Depuis que la nouvelle de la victoire du Trident est tombée, la capitale s’active comme une fourmilière. Et moi, je cours d’un bout à l’autre. A la réception de la missive de Torrhen, j’ai lancé les préparatifs – que ce soit pour le départ de quelques éminentes figures encore présentes à Fort-Darion, ou pour celui des convois d’approvisionnement. Mes enfants vont me suivre, naturellement. S’il y a bien une chose que j’ai appris avec la prise de la capitale par le Fer-né Lyle – ou la déclaration de guerre inattendue par le Val et l’Ouest –, une mère est la meilleure protectrice. Et surtout si elle se nomme Nelya Omble. Depuis que j’ai enrôlé Benjen comme aide de camps du Roi Jon Stark, je n’ai plus une seule nuit réparatrice. Et je tremble à chaque nouvelle missive du Conflans, craignant qu’on m’annonce la mort de mon ainé. L’intendance est une catharsis puissante, exigeant une considérable énergie. Je m’y fatigue assez pour somnoler quelques minutes devant un feu de chemin – ou quelques livres de comptes. A quelques occasions – notamment lorsque les nouvelles sont bonnes du front où se trouve Benjen –, je peux même espérer apprécier quelques heures de sommeil, sans le moindre rêve ou cauchemar.

Le mestre me conseille le lait de pavot. Je refuse, tout naturellement. J’ai été suffisamment témoin de ses ravages. Si certaines personnes ont suffisamment de force ou de lucidité pour s’en débarrasser, d’autres y sombrent. Malheureusement, il est impossible de savoir – en amont – si nous serons fort, ou faible, face aux prétendus bienfaits de la boisson. Dès lors, au vu des responsabilités qui sont miennes, je refuse de tenter ma chance ! Mon atout principal est mon intelligence même. Si je l’abrutis ou la ralentis avec quelques remèdes, juste pour dormir une nuit ou deux, je pourrais tout perdre. Cette simple idée m’arrache un frisson d’horreur. Il est hors de question que je sois réduite au rang d’une simple veuve, alors que je suis près de quelques hauts buts que je me suis fixée.

La journée touche à sa fin. Il y a encore tant à faire ! Malheureusement, je suis forcée à reporter au lendemain. Je vais accorder les dernières heures de cette nuit à une dernière tâche, importante mais un brin personnel.

- Lady Helena, puis-je vous déranger quelques instants ? interpellais-je cette dernière. Nous nous sommes rencontrés à quelques rares occasions, mais jamais suffisamment pour échanger longuement. Si vous n’avez pas encore mangé, nous pourrions partager le repas.

La dame allait être une ambassadrice de l’Empire sur les terres du Conflans – au pire –, ou nouvelle Reine du Conflans – au mieux. En somme, cette brunette va avoir son poids au sein de l’Empire – et avoir une solide voix au sein du Conflans même. Il est bon de la connaître avant qu’elle ne quitte Fort-Darion pour une courte ou longue durée. Et s’il est possible d’en faire une amie, j’en serais que plus heureuse – et victorieuse.

Tout est stratagème.
Sauf avec la Maison Stark, ou la Maison Braenaryon. Je suis fidèle à l’un et l’autre, de façon indéfectible et sans la moindre arrière-pensée.

Elle a perdu une couronne, un époux et, surtout, un enfant. Beaucoup serait inconsolable, se perdant les méandres du désespoir, de la mélancolie et de la douleur. Et puis, il y a ces exceptions qui acceptent les coups durs du destin et tentent d’avancer vaille que vaille ! Il semble qu’Helena Hoare, née Bracken, soit de ces braves et courageuses femmes, capable de se relever et de se battre encore pour leurs idéaux – ou de nouveaux idéaux empruntés à d’autres. Si certaines craintes persistent encore à son égard, elles ne sont nullement gênantes au bon fonctionnement de l’Empire. Cette brunette a toutes les qualités nécessaires pour rejoindre l’Empire et, mieux, pour Le représenter auprès des plus réfractaires. Elle sait allier douceur et force. S’il serait exagéré de prétendre qu’elle ressemble à Rhaenys ou à Argella, elle n’est pas loin de les égaler avec sa bravoure, sa force de caractère ou sa beauté – ou charisme.

