Je me permets de lui faire signe de ne rien dire, de me laisser terminer. S’il veut être feu, sang et hiver – comme le veut sa nouvelle devise – qu’il attende. Je n’ai pas encore terminé mon exposé.



Je prends quelques gorgées de mon verre. Je ne suis pas une femme impulsive. Je n'agis qu'après avoir longuement prévu deux à trois coups d'avances, en intégrant de potentiels imprévus évidemment. Cependant, si un événement non considéré par ma personne vient à arriver, perturbant mes plans soigneusement imaginés, alors je suis un tantinet pieds et poings liés, dépourvue de talent pour l'improvisation.



A nouveau, je retiens mon souffle. Bien souvent, mes mésententes avec l’Empereur prennent source de nos visions respectives de la politique. Il a grand mal avec ces faux-semblants et comédies – il les déteste même. Or, n’est-ce pas la raison première pour laquelle nous avons été battu à plate couture par Manfred ? Le renard a su se jouer de nous, en manipulant l’Ouest et le Val. Dès lors, sérieusement, pourquoi est-ce que je prendrai davantage de gants ?

Mon raisonnement est, peut-être, bancal ou insensé. Mais il y a une piste à explorer. Il serait stupide de ne pas saisir une opportunité – car il y en a, mes tripes me le disent ! Enfin, ma vision n'est pas si candide ou idéaliste. Elle n'est qu'une extension du rêve du couple impérial.

- Reine, Roi, Princesse, Prince, paysanne ou paysan, tout enfant passe par cet âge ou il fait preuve de la plus profonde ingratitude à l’égard de son père, ou de sa mère. Nous l’avons été également, consciemment ou inconsciemment. Malheureusement, la décision de Jeyne te force à prendre des décisions dures et difficiles. Tu ne peux pas te contenter de la punir ou de lui tapoter les doigts …

Sans malice, je me permets de poser une main sur la sienne. Je ne dis rien : les mots sont bien inutiles. Mon regard exprime tout, et tente d’insuffler un semblant de force à ce vieux Loup fatigué. Je ne peux pas imaginer à quel point cette situation doit le torturer. En tant que père, il doit être meurtri, déçu et aux abois. Malgré tout, le sang appelle le sang : il pourrait la pardonner – ou se contenter d’une punition à hauteur de la trahison, mais encore douce. Or, il a créé un Empire et il ne sera pas maitre de la destinée de sa fille, lorsque les Lions seront abattus – ou mis en cage.  

Je retire ma main, sentant que l’ambiance change. Il s’exprime, relevant des points pertinents. Jordane Lannister est une femme dangereuse et, assurément, le principal obstacle à mon projet – une entente solide entre le Nord, le Val et l’Ouest. Les jeunes Rois pourront s’entendre, au bout de quelques années et lorsque chacun fera quelques preuves de bravoure ou de loyauté. Comme dit, ils seraient aisés de forger cette amitié : leurs esprits sont, encore, trop malléables, qu’importe ce qu’ils pensent ou croient. L’Impératrice est un fort exemple. La délicate Peyredragonienne a laissé place à un Dragon furax, et aussi impitoyable et dur que le Loup. En contrepartie, ce dernier n’a que peu changé … Ce dernier confirme ma théorie : les vieilles couronnes sont plus ardues à convaincre, et plus prompt à guerroyer.



- Je n’ai rien d’autre à soumettre. Avant que nous envisagions de terminer cette cruche, as-tu besoin de me transmettre d’autres demandes ? , soufflais-je.

J’ose espérer qu’il aura la décence de me parler d’Isla par lui-même, sans me forcer à faire référence à des rumeurs de couloirs …

- Tes ennemis savent que toi et Rhaenys ne pouvez pas, et tu ne voulez pas, user de tels stratagèmes. Et ils profitent pour en faire usage contre vous, et déstabiliser ou détruire tout ce que vous tentez de construire. Tu me pointes des failles à ce plan, mais tu ne proposes aucune alternative. Or, il ne peut pas être construit uniquement avec mes seules connaissances : il me faut ton concours. La véritable question est de savoir si tu es prêt, ou non, à t’y essayer. Réfléchis-y, et reviens vers moi avec ta décision, conclus-je, sentant que je ne pourrais rien lui arracher ce soir. Il est réticent, car il est encore un père. Il est gêné, car il est surtout un général de guerre et non un politicien plein de ruses et de fourberies. Enfin, il est surtout ailleurs, tantôt un soldat qui va à la guerre, tantôt un amant indécis vis-à-vis d’une blondinette.

