Eléanor, assise au chaud sous les draps et fourrures de son lit, brossait lentement son épaisse chevelure, pensive. De tous les sujets les plus nébuleux ayant jamais obnubilé les esprits fumeux de théoriciens de toutes sortes, du plus obscur alchimiste au plus rêveur des ménestrels, la métamorphose avait une place à part. Objet de fantasmagoriques récits, on la faisait reine des capacités magiques, don de prédilection des sorcières et enchanteurs aussi irréels que les morales des contes pouvaient être concrètes. Pourtant, Eléanor lui trouvait une réalité somme toute implacable, en cela qu'elle l'expérimentait depuis plusieurs mois désormais, et ce de bien des manières.

La plus remarquable avait vu jour par nécessité physiologique; sa grossesse transformait ainsi ventre habituellement plat en une sphère de plus en plus imposante. Si ce n'était là qu'une des choses les plus naturelles au monde, le gravidisme n'étant pas une exception dans la vie d'une femme, la demoiselle née Tully lui trouvait bien des points communs avec ce phénomène de métamorphose dont les conteurs en faisaient des incroyables phénomènes. Eh bien, pour être tout à fait honnête, elle n'y voyait rien de bien palpitant, mais plutôt un fait assez désagréable et encombrant, sans compter son potentiel de dangerosité, au point qu'on lui faisait tenir le lit tous les jours depuis plus d'un mois, avec seulement deux petites promenades autorisées par jour maximum; une pour l'air frais du matin, réputé vivifier le corps comme l'esprit, et l'autre dans l'après-midi, pour savourer les rares rayons chauds du soleil qui arrivaient à atteindre Winterfell et qui, selon Mestre Roshar, ne pouvaient que faire du bien à un organisme concentrant toute son énergie sur la procréation. Ces quelques escapades journalières ne tenaient ceci dit qu'à un fit, et Eléanor craignait de se voir alitée pour de bon d'ici quelques semaines.

Si son corps subissait une forme de transformation qui ne l'enchantait guère du fait des difficultés inhérentes auxquelles il se trouvait confronté, son esprit lui aussi avait enclenché une forme de métamorphose. Bien plus symbolique, spirituelle et singulière, cette transfiguration n'en était pas moins nécessaire. De petite truite, certes issue de noblesse ancienne mais quasiment anonyme, la Tully était devenue Stark, louve des confins glacés de Winterfell et par la même occasion, Reine du Nord. Autant dire que la mue de poisson à canidé était assez compliquée; bien que volontaire dans ses efforts de compréhension, et accueillie avec gentillesse chez ses nouveaux sujets, Eléanor peinait encore à voir le monde comme pouvaient le faire les Nordiens. Elle n'avait pas encore, sur ces trois premiers mois de présence ici, eu vraiment l'occasion de faire une étude sociologique approfondie, à vrai dire. La personne sur qui elle aurait aimé pouvoir se reposer brillait par son absence. Pas qu'elle lui jetât la pierre. La guerre était une maîtresse capricieuse, mais à choisir, Eléanor trouvait plus honorable que Jon fréquentât celle-ci qu'une en chair et en os. En attendant, cela faisait que celui qui aurait dû être son soutien et son tremplin à la cour de Winterfell n'avait pas pu jouer ce rôle. Quasiment jour au lendemain, l'ancienne Tully était passée d'un concept très théorique de Reine du Nord, d'autant plus abstrait pour la jolie brune qu'elle avait été mariée, titrée et avait vécu encore plusieurs semaines à Vivesaigues, à une réalité très prégnante de personne portant la plus haute dignité possible en arrivant dans son nouveau foyer. Autant dire que le tout avait donc bien des airs de métamorphose.

Votre Majesté, le cortège de Lady Ardoise s'approche des portes de la ville, annonça la voix posée de Mestre Roshar, entré dans la chambre après quelques coups portés à la porte. Ainsi furent interrompues les passionnantes périgrinations mentales d'Eléanor sur la notion de métamorphose. Ceci dit, il s'agissait d'une bonne nouvelle, d'autant plus qu'elle n'avait pas encore eu sa balade matinale. Elle reposa sa brosse sur sa table de nuit et dédia un sourire lumineux au vieil homme, bien contente de pouvoir enfin sortir de cette pièce : Merci, Mestre Roshar. Pouvez-vous m'envoyer Cordélia, je vous prie ? Sur ces entrefaites, l'homme sortit et laissa sa reine aux bons soins de sa compagne.

