On les croyait repoussés au plus profond des gorges, dans les grottes et les monts brumeux les plus reculés de la chaîne de montagnes. L’armée du Val, déployée au grand complet, avait liquidé plusieurs dizaines d’hommes et rasé plusieurs camps de montagnards, ces terribles soldats bardés d’acier, bannières au Faucon, avaient plongé les peuples hirsutes des Montagnes jusque dans les plus isolées des hauteurs, là où les cimes des montagnes crèvent le plafond de nuages, là où l’on dit qu’il existe griffons et autres monstres de légende.
Le peuple des montagnes n’a pourtant pas été pourchassé. Sitôt chassé du col des Portes Sanglantes et de ses environs, les Valois n’ont pas poursuivi, peu à l’aise dans les chemins escarpés et tourbeux des montagnes glacées. Affamés par la perte des alpages habituels et par la protection des routes par l’armée du Faucon, les montagnards désespéraient de mourir de froid et de faim sur ces hauteurs désolées. Beaucoup voulaient se battre, mais où trouver les ressources et la volonté de s’en prendre à une armée si nombreuse et si puissante, avec leurs pauvres moyens ?
Au bout de nombreuses semaines de lente agonie, le peuple des montagnes connut une réponse. Les envoyés venus du pays des rivières proposaient de combattre le Faucon. Ils fournirent de l’or, ils fournirent des armes. Rien de très lourd, mais des vestes de mailles, des boucliers en quantité, des arcs, des flèches, des épées et des haches qui, s’ils n’étaient du meilleur acier, étaient bien meilleurs que ce à quoi les clans étaient habitués. Ils proposaient de s’en prendre aux habitants des plateaux et des vallées du Val en échange de tout ce fourniment. Eux-mêmes viendraient les renforcer lorsque l’heure serait venue.
Les discussions furent âpres, difficiles. Plusieurs hommes furent blessés ou tués dans des bagarres et plus d’une fois, les plénipotentiaires étrangers se demandèrent s’il ne serait pas préférable de partir. La décision fut prise d’assembler la horde ; ni plus ni moins que le rassemblement de tous les individus valides pour la guerre. Cela faisait une myriade de clans antagonistes, d’individus belliqueux aux inimitiés personnelles et nombreuses. Le rassemblement ne fut pas une sinécure… mais finalement, la horde parvint à se réunir. Près de deux mois avaient passé, et l’armée du Val périclitait par inaction.
Discrètement, par petits groupes, les clans des Montagnes descendirent dans les vallées, suivant une stratégie double. Plusieurs routes entre villages des monts de l’ouest furent attaquées ; quelques commerçants furent abattus et leurs cargaisons, pillées. Les pertes valoises étaient minimes, mais on ne pouvait rien faire contre le virus de la peur, qui prit dans son étreinte plusieurs villages, dont la population se retira vers les fortifications de leurs seigneurs. En revanche, les cibles qui tombèrent le plus facilement furent des fermes plus isolées, des vergers et des vignobles sur le flanc des monts de l’est, plus près de Rougefort. Plusieurs places furent attaquées et pillées ; quelques survivants répandirent la rumeur de centaines de pillards, hommes, femmes jeunes et vieux, apprêtés pour la guerre et réclamant vengeance.
L’armée du Val ne resta pas inactive ; des patrouilles furent envoyées par Lord Rougefort et les lieux de rassemblement et de passage des montagnards étaient en train, lentement, d’être cartographiés. La présence militaire valoise était mineure, car largement concentrée autour des Portes Sanglantes et de la capitale, mais personne n’imaginait que l’ennemi, ces guerriers de clan, ne soit capable de s’en prendre réellement au peuple du Val. Cet état de fait n’était pas près de changer avec ce que les éclaireurs rapportèrent à Lord Rougefort… Les survivants des attaques évoquaient des peintures de loups sur les boucliers des montagnards, ainsi que sur des bannières. Etait-ce le signe que ces païens du Nord étaient déloyaux au point de faire payer les tensions entre les deux royaumes dans le sang ? La polémique enfla, le scandale provoqua de terribles disputes au conseil de la Reine Sharra, sitôt informée.
Il allait falloir gérer la menace barbare, problématique du fait que ces guerriers frappent et disparaissent, mais ils n’étaient peut être pas le plus grand danger…