Je remarque son regard admiratif, et ne peux pas m’empêcher de ressentir une pointe de fierté. Qu’il est agréable de s’imposer naturellement, en raison d’un titre ou d’une allure ! J’ai souvent prié les Anciens Dieux afin qu’ils offrent de tels avantages à mes trois enfants. A nouveau, je ne suis pas sotte au point de croire que tous mes enfants seront mes copies conformes. Certains me surpasseront, là où d’autres arriveront à peine à ma cheville. Est-ce que mon amour à leur égard changera ? Nullement ! Je les aimerai, pour toutes leurs qualités et leurs défauts, tous leurs échecs et réussites. Il m’est impensable d’envisager un tout autre sentiment à leur égard !

- J’ai donné toutes mes instructions. Là, toutes les mains disponibles travaillent comme de petites abeilles pour préparer de larges convois. J’ai assez de temps pour manger et boire en bonne compagnie, avant d’être rappelée à mon devoir, confiais-je.

Aujourd’hui, même le Mestre a été débordé. Nous avons eu à écrire ensemble toutes les missives et les ordres, selon les instructions envoyées par le couple impérial – ou selon nos connaissances personnelles des rouages de Fort-Darion. Mon doigt du milieu en était rouge, et arborait même une légère bosse maintenant ! La bosse des scribes, dit-on !

- Vous m’en voyez ravi ! J’aurais été bien attristée de vous laisser partir au Conflans, sans avoir échangé convenablement avec vous, avouais-je, ne cachant en rien mes intentions vis-à-vis de ce tête-à-tête.

Je l’invite à me suivre, et l’oriente vers mon bureau de travail. Si la grande salle est plus appropriée pour déjeuner, ou diner, elle n’est pas propice pour quelques échanges discrets – souvent dérangés par les marques de respect, ou par les questions des uns et des autres. Dans ces situations, je préfère largement cette pièce peu décorée et simplette pour souffler un brin, ou pour discuter tranquillement avec une ou deux personnes. Mes appartements sont exclus, n’invitant que ceux en qui j’ai une grande confiance.

- J’ose espérer que vous saurez toujours savourer un bon plat chaud dans un environnement assez austère. Malheureusement, c’est bien le seul endroit où je ne suis pas dérangée constamment, expliquais-je calmement. J’en profite pour demander à une servante d’apporter des plats chauds et des pichets d’eau et de vins pour deux personnes. Pour ma part, je m’y plais. J’ai l’impression de retourner un tantinet dans le Nord.

J’avais apporté quelques touches de décorations personnelles.
Des fourrures d’ours gigantesques parent des chaises posées autour d’une table solide et grande. Celle-ci n’est pas bien loin d’une grande cheminée où aucun feu ne brûle. C’est l’été, mais les soirées peuvent encore être très fraiche, surtout pour les plus frileux – comme le Mestre, ou quelques invités inattendus et impromptus. Au lieu de gaspiller de l’énergie à animer un feu, j’ai opté pour ces couvertures. Enfin, une tapisserie très bien ouvragée représentant quelques scènes épiques ou connues des récits du Nord et les principaux blasons des souverains fédérés ornent les murs. J’ose espérer rajouter les Arryn, les Lannister, les Timbal et les remplaçants des Hightower bientôt ! Ce projet ne me semble plus aussi fou qu’il y a une ou deux semaines.

- Avant toute chose, je souhaite exprimer mes plus sincères condoléances. J'ai été mère à trois reprises. J'ai été veuve à deux reprises. Je sais à quel point nous nous attachons à ces êtres qui grandissent dans le creux de notre ventre, ou à ceux qui partagent notre couche et malgré tous leurs défauts et en raison de toutes leurs qualités. Vous avez vécu de tragiques épreuves, et tout est à votre honneur d'être debout et prête à accomplir ce qui vous semble juste. , confiais-je.

- Je suis bien désolée que les gens oublient que, nous, les femmes n’avons pas de choix pour notre premier mariage. Nous nous soumettons à l’autorité parentale, à moins qu’elle ne soit royale. Il est malheureux que vous portez le poids des erreurs de votre défunt époux, alors que vous n’avez fait que répondre à votre devoir en tant que sujet et épouse.

Il n’est pas question d’hypocrisie, mais de sincérité. Si les mariages d’amour existent, ils sont extrêmement rares. Nous ne vivons pas dans un monde propice à l’attente et aux états d’âme. La mort arrache nos proches et nos aimés d’un instant à l’autre, à travers la guerre, la maladie, la grossesse ou la vieillesse. Atteindre la quarantaine est envisageable. Avoir la cinquantaine tient du miracle. Durant ce court laps de temps que les Anciens nous accordent, il faut se saisir de toutes les opportunités pour assurer la pérennité de notre lignée et la prospérité de notre Maison.

