Ils sont venus avec la nuit. Ils ont vu les corps tomber des murailles de glace et de pierre, ils ont vu le Mur suinter les corps, et puis le sang. Ils sont arrivés comme les adeptes de coups de main audacieux qu'ils ont toujours été, profitant d'une accalmie dans les combats et dans l'exploration des contrées du Don. Les Fer-nés ont déjà emmené au sud du Mur une funeste cargaison, mais n'ont pas décidé de s'arrêter là. Au pied de Griposte, un conciliabule a lieu au milieu de l'expédition. Que faire ? Enfoncer cet avant-poste ? Défendre le Mur ? Le Prendre, quitte à le monnayer ? Les seigneurs exposent leurs idées et le Roi Stig en personne les écoute. Tous ont passé de la suie, de la terre ou du cirage sur leurs armes et sur leurs traits pour éviter que la Lune ne se reflète sur leur visage.
Décision est alors prise de monter.
Edric Wynch prend la tête de l'expédition. Ils sont un millier à passer leurs armes à la ceinture ou au baluchon, et à entreprendre l'immodérée ascension vers les sommets du Mur, à se mettre en quête de la vérité mortifère qui s'y cache. Il faut des heures pour monter les quelques centaines de mètres, y compris avec l'équipement léger propre aux insulaires. La pente est raide, les marches glissantes et givrées. Il y a des accidents en route. Et les moins bien protégés souffrent très rapidement de blessures liées à leur escalade, estafilades et autres membres foulés ou brisés. Courageux, ils se demandent pour beaucoup au cours de leur escalade ce qui les attend en haut. Et pourquoi aucun Garde, ni aucun tir défensif, de semonce ? Tout cela est décidément bien mystérieux et seuls les guerriers les plus endurcis arrivent finalement en haut du Mur. Il aura fallu des heures pour ça, et la colonne des guerriers partis au sommet s'étale encore sur des centaines de marches...
Quand Edric arrive au sommet, la plupart des défenseurs de la portion du Mur sont morts au milieu des corps de sauvageons. Les rares survivants, hagards, couverts de givre et de sang, leur hèlent de s'identifier et les visent de leurs arcs. Ils ne les reconnaissent évidemment pas comme des camarades malgré l'obscurité et la seule lumière de la Lune, des astres, et de quelques torches. Dans leur démarche, beaucoup les reconnaissent comme des fer-nés qu'ils ont combattus ou côtoyés du temps de leur service dans d'autres armées... Mais Edric joue la carte de la diplomatie, d’abord. Il indique qu’il est envoyé en renfort, pour protéger cette partie du mur. Il dit qu'il y a des putains de cannibales très en forme et féroces de l’autre côté du Mur, qu’il voudrait bien qu’ils restent de ce côté. Il clôture en lâchant, amer, que si les défenseurs le souhaitent ils peuvent se tirer dessus et se combattre plutôt que de parler du sujet. Les hommes de la Garde de Nuit se regardent quand Eldric prend la parole. Ils font signe aux envoyés de venir, de s'avancer. Les discussions s'engagent d'abord, le chef lance qu'ils tiennent tout juste mais qu'il sait que ses hommes ne sont pas de la Garde. Ils sont circonspects, il y a des conversations, et puis d'un coup l'un d'eux lâche que les cannibales ont déjà franchi le Mur.
Aussitôt, une énorme clameur s'élève et les corps tapissant le Mur s'agitent; les morts des combats sont bien vivants ! Prenant par surprise les Fer-nés, ils se relèvent en hurlant et beaucoup d'insulaires sont lardés de coups de couteau ou transpercés de fers de lances ou d'épées. Les corps sont aussitôt envoyés par-dessus Mur, retour à l'envoyeur. Eldric et ses hommes réagissent pourtant férocement, et même si Eldric prend un vilain coup de glaive dans le ventre, au travers de l'armure de cuir et de mailles, il se bat derechef et beaucoup de sauvageons se font tailler en pièces à coups de haches. Le combat est sans pitié ; passée la surprise les fer-nés -qui continuent d'escalader- sont terriblement plus nombreux et il est clair qu'ils ont l'avantage des armes et du nombres. Les morts relevés ne sont rien de plus que des sauvageons en tenue ou qui l'ont échangée contre celle des Gardes tués durant leur propre assaut.
