Je commençais à me demander jusqu’où il allait falloir poursuivre cette armée du Bief. Qu’est ce qui leur serait acceptable ? De perdre leurs conquêtes ? Sans doute. Ils venaient de le prouver. Plus ? Willum, Grassy Vale ? Plus encore ? Je commençais à me demander si nous n’étions pas attirés en territoire ennemi non pour gagner seulement du temps en vue de réunir des troupes, mais pour découvrir le flanc sud. La dernière armée de réserve était sensible à toute poussée venant de Dorne et de la mer. Nous avions beau nous prémunir, il n’existait aucune garantie… Et l’attaque était toujours plus forte que la défense, quand elle était un peu préparée. Car seul l’assaillant pouvait choisir véritablement la zone des combats, planifier à l’avance renforts et ravitaillement. Le défenseur subissait. Cette posture pouvait parfois l’emporter, mais elle n’avait pas ma préférence. Dans le cas présent, elle restait indispensable. Cette armée devait protéger nos arrières, autrement la perte de nos bases condamnerait notre armée fort éloignée dans une campagne meurtrière contre un ennemi trop nombreux.


La question de la fuite ennemie restait donc en suspend. Jusqu’où aller sans nous mettre trop en danger, et annihiler le bénéfice des terrains repris ou conquis ? Je reste des heures devant la carte, à n’en plus dormir. L’esprit vaguement embrumé par la bière et par le doute. Que ferait Hightower ? Que savais-je de lui ? Que ferais-je moi, à sa place ? Serait-ce seulement valide de penser comme il le faisait ? On venait m’interrompre, pour me dire que la Reine de l’Orage voulait venir. Encore une vendetta personnelle, ou questions militaires ? Les ordres étaient déjà partis aux commandants.


Elle rentre avec enthousiasme, me salue d’un titre. J’incline la tête après le sien, alors qu’elle était tout sourire et vigueur, visiblement prête, malgré les stigmates physiques qu’elle avait reçus à la bataille, à conquérir le Bief à elle toute seule. Difficile d’être en colère bien longtemps contre quelqu’un comme Argella, si prompte à faire naître le respect et d’un enthousiasme si communicatif. Mais elle était comme Rhaenys. Impulsive, et passionnée. Je la regarde fixement pendant qu’elle fait son entrée, me réclame des nouvelles et dit ne pas avoir voulu me déranger.


| Majesté… Je vais bien, merci. J’espère que c’est aussi votre cas malgré les ajouts à votre collection de cicatrices… |


Etait-ce un brin d’envie dans ma voix ? Je me sentais vieux, et inutile. J’avais raté la bataille et quatre cohortes impériales avaient connu leur première épreuve du feu sans moi pour les encadrer. Je me sentais comme un père dont les fils partaient se battre sans ma surveillance, ou quelque chose dans le genre, et je détestais cela. Je fais signe à Argella de s’approcher près de la carte étalée sur la table de campagne, près du foyer central.


| Vous tombez à point. |


Je désignais notre position au Nord de Lestival, et le fleuve près de pierreheaume en traçant une ligne presque droite entre les deux.

Autant être direct et frontal avec Argella. Ses missives n’avaient mis en exergue qu’une chose ; son caractère impétueux était bien plus changeant que ce que j’avais imaginé de prime abord, et la colère comme la rancœur pouvaient durablement empoisonner son esprit comme son cœur. Je me méfiais donc de ses sentiments, de la façon qu’elle avait de vivre de ses émotions. Cette histoire prouvait comme toujours qu’à la fin des fins, on ne pouvait compter que sur soi-même, mais j’étais quelque part reconnaissant de la rencontre provoquée, et des travers qui en étaient ressortis. Cela replaçait le château au centre du village, et me rappelait que malgré l’amitié, tout le monde était faillible. Mes espoirs placés en Mahée Allyrion demandaient une concrétisation à leur hauteur, sinon des dispositions étaient prises pour assurer notre sécurité. Et Argella, malgré toutes ses qualités, restait une jeune souveraine, avec certains des travers de son père. Restait encore et toujours à agglomérer cette masse de défauts et de qualités pour en faire quelque chose de positive pour l’Empire. Mince sourire quand elle parle de son retard en matière de cicatrices.