- Vous me semblez être une femme forte et résiliente. Je ne doute pas que vous saurez faire entendre votre voix auprès des vôtres, et prouver votre bonne foi. Moi, j’y crois. Vous avez réussi à convaincre l’Empereur et je le considère comme un bon juge d’autrui, soufflais-je, mentant qu’à demi-mot.

Si je ne doute pas du jugement de Torrhen, je suis persuadée d’être meilleure que lui dans cet exercice. L’homme a trop trainé sur les champs de bataille, habitué aux rencontres franches et sanglantes. Il n’est plus aussi fine lame face à ces courtisans plein de fourberies et sournoiseries. Heureusement, je suis là, gardienne de ses idéaux contre ces vautours. Ce soir, je dois à nouveau protéger ces terres et ces efforts communs des Royaumes Fédérés, en me faisant ma propre opinion de la brunette. C’est une chose que d’avoir une bonne volonté et des idées, c’est autre chose que de savoir convaincre ou de mener sa barque sur la scène politique.

- Fort-Darion sera, à terme, qu’un capharnaüm d’us et de coutumes. Je vois déjà les premiers signes, ma Dame. Des hommes et des femmes d’un même royaume se rassemblent dans des quartiers, mettent en place leurs croyances, répandent ou vendent leurs savoir-faire à travers les commerces. Cette diversité peut intimider, voire effrayer, de prime abord. Pourtant, elle va apporter tant de bienfaits sur le long terme. Si seulement les derniers réfractaires, et aujourd’hui nos ennemis, le comprennent …

Malheureusement, les Puissances Centrales semblent décider à faire couler le sang pour conserver un vieux monde. Il suffit de faire tomber le Val et l’Ouest pour rétablir un semblant d’équilibre contre le plus grand et mortel danger : le Bief. Enfin, il est facile de le dire. L’affaire est autre en pratique.

- Faites-moi donc part de ces us et coutumes qui vous étonnent. Je suis si habituée maintenant, que j’en ai oublié mes premières surprises, insistais-je.

- Le Conflans a longtemps été sous la domination de la Maison Hoare. Il y a, encore, des maisons extrêmement loyales à cette royauté déchue dont la seule survivante est Eren Hightower. Cette dernière n’a nullement les intérêts de quiconque, si ce ne sont les siens, à cœur. Elle ne pardonnera pas les maisons ayant ralliées à la maison Tully, commençais-je calmement. Le Roi Lyham est un jeune Roi, encore proche de ses hommes et de ses seigneurs. Je ne doute pas qu’il voudra réunir toutes ces maisons du Conflans sous une même bannière, et revoir fleurir de beaux étés au sein de son Royaume. Vous et lui pourrez défendre ces terres qui vous tiennent tant à cœur. Je vous conseille fortement de lui écrire, dans les jours prochains. Je ne doute pas qu’une lettre de votre part lui sera agréable et davantage si vous vous connaissiez bien avant tous ces malheureux événements.

Je tâte ce terrain inconnu. Est-ce qu’Helena connaît déjà Lyham ? Si oui, est-ce que l’entente est bonne entre ces deux-là ? Si non, est-ce que leur caractère pourrait s’accorder ? Enfin, est-ce qu’ils pourraient travailler de concert pour l’avenir de leurs terres et, en parallèle, pour l’avenir de l’Empire ? A n’en point douter, l’alliance entre la Maison Bracken et la Maison Tully, deux vieilles et respectables maisons riveraines, pourrait renforcer la place de ce nouveau Roi sur ces terres.

- Je suis bienheureuse de savoir que vous ne portez nul grief envers l’Empire et aux Royaumes Fédérés. La guerre est un outil politique extrêmement violent et sanglant, où le perdant est condamné à une bien triste fin. Si cela peut vous réconforter, vous pouvez au moins être rassurée qu’il est mort en défendant … ce qu’il pensait être juste, terminais-je cette phrase avec une certaine raideur.

