Le Roi des Iles de Fer, portant la couronne de Bois Flotté, présidait à un banquet de ses capitaines et nobles commandants. Tous étaient unanimes ; les reconnaissances entre là, le Mur et l'Île aux Ours les avaient laissés avec l'absolue certitude qu'un dragon, au moins un, était présent dans la région. Ce genre d'arme vivante génère aussi son lot de fantasmes, et les agents du Roi des Iles étaient partout malgré la surveillance nordienne. Combien avaient été placés là sous le règne d'Harren le Noir, ou mêlés à des cohortes de réfugiés venus de la côte ? Qu'importe au fond. Armée du Val et du Nord, renforts par la Mer, Dragon dans le ciel... Cela faisait trop. Et puis, il y avait eu la nouvelle qui avait enfoncé le clou.
« Grand Roi, la confirmation que nous attendions est tombée. L'Ouest a tourné le dos. Le Lion a offert son cul à l'Empire, pour sauver sa tête. »
Soubresauts, murmures et brouhaha finalement dans l'assemblée. Le Stig qui mâche ses lèvres avant de répondre, après un moment de réflexion.
« Harloi, envoie un courrier à Pyke. Tu es l'amiral de la Flotte de Fer. Mon second. Nous devons être renforcés. Mobilise tout ce qui flotte en dehors des frêles esquifs qui ne peuvent s'aventurer sur l'océan. La Flotte des Îles toute entière part à la guerre, comme du temps de ce vieux pendard d'Harren. »
Le brouhaha continue, tandis que plusieurs capitaines cognent leur torse de leur poing ou leur corne sur les tablées dressées en clairière, d'une forêt de sapin dominant la grève non loin. Tous savaient qu'en vérité, les Iles de Fer n'avaient plus les moyens humains d'une guerre. Il ne restait plus que les enfants de ceux qui avaient commencé cette guerre, ou les pères de ceux présents ici, avec eux. Mais plus de réserves. Les ambitions démesurées du Noir et de ses rejetons avaient saigné à blanc des îles surpeuplées dix ans plus tôt, augurant une nouvelle ère de raids et d'expansion, qui s'était conclue par les pires bains de sang de mémoire d'hommes.
Le fait est que le Roi Stig ne peut laisser le pays le plus « voisin » du sien librement naviguer dans ses eaux et profiter de son commerce, à portée de ses domaines. Il doit agir, et la priorité n'est plus la diversion au nord. Le monarque fait signe aux messagers suivants de porter leur message.
« Quinze mille. Bientôt vingt. Le Nord Véritable se vide, depuis que nous avons pris les portions orientales du Mur, et les sauvageons se déversent vers les monts du sud, où vivent les plus barbares des nordiens. Si les chiens des Starks ou les pigeons du Val ne font rien, ils vont se répandre sur ce pays comme des sauterelles avant la moisson. »
Provisoire, alors, mais beaucoup accueille la nouvelle de la diversion véritable avec force acclamations. Si les flottes nordiennes et riveraines sont dérisoires, celle de l'Ouest, intacte, sera renforcée du Crakehall si rapide à déserter les côtes du Nord... Alors, en unissant leurs forces avec les autres impériaux, ils pourraient coincer son armée ici, dans le Nord, et y mourir de fain au milieu de ces côtés décharnées, vidées de tous leurs habitants par la politique de fuite et de terre brûlée des hommes du Nord.
Il devait réagir. Sauver ce qui pourrait l'être. Ici, Nordiens et Valois et ce fichu dragon auront quelque chose à se mettre sous la dent.
« Armez-les. Continuez de les aiguiller au sud. Nous levons le camp... »
Le Roi reprend la parole, balaie l'assistance.
« Ne vous y trompez pas, messires et chiens de mers ! »
Tous se taisent, et écoutent.
« L'ennemi ici devra défendre sa capitale, sinon le Peuple Libre colonisera cette terre mal défendue, et trop vaste pour nous qui vivons de l'océan. Nous irons au sud. Les gueux du Conflans se sont laissés pousser des couilles parce que nous étions loin. Le lionceau croit pouvoir nous foutre par le cul, en changeant ENCORE de camp. La vérité, c'est que c'est nous qui allons les enculer. »
Le langage du Botley est renommé, même dans les îles, mais plus que l'ordure c'est le sens tactique qu'attendent ses hommes, et l'espoir.
« On va la jouer à la fer-née. Et on va tout ravager, de Villevieille à Moat Cailin, s'il le faut. On aura deux cent navires avec la marchande qui nous rejoindra, et nos fils, et nos cousins, et tous les autres. Je vais pas vous mentir ; vous avez tous menés colonnes et équipages à la guerre du Nord à Dorne, et dans toutes les contrées de ce continent maudit. Suivez moi et je vous promets une orgie de sang, d'offrandes au Noyé, au butin. Vous croyez qu'ils font encore attention à nous, au sud ? Ou ici, au Nord ? Nous allons les surprendre. Les Stark si soulagés qu'ils seront de voir les requins s'éloigner, ne pourront s'empêcher de vérifier. Les Riverains, arroguants roquets toujours plus soucieux des joies de la table et du sexe que de la guerre, seront volontiers partis à la conquête comme s'il s'agissait d'une bête aventure, tout comme ces Ouestriens qui n'y connaissent rien. Je dis ; pour le Noyé, prenons leurs femmes, noyons les autres, que l'Océan soit rouge et tapissé de nos offrandes. Nos boutres naviguent plus vite sur la mer de Sang ! »
Clameur, tout le monde comprend que c'est le va-tout du Roi, mais qu'ont-ils d'autre que leurs meilleurs chefs d'escadre pour les mener ? Le fer-né est brave, tempétueux. Si on lui coupe la main, il apprendra à tuer avec ses dents, et il continuera de le faire jusqu'à ce qu'on l'achève.
Au petit matin, il n'y a plus un navire dans la brume.
Et deux jours plus tard, les feux d'alarme du Nord qui deviennent fous, et qui s'allument des clans Norroit jusque Moat Cailin.
Quel sera le prochain coup des pirates des Mers, si l'armée impériale doit partir défendre les Clans et le Mur, assiégés ?