Les Sept puissent-ils te bénir pour avoir accepté de me suivre jusqu'ici, soupira Eléanor alors que sa cousine lui brossait les cheveux. Depuis bien des années les représentantes Tully et Nerbosc, aînées de leur génération, étaient inséparables. Si la brune avait toujours aimé ses adelphes, et si elle avait de tout temps apprécié le tempérament fougueux de sa tante Lyssandre, elle n'avait pu qu'être proche de Cordélia. Avec seulement trois ans d'écart, les deux jeunes femmes se complétaient agréablement. Là où l'une avait tendance à être très - trop - exclusive envers ceux qu'elle aimait, sûrement du fait de ses relations difficiles avec sa parentèle proche, la seconde lui avait appris le partage. Lorsqu'Eléanor se montrait un peu trop longue à prendre une décision, que ce soit par envie de bien faire et donc d'y réfléchir à deux, trois fois ou par crainte de se tourner en ridicule, Cordélia la poussait à faire preuve d'audace et d'aplomb. Au final, l'une comme l'autre se ressemblaient bien en un point : leur obstination. Ceci était à la fois leur force commune tout comme un grand point de chamailleries; si ensemble elles pouvaient être plus solides qu'un roc, les demoiselles pouvaient s'écharper pendant des jours pour une querelle sur un mot, une idée, un principe, aucune ne voulant céder de terrain à l'autre. A Vivesaigues, où Cordélia avait été envoyée dès ses onze printemps, leurs joutes verbales avaient fait l'amusement des Tully comme de leurs domestiques pendant bien des années. Alors, ce fut d'un ton où se ressentait l'évidence même que la dame d'honneur répondit : Je n'aurais pu l'envisager autrement. Les lèvres d'Eléanor s'étirèrent en un sourire, et les deux jeunes femmes passèrent à l'habillage de la Reine du Nord.

Celle-ci savait bien que la Lady qui arrivait était frappée de cécité, ainsi ne se vêtit-elle pas vraiment pour impressionner Khayley Ardoise, mais pour tenir ce statut royal qui était le sien. Avancer dans les couloirs de Winterfell habillée d'une robe de chambre aurait fait mauvais genre.

Ainsi parcourut-elle d'un pas tranquille la demeure ancestrale des Stark vêtue d'un bliaud vert forêt réhaussant joliment ses yeux, amélioré par une cape cousue sur le tissu de la robe et doublé de fourrure grise à l'encolure et sur la face interne de ses longues manches pendantes. Le manque de motifs sur cette robe était compensé par un motif brodé de fils argentés de la main d'Eléanor elle-même : le Loup, fier emblème de sa nouvelle Maison. Un chainse d'une teinte légèrement plus pâle couvrait le buste et les bras de la reine jusque ses poignets, ne laissant dévêtues que ses mains. Le tout donnait une tenue à la fois sobre, utilitaire et assez délicate. Tenant à accueillir la jeune demoiselle en sa demeure elle-même, la Dame de Winterfell arriva dans sa cour à l'instant même où s'y arrêtait le carrosse de son hôte.

Celle-ci en sortit peu après, accompagnée d'une Dame comme elle l'était elle-même de Cordélia, et fut introduite par Ocley Dustin, qui aidait le jeune Walton Stark dans la gestion de la capitale du Nord en l'absence de leur Roi. Eléanor s'avança alors vers celle qui esquissait une hésitante mais tout à fait correcte révérence, et quand celle-ci se redressa, la femme enceinte prit délicatement ses mains dans les siennes. Une manière de lui signifier expressément son accueil en ces lieux, mais aussi de lui indiquer sa proximité physique. Celui qu'on pouvait par avance de Grand Intendant - bien qu'il n'en eut pas encore le titre, mais tout à fait le mérite - déclama l'identité de l'interlocutrice de Khayley avec une grande solennité : La Reine Eléanor Stark, Dame de Winterfell et Princesse du Royaume des Rivières et des Collines ! La jeune femme grimaça face à cette présentation ampoulée; parfois, elle avait tendance à oublier qu'elle était passée de simple Dame à personnage d'une Maison régnante, avec tout ce que cela pouvait impliquer... Comme une déférence se ressentant à chaque coin de rue. Bienvenue à Winterfell Ma Dame. C'est avec plaisir que nous vous recevons. Elle retira ses mains de celles de son invitée, qu'elle avait perçu bien fraîches, reprenant : Avez-vous fait bon voyage malgré ce froid ?

Le froid du Nord, tendre ? rit légèrement Eléanor, un rictus se formant à la commissure de ses lèvres. Il faut croire que je ne suis pas encore assez acclimatée pour pouvoir distinguer ses nuances les plus favorables, constata-t-elle d'un ton toujours aussi amusé. Ah, ces Nordiens... ! Oui, elle était des leurs désormais, bien évidemment; il n'empêchait que pour autant, sur certains faits, l'intégration culturelle prenait un peu de temps. La bise soufflant sur ces territoires se voulait maîtresse des Destinées, et ne s'effacerait qu'au profit du fameux Hiver dont on rabattait les oreilles à la jeune Reine depuis sa première rencontre avec des populations vivant au-delà du Neck. Enfin, elle aurait toute une vie pour s'y faire, désormais. Aux températures comme aux mentalités. Eléanor inclina poliment la tête envers ladite Jenny : Je compte sur vous pour aider votre maîtresse à s'habituer à ces lieux. N'hésitez pas à questionner les autres domestiques en cas de besoin. Suite à cela, la servante s'éclipsa pour s'occuper des affaires de Lady Ardoise. La nouvelle Dame de ces lieux lui aurait bien prêté le secours d'un bras, si elle n'avait pas déjà un peu de mal elle-même à faire ses quelques centaines de pas à la journée. Nul doute que le Mestre verrait d'un oeil sentencieux le moindre effort physique qu'oserait faire sa Reine. Heureusement, une fois de plus pour elle, sa cousine adorée se trouvait à ses côtés.