Il m’est difficile de défendre une lignée m’ayant couté un amant et deux époux – et presqu’un fils ! Un court instant, mes pensées s’envolent vers mon aîné. Que fait-il à cet instant-ci ? Mange-t-il à sa faim ? Les nouvelles sont bien mauvaises sur la situation des armées, me coupant davantage mon propre appétit. A-t-il froid ? L’été est plus chaud au Conflans, dit-on, mais je ne suis guère plus rassurée. Est-il malade ou, pire, blessé ? Une question à laquelle je n’aurais pas une réponse de sitôt. Je soupire, abandonnant cette inquiétude maternelle quelques secondes et me concentrer sur cette blondinette endeuillée.

- Je suis née sur l’Île-aux-Ours, et j’ai grandi là jusqu’à ce que je sois en âge de visiter la forteresse de Winterfell ou de me marier. En hiver, le gel est notre compagnon et les eaux sont suffisamment glaciales pour tuer un imprudent qui veut s’y baigner plus de quelques minutes. En été, soit nous avons à affronter l’attaque de sauvageons, soit à porter secours à nos voisins. En somme, en tout temps, et en toute saison, la vie a été rude et impitoyable. Pourtant, je n’en garde aucun vilain souvenir. Au contraire ! Je me souviens de ces longues veillées autour d’un âtre généreux avec nos gens, les nombreux échanges avec mes parents ou avec ma fratrie et tous ces petits événements qui apportaient joie et merveille.

Je ne dis rien de la première visite des Loups en nos terres.

- Puis, j’ai découvert les terres de mon premier époux, bien plus au Sud du Royaume. Là, la vie a été plus agréable. Il y a de nombreuses collines fertiles et un fleuve où nous pouvons tremper nos pieds sans risquer de les perdre. Les sauvageons sont loin, nous cantonnant à porter surtout secours et non à subir les attaques. Mes meilleurs souvenirs sont, avant tout, ceux d’une épouse et d’une mère. J’espère, sincèrement, que vous gouterez aux plaisirs de la maternité.

Un instant de silence flotte, où je repense à ces terres natales. Si j’ai à mourir, je veux bien qu’on ramène ma dépouille là-bas et qu’on la dépose soit à l’Île aux Ours, soit à Corbois.

- Lorsque cette guerre sera terminée, j’espère que vous pourrez découvrir ces territoires de vos propres yeux. Moi-même, je m’assurerai de visiter vos terres et essayer de voir ce monde à travers vos yeux d’enfant de l’Eté, m’amusais-je à la qualifier, tant pour souligner sa jeunesse que pour reconnaître une forme de tendresse dont je me sens assez dépourvue en comparaison.

- J’ai eu l’opportunité de rencontrer sa Majesté la Reine Éleanor. Elle semble être une personne agréable. Je ne doute pas que sa compagnie doit être délicieuse, complimentais-je avec sincérité. Jadis, j’étais comme ces jeunes filles pleine de fraîcheur, d’innocence et d’énergie. Aujourd’hui, l’âge, l’expérience, les horreurs, les pertes, les joies et les multiples hivers ont façonné mon âme, mon corps et mes traits. Je ne suis plus une compagnie adorable. Soit je gêne, soit j’intimide, soit je séduis. Je ne doute pas un instant que votre lettre lui fera grand plaisir. Le Nord peut être extrêmement intimidant pour les nouveaux arrivants. Quelques mots amicaux lui feront un grand bien et l’aideront sûrement à s’habituer davantage à sa nouvelle demeure , conseillais-je. Le Nord effraie avec ses légendes austères et ses gens rudes. Pourtant, le Nord est chaleureux à ceux qui osent se mêler et, surtout, se révéler franchement et sans artifices. Est-ce que la nouvelle Reine de mes terres natales a saisit toute cette nuance ?

Elle parle, Helena Hoare née Bracken. Et j’apprécie.

- Je suis heureuse, si nous pouvons parler franchement. C’est davantage dans ma nature , mentis-je à demi. La politique nécessite de la duplicité et de la manipulation. Je n’y prends ni plaisir, ni déplaisir : ce sont des outils comme d’autres, et seule la fin compte véritablement. J’en use donc lorsque c’est nécessaire – par manque de choix, ou par obligation. Aujourd’hui, et à cet instant, je n’ai pas à m’en préoccuper. Je n’ai rien à tirer de cette brunette en jouant un jeu. La Nature est rude, mais Elle rapproche davantage les gens. Ma Dame, c’est au cœur des hivers les plus froids que j’ai été témoins des plus grandes bontés. Enfin, l’Hiver vient a tant d’autres sens dans mon esprit : l’attente de voir ces jeunes loups Stark arriver sur nos terres, l’espoir d’être aimée par Torrhen – ou de retrouver les bras aimants de son jeune frère –, l’assurance d’être protégée par les Rois et les Reines du Nord … C’est dans les adversités les plus redoutables que l’Empire et les Royaumes Fédérés forgent un avenir commun. Main dans la main… , ma voix se perd, en même temps que mes pensées.