Il ne tarde pas à faire mention de la blondinette. Si je suis heureuse qu’il se confie, la requête froisse mon égo, malgré tout. J’ai la terrible sensation que, subitement, je deviens maquerelle d’un bordel. Pour autant, je n’exprime rien – ni colère, ni déception, ni frustration. Je n’oublie pas qui je suis et, surtout, quel est mon rôle. Si Benjen vit et que j’ai rencontré Lucan, c’est grâce à lui. C’est le moins que je puisse faire, en tant qu’amie et loyal sujet. Enfin, si j’ai accepté le rôle d’Intendante Impériale, je l’ai fait en sachant pertinemment que j’aurais à être témoin et complice de crimes, de mensonges, de tromperies et d’affaires de coucheries ou de cœur. Je ne me suis faite aucune illusion, à l’instant où j’ai accepté ce titre.

- Bien, je vais étouffer personnellement ces rumeurs à votre sujet, répondis-je calmement, cachant mon agacement. Cependant, avant que je m’y attelle, je dois savoir quelle est sa place auprès de toi, ou auprès de votre couple. S’il y a une suite, à cette affaire, je dois le savoir. Je ne pourrais pas changer constamment les domestiques de ton palais. Ce n’est guère idéal si l’on veut éviter que des assassins se glissent parmi nous.

Je ne lui pose pas davantage de questions. D’une part, je sais que le Nordien est pudique : il n’osera pas m’en dire davantage. D’autre part, il est mauvais ton de s’insérer dans les affaires de cœur – ou de chair – personnellement. Celles que j’ai posé sont nécessaires, par contre. S’il compte en faire sa maîtresse, je dois alors reconsidérer les appartements d’Isla et, surtout, choisir plus attentivement le personnel de chambre – des personnes discrètes, loyales, fidèles, qui ne reporteront qu’à moi et uniquement à moi.

- Il semble que ces Sudistes ont davantage déteint sur nous, que nous sur eux. Tu sembles avoir développé une véritable faiblesse vis-à-vis des jeunes et blondes Peyredragoniennes, finis-je par dire, avec un sourire taquin aux lèvres.

Suis-je heureux pour lui ? Il est difficile à le dire. Si je suis reconnaissante envers Torrhen, je ne peux pas m’empêcher d’être confuse ou jalouse en posant mon regard sur lui, sur son épouse – et bientôt Isla, il semblerait. J’ai eu deux occasions pour être Reine du Nord – lorsqu’il m’a pris ma virginité, ou lorsque nous étions deux veufs – et j’ai été refoulé à chaque fois. Et aujourd’hui, nous parlons de sa maîtresse et de son honneur. Qu’ont-elles de plus que moi ? La réponse est simple pour Rhaenys : un sang royal, et un caractère entier. La réponse est plus confuse avec Isla, la connaissant bien moins. Je ne m’appesantis pas davantage. A quoi bon, sincèrement ? L’homme va à la guerre, par les Anciens Dieux. Et je l’ai assommé avec un complot terrible. Ce dont il a besoin, maintenant, n’est pas la jalousie d’une ancienne amante éconduite, mais l’allégresse d’une rare amie encore debout et à ses côtés. Je ne suis pas cruelle, ou vile, pour lui refuser un tel réconfort.

- Je ne quitte pas tes appartements sans que nous ayons vidé cette cruche. Maintenons en vie quelques vieilles traditions de nos contrées natales.

Evidemment, la boisson coule davantage à flot. Or, là, nous ne sommes que deux en des terres étrangères que nous adoptons, que nous défendons et que nous gorgeons du sang de nos soldats comme de nos ennemis.