Ne soyez pas gênée de ne pouvoir profiter des lieux comme tout un chacun, énonça la Reine d'un ton affable. Si cela peut vous plaire, je vous décrirai les environs, des dispositions et matériaux des bâtiments, lorsque nous nous promènerons dans Winterfell les semaines à venir. Sa mère, Lysanne Tully, avait toujours eu une grande disposition à aider les plus nécessiteux; elle avait toujours fait preuve d'une empathie extraordinaire. Ainsi, Eléanor avait pu rencontrer une personne aveugle, et constater les manières dont elle évoluait dans son environnement. Elle avait d'ailleurs été assez stupéfaite lorsqu'elle avait remarqué à quel point les sens pouvaient être stimulés, lorsque l'un d'eux se trouvait inhibié. Ouïe, odorat, goût, toucher... Tout était bon pour se faire une idée plus précise des lieux et personnes gravitant alentours. Caressant son ventre à l'arrondi un peu plus prononcé chaque jour, même s'il restait encore modeste en ce quatrième mois de grossesse, la jeune Reine déclara : Suivons Ser Dustin, je pense qu'il est temps que nous rentrions au chaud. J'en profite pour vous présenter ma cousine et dame d'Honneur, Cordelia Nerbosc. Celle-ci s'adressa chaleureusement auprès de la nouvelle arrivante et, sans attendre la demande même d'Eléanor, proposa le secours de son bras à Khayley afin de la guider à travers escaliers et couloirs.

Le vieux château connaissait un calme assez étrange ces derniers mois, les hommes étant partis guerroyer ; pourtant, on ne pouvait que constater le fourmillement de mille personnes allant ça et là. Ici, un marmiton rejoignait les cuisines, un bouquet garni fraîchement cueilli du petit jardin aromatique que le cuisinier se faisait un orgueil d'entretenir malgré le froid ambiant ; là-bas, deux filles de chambre portaient des draps fraîchement lavés ; dans ce coin, des hommes jouaient aux dés. Alors qu'elles marchaient tranquillement à travers hall, coursives et autres contours de pièce, Eléanor demanda : Quelles sont les nouvelles de Noirétang ? Je n'en ai pas su plus après l'échange de missives arrangeant votre venue ici. Une fois introduites dans les appartements de Dame Ardoise par l'Intendant, Eléanor se tourna vers sa cousine. Merci, Cordélia; je vais rester quelques instants avec notre hôte, le temps qu'elle se fasse à son nouveau chez-elle. Je vous rejoindrai plus tard. Sur une révérence, la Nerbosc se retira alors. Eléanor prit alors la main de son invitée, et lui proposa : Si cela vous convient, je vais vous mener à un fauteuil et vais m'asseoir à mon tour, puis je ferai demander une collation. Cela nous fera du bien à l'une comme à l'autre.

En posant une vague question à Lady Ardoise sur sa famille et sur son domaine d'origine, Noirétang, la jeune Reine du Nord tenait autant à faire preuve d'intérêt, de sollicitude envers la demoiselle juste arrivée à Winterfell, que d'en apprendre plus sur son propre royaume. Certes, comme toute bonne jeune fille de la Noblesse, elle avait été instruite depuis son plus jeune âge sur la géographie du tout Westeros, et sur ses nobles et anciennes familles, leurs adages, leurs blasons et leurs allégeances. Il n'empêchait qu'en ce qui concernait des plus petites lignées, Eléanor n'avait clairement pas toutes les connaissances en sa possession, et elle comptait bien résoudre ce problème au plus vite. Déjà, depuis son arrivée dans la capitale du Nord, son beau-frère Walton prenait soin de l'instruire, petit à petit, autant sur les coutumes de son nouveau pays que sur son système de loi, le fonctionnement plus particulier des institutions et adages de ces terres, la vision du monde des Nordiens et les mentalités en découlant... Soit une somme d'informations des plus précieuses, pour autant, la jeune Reine considérait qu'avoir plusieurs points de vue et des éclairages différents ne serait jamais inutile; ainsi la venue de Khayley était une véritable chance en cela. Ainsi, malgré le peu que sa feudataire lui en dit, Eléanor écouta avec attention ses paroles sur Noirétang, et rebondit dessus avec une certaine facilité : Parlez-moi un peu de votre famille, de votre lignage. Quelle est l'Histoire des Ardoise ? Comment sont vos parents et vos frères, physiquement et caractériellement ? Se rendant compte qu'elle bassinait peut-être trop sa jeune compagne de questions, elle s'excusa assez rapidement et s'expliqua : Pardon si je vous en demande trop après ce voyage. J'aimerais juste apprendre à connaître mes sujets.