La demoiselle ne perd pas son temps, et se montre extrêmement volontaire. Nonchalamment, j’appose mon regard sur elle et la dévisage longuement.

- Quels sont vos projets et vos idées pour apporter la paix à vos terres natales ? Je ne doute pas un instant que l’Empereur et vous avez déjà échangé et avez déjà discuté à ce sujet-ci , glissais-je. Nous fonctionnons constamment ainsi, Torrhen et moi. Il tranche, il fonce, il martèle. Je réconcilie, je retiens, j’arrondis les angles. En somme, il trouve le diamant brut, l’arrache aux entrailles de la terre et me le confie. Je me charge aussitôt de le tailler, de le sublimer et de le lui apporter. Nous nous complétons avec nos tâches respectives. Pour cette même raison-ci ; je n’ai pas besoin de le consulter constamment. Je sais presqu’instinctivement ce qu’il désire, ou projette. Partagez avec moi, si vous voulez bien. Il faut s’y atteler sans trop tarder.

- Le mariage est un devoir sacré pour tout homme et toute femme. Malheureusement, et bien souvent, les femmes ont peu de voix au chapitre, là où les hommes ont de nombreux droits. Vous et elle n’avaient pas échappé à cette dure loi. Si Sa Majesté Eléanor est aussi bonne que vous le dites, elle comprendra aisément votre situation et renouera ce lien que vous entreteniez jadis, rassurais-je.

Malgré ma profonde haine envers les Hoare, je ne peux pas haïr totalement et définitivement cette brunette. D’une part, elle n’a fait qu’obéir à ses parents et à ses souverains – et c’est tout à son honneur que d’être un sujet loyal. D’autre part, elle ne porte pas le sang de ces immondices : elle n’a été liée que par le mariage. Enfin, et plus important, elle semble être prête à promouvoir et à soutenir l’Empire sur les terres du Conflans, notamment auprès de seigneurs encore récalcitrants.

- Je suis nostalgique, oui. J’ai connu mes plus belles années, mais également les plus terribles, sur ces terres. Pour autant, je n’y retournerai pas de sitôt. Les mariages de mes enfants, les naissances de mes petits-enfants à venir ou ma future vieillesse seront les seules raisons qui me feront quitter Fort-Darion, dis-je.

La demoiselle s’exprime à nouveau sur les fameux projets. Il est question d’une influence précieuse, de conversion des alliés à nos idéaux et, surtout, de mariage. Je devine aisément l’identité du futur époux ; et ne peux que féliciter Torrhen pour son choix. Si la demoiselle s’allie à Lyham Tully, l’union sera un message fort sur tous et toutes. Enfin, et plus important, l’union de deux grandes Maisons conflanaises ne peut qu’être bénéfique.

- Vous avez été Reine et, pour beaucoup, vous l’êtes encore. Je ne m’aventurerais pas à vous dire ce que vous devez envisager ou non vis-à-vis de votre futur, commençais-je calmement, cherchant déjà les bons mots.

Il faut la convaincre qu’elle doit faire tout son deuil très vite, et surtout, se remettre en selle sans tarder. Je préfère que Lyham fricote avec les dames de sa cour, qu’avec une parfaite inconnue venue d’Essos. Cette relation licencieuse offre trop de munitions à ces ennemis vis-à-vis de sa légitimité au Trône. Helena est une option dont nous avons tous besoin !

- Par contre, vous avez à réfléchir à l’avenir des gens qui vous considèrent encore comme leur souveraine légitime, ou qui vous font confiance, continuais-je. Votre influence ne sera pas éternelle, sans action concrète de votre part. Si vous désirez apporter la paix à vos terres, vous avez à faire le deuil de votre époux au plus vite et à vous hâter auprès des vivants qui ont encore besoin de vous, dis-je lentement, le ton le plus chaleureux possible.

Je ne joue pas, je ne feins pas : je suis sincère. Plus la demoiselle tardera à se manifester, plus elle perdra tout ce qu’elle possède entre les mains. Si elle désire être chose qu’un hymen ambulant offert au plus offrant – ou opportun –, elle doit agir maintenant. Malheureusement, je ne connais pas son tempérament pleinement et je ne peux pas me permettre de la bousculer aussi brutalement et franchement. Alors, j’essaye de prendre les gants, et de l’attaquer sur un plan plus politique que personnel.