| Priez donc vos dieux de n’avoir jamais à ressembler à un vieux chien de guerre. |


Prier pour cela ne serait pas de trop, compte tenu des défis qui nous attendaient désormais. Elle semblait de fort bonne humeur, quoiqu’il en soit, et c’était communicatif. Je sentais que la durrandon brûlait de s’impliquer elle-même dans les affaires du sud mais d’après tous les renseignements en notre possession, y envoyer elle ou Rhaenys serait sans doute la pire décision qui soit. Elles étaient celles qui avaient rejetés les Martell de leur couche et de leurs alliances, et elles avaient insulté Dorne pour s’en brouiller à mort. C’était un peuple fier, comme tous les autres en Westeros, et il n’y avait sans doute pas à attendre beaucoup de choses des premiers contacts entre les parties prenantes directes des prises de bec du passé. Je regardais la jeune femme quand elle rebondissait sur le nom du patelin. Elle analyse finement la situation. Je hoche la tête à la conclusion qui est la sienne.


| UJe pense que vous avez raison. Nous risquons la destruction en poursuivant mais faire demi-tour ne nous fera pas gagner la guerre ; détruire des armées quand il s’agit de la principale ressource ennemie quand elles sont denrées rares chez nous, serait sans doute de trop. Nous devons frapper en plein cœur ou mourir étranglés par les nombreux bras de l’ennemi. En revanche nous allons devoir aller plus loin que cela, car la bataille d’hier ne nous a pas aidés à le stopper. Alléger en hommes comme en vivres, il ira plus vite que nous. Mais nous devons continuer notre marche malgré tout, c’est indispensable. Justement pour lui éviter de se regrouper avec d’autres forces, et surtout, en évitant aux Hightower de renforcer cette armée en prélevant sur les fronts du conflans et des marches sud. Nous n’aurons pas de meilleure opportunité que celle-ci. Si nous n’en finissons pas en prenant des grandes villes et en battant une ou deux grosses armées, alors nous finirons noyés dans les combats secondaires. Je ne sais pas si nous devons diviser nos forces vers l’est quand l’ennemi part au nord-ouest. Nous savons qu’il doit avoir encore une vaste force. Vingt-cinq mille hommes ? Plus ? Ils vont soit repartir vers le fleuve vers Pont-L’Amer, soit traverser vers Longuetable ou Cidre, quoiqu’il en soit il attend des renforts, sinon il ne serait pas en fuite vers son pays. |


Je réfléchissais en me frottant la barbe. Il y avait des opportunités à saisir. Diviser nos forces pour attraper l'ennemi. Ou bien se concentrer mais marcher droit sur Hautjardin mais dans les deux cas je ne souhaitais que rechercher la bataille décisive et pas attendre que l'ennemi ne rassemble ses forces et ne vise nos propres capitales.


| Peut être nous faut-il envoyer l’armée Wensington vers Cendregué en diversion… |

Je me confiais à la jeune femme, comme je le faisais avec peu de gens. Il n’était pas question de me plaindre pour autant ; j’avais juste énoncé un fait. Certes, il était éminemment personnel. Mais cela ne changeait rien au fond des choses. Je ne voulais pas paraître faible. Ni aux yeux de Rhaenys qui était pourtant ma femme et ma confidente, ni au regard de qui que ce soit. Certainement pas d’Argella d’ailleurs, qui était comme mon épouse ; un diamant de force brut, mal dégrossie. Il n’empêchait que je respectais beaucoup son point de vue, qui malgré ses colères et ses impatiences, n’était pas pour autant dénué de sagesse. La jeune femme n’est pas dupe quoiqu’il en soit, et elle sait aussi que ce contexte dans lequel nous évoluons aujourd’hui me plaît. Je ne voulais pas que les choses puissent vriller, pas comme elles avaient manqué de le faire à cause de sa colère envers Mahée Allyrion. Des désaccords, il y en aurait encore de nombreux. Mais Argella ne peut pas encore comprendre pourquoi la délivrance de la mort a pu paraître attirante, à certaines étapes de ma vie. Elle ne s’était pas encore retrouvée à l’article de la mort, dévorée de l’intérieur par le poison enduisant une flèche. Elle n’avait pas été battue jusqu’à l’inconscience par de la piétaille, après s’être fait fendre le visage en deux.