Quel terme encore bizarre aujourd'hui à glisser entre ses lèvres... Sujets. Alors que quelques mois encore auparavant, elle-même n'avait jamais été que féale d'un roi, ainsi que tous les siens, sa Majesté Hoare. Le changement de statut avait été soudain, et certaines fois encore la brune se disait qu'elle avait du mal à apprécier pleinement sa nouvelle condition, en ce sens où, contrairement à son mari par exemple, elle n'avait jamais été élevée dans l'idée de faire un jour partie d'une quelconque Maison Royale. D'où son implication encore plus active pour s'améliorer et réussir, au plus tôt possible, à pouvoir tenir l'entièreté de son rôle de Reine correctement.

Eléanor sourit avec amusement face aux propos de son hôte sur les grossesses des servantes de Noirétang, et une drôle d'idée lui vint. En vérité, cela est un beau sujet en soi, que ces femmes soient domestiques ou nobles est un détail aux yeux des Dieux. La brune réfléchit quelques secondes, avant de reprendre : Je me demande si je devrais envoyer un corbeau pour féliciter collectivement les futures et jeunes mères du fief de vos parents ? Elle explicita sa cause l'instant suivant, un index pensif posé en parallèle sur le rebord de ses lèvres, le reste de ses doigts soupesant son menton : Je me doute que la démarche soit assez peu répandue, voire totalement incongrue, mais après tout... Ne serait-il pas bon que la nouvelle Reine du Nord se fasse connaître auprès de ses sujets, même les plus modestes, et de leur adresser ses voeux les plus chaleureux en de pareils événements ? D'autant plus en ces temps de guerre qui ne semblent jamais vouloir s'arrêter... Alors qu'elles tournaient dans un nouveau couloir, s'approchant des appartements préparés pour Khayley, elle leva ses yeux verts, toujours aussi songeuse : Bien sûr, ce serait une missive globale, afin que personne ne se sente plus favorisé qu'un autre, et qu'en cas d'événements malheureux, la lettre ne soit indélicate. Hélas, trop souvent, des bébés ne voyaient pas le jour une fois sortis du ventre de leur mère, ou ne passaient pas leur première semaine de vie; tout pareil, il n'était pas si rare que la femme décède en couches. Qu'en pensez-vous, Ma Dame ? Questionna la jeune Reine en frôlant le poignet de Lady Ardoise alors qu'elles entraient dans la chambre, et que Cordelia les abandonnait à sa demande.

Comme proposé, Eléanor mena son invitée jusqu'à un fauteuil et la laissa s'y asseoir. Lorsque celle-ci fit un commentaire sur sa robe, elle demanda avec intérêt : Etes-vous capable, en votre for intérieur, de vous figurer les différentes couleurs si on les décrit, ou cela est-il un concept qui vous est totalement étranger ? Auquel cas, elle se ferait un vrai plaisir de lui détailler sa robe, dont elle n'était finalement pas peu fière, avec force détails; le tout restait de savoir lesquels seraient utiles à la compréhension de Lady Ardoise, d'où sa question. Elle se dirigea vers un petit bureau d'écriture, qui serait sans doute plus utilisé par Jenny que par sa maîtresse; qu'importait, l'objet que désirait la Reine s'y trouvait. Une petite clochette, qu'entendit la servante qui attendait dans la pièce d'à côté.

Oui, Vot' Majesté ? Demanda-t-elle après une profonde révérence, qu'elle reproduisit envers Khayley, lui donnant du "M'Dame".  Eléanor fronça un peu les sourcils; elle avait du mal avec ces mots hachés que produisaient nombre de serviteurs, et s'était fait une mission de corriger ce vilain défaut. Enfin, ça irait pour cette fois. Apportez-nous des infusions, avec du miel à côté pour sucrer; quelques fruits et noix, et des gâteaux qui restent du petit-déjeuner de ce matin, s'il-vous-plaît. La femme hocha la tête et partit derechef aux cuisines. Si Eléanor en attendait beaucoup, peut-être plus que d'autres, de la conduite de sa Maisonnée, elle-même ne se considérait pas au-dessus des règles de courtoisie et de politesse, et mettait toujours un point d'honneur à demander plus qu'à ordonner ses besoins au personnel la servant. Enfin, la reine du Nord s'assit dans un confortable fauteuil couvert d'une épaisse fourrure blanche, et déclara : J'avais prévu de mettre cette servante, Larra, à votre service; ceci dit, si vous avez déjà Jenny avec vous, désirez-vous que je lui dise de se consacrer à d'autres tâches ? A vous de me dire quelle sera la teneur de votre organisation quotidienne ici, je vous en laisse toute liberté.

Maintenant qu'elle était confortablement installée, Eléanor se sentait d'humeur à passer le reste de l'après-midi en compagnie de son hôte. Elle sourit à sa demande et répondit : Bien évidemment ma chère, posez toutes les questions qui vous passeront par la tête. Je peux comprendre votre curiosité. En revanche, si jamais vous fatiguez, n'hésitez pas à me le faire savoir, et je vous laisserai vous reposer. Elle caressa son ventre arrondie tout en écoutant Khayley, qui lui faisait la judicieuse réflexion que cela avait dû être un immense changement pour elle, que de quitter le Conflans pour venir vivre ici. Vous n'imaginez pas, sourit la brune d'un ton doux, dans lequel on pouvait receler autant de mélancolie et d'inquiétude que de notes d'espoir et de joie. Vous savez, avant mon mariage avec Lord Stark, je n'avais quasiment jamais quitté Vivesaigues non plus.. Autant dire que le voyage fut à la fois long, rude du fait de sa condition, mais aussi source de curiosité comme d'appréhension.