- Pour l’Empire. Pour les Royaumes Fédérés, ceux qui le sont déjà, et ceux qui vont le devenir. Et, surtout, pour la Maison Braenaryon.

Je lève ma coupe, regard assuré et ton fier.

Je me tiens coi sous l’effet de la surprise. Vient-il d’avouer qu’il accepte que sa femme et lui puissent s’adonner à quelques plaisirs libertines ?

Comprend-t-il toutes les implications d’une telle annonce ? Si je ne m’étais attendue à être la gardienne de quelques secrets de polichinelles, j’avoue que je n’aurais jamais imaginé avoir à dissimuler un bordel impérial à venir ! Encore, cette affaire peut être étouffée ou jouée habilement, mais qu’en est-il de la légitimité des futurs enfants de Rhaenys ? C’est une chose que de mettre un batard à la tête d’un domaine, c’en est une autre à la tête d’un Empire ou de Royaume ! Il y a là nulle exagération, mais une réalité froide de problématiques qui pourraient naitre dans le futur – et réduire tous nos efforts en vain. Enfin, comment a-t-il pu accepter ? Aussi loin que remonte ma mémoire, Torrhen n’est pas un libertin – qu’il l’accepte ou non, il est davantage marié à la guerre qu’à autre chose comme les plaisirs de la vie.

- Quels … euh … amours ? , dis-je après de longues minutes de silence.

Je suis une femme de petites vertus pour certains, de grandes ambitions pour d’autres. J’ai autant d’admirateurs que de détracteurs. Cependant, tous s’entendent sur mon éloquence, ou sur ma maitrise. La conversation que nous venons d’avoir avec Torrhen en est une preuve : je n’ai pas flanché malgré les sujets sensibles, ou encore un brin insultant pour mon orgueil. Et pourtant, à cet instant, à cet aveu plus précisément, j’ai perdu tous mes moyens. J’ai balbutié, moi, Nelya Omble ! Je le fixe d’un air hagard, moi, l’Intendante ! Je fais de grands yeux, moi, qui a demandé en mariage Conrad lui-même !

- Je … Je suis assez douée pour cacher mes secrets pour que tu me poses une telle question , me rattrapais-je misérablement.

J’aurais pu l’agacer avec mes questions sur cet arrangement, mais je n’ai pas le cœur – ni l’envie. J’ai déjà largement dépassé les limites avec les sujets abordés, il est temps que je batte en retraite. Pour autant, me retirer ne veut pas dire abandonner : tôt ou tard, je vais lui poser toutes ces questions essentielles à la survie et à la continuité de l’Empire. C’est mon rôle, en tant qu’Intendante. Et surtout, c’est nécessaire, pour que je sache sur quel cheval j’ai parié mon avenir et, surtout, celui de mes propres enfants.

- Je n’ai toujours pas trouvé un homme aussi impressionnant ou intéressant que Conrad. Et ceux qui lui arrivent à la cheville semblent déjà s’être entichés d’autres.  

Je n’ai pas aimé Conrad autant que Lucan. Je ne l’a pas admiré ou désiré autant que Torrhen. Et il n’a pas partagé ma couche durant de longues années comme Rickard. Et pourtant, il a été mon époux pour quelques mois, nous avons partagé quelques nuits, tantôt à bavarder sur l’avenir de l’Empire, tantôt à se couvrir de baisers. Si je n’ai pas pleuré sa mort, je n’en reste pas moins peinée. Je ne suis pas, encore, d’humeur à chercher un nouvel amour. Personne ne répond, pour le moment, à mes attentes. Et les rares sont, comme je l’ai dit, déjà sous le charme d’une ou plusieurs dames.

J’aurais pu rire, j’aurais pu le taquiner, mais je n’y arrive pas. Je suis encore plongée dans l’ahurissement le plus total.

