Fate Awaits

A la tête de l’escadron, le Demalion n’était point tranquille. S’il parvenait à entendre les brides de conversation à l’arrière, il n’écoutait en rien, à la fois concentré et soucieux, le regard analysant sans cesse les environs. Les Terres de l’Orage ne sont pas sûres, à tout moment ils pourraient se faire attaquer. Bien que les assaillants bieffois, en petit nombre sont en général bien plus intéressés par les civils ou les vivres, une petite troupe de l’Empire pouvait tout de même attiser la curiosité. Encore plus s’ils sont accompagnés d’une Dame. Il fallait donc être particulièrement précautionneux à leur propos.

Mais bien entendu, ce n’était pas l’unique chose qui le tendait. Ne pas être aux côtés de l’Empereur le rendait nerveux. Ne sachant pas ce qui les attendait, hormis une terrible bataille de plus. Bien que l’ancien Roi du Nord était un homme d’expérience, bien plus que lui, il avait échappé à la mort à plusieurs reprises, mais pour combien de temps ? Il est de ces hommes qui ne faiblissent pas face à un ennemi en avantage, dont la détermination et la combativité est une source d’inspiration pour Aymeric.

Malgré tout, cette mission qui lui a été confiée lui montrait le respect et la confiance dont faisait preuve l’empereur à son encontre. Une partie de lui était donc fier, mais cela n’éclipsait en rien la tension qui l’habitait. Jusqu’à lors, il n’avait point échangé avec la conseillère impériale, mais ce n’était guère étonnant venant de sa part. Le travail avant tout. Puis, que pourrait-il bien parler avec elle ? Il n’est pas des plus doués en la matière, d’autant avec une Dame qui outrepassait ses valeurs.

Après presque trois heures de voyage, le Forrester annonça une halte près d’une rivière, sentant la cavalerie diminuer l’allure. Évaluant les environs alors qu’il descendait de Dandelion, il comprit qu’ils étaient seuls. Il s’étira un peu, retira son casque et déchargea sa monture, le laissant dégourdir ses jambes, léger. Dandelion écoutait au doigt et à l'œil, il n’avait point peur qu’il s’échappe. Faisant signe aux soldats de le rejoindre, il dressa un plan de garde afin de rester en sécurité et que tous puissent se reposer un minimum. Il n’était point habitué à ceci. D’ordinaire, c’est lui qui obéissait aux ordres. Mais il avait suffisamment suivi de leader pour savoir comment gérer une escouade.

Une fois les ordres pris, tous s’éparpillèrent, certains s’éloignant pour prendre leur ronde, d’autres partant fermer l'œil un temps. C’est alors qu’une voix féminine s’adressa à lui dans son dos. Se tournant vers elle avec indifférence, il haussa simplement un sourcil comme pour lui demander où elle voulait en venir. Elle lui demanda alors ce qu’il pouvait bien penser. Qu’est-ce que ça pouvait bien faire ce qu’il pensait ? Ce qui était fait, était fait de toute manière, personne ne pourrait rien y faire. Lorsqu’elle lui rapporta le pourquoi de sa demande, il médita quelques secondes avant de secouer la tête, et de rétorquer d’une voix toujours neutre :

- Peu importe mon opinion Dame Chelsted. Si vous avez confiance en l’Empereur, vous pouvez avoir confiance en moi. Il pencha légèrement la tête sur le coté, et d'une voix emprunte de sincérité il ajouta : N’ayez crainte, je vous amènerais au Seigneur Lothston saine et sauve, je l’ai juré devant mes Dieux. Et je suis un homme de parole, autrement, on ne vous aurez point confié à moi.

Sans plus de cérémonie, il se tourna vers sa monture qui s’abreuvait dans le seau que lui avait apporté l’écuyer. Il tâta les muscles avant de sa bête afin de vérifier que tout était en ordre. Puis, remarquant que Dame Chelsted était toujours présente, il lui adressa à demi-retourné, une main caressant la crinière d’albâtre de Dandelion.

- Vous auriez dû accepter de voyager en calèche. Ce n’est point prudent dans votre état.

Lors de leur départ, elle avait refusé le confort d’une assise pour monter à cheval. Or, il est connu qu’une femme enceinte doit faire spécifiquement attention à ses activités. D’autant que le voyage durerait un moment, et ils n’avaient point le temps de ralentir la cadence. Aymeric n’avait rien dit au départ, mais peut-être aurait-il dû insister. Même si cela aurait potentiellement pu attirer plus l’attention, la Dame serait en sécurité.

Fate Awaits

Le fil des années avait creusé une fosse entre lui et le reste du monde. La distance était sa protection, son armure. Qui maintenait éloigné toute forme d’affection. Tout au long de sa vie, il a vu des gens partir, de leur plein gré ou par la mort. Des gens auxquels il tenait, qui avait une place dans son cœur. En tant que frères d’armes ou amourette. Mais l’envol de ces derniers fait mal. Alors, il préférait sa douce solitude à l’amertume des liens. Ou en tout cas, c’est ce qu’il s’était convaincu. Pourtant, malgré tout, certains arrivent à ériger des ponts jusqu’à lui, comme Dandelion cette brave monture. Ou encore l’Empereur, mais son cas était différent. Ils n’étaient pas proches mais le respect était tel qu’il le considérait bien plus comme sa famille, que sa famille elle-même.

