La marche de l’armée impériale l’avait lancée à un jet de pierre de Hautjardin. La capitale du Bief n’était pas défendue par une autre armée que celle détruite sous le commandement Du Rouvre, submergée sous le nombre et la force de ses ennemis.
L’armée impériale était précédée de sa terrible réputation. Et pour cause, l’Empereur et l’Impératrice n’avaient encore jamais été défaits dès lors qu’ils combattaient ensemble, leurs forces rassemblées. A côté de cette légende martiale et de cette efficacité brutale, le couple impérial avait souvent plus conquis par la plume et par le verbe que par l’épée. Cette fois ne dérogeait pas à la tradition, car aux devants de l’armée, ses cavaliers envoyés tout azimut proclamaient les mots de l’Impératrice.
Ne mourrez pas pour un roi qui n'en ferait pas de même pour vous. Ne mourrez pas pour un imposteur qui a usurper la couronne à sa propre sœur.
Ne mourrez pas pour un tyran.
Ne mourrez pas en vain.
Je n'ai pas envie de faire couler votre sang.
Je n'ai pas envie de brûler vos terres.
Je n'ai pas envie de faire de vos mères, de vos femmes, de vos enfants des veuves, des orphelins, des femmes endeuillées.
Manfred vous a menti. Nous ne venons pas vous conquérir. Nous ne venons pas annihiler votre culture, vos croyances, ou tout ce qui fait de vous des bieffois. Nous venons rétablir la paix, la postérité, et un avenir serein pour nos enfants. Avant d'être une impératrice, je suis une mère, un mère qui ne veut pas voir grandir les siens dans un monde aussi cruel qu'est Westeros actuellement.
Le Nord l'a compris. Peyredragon l'a compris. L'Orage l'a compris. Le Conflans l'a compris. Dorne l'a compris. Le Val l'a compris. L'Ouest l'a compris.
Je vous implore de vous battre pour une cause plus juste, plus équitable, une cause faite d'espoirs et de renouveau.
Rejoignez nous. Rejoignez nous à Hautjardins ou à Villevieille. Rejoignez nous et battez vous pour un idéal, pour un avenir plus radieux, clément, juste et joyeux.
Jetez les armoiries des Hightower. Faites claquer au vent des dragons aux couleurs de l'Empire, rouges, et noirs. Demandez à ce qu'une délégation vienne à votre rencontre. Participez à l'avenir de votre royaume et aux choix de votre souverain. Peut-être est-ce vous d'ailleurs?
Il n'est pas encore trop tard. Feu, Sang et Hiver,
Rhaenys Braenaryon
La guerre des mots et des idées faisait rage. Le Roi Manfred et son épouse Eren, encore loin du coeur du pays, devaient lutter avec un temps de retard sur leurs ennemis qui les avaient pris de vitesse. Il y avait beaucoup de tensions dans le pays.
La moitié sud restait fermement cramponnée aux sermons religieux et à la pouvoir royale. Après tout le Roi avait combattu Dorne et défendu les côtes toute sa vie, et Villevieille était la perle de toute la moitié sud du continent. La lettre de la Reine en particulier fut perçue comme de bon augure, et les rumeurs d’anéantissement à venir des Valyriens étaient enthousiasmantes pour le peuple.
Au nord en revanche, la situation était toute autre. Le Conflans avait pénétré la frontière et marchait sur Pont l’Amer, ou en tout cas la Mander, à toute vitesse. L’Ouest avait mordu dans les environs de Boisdoré, et les Lions pouvaient progresser librement. Entre toutes ces forces et Hautjardin, nulle défense, nulle forteresse. Tout le minutieux édifice de guerre orchestré par le Roi Manfred était formidable pour appuyer la logistique et l’invasion des pays voisins, mais le retournement d’alliance de l’Ouest, la prise de Pierremoutiers et l’anabase impériale avaient eu raison de ses plans de défense. Entre les désespérés et les opportunistes, le moral n’était pas au beau fixe, et la loyauté envers les Hightower chancelante, dans toutes ces régions envahies.
D’autant plus que sans l’Ouest, qui rejoignait l’autre côté, cela faisait une centaine de navires de moins pour le Bief et de plus pour l’ennemi, et combien, quarante, cinquante mille hommes ? La situation apparut très vite désespérée pour certains, surtout les moins rigoristes des Sept.