Mais elle avait raison. Je ne disais rien, mais elle avait raison. J’aimais Rhaenys. Cette pensée me réchauffait à chaque fois qu’elle passait dans ma tête. Je ne pouvais pas lui faire croire le contraire, ni maintenant ni jamais. J’eus un mince sourire quand la belle évoqua le destin de nos royaumes respectifs si jamais nous venions à en mourir.


| Restera ma dame, à passer la flambeau me concernant. Mais cela soulève une autre question pour vous. |


La conversation change. Nos caractères éprouvent leur propre impétuosité et le sujet a subtilement changé de couleur. Je ris franchement à son dicton de bravoure, mais je vois bien dans ses yeux que l’excitation qui la gagne n’est pas que celle du combat. Je vois ce qu’elle veut dire, quand elle évoque l’audace et sa retenue. Mais je me rapproche en la dévisageant. D’un pas, puis deux. Nous sommes rarement aussi proches, et je peux me plonger dans les tréfonds de son âme, non loin de ses yeux. Sa main dans la mienne, je la lève avec lenteur jusque ma bouche, et y dépose un baiser qui dure un rien de temps de trop.


Elle avait su enflammer d’un coup mon désir, d’un simple regard. Argella était belle, très belle. Et elle avait un charisme rare. Mais malgré ces appétits d’homme, je ne pouvais ignorer le contexte.


| Et j’en aurais été ravi si je ne savais pas que votre intérêt vous inclinait à une autre préférence, Argella. Et si j’étais plus jeune aussi, sans doute. |


Mais fi de la stratégie, nous étions d’accord sur tout, tandis que Wensington nous suivrait mais que l’armée de Pierreheaume conserverait sa position. Je reportais mon attention sur la carte un instant mais le sujet suivant, sans être douloureux, était malgré tout plus délicat. Je connaissais les sentiments d’Argella et il ne fallait pas pour cela que je prenne trop de gants.


| Nous avons assez de troupes pour tout faire, Argella. Mais pas assez si vous ou Rhaenys deviez tomber à la bataille. Je sais que le sujet a été mis de côté pour des raisons qui vous sont personnelles… Mais vous allez devoir vous marier. Et perpétuer votre lignée. Tant que ça ne sera pas fait, l’Orage sera fragile. Et tant que l’Orage sera fragile, les autres Royaumes Fédérés le seront également. |

Je perds la tête. Je sais que je ne devrais pas. Que ça va tout compliqué. Mais Argella m’attire. Elle me chauffe les sangs à en crever. Jadis, j’étais attiré par les femmes de vertu, d’esprit. Des tempéraments calmes et réfléchis. Mais avec le temps, j’avais appris à plus apprécier encore le feu qui pouvait leur parcourir les veines. Etait-ce parce que je devenais vieux et laid, que je me sentais ainsi attiré ? Je n’en savais rien. Mais je n’avais pas le droit de perdre l’esprit. Ni maintenant ni jamais. Pas tant du moins que j’aurais de si fortes responsabilités. Pas tant qu’il y aurait des milliers d’hommes qui compteraient sur moi. Je ne me sentais pas si bien que cela, car l’urgence de mon désir n’avait d’égale que ma frustration de ne pas avoir Rhaenys en plus avec nous.