Face à l’insistance de Dame Chelsted, Aymeric était dubitatif. N’avait-il pas été assez convainquant dans ses paroles ? Pourquoi désirait-elle faire réellement son avis sur lui ? Qui s’intéresse aux gardes qui les entourent d’ordinaire ? Il ricana sans humour lorsqu’elle mentionna le fait qu’il pourrait la contrarier s’il ne répondait pas à ses questions. Le prenait-elle pour son laquais ? D’un détachement certain, il lui répondit en la regardant dans les yeux :

- Sans doute, mais mes réponses vous contrarieraient certainement, ma Dame.

Il se détourna à nouveau, comptant sur ses paroles afin de faire fuir l’amante de l’Empereur. Avait-elle pris de l’assurance auprès de ce dernier ou a-t-elle toujours été ainsi ? Tandis qu’il tâtait les muscles à la recherche de nœud ou de tension, il vit la Dame le rejoindre. Il l’observa un instant, ne comprenant pas pourquoi elle restait tandis qu’il tentait de la repousser. Au moment où elle le questionna sur son cheval, celui-ci le poussa doucement de sa tête. Comprenant le message, sa main vint gratter le sommet de son crâne, entre les deux oreilles alors qu’il secouait la tête de gauche à droite.

- Son précédent Maître l’a appelé Dandelion. Il est mort durant la Bataille de Buron. Commença-t-il en repensant à cette période bien sombre. Alors qu’il s’apprêtait à garder le silence, il reprit, certain qu’elle aurait continué à le questionner. Dandelion a été traumatisé par sa mort, autant que par les horreurs de la guerre. Personne n’arrivait à s’en approcher, ni à le monter. Sans savoir pourquoi, j’ai été attiré par lui, peut-être partagions-nous les mêmes sentiments à ce moment-là. Ils se sont croisés à un moment de la vie où l’homme et le cheval étaient abîmés autant psychologiquement que physiquement. Le besoin de soutien les avait appelés l’un à l’autre, et ils se sont mutuellement acceptés. Comme s’ils étaient fait pour se rencontrer. Mais j’ai réussi à gagner sa confiance et à faire disparaître sa peur. Depuis, il ne me quitte plus.

Un doux sourire habitait ses lèvres en mentionnant ses dernières paroles avant qu’il ne disparaisse. En pleine convalescence, il n’avait que peu de personne vers qui se tourner à ce moment-là. Hormis Gauvin, seulement Aymeric n’a jamais été très loquace même auprès de lui. La culpabilité et l’échec le dévorant, il avait trouvé en cette bête sa rédemption. En l’aidant à se soigner, il avait retrouvé sa confiance d’antan.

Il poussa un vague soupir alors que ses mains cessèrent les caresses, il fit un pas en arrière. Le sérieux le reprit alors que son regard se reposait à nouveau sur la femme qu’il devait protéger. Il sentait qu’elle ne le lâcherait pas avec cette histoire. Donc s’il voulait à un moment donné la paix, il devait la contenter. D’une voix neutre, presque habituelle chez lui, bien que plus basse pour qu’elle soit la seule qui puisse l’entendre :

- Je ne sais pas grand chose sur vous Dame Chelsted. Mais tous savent que vos compétences sont importantes pour l’Empire. Autant que vous aviez la confiance de l’Impératrice. Seulement, vous l’avez trahi. Ce faisant, vous avez mis en péril l’Empire. Alors si vous vous demandez si je suis quelqu’un en qui vous pouvez avoir confiance, je me pose également la même question vous concernant.

Il ne mentionnait guère le fait qu’elle était enceinte de l’Empereur, ces mots ne quitteraient point sa bouche. Bien que les hommes autour étaient de l’Empire, il valait mieux être discret jusqu’au bout. De toute manière, ils savaient tous deux où était le problème. S’il n’était pas au courant de l'entièreté de l’histoire, grand bien lui fasse, il ne souhaitait pas le savoir, il savait le nécessaire. Nécessaire qui pourrait froisser plus d’une famille, voir l’Impératrice en personne si elle n’était pas au courant elle-même.

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La confiance … Une caractéristique essentielle pour survivre, peu importe la situation. Pouvoir se reposer sur les autres, savoir que l’on puisse compter sur eux est d’un soulagement pour l’esprit et le coeur. Même si Aymeric laisse les autres à distance de sa personne, il sait qu’il peut compter sur ses frères d’armes Demalion. Des hommes avec qui il s’est ardemment entraîné, avec qui il a juré fidélité pour l’empire et surtout combattu sur les champs de bataille. Oui, la confiance est essentielle, même pour un animal. Puisque vivre éternellement dans l’anxiété, sans rapport social, n'est pas chose viable. L’être vivant est fait pour vivre en communauté, pour l’entraide, contre les prédateurs ou autres menaces.

Aymeric s’est toujours sentie bien plus proche des chevaux que la plupart des hommes. Avec eux, il n’a pas besoin de parler, point besoin d’éclaircir la curiosité humaine, juste une confiance pure et simple. Il avait développé cette passion pour cet animal à Motte-La-Forêt, alors qu’en simple écuyer, il s’occupait des chevaux. Apprenant auprès de Lord Glover chaque petites caractéristiques les concernant. Il avait même aidé une jument à mettre bas, le poulain devenant à sa majorité sa monture, fier cadeau de son défunt mentor.