Si le risque que nous construisons un Empire pour des enfants illégitimes vient d’être écarté par les explications précises de Torrhen, l’affaire n’en reste pas moins risquée. Le Grand Septon a déjà bien travaillé pour bâtir diverses réputations mensongères – quoique justifiées, pour certaines, il semble –, et la moindre révélation de personnes probes – par exemple, de personnalités strictes et religieuses comme Oranne Whent – pourrait tout bonnement réduire en cendre tous nos sacrifices et travail ! Qu’importe que Rhaenys n’ait pas cédé aux caresses d’un autre homme, qu’importe que Torrhen jure par tous les dieux … la messe aura été dite, et les enfants impériaux seront potentiellement considérés comme des bâtards. Il y aura des conséquences, Torrhen. C’est une chose que de marier une petite lady d’une maison noble, c’en est une autre que de dissimuler un tel secret pour des enfants royaux. Je ne dis rien. Je n’aime jamais me prononcer trop hâtivement sans avoir longuement réfléchi, pesant les pour et les contre.

- Puis-je assumer que ses frères et ses sœurs partagent un même penchant ? , commençais-je prudemment. Est-ce qu’Orys Baratheon pourrait être intéressé, dans les prochains mois, à épouser Isla Chelsted ? Si jamais cette dernière refuse de prendre quelques précautions, et que son ventre s’arrondit, il serait bon temps qu’elle ait un mariage convenable. Orys est un bon parti, et elle l’est tout autant. Ils sont du même royaume, sont fidèles à l’Empire et surtout à toi et à ton épouse, et peuvent partager une même vision du mariage.

Je ne pensais pas l’embêter avec de tels détails mais l’affaire me semble subitement pressante. Père a été surpris, et a dû effectivement gérer l’affaire en catimini avec Torrhen. Par la suite, il a fallu que Lucan et moi mentions à tous nos proches et gens pour que les rumeurs autour de Benjen ne grossissent pas – ou ne trouvent de justificatifs. L’expérience forge dit-on, et déjà je réfléchis à toutes ces choses-là. Reste à voir quel serait l’avis d’Isla Chelsted et d’Orys Baratheon. Que faire si la première refuse tout mariage ? Quoi dire si le second ne veut pas être le père d’un enfant qui n’est pas le sien ?

- Si tu meurs la semaine suivante, je peux t’assurer que la réputation d’Isla sera la dernière des préoccupations de tout Fort-Darion. Par contre, si tu reviens … l’affaire sera tout autre ; et je dois déjà prendre des mesures pour prévenir tout scandale, glissais-je.

Je suis une femme qui planifie et non qui improvise. Gagner ou perdre des batailles sont des aléas à toute guerre. Voilà des mois que je suis scrupuleusement les instructions de Torrhen, ou encore celles de l’Architecte, pour renforcer nos défenses : si jamais nous sommes assiégés, nous tiendrons jusqu’à l’arrivée des renforts – si jamais ils arrivent. A l’inverse, si l’Empereur est gagnant, Fort-Darion n’en sera que davantage sécurisé. Par conséquent, je ne peux pas simplement attendre qu’une, deux ou trois lunes passent pour simplement envisager l’avenir d’une conseillère, et potentiellement l’enfant qu’elle pourrait porter. Je dois déjà prendre des mesures maintenant – et ainsi avoir des choix, ou des possibilités, selon la tournure des événements.

Je soupire et laisse planer un silence.

- Si j’avais été enceinte de toi, dès notre première nuit, que ce serait-il passé ?

Je sais déjà la réponse, mais j’ai besoin de l’entendre dire. Quelque fois, une question candide posée abruptement peut arracher quelques confessions surprenantes. Je me fiche de savoir si j’ai des soupirants, je veux simplement avoir son avis à mon sujet – jamais bien clair. S’il doit mourir dans quelques jours, je veux bien le savoir ce soir.