Je sens sa peau si chaude, si odorante. Elle me veut. Mais quelque chose gâche cette constatation. Cette enflammade réciproque. Et plus qu’une chose, en réalité. Je me sentais pourtant à même de céder aux instincts que la belle brune réveillait chez moi, les braises sur lesquelles elle soufflait et qui menaçaient d’engloutir la forêt de mes valeurs et de ce que j’estimais être ma vertu. Notre baiser toutefois change, quand la jeune femme comprend où je voulais en venir. La douceur de ses lèvres m’appelle, m’aspire pourtant dans un tourbillon de désir et de sensations…


La voir si durement affectée par mon rejet, même en douceur, même peut être seulement provisoire, me heurta plus que je ne l’aurais cru. La peste soit des bonnes femmes et de leurs sentiments… Mais j’étais touché. Je la regardais se rhabiller. Un peu penaud. Je n’avais jamais voulu ça. Je n’avais jamais voulu la heurter. Mais ici et maintenant, comme ça… C’était impossible. Ca devait l’être, pour notre équilibre à tous. Mon regard ne la quitte pas, tout du long du processus, même si je me rhabille aussi, en relaçant ma tunique notamment, d’un air distrait. Je m’en veux, la culpabilité me ronge de l’intérieur. Je comprenais alors, que la femme souffrait d’être repoussée par deux fois. N’avais je pas plus encore de raisons de le faire que Rhaenys ? je n’en savais trop rien, je me sentais assez perdu. Je n’avais jamais été désiré aussi ouvertement par une autre femme que la mienne, et je comptais beaucoup sur l’amitié d’Argella, sur son esprit, sur son courage. C’était quelqu’un d’important pour moi, et pas seulement pour l’Empire.


Elle se reprend, toutefois. Car Argella est une femme forte. Déçue, en tant que reine et en tant que femme elle n’a sans doute pas l’habitude de ce genre de déconvenue.


Je reste silencieux, ne souhaitant rien rajouter à la déconvenue, ayant peur du faux pas qui me ferait perdre son respect, sa considération. Je ne sais quoi dire de toute façon, alors ce serait sans doute forcément une bêtise.


Je réfléchis, quittant son regard, quand la brune m’évoque les prisonniers du Bief. Je médite un moment, pèse le pour et le contre.


| Nous devons les emmener en lieu sûr vers nos arrières. Ils peuvent suivre le train et sa protection, des chariots vides et des bacs qui retournent vers ta capitale, Argella. Sous bonne garde. Mais le capitaine Goldwyne n’a pas là une mauvaise idée. Peut être pourrais-tu l’accompagner ? Tu sais convaincre et enflammer les cœurs, tu es une meneuse d’hommes. |


Je soupire doucement, me sentant terriblement vieux. Puis je prends sa main, la caresse du pouce une seconde, avant d’en porter le revers à mes lèvres.


| Tout ne sera pas toujours aussi compliqué, d’accord ? Que ce soit avec nous, ou avec d’autres. Tu mérites d’être heureuse, je le pense. Tu mérites mieux que ce que nous avons à t’offrir, pour l’instant. |


Mais mon ventre se creusait toujours. Honni soit le désir, qui détourne les gens de leurs devoirs.


| Va, et ne ressasse pas tout cela. Nous avons maints combats à accomplir, et le peuple de l’Orage compte sur sa Reine pour les faire entrer dans l’Histoire. L’avenir t’appartient. A Rhaenys aussi. A toute cette jeune génération que vous incarnez. Je crains que les vieux Loups comme moi ne soyons trop vieux pour vous comprendre. Mais bientôt, nous ne serons plus, et ce sera à vous de ne pas seulement briller, mais aussi d’éclairer le monde. Va, Argella. Nous nous revoyons demain. |`