- Les chevaux sont très sentimentaux. S’ils ont confiance en leurs partenaires, ils sont capables de tout affronter avec eux. C’est pour cela qu’ils sont beaucoup utilisés sur les champs de bataille, à leur grand malheur.

Expliqua-t-il en grattant le garrot de Dandelion, sa tête dodelinant pour prouver qu’il affectionnait cela. Encore une raison pour faire stopper ces guerres sanglantes. Lorsqu’elle lui demanda si il avait été présent lors de la Bataille de Buron, le léger rictus s’effaça et sa main se stoppa. Oh oui qu’il y a participé. L’enfer, c’était un bon comparatif. Il n’avait pas grand souvenir du deuxième jour qui fut complètement chaotique. Pourtant, le peu d’image qu’il se souvient, le hante presque chaque nuit.

- Oui, j’y ai laissé deux doigts. Avoua-t-il en levant sa main gauche, gantée, où l’annulaire et l’auriculaire ont été fauchés. Bien heureusement pour elle, cela n’était pas visible avec les gants, cela lui évitait une belle vision d’horreur. Mais ce n’est rien comparé à la peur d’avoir failli perdre l’Empereur.

Culpabilisait-il encore ? Non, il laissait le passé derrière lui. Et il faisait suffisamment en sorte de ne plus rien regretter. Il espérait seulement que les batailles de l’Empereur lui seront favorables. Alors que Dame Chelsted s’approchait de la tête du cheval, le Forrester gardait ses distances, lui laissant l’opportunité de flatter Dandelion qui semblait grandement apprécier. Il acquiesça simplement à son souhait de bonne fortune, comme pour la remercier silencieusement avant de reprendre la parole et de répondre à la question qui l’avait mené à lui.

Il vit que ses paroles firent mouche, la Dame accusant le coup. Elle avait cherché à savoir, il avait finalement accéder à sa demande, mais ce n’était point pour la blesser. Or, il n’allait pas lui mentir … Elle finit par lui conter une partie de son histoire, même s’il n’avait rien demandé. Un peu mal à l’aise au fait d’en apprendre plus à son sujet, il resta droit et l’observait sans un mot. Certainement avait-elle besoin de parler, et il serait fort impoli de la stopper. Elle lui apprit alors qu’elle avait grandi avec l’Impératrice, et qu’elle a aidé aux fondations de l’Empire.

Lorsqu’elle releva le regard vers le sien, il fut percuté par celui-ci. Il pouvait y lire sa douleur et sa culpabilité, sans qu’il ne sache pourquoi, il ne put détourner ses yeux glacés. Aymeric se doutait bien qu’il y avait toute une histoire derrière la liaison qu’elle entretenait avec l’Empereur. Encore plus pour qu’elle trahisse une personne aussi importante que celle qui fut son amie d’enfance. Son attention fut momentanément coupée par son cheval qui quémandait l’attention de la Chelsted.

Il baissa un instant la tête pour soupirer, elle ne semblait pas comprendre le fond de son opinion. Il n’était pas juge d’autrui, elle pouvait bien faire ce qu’elle voulait. A condition que cela ne mette point en danger tant de choses. D’un ton plus mesuré, plus doux afin de ne pas la heurter plus, il répondit en remontant son regard vers elle :

- Je ne doute pas de vos compétences de conseillère, Dame Chelsted. Et je ne sous-entend pas que vous êtes une mauvaise personne. Seulement que vos choix peuvent coûter cher. Pour votre amie d’enfance. Pour l’Empereur. Pour tous les Royaumes réunifiés. Pour la paix que l’on essaie de construire. Il se stoppe un instant, tout à coup peu certain de ces choix de mots. Mais ça vous le savez déjà, puisque vous prenez sur vous afin que cela n’arrive pas. Il avait remarqué la mine blafarde lors de l’entrevue avec l’Empereur, autant qu’il avait vu à plusieurs reprises son regard au bord des larmes durant leur voyage, alors qu’il surveillait son état. Elle ne voulait pas de cette tournure dans sa vie. Permettez-moi de vous demander, ma Dame. Parviendrez-vous à avoir la force nécessaire de vous tenir devant Lord Lothston, pour lui apprendre que vous portez son petit-fils ?

Dans cette mission, c’est ce qu’il appréhendait le plus. Les grossesses sont connues pour rendre les femmes à fleur de peau. Il suffirait d’une saute d’humeur pour qu’elle envoie le plan dans les ronces. Il faudrait se montrer convaincant une fois face au Lord, d’autant qu’il risquait d’avoir des soupçons, en voyant une Dame débarquer de nul part pour témoigner de ce fait. Avec bien sûr les appuis de l’Empereur.

Lui-même, Aymeric n'était pas serein à l'idée de mentir sur tout ceci. Ce n'était pas dans sa nature d'agir ainsi. Il ne serait point à l'aise. Mais comment se sentirait la personne concernée ? Qui devrait faire croire que son enfant est celui d'un autre ? Faire croire qu'elle a partagé l'amour avec un autre ? Le faire croire au père du défunt en question ?