- Je sais que je vous demande beaucoup. Malheureusement, ma Dame, c’est le poids de toute Couronne. L’Empereur n’a guère eu le temps de pleurer sa propre épouse, la mère de ses trois enfants. L’Impératrice a eu à prendre les armes, malgré l’assassinat de ses propres parents. Les Reines Jordane et Sharra n’ont pas patienté suite au décès de leur conjoint respectif. En agissant, ils ont réussi à préserver bien des choses. A l’inverse, ceux qui ignorent l’appel du devoir sont happés par autrui. Je peux vous citer la malheureuse Princesse Deria qui a trop tergiversé et qui n’a jamais cherché à se venger activement vis-à-vis de l’assassinat de son propre père. Plus récemment, nous pouvons parler du jeune Roi du Val, qui s’est retiré quasiment du pouvoir suite au décès de sa femme.

Je ne dis plus rien, attendant ses premières réactions.

Lorsqu’elle me demande comment je peux supporter d’être autant éloigné de mes terres, je me contente simplement de lui sourire chaleureusement. La réponse est trop complexe. Elle nécessite de trahir quelques secrets du passé et du cœur, et surtout, elle risque de raviver la douleur d’avoir perdu un enfant à mon interlocutrice. Je ne peux pas me le permettre, par conséquent. Une femme noble apprend vite à se détacher de ses terres natales, bien souvent mariée à un homme inconnu dans un fief voisin voire dans un fief inconnu et étranger. Une dame amoureuse quitte aisément sa maison et les siens pour rejoindre l’être aimé chèrement et tendrement. Enfin, et plus important, une mère se rendra là où les intérêts de ses enfants résident. Je suis à Fort-Darion pour l’Empereur mais, également, pour mes enfants. J’aime le premier, même si l’amour n’est pas mutuel. Je crois que les seconds ont plus à gagner en étant intendante de la maison impériale quand étant lady douairière de la maison Corbois.

- Le temps venu, vous comprendrez bien vite que des terres ne sont que des terres. Nous en reparlerons ce jour-là, conclus-je.

Enfin, elle parle du futur et de ses projets. Je décèle bien vite les projets et les perspectives envisagés par l’Empereur. Je l’accompagnerai dans cette démarche, et je m’assurerai que sa volonté se réalise. Si celle-ci ne peut pas être possible avec Helena Hoare, j’ai déjà une ou deux nouvelles perspectives ! Les demoiselles et les messieurs à marier ou à intriguer ne manquent pas au sein du Westeros, fort heureusement !

- Je suis rassurée par vos propos, Dame Helena. Mon but, aujourd’hui, était de m’assurer que nous pourrons avancer main dans la main pour le bien du Conflans et, autant, de l’Empire. Je suis rassurée de savoir que j’aurais une oreille attentive à mes idées et à mes propositions au sein de vos terres, en votre personne, dis-je, lui annonçant par là que je vais lui accorder un semblant de confiance. Nous ne mettons pas en place des projets ou des idées avec ceux dont nous nous méfions mortellement. Je suis parfaitement consciente que vous avez besoin de temps. Les derniers événements ont été rudes pour vous, pour les vôtres et pour votre corps. Je ne vais abuser de votre hospitalité et de votre amabilité davantage. Nous reparlerons du Conflans, de vos besoins et de vos idées plus tard, lorsque vous serez pleinement et totalement reposés.

Rien ne presse, quoi qu’en dise Torrhen. Il faut planter les graines avant tout, et il faut trouver le bon jardinier – ou les bons jardiniers. Dès lors, qu’importe que je tombe ou qu’il tombe, quelqu’un prendra la relève et poursuivra cet œuvre. Un Empire ne se construit pas sur une seule et unique génération, mais sur plusieurs. Il en est de même avec la paix, les alliances et j’en passe. Oui, les vieilles âmes comme Torrhen et moi agissons au jour le jour, comme s’il était le dernier, comme si la Mort nous collait à notre peau et que chaque seconde est comptée. Nous faisons au mieux pour laisser un héritage convenable à nos enfants – qu’importe qu’il soit bien lisse et poli, ou qu’il soit imbibé de sang.

Il se fait bien tard. Nous ne tardons pas à nous séparer sur quelques politesses.