La peste soit des femmes et de leur propension à toujours tout rendre tellement compliqué ! Je n’avais rien demandé à personne, je ne m’étais même jamais posé la question d’aller chercher une autre femme que la mienne, seul de mon côté. Bien sûr les paroles et propositions de Rhaenys avaient fait leur chemin en moi, mais plutôt en ce qui concernait notre couple. Je n’avais jamais envisagé de coucher avec Argella. Pas parce qu’elle était laide ou ne me plaisait pas, c’était même plutôt tout le contraire, mais parce que j’étais marié, que je n’en avais pas besoin, que je n’étais pas ce genre d’homme. Cela ne changeait rien, au fond. J’avais bien ressenti le désir s’embraser dans le creux de mes reins quand la brune m’avait embrassé, caressé, exploré de ses mains autoritaires, pleines d’envie. J’avais tenu, après un bon gros combat intérieur. Et pas tant sur le fond que sur la forme. Oui, je désirais Argella. Vraiment. Elle n’était pas comme Rhaenys, physiquement. Elle était sans doute tout le contraire. Grande, svelte, avec une musculature sèche mais bien présente. Pas moins féminine, mais pas la même silhouette. Brune autant que Rhaenys était d’un blond presque blanc. Orageuse, quand Rhaenys était d’un autre tempérament.


Elle n’en était pas moins désirable ; j’avais toujours aimé les femmes fortes, les femmes d’action. Elles étaient rares. Elles me comprenaient mieux que d’autres. Elles savaient par quoi j’étais passé et traversaient assez souvent le même genre d’épreuves. Je me sentais proche d’elles.


Je lève les yeux au ciel quand la jeune femme déduit ce que je dis de l’éloigner du front. Elle avait aussi une façon bien à elle de prendre les choses et de les considérer… J’avais envie de me taper le front en même temps mais ce serait sans doute une mauvaise idée vu l’état d’énervement dans lequel se trouvait la jeune femme. Il n’y avait pas à dire, ce n’était pas facile de discuter avec elle quand elle était dans ce genre d’état.


| Je n’ai absolument jamais dit ça. Je parlais de leur parler, pas de leur servir d’escorte… |


Je méditais un tout petit plus sur sa judicieuse remarque à propos du danger. Il fallait en effet que l’on se montre précautionneux à propos des prisonniers que l’on pourrait faire. Il y en avait déjà quelques uns. Continuer en amènerait d’autres, que l’on gagne ou que l’on perde la valetaille n’était pas vraiment du genre à se faire tuer sur place, contrairement à certaines troupes d’élite ou à des chevaliers qui avaient fait des serments ou qui se lançaient dans le plus dur des batailles.


| Il est possible de les internet dans un camp de prisonniers, près d’Accalmie mais étroitement surveillé. Ou bien on les envoie sur une île, ça peut aussi être une solution. Ils peuvent aussi être mis au travail dans des endroits clos ; mines, fermes et plantations qui pourraient être facilement surveillées. |


La jeune femme se déroba à mon contact et elle semblait furieuse au-delà de toute mesure, et souffla des paroles enflammées contre moi. Je secoue la tête en entendant sa saillie, incapable que j’étais de trouver les mots pour la calmer.


| Le bonheur est pour tout le monde. Et il est parfois bien trop éphémère. Il s’agit d’avoir le courage de le saisir. Mais le bonheur, ce n’est pas ce que nous allions faire maintenant. Le bonheur, c’est plus. |


Timbre de voix neutre, j’énonçais sans juger, mais je le faisais malgré tout avec toute la force de la certitude. En sus, je ne poiuvais pas lui dire que le bonheur m’était tombé dessus sans que je le recherche, sinon ce serait donner plus encore de crédit à ses thèses misérabilistes et à sa façon de se considérer comme mise à l’écart, exclue par les autres autant que par sa destinée. Je devais prendre garde au moindre de mes mots avec elle, sinon je risquais de développer une nouvelle tempête. Cela ne me dérangeait pas outre mesure mais il était quand même assez clair que nous ne pourrions pas travailler efficacement sans nous dire les choses. La jeune femme continue alors de s’enflammer, évoque ce qu’elle compte faire.