Fate Awaits

L’être humain est une des formes de vie les plus compliquées à comprendre. A contrario des chevaux, tout est une affaire d’intention, si elles sont bonnes ou mauvaises. Aymeric étaient de ceux pensant qu’il existait des distinctions entre les hommes, certains étaient bons tandis que d’autres étaient mauvais. La frontière entre les deux s’arrête là où sont les limites du premier. Jusqu’où est capable un homme pour parvenir à son but ? Quelles sortes d’atrocités est-il capable de réaliser ? Aymeric avait vu les ravages de la guerre et surtout ceux pillages. Massacre de paysans, d’enfants, viols, tortures. Ceux qui ont à cœur de réaliser ces horreurs ne peuvent être des hommes bons.

Dame Chelsted n’avait point cherché à créer des problèmes. Elle n’avait jamais eu de mauvaises intentions, au contraire, elle avait servi l’Empire à de multiples reprises. Encore maintenant, elle s’en allait à Pierremoutiers pour des négociations alors qu’elle devrait se protéger, rester loin des conflits. Lui-même avait tué à de nombreuses reprises sur le champ de bataille. Ce n’était pas un enfant de cœur. Il s’estimait à la limite du bien et du mal. Portant le mal avec son épée pour défendre le bien. Certains pourraient dire que ce n’est que de la défense, mais il avait choisi de se battre, de verser le sang pour un idéal prochain. Le mal rongeait ses nuits alors que le bien le faisait espérer le jour.

- Le bien et le mal sont des notions complexes, je vous l’accorde. La question que vous devriez vous poser est : Avez-vous agi avec le cœur ou à dessein ?

Il accorda quelques secondes de silence afin qu’elle y médite tandis qu’elle s’installait sur un rocher. Lui également ne savait guère ce qui était bon ou mauvais aujourd’hui. Mais une femme écoutant son coeur ne pouvait être mauvaise, d’autant si elle souffrait ensuite. Il continua finalement, les mains dans le dos, le regard vers l’horizon alors que Dandelion s’éloignait pour se rassasier.

- Hélas, dans notre monde, le moindre mauvais choix peut nous amener le déshonneur. On aura beau faire et prouver que l’on est capable, tout ce que retiendront les autres restera toujours ce choix. Peu importe si nous en sommes la cause ou la victime. Ce sont des actes que les gens n’oubliront jamais.  

Il en avait fait les frais lorsqu’il n’était qu’un enfant. Cela n’avait guère été son choix de venir au monde, mais tous l’avaient méprisé pour avoir prit le souffle de la Dame Forrester.

Alors qu’il lui posait la question importante, il l’a vit fuir son regard. Puis il détourna son regard à son tour lorsqu’elle se déchaussa afin de se mettre plus à l’aise. Puis vint alors la question qui troubla mentalement le Forrester. Sans un mot, il se détourna à moitié pour que son regard se perde dans la plaine d’Accalmie. Alors qu’elle continuait, son cœur se serra à l’entente de ses mots, comme si celui-ci était nostalgique de ces ressentis. Il n’était pas à l’aise avec ce sujet, cela entrait beaucoup trop dans l’intimité d’une personne, dans son cœur. Il s’était muré il y a bien longtemps pour ne plus ressentir cette souffrance d'antan. Cette souffrance qui semblait ré-apparaître fatalement au fil des mots que ses oreilles accueillaient. Il comprenait tout à fait ce qu’elle mentionnait, il pensait ainsi au contact d’Astrid. C’était si terrifiant d’écouter à nouveau son coeur.

Non, il n’avait jamais réussi à faire son deuil à son propos, puisque la culpabilité le rongera jusqu’à sa mort en ce qui la concerne. Il n’aurait jamais dû céder à ses paroles. Peut-être alors serait-elle encore en vie, sous sa protection. Peut-être auraient-ils eu des enfants. Il n’y avait qu’avec elle qu’il s’estimait capable de se marier et d’engendrer une descendance. Depuis lors, il restait catégorique, pas de mariage, pas d’enfant, puisque cela n’aurait aucun intérêt pour lui. Il détestait ces sensations, surtout celle-ci, celle qui lui faisait ressentir le vide à l’intérieur de lui. Plus encore, il détestait Dame Chelsted d’avoir éveillé cette partie de lui.

Après qu’elle eut terminé de parler, il laissa un silence s’installer. Il prenait son temps pour calmer son myocarde, pour faire disparaître ces souvenirs de son esprit. Finalement, il s’éloigna, rejoignant les hommes qui se reposaient non loin de là. Il fouilla dans un sac et revint auprès de Dame Chelsted peu après. Il lui tendit une pomme, afin qu’elle se nourrisse un peu, puis s’installa à un mètre d’elle sur le même rocher. Croquant la sienne, son regard se berça à la vue de Dandelion arrachant les herbes pour les mâcher. Puis, enfin, ses lèvres se délièrent, sa voix parfaitement neutre, son visage tout autant, seul son regard hagard pouvait être sujet à interprétation.

