Il y avait eu accord, ou tacite ou volontaire et affirmé, entre les Valyriens tenant encore Lancehélion et les Allyrion qui récupéraient à marche forcée la Principauté. Le départ d'une partie de l'armée s'était fait dans le fracas diplomatique de ce revirement ; tant de temps à lutter pour la suprématie à Dorne, balayé en un instant pas de fragiles négoces et espoirs de rédemption.
Et puis l'expédition valyrienne avait disparu, de même que le dernier de son dragon.
Où étaient-ils passés ? Des semaines sans nouvelles. Les eaux vidées de tout commerce, de vaisseaux d'appui et de pirates, n'avaient été que trop aisées à contrôler. Et puis, ils n'avaient pas visé une cité si loin que ça des côtes, et de leur propre portée de griffes.
Encore un retournement d'alliance, et de conditions de sécurité...
Puisque la flotille d'une centaine de vaisseaux de guerre était arrivée en vue de côtes sudiennes toujours, mais bieffoises cette fois ! A sa tête, Maegor Valtigar et environ sept mille hommes, vite repérés par les patrouilles côtières du Bief, toutefois insuffisamment nombreuses pour peser lourd en vue de repousser un débarquement. La région n'était pas sans défenses, malgré la stupeur et la panique d'une invasion surprise. Une armée croisée et une armée de mobilisés du Bief se trouvaient en effet non loin, mais devaient réagir sous la menace d'un dragon. Malgré le repérage de la flotte peu avant le débarquement, mais trop tard pour l'empêcher. La couverture aérienne assurée par le dragon augura du bon déroulement de l'opération.
En quelques heures, le corps expéditionnaire valyrien avait pris pied sur la côte. Pour ne pas s'exposer en plaine en infériorité numérique, les armées des puissances Centrales choisir de tenir le siège, d'autant plus que sous la surveillance du Dragon le décompte de leurs effectifs avait pu être accompli.
Forçant son destin, Maegor Valtigar et son dragon Meirgyr tentèrent aussitôt l'assaut, alors que les Légionnaires préparaient au dehors les travaux de siège.
C'était un piège, un traquenard.
Toutes les villes de Westeros en situation de guerre, prévoient des plateformes de tir. Pierrières, onagres, trébuchets même... Et balistes, ou scorpions. Il reste évidemment très difficile de toucher une cible spécifique, en dehors de zones de tir pré-établies et testées à l'entraînement, et la manoeuvrabilité inexistante de ces équipements implique qu'une attaque depuis une autre altitude ou une autre direction que celle prévue est totalement inefficace. Le plus simple reste d'abattre le dragon au sol, quoiqu'il arrive, en tout cas à l'arrêt. Un Dragon avait déjà été perdu à Lancehélion par une arme de ce genre.
Meigyr s'en prenait à une de ces tours, dévorant les servants alors que son chevaucheur repoussait des lanciers à coups d'épée. Une baliste, repointée pendant le carnage, frappa le dragon au cou.
Celui-ci, relativement petit, de la circonférence d'une petite chaumière, poussa un cri strident suivi de gargouillis sanguinolents. La bête prit un élan rageur et se jeta du haut de la tour, entraînant deux servants dans le vide et son malheureux chevaucheur, fermement cramponné. La bête perdait beaucoup de sang en vol, ruait pour se maintenir en l'air, sous les ordres, conseils et encouragements de Maegor. Rageur, furieux et revanchard, le Prince avait été lui-même atteint dans le combat, d'un carreau dans le ventre.
Au-dehors, l'armée retenait son souffle. Elle vit que quelque chose clochait, et les tireurs avec la meilleure vue aperçurent la hampe et l'empennage du projectile dépasser de la masse écailleuse, et les cris de douleur de la bête furent bientôt entendus de tous.
Meirgyr perdit en altitude, malgré une assiette durement éprouvée, perdue, et à chaque fois rétablie. Mais il finit par y avoir piqué, et chute dans un bosquet. Arbres emportés, branches écrasées, la masse disparut dans la végétation sous les vivats des défenseurs des murailles, et la course effrénée des secours.
Le dragon ne mourut pas, cette fois. Mais il fallut plusieurs prêtres rouges et mestres réquisitionnés depuis Lancehélion ou les bourgs alentours pour sauver la bête, qui redevint sauvage et s'enfuit sa plaie à peine cautérisée. Maegor comprit. Lui-même avait été salement amoché, et les muscles du ventre, les boyaux laminés par le trait, se conjuguèrent à une épaule démise pendant la chute, un nez cassé qu'il fallut remettre, et un poignet brisé. Il savait que sa monture avait besoin de se remettre... De viande, de sang, et de fureur. Malgré la douleur qui l'handicapait sérieusement, et les blessures restreignant sa liberté de mouvement, Maegor partit vers la côte avec son épée sur le dos et un baluchon au côté, s'aidant d'un cep noueux de vigne pour marcher et claudiquer. Convaincu que seule sa détermination pouvait changer son destin, et celle de son expédition, l'homme partait à la rencontre de son dragon, et de leur destin. Il y eut dispute avec son cadre de commandement. Tous avaient vu comme un mauvais présage la blessure terrible du dragon, et sa fuite. Certains pensaient que le Dieu de la Lumière leur avait tourné le dos. D'autres, qu'il fallait simplement rembarquer, retrouver leurs rivages de naissance, avant que Westeros n'ait leur peau comme le Tigre de Volantis avant eux.
Maegor laissa le commandement à Pausanias Tancreidon, son lieutenant. Et alors que la flotte repartit vers le Ponant, en quête de renforts, ses forces établir avec un moral mitigé les fortifications méthodiques des valyriens en vue de mener un siège en bonne et due forme.
Après tout, les civils interrogés dans les environs avaient confirmé l'attaque impériale en cours contre Hautjardin, et des rumeurs de croisade dans l'Ouest... Alors, ils se savaient peut être isolés, mais avaient conscience d'avoir ouvert un nouveau front dans le flanc du Bief.
Une expédition mal embarquée, une victoire bieffoise temporaire. Mais une blessure de plus dans le flanc de l'un des derniers royaumes libres de Westeros.