Pardon, ma question était maladroitement formulée... Par "physique", j'entendais des choses qui ont pu vous marquer malgré votre cécité, comme le ton de la voix, le style vestimentaire qu'ils arborent. Eléanor esquissa un sourire gêné en ponctuation à ses paroles; si la demoiselle face à elle ne pouvait le voir, on disait toujours qu'un sourire se ressentait, alors pourquoi pas ? Puis elle écouta attentivement Lady Ardoise. A travers les mots de Khayley, la toute nouvelle Reine du Nord avait l'impression de découvrir la famille de son hôte, de déjà les connaître. Même s'ils n'étaient pas appelés à se rencontrer d'ici peu, la brune avait tendance à considérer que connaître un minimum ses bannerets, que ce soit par un détail physique, par une attitude marquée ou par des valeurs bien ancrées ne pouvait qu'avantager sa perception de ceux-ci. Ainsi, si elle devait un jour recevoir Lord Ardoise, au moins ne passerait-elle pas pour une totale étrangère, ignare de toute histoire, de tout contexte familial. En plus, cela lui permettait de faire des connexions entre les différentes Maisons ! Ainsi s'en rendit-elle compte lorsque son interlocutrice mentionna sa grande-soeur, Jonquil. Les Karstark ? Si je ne me trompe pas, la mère de mon époux, Sigyn, provenait de cette famille... Et ils sont de toute façon cousins de longue date avec les Stark, n'est-ce-pas ? Il était en tout cas des plus agréables de pouvoir discuter avec une jeune Dame dans ses âges, et qui, sans être du tout familière de Winterfell, servirait sans doute plus de guide à Eléanor que l'inverse. Après tout, une vie entière, fut-elle passée à Noirétang, ne manquerait pas d'être une source d'informations intarissable pour la jeune femme sur les moeurs nordiques, et donc sur le regard qu'elle pourrait porter sur son royaume. Elle se contenta de hocher la tête en un signe d'approbation lorsque Khayley soutint son initiative d'envoyer, un jour, un petit mot de félicitations aux femmes de la maisonnée Ardoise qui auraient connu le bonheur d'enfanter. A ses pensées, la Reine passa machinalement sa main sur son ventre arrondi, distraite le temps d'une seconde.

Cependant, son attention fut rapidement captée par les dires de sa compagne, qui lui expliquait se symboliser les couleurs par des odeurs. Oh ! Je puis essayer de vous les décrire ainsi alors. Un large sourire amusé étendit les lèvres d'Eléanor, qui prenait cette expérience pour un petit jeu mental des plus distrayants. Les distractions se faisaient peu nombreuses depuis qu'elle passait le plus gros de ses journées alités, alors elle s'enthousiasmait de la moindre occasion de se divertir. Je porte une robe-cape verte, d'un vert qui sentirait bon comme une forêt sous un soleil d'été. Les manches sont longues, pendantes, et rembourrées ainsi que mon col d'une fourrure grise, tel un vent automnal. Enfin, j'ai brodé un loup sur la robe, légèrement au-dessus de la poitrine. Suite à cela, les deux femmes se mirent d'accord sur le statut de Jenny auprès de sa maîtresse, qui semblait vouloir la conserver comme seule domestique à ses côtés. Eléanor branla du chef en approbation aux souhaits de son hôte, et répondit : Il en sera selon vos voeux. Je dirai à Larra de reprendre ses services habituels au sein de la Maison. D'ailleurs, parlez du loup et vous en verrez la queue; quelques secondes à peine après avoir clôt ce sujet, la servante revint dans la chambre, portant un large plateau sur lequel se retrouvaient les diverses collations requises par la maîtresse des lieux. Les yeux de celle-ci brillèrent d'envie devant ce festival de gourmandises dont les agréables odeurs lui montaient déjà aux narines. Dieux qu'elle était plus sensible à tout cela depuis qu'elle était enceinte ! Déposant le tout sur une commode, Larra s'affaira, posant entre les deux convives une table haute où elle servit les tisanes, laissa le pot de miel près des tasses, et disposa quelques petites assiettes ou ramequins dans lesquels s'offraient fruits, noix et des petits gâteaux au citron. Merci Larra, vous pourrez disposer. Congédiée, la servante repartit derechef vers d'autres occupations. Eléanor, refrénant sa gourmandise et prenant le parti de d'abord s'hydrater, sucra légèrement sa tisane et la porte ensuite à ses lèvres.