- L’amour n’est bénéfique que pour une poignée de personnes. Celles qui ont la chance de pouvoir le savourer sans rien devoir à personne. De nos jours, tout n’est que matière à alliance, surtout le mariage, et il est bien rare de ressentir ce sentiment aussi fabuleux et atroce que vous décrivez. Si tel est le cas, s’il est réciproque, vous êtes chanceux, s’il ne l’est pas vous souffrirez. Bien pire encore, savoir qu’il est réciproque sans pouvoir le vivre.. Ma Dame, vous n’êtes décidément pas chanceuse. Il tourna finalement son regard vers elle et ajouta : Mais que les dieux bénissent ce futur enfant à naître, il sera bien heureux auprès de vous.

En un sens, il comprenait parfaitement ce qu’elle vivait. Lui aussi avait aimé, passionnément, farouchement dans sa jeunesse. Astrid fut une bulle de bonheur pour lui, lui qui n’avait jamais connu l’affection, l’avait ressenti auprès d’elle. La sensation d’être important pour un autre qui l’est tout autant, cette réciprocité qui l’avait fait tombé dans l’abîme de l’amour. Il aurait tant fait pour elle. Jusqu’à accepter le déshonneur d’épouser une roturière, d’affronter le déshéritage qui s’en suivrait. Il aurait rebâtit sa réputation de ses mains, en travaillant d’arrache-pied pour être le meilleur bretteur et parvenir là où il le désirait. Mais pour elle, cela lui avait semblé impossible.

L’amour avait beau être magnifique à ressentir, la redescente lorsqu’on le perd est pire que tout.

Fate Awaits

Elle brisa finalement le silence qu’elle avait imposé, certainement méditant sur les paroles qu’il lui avait apportées. Elle s’excusa pour le comportement qui aurait pu soit disant le heurter. L’avait-il été ? Il ne le nierait pas en effet, au début de leur conversation, elle l’avait profondément agacé. Mais au final, n’était-ce pas un mal pour un bien ? Comme elle l’avait suggéré, cela avait percé l'abcès qu’il y aurait pu y avoir entre eux. Même s’ils ne se connaissaient pas, le poids de leur mission leur aurait coûté, alors qu’un soutien ne coûtait pas grand chose d’autre qu’un peu d’humanité. Au bout du compte, Dame Chelsted ne serait peut-être pas une aussi mauvaise compagnie lors de ce voyage que ce qu’il pensait.

- De quel moment parlez-vous ? Celui où vous m’avez incité à parler franchement ou lors de votre question pour le moins .. personnel ?

Répondit-il un brin amusé, le rictus sur ses lèvres le témoignant alors qu’il haussait un sourcil dans sa direction. Une manière de dire qu’il ne lui en voulait pas tant que cela. Mais comme elle le disait si bien, un secret commun planait sur eux, bien qu’il ne le subirait que pendant un temps. Il ne pouvait alors que compatir à ce qui allait attendre cette femme, des jours solitaires, à sans doute regretter ses actes passés, ou la manière dont cela a été fait. Devoir mentir inlassablement à un seigneur endeuillé, prétendre à un amour avec son fils défunt. Non, il n’enviait pas sa destinée, il en était même peiné d’une certaine façon.

Il le ressentait pleinement alors qu’elle contrecarrait ses paroles, s’estimant chanceuse d’avoir connue les bienfaits de l’amour. Seulement, les bienfaits valent-ils seulement la peine d’autant de complication ? Cela dépendait certainement des situations. Dame Chelsted avait quelque chose auquel se raccrocher concernant son amour, le plus pur qu’il soit, l’essence même de deux âmes aimantes, celle d’un enfant. Le Forrester quant à lui n’avait plus rien à s’accrocher après autant d’années, outre sa culpabilité de ne point avoir insisté auprès d’Astrid. Lorsqu’il avait appris sa mort à Mont-De-Fer, suite aux attaques des sauvageons, il en avait été dévasté, n’ayant pas oublié celle qui avait fait battre son coeur.

Ses lèvres restèrent closes face à la confidence de la Chelsted, respectant ses réflexions sur elle-même. Les sentiments sont une chose bien compliquée, très personnelle, qui se décline en fonction de celui qui ressent. Personne ne peut réellement comprendre ce qu’une personne ressent, puisque cette personne est unique en elle-même, qu’elle a vécu son histoire et que la sensibilité est différente d’une personne à l’autre.

Lorsqu’elle reprit, il jeta les restes de sa pomme qu’il venait de terminer dans l’herbe non loin pour s’en débarrasser. En vérité, ce n’était pas que leur société mélangé amour et mariage, c’est que l’amour n’était pas suffisamment important aux yeux d’une famille. Seul le pouvoir l’était, et donc les alliances pour s’enrichir autant en fortune qu’en influence. L’amour n’y avait simplement pas sa place. Si l’amour naissait, c’était tant mieux. Autrement, seul une affection commune pouvait être appréciée entre les époux, ou encore une mauvaise entente dans le plus grand malheur.

- Je ne dirais pas qu’ils sont incompatibles … Plutôt qu’en l’état actuel des choses, qu’ils n’ont que peu de chances d’évoluer l’un avec l’autre. Pourtant, cela fonctionne pour certains, le hasard leur étant favorable. De ce que j’en sais, mes parents en faisaient partie.