Je ris toutefois à la chute de ses derniers mots.


| Je suis trop vieux pour beaucoup de choses, Argella, et certainement pour te dire de te calmer. |


je ris encore, de bon cœur.


| A demain, tempête humaine ! |

Nous en étions aux salutations mais la jeune femme ne semblait simplement pas se décider. Peut être tout ceci avait-il terminé trop vite, ou alors regrettait-elle déjà la direction qu’avait prise notre entrevue ? C’était difficile à dire dans tous les cas, mais la seule chose dont j’étais sûr c’était qu’elle n’avait pas fait le tour des sujets qu’elle souhaitait aborder. Je n’étais pas assez bonne pâte pour avoir envie de tout repasser en revue avec elle compte tenu de ce qu’il venait de se passer, mais je ne me sentais pas non plus dans l’état d’esprit de couper court à toute discussion. Déjà, elle se calmait. Ce n’était pas une mauvaise chose compte tenu de mon incapacité à tolérer l’énervement autour de moi, ce qui ne me poussait jamais qu’à exploser. La rassurer avait fonctionné semblait-il, sur le registre de ce que je voulais dire. Quel caractère… Prête à tout casser juste pour des mots qu’elle interprétait avec sa manière bien à elle de comprendre et de concevoir les choses… Je ne suis pas prêt à relancer la machine. Sur ce sujet là du moins, aussi hochais-je simplement la tête quand la jeune femme semblait acquiescer à l’idée de parler aux prisonniers.


Mais forcément, elle finit par rebondir. Sur le sujet des prisonniers et du sort qui pourrait leur être réservé. Les mines n’étaient peut être pas la meilleure idée, soit. Mais il fallait aussi qu’elle puisse s’occuper de leur surveillance et ne pas léser ses vassaux l’un en faveur plutôt qu’un autre. Je restais dubitatif sur l’idée du Grand Septuaire, plus encore avec cette main d’œuvre.


| Charger des hommes qui nous considèrent sans doute comme les pires des hérétiques, vous inclue, de construire un monument à la gloire de vos dieux risquerait de faire peser sur cet ouvrage la suspicion du sabotage. Mais quoiqu’il en soit, c’est à vous de voir. L’Empire peut vous aider mais cette surveillance et ses opportunités vous sont dévolues par la proximité de l’Orage et de la zone de combat, ainsi que l’urgence dans laquelle vit votre royaume. |


Ca ou les fermes, qu’importe. Il fallait juste trouver le bon équilibre entre ce qu’ils pourraient apporter, ou non, et le nombre d’hommes définis à leur surveillance. Dans tous les cas, on ne pouvait pas dire que la Reine de l’Orage n’aurait pas eu sa part de responsabilités dans la campagne à venir. J’acquiesce quand la jeune femme, un temps décidée à partir, reprend la parole concernant la flotte. J’hochais la tête encore une fois, en silence, soupesant ses arguments.


| En effet, mais nous avons décidé de bouger la flotte… Ta solution sera idéale si nous devions repasser sur la défensive. |


La belle soupire, râle encore, parle de viande, de coucherie, de bagarre. Je comprends ce qu’elle veut dire, mais mon visage reste fermé quand elle évoque son enfant à naître qu’elle avait perdu, de son père, de ses amants, de tout ce qui aurait pu la lancer sur une nouvelle fois. Ma voix se fait elle plus douce, avec compassion, mais sans pour autant verser dans la pitié à quelque moment que ce soit.


| Tu es jeune. Si les dieux nous prêtent vie, tu le connaitras à nouveau, ce fameux bonheur. |


Mais je n’osais pas lui dire que j’étais persuadé qu’il était de toute façon toujours éphémère. Que la guerre, le poison, l’épée, la maladie, que tout ceci pouvait nous retirer tous ceux qui comptaient à chaque instant. Et elle ne savait déjà que trop bien ce qu’il en coûtait de régner et de se battre. J’étais sûr et certain, d’une conviction intime, profonde, que tous basculerait pour moi, et pour tant d’autres encore.


Argella finit par s’en aller, et j’esquisse un nouveau sourire du coin des lèvres.


Qu’était-donc devenue ma vie pour que j’en vienne à me faire à moitié sauter dessus par une autre femme que la mienne, que je désirais et qui soutenait être honnête dans cette démarche ?


La guerre était moins compliquée que les femmes.