Les cris fer-nés dominent la mêlée et beaucoup commencent à clamer victoire quand un terrible grondement retentit... Suivi de craquements terribles, venus semble-t-il des entrailles du monde. C'est un bruit de fer et de bois, où des puissances de milliers de tonnes cumulées s'écrasent les unes contre les autres.
Edric, se retournant vers la source, voit tomber un pan de mur vraisemblablement attaqué au pic, en plein sur l'escalier d'où montaient les renforts. Ses paupières s'écarquillent quand il voit un bloc monstrueux se détacher, et comprend qu'il n'a pas pu être travaillé que de main d'homme. Et à côté du gigantesque morceau de mur qui s'écroule, des dizaines de morceaux plus petits se brisent et dévalent la pente.
Des dizaines d'hommes sont pris dans la chute et entraînent d'autres fer-nés à leur tour. Pour Eldric et ses hommes ça a l'air mal parti car l'escalier a été endommagé et les renforts sont laminés par la chute de glace et les éclats.
D'en bas, le Roi ne voit rien de tout ce qui a précédé la chute. Il a entendu du bruit avec ses troupes, et il y eu à nouveau des ombres qui se détachèrent du sommet pour s'abattre au sol. Il pleuvait à nouveau des corps, avant de pleuvoir le monde. Tous les spectateurs eurent le cœur glacé de voir un bon bout de Mur dévaler sa propre pente dans un nuage de glace et de débris, emportant à sa suite des chapelets entiers de fer-nés escaladant l'escalier. En le percutant, le drame s'intensifie en projetant des milliers d'éclats de glace alentours, laminant les colonnes de renfort quand elles ne se font pas attraper par les débris de glace qui rebondissent sur le mur et l'escalier, entraînant un nombre important mais indéterminé de victimes en bas.
L'armée au sol doit vite s'écarter, mais des dizaines d'hommes sont engloutis par la chute des débris monstrueux dont le craquement terrible ensevelit les corps pas assez rapides pour s'écarter. C'est un carnage, que l'éboulement vient couvrir comme d'un châle de pudeur en étouffant les sons dans une poudre de neige et de glace très vite, soulevée par l'éboulement de fin du monde.
Edric ne peut rien faire, et voit des dizaines de ses hommes avalés par le sol qui se dérobe sous leurs pieds. Il essaie de rassembler les survivants pour se frayer un chemin vers le Corps de Garde des corbeaux pris par les sauvageons. Ils progressent et éliminent une bonne part la résistance sauvageonne, les survivants ennemis se rassemblent autour du corps de garde, vous êtes maintenant plus nombreux mais l'ennemi semble attendre des renforts, ils ne cessent de regarder de l'autre côté du mur d'où résonne le cor.
Rapidement, les fer-nés éliminent les derniers sauvageons, qui se font tuer jusqu'au dernier sans se rendre.
Au-delà du Mur, le Cor sonne toujours. Et la glace craque, craque... Le mur voit des blocs se détacher, et d'énormes lézardes apparaître. Une vingtaine de fer-nés est emportée par un bloc qui se détache et qui s'écroule des centaines de mètres plus bas. L'endroit où se trouvent les rares survivants commence à glisser aussi !
Ils n'ont d'autres choix que de courir le plus vite possible alors que le Mur continue de perdre des morceaux entiers, affaissant considérablement son niveau.
Au petit matin, le Roi Stig Botley envoyait un courrier aux autres souverains de Westeros. Ses hommes n'ont pas fini le décompte des pertes, qui se chiffrent en centaines de disparus et de morts. Derrière lui, un Mur qui a perdu de sa hauteur, mais qui tient toujours debout.
Un cor terrifiant continue de sonner, en de longues et puissantes expirations.
Edric reprend conscience à près de deux kilomètres de l'épicentre de l'éboulement. Derrière lui, un Mur accidenté, effondré sur un gros tiers de sa hauteur d'un côté et de l'autre de ses faces. Devant lui... Le Blizzard. Et un autre poste, visiblement attaqué car en flammes, à l'horizon.