Tout cela avant qu’il n’arrive et ne fasse imploser l’amour de ses parents. Alors l’amour que son père vouait à sa mère s’est transformé en haine, en rancœur envers son petit dernier, installant un climat toxique dans leur famille. Aymeric avait vu bien d’autres couples mariés dont la relation fonctionnait. Mais était-ce de l’amour, ou simplement une vague affection qui s’était installée à force de vie commune ? Les faux semblants existent également, et c’était en partie pour cela qu’il ne souhaitait pas se marier. Puisqu’il lui était hors de question de devoir vivre ainsi.

L’air rêveur d’Isla contaminait presque le Forrester qui méditait sur ses paroles. Se battre pour la plus belle des raisons ? Observant l’horizon, ses coudes enfoncés sur ses jambières, d’un air serein il répondit :

- N’est-ce pas déjà le cas de l’Empire ? Nous nous battons pour la paix, pour que plus personne ne souffre des désagréments de la guerre. Peut-être qu’avec une société unie, la puissance des maisons n’aura plus grande importance, et que ce que vous désirez sera possible.

Plus de mariage arrangé, pour le devoir et le pouvoir. Plus d’hypocrisie, à devoir épouser une personne qui ne nous correspond pas, à s’enfermer dans une relation dysfonctionnelle. Cette vision d’avenir semble si utopique, pourtant il reste un idéalisme, une possibilité de vivre, une évolution à atteindre. Après tout, avant que les maisons nobles n’existent en ces terres, n’étaient-ils pas tous libres de choisir ?

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Chanceux ? Un rictus amer déforma ses lèvres fines. Ce n’était pas le mot qu’il aurait choisi pour se définir. La seule chance qu’il estimait en sa possession était celle de la protection des dieux à son encontre lors des champs de bataille. Bien sûr, il ne se dévalorisait pas, il savait qu’il détenait une certaine expérience de la guerre, mais même les plus doués finissent par mourir. Combien d’hommes talentueux avec qui il s’était auparavant entraîné se sont laissés déborder par le chaos et ont fini morts ? Bien trop à son goût. Autrement, le reste de sa vie était dépourvue de chance. Socialement, elle était même sombrement triste. Au fil des années, il avait appris à rester à distance des autres, puisque la souffrance de leur perte lui était bien trop habituelle, et pourtant le ressenti n’était en rien amoindrit. Mais sa plus grande malchance ne résidait pas là, mais plutôt par ce vide qui avait envahi sa vie depuis sa naissance, celle de l’enfant délaissé. Cela l’a sans nul doute marqué profondément. Bien plus que ce qu’il pourrait bien penser.

- Je suppose que mon père l’aimait autant qu’il me haïssait de le lui avoir pris. Lâcha-t-il du tac au tac, d’un ton parfaitement neutre, mais le regard absent. Elle est morte en me mettant au monde. Mais de ce que l’on racontait, ils se sont aimés au premier regard et ne se sont jamais lâchés.

C’était étrange. Lui qui avait toujours du mal à se confier, semblait ne pas avoir du mal à énoncer ces faits. En vérité, il avait tourné la page il y a longtemps au sujet de sa famille. Revoir son frère ne lui faisait rien, tout comme recevoir ses lettres, hormis ressentir de l’agacement. Puisque encore et toujours on le relançait quant à un possible mariage. Il avait donc assez de recul pour ne plus vraiment se sentir concerné par eux, certainement pour cela que ça ne lui était pas plus compliqué d’en discuter. Pour lui, le cordon était coupé, rien ne le rattachait à sa famille hormis son nom. Nom qui ne lui évoquait rien, à part une simple identité.

A son tour, la conseillère impériale se dévoila un peu. Soufflant qu’elle ignorait totalement si ses parents s’aimaient. Pudique ou hypocrisie ? C’était souvent l’un des deux lorsque l’amour n’était pas apparent. Même une quelconque affection finissait par se voir, par de petites attentions ou de simples regards complices. Il avait été maintes fois invité par des maisons, que ce soit en tant qu’écuyer plus jeune ou en tant que soldat noble. En fin observateur, sans plus de curiosité, ce genre de détails est flagrant lors des soupers. Cela n’avait que confirmer son choix de célibat, n’ayant aucune envie de jouer l’hypocrite ou d’être distant avec sa propre compagne.

- Êtes-vous en bons termes avec votre famille ?

Demanda-t-il, se prenant presque au jeu grâce à la curiosité communicative de Dame Chelsted. Si au début leur conversation ne lui était pas agréable, la sociabilité de la blonde ainsi que la compatissance d’Aymeric avait changé la donne. Il n’était pas ainsi avec tout le monde, mais le climat actuel, paisible et propice à la discussion l’y poussait naturellement. L’un comme l’autre avaient leurs idées, leurs croyances, méditant sur les paroles de l’autre, y réfléchissant sans pression, ni crainte d’être jugé. Une discussion saine, à cœur ou à esprit ouvert comme rarement avait-il déjà eu. Il se surprenait à apprécier l’échange, qui le sortait de ses habitudes. D’ordinaire, il refaisait le monde seul, dans sa tête, avec ses dieux, en sculptant ses figurines et savourant ce que la nature pouvait bien lui chuchoter à l’oreille. Le calme comme ami de ses pensées, il méditait en frottant sa barbe de plusieurs jours.