Alors que la noblesse jure par l’honneur et par l’ambition, le peuple lui ne voit que sa propre misère. Ils voient les armées qui se répandent, consommant ressources et matériels comme des nuées de sauterelles. Et puis, le peuple est fatigué. Il paie un prix toujours plus élevé à la guerre, après avoir été longtemps le seul adversaire restant face à l’Empire, voilà que l’histoire bégaie. Le peuple s’épuise, ce qui provoque l’abattement chez beaucoup. Chez d’autres, il confine au fanatisme, et les recrues continuent d’affluer à pied, à cheval ou en chariot, à Villevieille. De quoi racler les fonds de tiroirs, et reconstituer une énième armée.
Autour de la capitale, se répand la rumeur que le dragon se jette sur les villages, les relais de postes, et des colonnes de fumée sont visibles partout. Ou bien que tout est perdu, et que ce sont les soldats du Bief qui incendient tout ce qui pourrait servir à l’envahisseur. La terre brûlée des Hightower s’applique en effet jusqu’ici, aux portes de la capitale.
Le mestre de Hautjardin a brûlé la missive impériale. Mais aux nobles présents, la rumeur de son contenu, puis des copies adressées aux chatelains de la région, arrivent bien vite.
La population fuit en masse avec les incendies qui règnent à l’horizon. Ils prennent tout ce qu’ils ont et s’en vont, avec des charrettes à bras, des baluchons, des outils agricoles auxquels ils nouent des sacs en toile avec leurs possessions dedans. Au soir des incendies, ils sont des centaines. Le lendemain, des milliers. Alors que les bannières impériales franchissent les ponts, non loin, alors que l’alerte au dragon est plusieurs fois sonnée au tocsin, les capitaines du guet n’ont plus les moyens de lever une milice ; l’essentiel des hommes en âge de se battre est déjà dans l’armée du Roy ou tombée au champ d’honneur, à moins qu’elle ne soit partie avec familles et biens au sud, pour s’abriter ou s’enrôler dans les pauvres compagnons.
Il n’y a personne pour défendre la ville, quand le son martial des tambours impériaux retentit au loin. Tout du moins, aucune troupe d’importance ne tient les murs, qui eux n’ont plus connu la guerre depuis deux générations. Le guet était à sa place. Quelques éléments de milice, aussi. Mais les impériaux flairaient le piège, transpiraient la prudence et le déploiement de forces. D’abord, la cavalerie impériale qui défilait sur les flancs de la ville et sur l’autre rive, bannières au vent et cuivres en tête, sonnant l’hymne impérial. Et puis les cohortes d’infanterie Braenaryon qui marchaient d’un pas lourd, au son des tambours qui roulaient comme le tonnerre sur l’horizon, d’un rythme vif et qui reprenait en intensité à chaque fois qu’on le pensait sur la fin. Les unités se déployèrent les unes après les autres, pendant des heures, jusqu’à ce qu’une troupe de cavaliers en armures de plate, fanions noirs et rouges au vent, ne marche en fendant les carrés d’infanterie lourde.
L’Empereur remontait, au milieu de ses Demalion et des porteurs de drapeaux de toutes les unités impériales et Peyredragoniennes de l’armée, sous le son des cors de guerre et de chasse utilisés par les différentes divisions de l’armée. Et puis, quand l’Empereur fut établi en avant de la ligne, face aux grandes portes Est de la ville, la musique et la marche des troupes cessa.
Un hurlement strident se fit entendre, et une masse sombre tomba du ciel.
Les cris de Meraxès couvrirent les clameurs de l’armée qui saluait l’arrivée de son champion d’écailles et de crocs, et de l’Impératrice qui saluait la troupe depuis le ciel. Fondant sur la ville, aucun tir ne s’éleva, mais le concert des cris de panique se fit entendre dans la plaine environnant les murs. Le dragon remonta plusieurs allées, survola un marché, se hissa sur la plus haute tour du palais royal, faisant tomber blocs de pierre et tuiles de son toit. Toujours aucun tir.
Rhaenys fait pivoter son dragon, tomber de flanc vers la ville et se redresser au dernier moment. Et remonte au dessus des murs, qu’elle survole longuement, avant de repiquer vers la plaine et de survoler son mari qui la salue martialement d’en bas, sous les vivats de la troupe.