La perspective d’un mariage entre Orys et Isla gêne considérablement Torrhen. Pudique, il n’ose pas exprimer ce que son cœur et son âme exigent : il la veut pour lui et lui seul, sans partage, sans concession et sans compromis. Pourtant, lui et moi ne sommes pas dupes. Il peut être un homme de devoir juste et dur, mais il est surtout un loup respectueux de la gent féminine, respectant ses choix – cohérents ou incongrus. Si elle désire partir, ou être partagée, il ne l’en empêchera pas. Il acceptera et respectera cette décision, en gratifiant de quelques beaux discours. Pourtant, le Vieux Loup enterrera les séquelles de ce nouvel abandon au plus profond, et ruminera silencieusement cette solitude pesante au fin fond d’un campement militaire ou en ma compagnie tantôt mordante, tantôt douce.

Un sourire mi-figue, mi-raisin, s’étire sur mes lèvres. L’amant est loin, ayant disparu au fil des années. Le jeune adolescent qu’il a été ne revient que de temps en temps, lorsqu’il faut rivaliser avec cette jeunesse qui nous critique, qui nous combat et qui nous nargue. Le Souverain est las, croulant sous ses crimes, trahi par son propre sang, survivant année après année. Lui et moi ne sommes plus que des reliques d’un passé révolu, tentant encore et toujours d’apporter un nouveau lustre à un futur que nous ne verrons pas. A cet instant, Torrhen n’est ni l’un, ni l’autre. Je ne suis plus cette amante oubliée, ou ce loyal sujet. Nous sommes deux amis, partageant mille et un secrets qui pourraient sonner le glas de l’Empire, ou de nos futurs respectifs.

- Je m’assurerai de ne pas vous entraver, promis-je, restant volontairement évasif sur la notion du vous. Le rustre m’a bien eu aux sentiments avec cet air penaud.

Enfin, quoi que l’on dise à mon sujet – une Intendante bouffée par l’ambition, entre autres –, je n’en reste pas moins une femme ayant encore quelques faiblesses à l’égard de ceux qu’elle aime. Je sais que cette concession va me couter quelques nuits de sommeil et, surtout, me mettre à dos quelques personnes – difficile de garder un tel secret, sans faire quelques arrangements et sans écraser quelques pauvres infortunés. Soit ! Il y a bien longtemps que le scrupule ne m’étouffe quand le devoir l’exige – l’un de mes points communs avec mon interlocuteur même.

- Nos destins sont indubitablement liés, Torrhen. Nous avançons mains dans la main depuis que l’on se connait. Je ne l’ai jamais regretté. Si nous revenons à cette lointaine époque, je ferais encore et encore les mêmes choix, commençais-je, laissant planer mais. Je ne tarde pas à reprendre. Pourtant, j’ai toujours cette désagréable sensation que nous nous manquons, que nous nous croisons au mauvais moment, au mauvais endroit. Suis-je la seule à ressentir ?

Il n’y a nulle supplication ou désespoir dans mon ton. C’est l’interrogation d’une femme atteignant bientôt ses quarante printemps, repensant à toutes ces opportunités et occasions manquées, à toutes ces vies non vécues – meilleures ou pires, difficile à savoir. C’est les confessions d’une amie à un ami, motivées par la boisson, par la perspective d’une séparation définitive – ou longue – et, surtout, par l’intimité de l’instant. Personne ne nous dérange, chacun est occupé à organiser convoi, approvisionnement, cheval ou à faire ses adieux à femmes, enfants et amis.

- Je n'ai pas été balloté par ta politique, mais par mon penchant à toujours tourner autour de toi et à tomber dans les bras de tes proches , le taquinais-je.

Je ne souhaite pas m'apesantir à ce sujet. Il aime déjà une autre.

- Je t’ai aimé, mais les jours ont laissé place aux semaines et les semaines ont laissé place aux mois. Tu es devenu Roi, puis époux et enfin père. J’ai compris que je n’ai été qu’une passion passagère. J’ai été en colère, puis déçue. Rickard m’a apporté du réconfort. Pendant longtemps, je pensais avoir offert tout mon amour à ton frère … mais, je me suis bien fourvoyée. Aujourd’hui, je sais que j’ai été cruelle envers lui. Je n’ai pas répondu à son amour convenablement et, pire, je l’ai privé d’un fils. Je crois qu’il est l’un de mes rares regrets. Il méritait mieux.