L'humour de Khayley envers sa propre condition était surprenant, il aurait presque pu être gênant du fait de son insistance; après tout, deux traits d'esprits sur le sujet en moins de cinq minutes de la part de la principale concernée, cela semblait beaucoup ! Pour autant, Eléanor ne s'en formalisa pas, d'autant plus que la demoiselle lui expliqua qu'elle préférait rire que pleurer de son état. Il n'appartient qu'à vous de décider comment vivre votre cécité, la confirma la Reine dans sa démarche. Il serait bien malséant de lui dicter sa conduite, notamment vis-à-vis de sa propre pathologie ! Du moins était-ce l'avis de la femme enceinte sur cette affaire. Pour reprendre sur ma famille... Elle réfléchit un instant, posant sa tasse sur la soucoupe qu'elle tenait de sa seconde main.

Mon père, Lyham Tully, est un homme d'honneur et de caractère. Il essaye de faire au mieux pour les siens, et désormais, pour la sauvegarde son nouveau royaume. Elle soupira; son mariage avait fait partie du prix à payer à cette fin. Elle lui en voulait encore pour la manière dont cela avait été fait; malgré tout, son amour pour lui restait intact. Il est très grand, et porte ses cheveux bouclés mi-longs. A la pensée de sa mère, un nouveau sourire éclaira le visage d'Eléanor. Ma mère, Alysanne née Nerbosc, donnerait tout pour que le monde vive en paix et dans la joie. Je ne connais personne qui ait meilleur coeur qu'elle. C'est aussi une bonne gestionnaire, mais elle est parfois dure, et il nous est arrivé de nous quereller assez fort.

Sa fratrie et le reste de sa famille firent alors apparition dans son esprit, faisant battre son coeur à leur souvenir. J'ai une tante paternelle dont je suis très proche, Lyssandre. Elle est tout feu tout flamme, tant par la chevelure que de son caractère. Il n'est pas rare que de nous deux, l'on me prenne pour l'aînée et elle la cadette, n'ayant que trois ans d'écart, et des caractères bien différents. Enfin, j'ai deux frère et soeur plus jeune : Brandon, de deux ans mon cadet, qui sera le futur Roi du Conflans, un bon garçon qui peut se montrer aussi généreux que colérique - on ne peut avoir que des qualités - et enfin Charissa, dont dix ans me séparent d'elle. Je pense qu'elle saura mener son monde par le bout du nez, elle est aussi adorable que capricieuse, une vraie chipie. Malgré elle, Eléanor sentit les larmes monter; il était encore bien difficile d'accepter qu'elle était désormais séparée d'eux, et qu'elle ne les reverrait pas avant bien longtemps, si l'occasion seulement se présentait. Heureusement, sa chère cousine Cordélia l'avait accompagnée. Et vous avez pu voir ma cousine tout à l'heure; Cordélia est la fille de mon oncle maternel, et pupille de mon père depuis des années. Nous avons grandi telles des soeurs. Je suis heureuse qu'elle m'ait suivie jusq'ici.

Ah, la famille... Eléanor ne pouvait totalement contredire son hôte sur la chance qu'elle avait de connaître une véritable unité avec les siens. Ce n'était hélas pas le cas partout, au point même qu'il était tout sauf rare de voir des frères et soeurs se déchirer pour des questions d'héritage, des couples ne plus s'adresser la parole pour de vieilles rancoeurs non-digérées, des enfants et des parents se brouiller. Solaire est une belle représentation de mes parents ! affirma avec sincérité la brune aux yeux d'un bleu aussi profond qu'une agate. Elle soupira légèrement devant l'affirmation de Lady Ardoise, qui avait visé bien juste. Oui, ils lui manquaient. Terriblement même, et ce bien qu'elle fasse tout son possible pour ne pas le laisser transparaître, elle ne pouvait tout simplement pas le nier. Après tout, elle n'avait jamais passé que l'entièreté de sa vie avec eux... Peut-être un peu moins avec son père qui, ces dernières années, avait chevauché de bataille en bataille, couru de guerre en guerre. Malgré cela, il avait toujours fait en sorte d'être un maximum présent et disponible pour les siens, préférant largement passer du temps avec sa femme, leurs enfants ou sa soeur que de passer ses soirées à boire avec d'autres nobles. Disons qu'il savait équilibrer ses moments de liberté et de loisirs, au grand bonheur de son foyer. En quittant Vivesaigues, la jeune Reine avait laissé derrière elle Père, Mère, Grand-Mère, frère et soeur, tante... Tellement de monde avec qui elle avait pu avoir des relations si intimes. Tranquilles ou conflictuelles, mais toujours très intenses.