Alors, l’Empereur piqua des deux, et entouré de sa cavalerie lourde avança sans peur vers les portes. Là, il attendit, toisant le corps de garde et les hommes qui s’y trouvaient.
« Dois-je faire donner loups et dragons ? »
Le moment passe, et la porte grince en s’ouvrant devant la clameur de victoire de l’armée. La capitale du Bief se rendait. Et devant son palais, les rares seigneurs, trop vieux ou trop honorables pour avoir fui.
L’armée entra, couverte par l’Impératrice et son dragon, qui se posèrent dans la cour du palais au moment où l’Empereur passait ses portes, devant les armes présentées par le guet. Là, ils avancèrent sans ralentir avec leur corps d’officier et de Demalion jusque la Grande Salle du Trône du Bief. Et y trouvèrent, au pied des sièges de la couronne Hightower Lord Kenan Tyrell, intendant du Royaume.
Il plia le genou, annonçant se constituer prisonnier. Emerge alors le vieux Jaden Redwyne, chef de maison exilé et ayant rejoint l’Empire deux ans plus tôt, qui réclame à Lord Tyrell tous les documents dont il dispose sur l’état des forces du Roi. Il est entouré d’autres seigneurs locaux, ralliés pendant la progression de l’Empire, et Lord Ashford produit la surprise d’apparaître maussade, mais sans liens. Le Mestre qui avait brûlé la lettre de l’Impératrice est à son tour traîné dans la Salle du Trône. Menacé par les armes, il avoue avoir reçu pour l’Empire de nombreuses missives.
A l’Est, devant l’avancée du Conflans et l’absence de défenses, la maison Roxton se rallient et envoie du ravitaillement à Lyham Tully depuis son fief de l’Anneau. Les Piète et De la Noué livrent Culbute et Herbeval. Plus gênant, Lord Merryweather de Longuetable a annoncé que son bourg serait ville ouverte pour être épargné des combats dans la régions de la Mander.
Au Nord, devant l’invasion ouestrienne, basculent de gré ou de force dans le camp impérial les maisons Rowan et Tyssier. Plus gênant, les Chester et Houett des Iles Bouclier déclarent frontalement rejoindre l’Empire, et peuvent servir de base à la flotte impériale.
Le reste des Redwyne, fils de Jaden notamment, reste tranquille et n’a pas manifesté le désir de rejoindre l’Empire et d’embrasser l’allégeance du Pater familias. Les félons les plus engagés restent le vieux Redwyne, déjà exilé donc, Rowan, et quelques maisons mineures. Reste le point d’interrogation Ashford, et sans doute de nombreux hésitants ou félons en devenir qui louvoient dans l’ombre, jetant le trouble sur la fidélité de chacun.
Mais ces défections, si elles sont superficielles et viennent de maisons non défendues par l’armée étirée, agrandissent toutefois les contraintes logistiques du Roi du Bief. Son discours, et ceux tenus par son épouse, auront réussi à empêcher l’Empire de son habituelle efficacité pour corrompre et promettre victoire et prospérité à tous ceux qui changeront de camp ; il y eu plus d’une guerre civile déclenchée par leur intervention. Mais cette fois, s’ils bénéficiaient de complicités, il n’y eut pas de grands désistements massifs.
Le Bief chancelle maintenant sous le coup des invasions et de la discorde naissent. Mais continuent de s’accumuler troupes et ressources à Villevieille, et l’Ost Royal n’a pas encore donné. C’est peut être cela finalement, qui aura le plus poussé les maisons de peu de rejoindre l’Empire, ou en tout cas à ne pas s’opposer à sa progression ; pourquoi le Roi et la Reine n’ont-ils pas défendu les frontières, et Hautjardin ?
L’armée impériale prend ses quartiers, et des missives partent dans toutes les directions. Alors, l’Empereur et l’Impératrice découvrent les appartements royaux du sud, après des semaines à dormir dans la boue et sous les arbres à coups de marche forcée. Ils se retrouvent d'abord dans le Bois Sacré du Palais, où trônent Trois gigantesques Barrals. Les Trois Chanteurs, sous lesquels ils renouvellent leurs voeux. La victoire est proche, leur but ultime, à portée de main.
Vaincre, ou mourir.