Je fuis le regard de Torrhen. J’ai l’impression de retrouver les traits de Rickard lorsque je parle – ou pense – à lui. Alors, je me sens jugée. A raison.

- Lucan a été mon grand amour, dis-je, avalant une grande rasade de ma boisson, clignant des yeux à quelques reprises pour les empêcher de s’embuer trop vite. Malgré les années, je n’ai toujours pas réussi à l’oublier. J’ai tout découvert avec lui. L’amour, la joie, le partage, la complicité … Sais-tu que nous n’avons pas consommé notre mariage durant une année, plus ou moins, qu’il a dormi à même le sol pendant quelques mois avant que je le convainque de s’allonger simplement dans notre lit ? Il n’a jamais été question de dégout pour moi, ou pour mon fils à naitre. Mais de respect.  Aujourd’hui, je sais qu’il est celui à avoir révélé le meilleur en moi.

Je me tais, soudainement le cœur bien lourd. Ce premier mariage a été l’équilibre parfait. Il y a eu des hauts et des bas, évidemment. Pourtant, nous trouvions toujours une solution, faisant des compromis constamment, reconnaissant les efforts de l’un et de l’autre.

- Conrad est différent. Il a été un choix. Et, étonnamment, le tout premier. Je n’ai pas cédé par naïveté, je n’ai pas succombé par désespoir et je n’ai pas cherché à me lier en urgence. Je l’ai demandé en mariage en toute connaissance de cause, admis-je, avec un léger sourire. Je me rappelle encore la face ahurie de ce second époux, puis son rire tonitruant. J’ai vu en lui … mon âme-sœur. Je ne parle pas de ces amoureux choisis par le destin et fou-amoureux, non. Je parle d’âmes semblables et qui se complètent parfaitement. J’avais l’impression qu’avec lui … je pourrais me surpasser. Et puis, nous partagions les mêmes plaisirs, et avions une vision commune de l’avenir. Enfin, il était pasionné et déterminé. Je ne l’ai pas pleuré, car je ne l’ai pas assez connu. Mais j’ai été profondément peinée et chagrinée par sa perte. Au final, j’ai perdu un homme qui aurait su me combler et que j’aurais pu aussi combler en retour. Un complice avec lequel j’aurais apprécier les plaisirs de la vie. Il est toujours plus agréable de partager ces moments avec un ami, que seule.

Finalement, une larme coule. D’un revers du dos de la main, je l’essuie. Il y a bien longtemps que je n’ai plus pensé à ces quatre hommes, et à tout ce qu’ils m’ont apporté – et malgré quelques déceptions. D’une façon ou d’une autre, ils ont chacun été les architectes de mon existence.  

- Je m’excuse profondément pour Rickard, conclus-je.

Je sens sa main sur la mienne. Elle est grande, recouvrant aisément la mienne, et rugueuse, en raison de ces longues années à écrire ou à se battre. Pourtant, le contact est agréable et, surtout, réconfortant.  Le geste apporte du baume à un cœur chagriné par les années, par les deuils et par les trahisons. Inconsciemment, je reviens à cette jeunesse perdue, où nous étions que deux enfants découvrant les joies et les passions d’un amour sincère, passionné et simple, où nous nous tenions ces mains en évoquant l’avenir tantôt avec un sourire aux lèvres, tantôt avec effroi.

La suite prend des revers d’une fin, celle qui a trop tardé, celle que nous n’avons jamais réellement discuté ou acté. Il a pris des décisions à mon égard, sans me consulter, sans m’offrir véritablement un choix. J’ai également pris des décisions à son égard, sans le consulter davantage, sans chercher à connaître son propre avis – ou état d’âmes. J’ai bien raison : nous nous sommes bien souvent croisés, mais toujours au mauvais moment, au moment endroit.