Pour autant, et ce même si elle aimait fondamentalement les Tully, la nouvelle Reine du Nord ne tenait pas à ce que Khaylhey se fasse une idée trop idyllique d'une famille qui, comme toute, avant au moins au tant de défauts que de qualités. Ne pensez pas que les Seigneurs de Vivesaigues sont parfaits, ma Dame. Croyez-le ou non, j'ai même actuellement, et ce en dépit du manque cruel que son absence représente pour moi, un ressentiment assez sévère à l'égard de mon père. La fière demoiselle n'avait toujours pas digéré ce sentiment d'avoir été vendue par son géniteur au Nord comme des paysans troqueraient une vache contre un bout de terrain. De colère explosive - sentiment des plus rares chez elle - lorsqu'elle avait appris cet échange de procédés entre Lyham et Torrhen, à  rancoeur assourdie par la présence des dits Stark à Vivesaigues et du meurtre horrible de son grand-père par le feu, Eléanor en était désormais arrivée à un mécontentement ferme. Autant par principe que par réelle ire, la jeune femme ne comptait pas pardonner à son père... Du moins, pas trop vite. Et autant sa Raison lui soufflait que s'il l'avait fait, c'était notamment pour sauvegarder sa propre vie, celle de sa famille et faire pour le mieux, son Ego ne pouvait s'empêcher de lui rappeler une douloureuse litanie. Celle lui chantonnant à l'oreille "Sire Tully s'en-va-t'en guerre ; revenu roi des Rivières ; pour ceci sa fille a vendu ; lui a tout gagné, elle a tout perdu". Ridicule petite chansonnette que l'esprit d'Eléanor avait créé, au plus profond de sa détresse, peu de temps après la mort de Kian Tully. Et autant elle tentait de chasser cela aussi fort que possible, autant par instant, quand sa grossesse la rendait trop émotive, ces paroles débiles lui revenaient en pleine figure. Oui, par instants, elle avait l'impression d'avoir tout perdu. Vivesaigues, ses proches, ses repères, sa culture, ses habitudes...

Mais alors, la jeune femme se faisait un devoir de se pencher sur le positif. Bien que ce ne serait pas des plus simples dans les premiers temps, elle saurait se construire sa propre famille. La preuve en était là, bien nichée en son sein. Par son mariage, elle avait également obtenu le statut de Reine; si cela l'effrayait jusque maintenant, car elle ne savait qu'en faire, nul doute que tôt ou tard, elle saurait s'adonner à cette fonction et en apprécier les avantages. Bref, tout n'était pas noir. L'hiver vient, selon les Stark; pourtant, Eléanor se refusait de se laisser aller à une vision trop pessimiste des choses. Je l'escompte bien aussi, répondit la jeune femme d'un léger sourire, passant en une caresse sa main sur son ventre rebondi. Suite à quoi elle reprit en main la tasse qu'elle avait posé, et en sirota le contenu, ponctuant le tout d'un de ces délicieux gâteaux au citron... Qu'elle trempa dans son thé, comble de l'impolitesse chez n'importe quel noble. Mais après tout, Khaylhey ne saurait s'offusquer de ce qu'elle ne voyait pas, n'est-ce-pas ? Avec un petit sourire espiègle, la jeune Reine avala la dernière bouchée de cette gourmandise acidulée. En effet, ce fut un vrai chamboulement. Mais je ne comptais pas m'apitoyer sur mon sort indéfiniment. Changeant de sujet, elle demanda : Que pouvez-vous me dire du Nord ? Ses traditions, ses moeurs...

Les paroles seraient venues d'une autre personne de Khayley que la jeune reine ne les aurait pas vraiment crues; du moins, elle se serait dit qu'il s'agissait d'une manière de l'amadouer et de la flatter. En effet, sous un certain point de vue, les consolations de la demoiselle sur la famille Tully pouvaient avoir un aspect mielleux voire doucereux. Rien qu'à Vivesaigues elle avait pu faire l'expérience de la malhonnêteté, de l'hypocrisie et de la flatterie à outrance pour obtenir ce que l'on veut. Le phénomène s'était d'autant plus accentué depuis que ses géniteurs avaient été propulsés souverains du Royaume des Rivières et des Collines, d'ailleurs. Ainsi, les cajoleries ne prenaient pas avec elle, d'ailleurs elle avait plutôt tendance à détester cela. Pour autant, elle énonçait ses pensées avec tant de pureté et de simplicité qu'elle ne pouvait être que sincère, ce dont Eléanor ne douta pas un seul instant. Elle se dit que la jeune femme, quelque soit la durée de son séjour entre les murs de Winterfell, serait une précieuse alliée et pourquoi pas une amie. Elle l'espérait en tout cas. Lady Ardoise faisait preuve de trop de douceur pour refuser sa compagnie, et en quelques minutes de discussion, elle avait déjà réussi à plaire à sa souveraine. Je vous remercie pour votre sollicitude, ma Dame, souffla la femme enceinte d'un sourire sympathique. De toute façon trop remontée pour l'instant contre son père pour n'avoir ne serait-ce qu'envie d'envisager de lui reparler de façon positive, Eléanor ne ressentait pas le besoin de s'étendre sur son cas.

En revanche, elle écouta avec toute l'attention du monde la suite du petit monologue de Khayley. Surtout elle ne l'interrompit pas, pas un instant, buvant ses paroles sur les globalités et choses importantes à savoir du Nord. Que voilà une mine d'information ! Non qu'elle ne pût en discuter avec quiconque d'autre dans tout Winterfell. Cependant, Lady Ardoise serait cependant la plus simple à aborder tout en étant fiable. En effet, Eléanor ne comptait que partiellement sur chacun de ceux qu'elle avait déjà pu cotoyer ici. Le Mestre, par exemple, était des plus intéressants bien sûr, au vu du puit de connaissances qu'il était du fait de sa formation à la Citadelle; mais là était aussi son défaut, car il se versait trop dans la théorie et dans les livres, ce qui manquait de ce côté pragmatique, pratique voire même fantasque que l'on pouvait retrouver dans d'autres discours. Attentive, la Reine grignota un deuxième petit gâteau au citron. Dieu qu'elle aimait ces gourmandises ! Cependant, elle en était bien trop friande depuis les débuts de sa grossesse, et ne voulant s'en faire d'excès, elle ne s'autorisait à en manger que pour le thé de l'après-midi, y préférant pain, viandes, légumes, fruits et poissons le reste du temps. Enfin bref.