- L’amour est une forme de paix lorsque l’on y réfléchit. Elle y est aussi semblable que la haine l’est à la guerre. Qu’est-ce qui nous pousse à vouloir faire la paix, hormis l’amour de nos terres et de nos prochains ? Ne croyez-vous pas en l’évolution ? Suis-je si naïf de vouloir y croire ?

Comme l’on dit souvent, il n’y a qu’un pas à faire pour que la guerre devienne paix, et l’amour devienne haine. L’un ne pouvait exister sans l’autre. Aymeric avait tant vu d’un de ces phénomènes. La guerre avait bercé une partie de sa vie, puisque outre son devoir, son cœur lui commandait de protéger les plus vulnérables, ce n’était qu’à travers son service auprès de Torrhen qu’il avait su le satisfaire. Il avait alors vu la souffrance du peuple, autant que sa colère et surtout sa haine. D’innombrables soldats se sont enrôlés dans cette dernière optique, celle de déferler leur haine en combattant l’ennemi. Généralement, ils sont les premiers à mourir, puisque l’impulsivité ne sert jamais dans l’armée, elle aveugle et déforme les capacités de son hôte. La haine détruit des vies, encore et toujours, provoquant conflit sur conflit, guerre sur guerre, un cercle vicieux qui a bercé les terres de Westeros durant des siècles.

Lorsqu’il vit un mouvement du coin de l'œil, il tourna son regard vers sa camarade bien pensante qui se tournait vers lui, un sourire aux lèvres. Intrigué, il leva un sourcil avant qu’elle ne lui soumette le fond de sa pensée. Sa remarque le fit doucement sourire. Elle n’avait pas complètement tort, les Nordiens sont effectivement réputés pour être traditionnels, ne se mélangeant que peu avec les autres, tout autant qu’ils sont conservateurs.

- C’est l’éducation qui veut cela. Répondit-il dans un premier temps en détournant le regard, qu’est-ce qui faisait qu’il n’était pas aussi traditionnel que ses confrères Nordiens ? Lui-même semblait hésiter sur la réponse à donner. Peut-être ai-je ce regard aussi critique sur ce qui m’entoure puisque je me suis majoritairement fait par moi-même ? Il lâcha un soupire, peu sûr de ce qu’il avançait. Il ne s’était en réalité jamais posé la question. Je veux dire par là que je n’ai point été endoctriné par une façon d’être, j’ai seulement appris aux contacts des hommes que j’ai décidé de suivre.

Ajouta-t-il davantage certain de ses paroles. Il se voulait volontairement vague sur ses paroles, ne désirant pas plus se dévoiler. Mais il était vrai qu’il s’était fait seul, son caractère et ses compétences se sont forgés de lui-même, non pas parce qu’on l’a poussé à le faire. Cela lui donne cette impression d’homme libre en quelque sorte, peut-être pour cela qu’il ne pense pas devoir quoi que ce soit à sa famille. Pourtant, tout cela n’enlevait en rien sa croyance envers ses dieux. Il y avait toujours crû, se croyant seulement abandonné des dieux, maudit depuis l’enfance, comme les gens de Mont-De-Fer avaient pu le mentionner. Pourtant, il s’y était réellement intéressé au contact de feu Lord Glover, qui ne l’a jamais obligé à rien. Il a trouvé une certaine forme de paix à se recueillir auprès d’eux. Il a alors changé d’avis, ne pensant pas à la mort de sa mère comme une malédiction jeté sur lui, plutôt comme une épreuve à relever afin de se montrer méritant auprès des dieux. Après tout, rien n’est laissé au hasard dans ce monde, n’est-ce pas ?

Fate Awaits

Maudit soit-il de s’être montré aussi direct. Il savait pourtant se montrer délicat et éviter les sujets trop abrupts comme celui-ci. Mais son impulsivité semblait par moment refaire surface, comme une vieille habitude qui le ramenait à sa jeunesse. Avec le temps et surtout la discipline de l’armée, il s’était assagi, réfléchissant avant de parler. Seulement, discuter ainsi à coeur ouvert et découvrir des zones d’ombres qu’il avait laissé à l’abandon dans sa vie, avait remonté une certaine partie de lui qu’il avait oublié. Et ce n’est que lorsqu’il vit la main d’Isla portée à son ventre qu’il se rendit compte que ses paroles pouvaient être choquantes. Il détourna alors le regard, crispant sa mâchoire tandis que la blonde lui rendait des condoléances. Il n’était pas en deuil, cela faisait aujourd’hui trente-huit ans qu’il vivait sans.

- Ne vous sentez pas désolée. C’est du passé, il ne vaut mieux plus y penser.

Rétorqua-t-il finalement, d’une voix à nouveau neutre et mesurée. Il est ainsi, ne se souciant plus de ce qui appartenait au passé. Avançant en apprenant de ses erreurs qui lui ont coûté et en restant fidèle à lui-même. Dame Chelsted semblait méditer sur la réponse à donner, une fois de plus, Aymeric lui laissa le temps qu’il fallait en observant les alentours, entendant les cavaliers ricaner entre eux. Lorsqu’elle répondit enfin, il retourna son attention vers elle alors qu’elle se confiait sur sa famille.