Il m’enveloppe entièrement et totalement. Adolescents, nous avions la même taille. Aujourd’hui, je suis bien plus petite et frêle en comparaison du Vieux Loup. Il s’excuse de m’avoir abandonné – ou laissé – à son frère ou d’avoir été aveugle et sourd à mes propres attentes. Il avoue son malheureux ménage avec Sigyn, son amour profond pour Rhaenys ou encore ses désirs pour Isla. Enfin, il apaise, en quelques mots, tous ces regrets que je nourris envers Rickard depuis de nombreuses années.

J’entends sa voix trembler par l’émotion.
J’entends aussi sa profonde solitude et tristesse.
Mais je n’entends nulle véritable confidence sur nous.

On pourrait s’aimer, peut-être.
On pourrait essayer, peut-être, à nouveau.
Et pourtant, il a bien raison.
A nouveau, nous nous croisons au mauvais moment, au mauvais endroit.

J’inspire profondément, m’imprégnant de cette odeur familière. Et je relève enfin la tête pour plonger mon regard dans le sien. Je profite de cette proximité pour glisser mes deux mains dans sa chevelure et l’attirer vers moi, collant son front contre le mien. Un sourire chaleureux s’étire sur mes lèvres, alors que mes pupilles doivent exprimer la plus grande tristesse et amertume. Le premier sentiment est pour lui, alors que le second est pour ce destin bien injuste et cruel.

- Tu te trompes sur un seul point. Je t’ai aimé Torrhen, toi et seulement toi. Et je t’ai toujours aimé ou attendu, quand tu m’as laissé pour Rickard. Je t'ai encore aimé, quand j'étais avec Lucan mais je l'aimais tout autant. Je me refusais de lui faire le moindre affront. , commençais-je par le corriger. Je réitère ce que j’ai dit. Je n’ai nul regret, Torrhen. Je suis prête à revivre ces amours, qu’importe si j’ai été déçue, si j’ai déçu, si j’ai perdu, si j’ai pleuré. Je veux bien que nous nous croisons encore et encore, sans véritablement nous rencontrer. Parce que j’ai été heureuse. Et je suis heureuse. Grâce à toi. Tu as tant fait pour moi. Rickard a été heureux, à sa façon, grâce à toi. J’ai pu mettre au monde Benjen, grâce à toi. J’ai rencontré Lucan et eu deux formidables enfants avec lui, grâce à toi. J’ai aussi rencontré Conrad, grâce à toi. Je suis une Intendante d’une grande Maison, grâce à toi. Tu n’as pas à t’excuser, m’entends-tu ?

Je veux être forte, mais il est difficile. Je ferme les paupières quelques instants, pour retrouver un semblant de calme. Je les rouvre, et je fixe à nouveau le Nordien.

- Tu mérites d’être heureux car tu as déjà beaucoup sacrifié pour d’autres. Tu as droit d’aimer deux personnes, ou plus, car nous sommes de vieux cœurs, Torrhen. Trop de femmes et d’hommes sont rentrés dans nos vies, apportant autant de bien que de mal : il est impossible d’être indifférent, il est impossible d’oublier ceux qui nous ont marqué ou ceux qui nous marquent encore. J’ai aimé Lucan, et je l’aime toujours. Je t’ai aimé, et je peux toujours t’aimer. J’aurais pu aimer Conrad, également. Jamais je n’oublierai ces amours, et il faut que tu en fasses de même. Aime Rhaenys, aime Isla, aime une autre, si c’est ce que ton cœur désir. Ne pense pas aux conséquences, car je le ferais pour toi. C’est à mon tour de travailler pour ton bonheur.

Quelle situation étrange ! Quelle ironie ! A défaut de pouvoir aimer – et être aimée en retour – par un homme que je convoite, je lui promets de l’aider dans ses amours licites et illicites.  

- Peut-être qu’un jour, nous nous croiserons au bon moment, au bon endroit, soufflais-je, comme une promesse pour un futur incertain. Elle peut être respectée, comme ne jamais l’être. Spontanément, je dépose un baiser sur sa joue. Et je le quitte.

Je pourrais l'aimer à nouveau, mais il n'est pas prêt de son côté.
Il ne sert à rien de précipiter ces choses-là.