Souvent parmis les parents, il y avait toujours un parent plus dur que l’autre, une sorte de complémentarité pour une famille équilibrée. Est-ce que cela marchait vraiment ? Il l’ignorait, pour lui, c’était comme s’il n’avait pas eu de parents. Une mère étrangère disparue au moment de sa venue au monde, et un père volontairement absent de son éducation. Même sa nourrice n’aurait pu être considérée comme une parente. Pourtant, il ne s’en plaignait pas, ou plus. Les choses étaient ainsi faites. Isla confiait qu’elle avait été réticente à se marier, puis que cela ne fut point fructueux. C’était évidemment malheureux … Mais comme ils en avaient discutés plus tôt, il n’était pas rare que l’amour et le mariage ne se concordent pas.

- C’est partout pareil dans la noblesse. La question du mariage est souvent sujet à discorde.

Dit-il sans vouloir entrer dans les détails de l’histoire de Dame Chelsted. Lui-même croyait être tranquille après autant d'années sans qu’on ne lui parle de mariage. Jusqu’à ce que son frère l’évoque en affirmant qu’il n’était pas capable d’engendrer. C’était malheureux pour lui, mais Aymeric ne sentait pas concerné par sa situation. Il n’a jamais été proche de lui, et jamais il ne serait. Il ne voyait donc pas pourquoi il devrait obéir à une quelconque demande de sa part.

Lorsque Dame Chelsted évoqua le destin, ses paroles firent profondément écho en lui. Il esquissa un mince sourire. Ne pas subir son destin, mais choisir de l’affronter par d’autres chemins. C’est ce qu’il s’était évertué de faire toute sa vie, souhaitant se donner les moyens, les meilleures chances pour réussir. Il s’était battu pour ne pas rester le vilain petit canard de Mont-de-Fer, mais s’était émancipé dès qu’il l’avait pu, au profit d’une figure plus paternelle, qui lui apprit tant sur la vie. Il était d’accord sur bien des points avec ce qu’elle mentionnait, à quelques mots près. Si elle priorisait la vie et l’amour, il priorisait la vie et le devoir. Puisque l’amour avait beau être magnifique, il l’avait détruit de l’intérieur. Le devoir était simple, servir l’homme en qui il croyait depuis des années. Il savait que cela ne pourrait le briser, outre la mort de ce dernier… Elle lui confia finalement avoir fait une promesse, celle de croire. Si cela pouvait sembler vague, pour lui cela ne l’était pas. Il comprenait même tout à fait le sens de ce mot.

- Croire est important, plus bienfaiteur que de subir. Croire, c’est espérer que de meilleurs jours se lèvent, cela permet de mieux avancer et d’avoir le courage de le faire.

Souffla-t-il, un brin philosophique, léger. Croire, c’était si simple à dire, et tout autant à faire. Bien plus que l’on imagine. Sans barrières, sans obstacles, croire n’est qu’une évidence pour ceux qui aspirent à une vie meilleure, pour lui, ses proches ou encore le monde.

Il ne pouvait qu’acquiescer aux dires de sa comparse avec qui il refaisait visiblement le monde. Oui, il aimait à se dire qu’il était authentique, ou en tout cas aux pensées simples, non conventionnées par certaines personnes. Il avait beau avoir suivi certains hommes, il ne les a pas copiés pour autant, apprenant simplement à grandir auprès d’eux. Lorsqu’elle lui demanda comment était l’Empereur lorsqu’il était seulement Roi, il arqua un de ses sourcils en l’observant.

- A mon sens, devenir Empereur ne l’a pas changé. C’est un homme bon, torturé par les années. Il est à l’image de notre peuple, dur et fier, tout comme il est juste et humble. D’autant qu’il a un esprit brillant, diplomatique, stratégique, j’ai toujours loué ses idées. C’est pour tout cela que je le suis, pour l’avenir qu’il tend à dessiner.

Il n’est guère le genre de personnage à changer avec le pouvoir et l’ambition, ses priorités ont toujours été les mêmes. Depuis qu’Aymeric a voué sa vie à le protéger, en ployant le genou sous le Barral de Winterfell, il avait sut que cet homme était un homme d’exception, à la force d’esprit comme peu il y en avait. Comment n’aurait-il pas crû en lui ? Il défendait déjà à l’époque une vision qu’il partageait. Et jamais il n’a regretté de le suivre jusqu’à lors.

Alors qu’il méditait sur tout cela, il vit du coin de l'œil un trognon de pomme atteindre le lieutenant Edwin qui grogna de surprise. Aymeric se tourna à nouveau vers la blonde qui était à deux doigts d’exploser de rire alors qu’il lui lançait un brin amusé :

- Souhaitez-vous saboter votre propre garde, Dame Chelsted ?

Il secoua ensuite la tête avant de se redresser, acquiesçant en direction du lieutenant. Il l'observa s'éloigner pour s’installer à même l’herbe. Retournant son attention vers Dame Chelsted avec qui il avait eu une conversation beaucoup plus sympathique qu’il ne l’aurait crû au premier abord.

- Je dois discuter avec le lieutenant de notre itinéraire à suivre. Reposez-vous, nous avons encore de la route à faire avant de monter le camp. Lui dicta-t-il solennellement en abaissant sa tête avec respect.