En ce qui concernait son interlocutrice et son exposé, rien n'était laissé au hasard. La demoiselle parla en quelques mots des légendes ayant cours dans ce Royaume, comme de religion, de mœurs et d'habitudes, voire même de traditions et de lois. Lorsque son hôte eut terminé d'égrener les différentes caractéristiques qui pouvaient qualifier le Nord et sa population, alors Eléanor se permit enfin de lui répondre. Ma Dame, vous êtes une véritable source de savoir pour quelqu'un comme moi ! commença par la féliciter la maîtresse des lieux, véritablement enthousiasmée.

Je ne connais du Nord que les noms de ses grandes familles, leurs blasons, devises et situations géographiques... Bien sûr, j'ai pu commencer à m'intéresser plus profondément à mon Royaume depuis mon arrivée, notamment en me documentant auprès de Mestre Roshar sur Winterfell, sur les grandes familles et leurs historiques, ainsi que sur quelques détails. J'ai commencé à me familiariser avec les lieux, mais guère plus. En dehors de cela, ce ne sont que rumeurs et fantasmes tels que j'ai pu les entendre dans le Conflans. Eléanor but une dernière gorgée de sa tasse de thé. Elle allait poser une question à sa compagne lorsque la servante de celle-ci vint lui donner une étrange boisson. Apparemment pas des plus agréables à avaler, au vu de la tête que tira la Lady. La toute nouvellement louve ne chercha pas à en savoir plus, considérant que cela tenait du privé de la demoiselle, et que celle-ci lui en parlerait plus tard si elle le souhaitait. Elle reprit alors : Feriez-vous de moi votre obligée en m'apprenant un peu, à chaque fois que nous nous verrons, des us et coutumes de ce Royaume ?

Eléanor surprit le claquement de langue de Jenny lorsque les vervoyants furent abordés, et elle eut bien du mal à ne pas lui lancer de regard réprobateur. Elle considérait que chacun devait recevoir le respect qui lui étaient dû, y compris le moindre des domestiques. En revanche, elle avait bien du mal à tolérer ce genre de marque d'agacement de la part d'une personne présente pour servir; cela n'était pas sa place de commenter ce que sa maîtresse pouvait bien raconter, et encore moins en présence d'autrui. Pour autant, la brune se contint, consciente qu'un lien familier assez particulier unissait l'aveugle et sa guide. Autant rester en dehors de cela... Tant que Jenny ne se montrerait pas plus impertinente, du moins.

La jeune femme accorda un sourire que Khayley ne pourrait jamais voir lorsque son hôte accepta avec courtoisie sa demande. Elle n'en attendait pas moins de la demoiselle, et avait déjà hâte de pouvoir discuter avec elle de la pluie, du beau temps, des Anciens Dieux, des Enfants de la Forêt et de tout ce que pouvait receler le Nord d'encore inconnu pour elle. Déjà, Lady Ardoise se projetait sur un fait aussi anodin que le bruit de la neige tombante; du moins cela pouvait sembler être un détail pour n'importe qui, mais Eléanor prendrait tout ce que son interlocutrice avait à lui offrir. A elle ensuite de faire le tri dans ce qu'on lui dirait, ce qui était à laisser ou à prendre, à considérer avec un intérêt réel ou juste comme une anecdote plaisante. Le tout serait de passer du bon temps à discuter tout en piochant des informations qui lui seraient réellement utiles dans sa nouvelle vie de personnalité régnante. Elle hocha positivement la tête face aux indications de l'aveugle, et répondit avec enthousiasme : C'est parfait, alors. Je ne manquerai pas de compter sur vous et sur Jenny pour me fournir les indications dont j'aurais besoin.

Eléanor jeta un coup d'oeil par la fenêtre, remarquant que le soleil commençait d'ores et déjà à se coucher sur Winterfell. Dieux que le temps était passé vite cet après-midi ! Il était plus que temps pour elle de se retirer, autant pour son propre repos que pour celui de sa délicate invitée. Elle entendait déjà Mestre Roshar la morigéner pour s'être tant attardée chez sa nouvelle compagne. Au moins, elle pourrait lui répondre sans se démonter cette fois : elle n'avait rien fait de plus que s'asseoir, discuter et prendre le thé... Ce qui aurait tout à fait pu se faire dans sa propre chambre. Alors finalement, quel mal à cela ? Sans parler du fait que cette rencontre n'avait pu que lui faire du bien au moral, qui si elle laissait entrevoir une façade sereine et entière à la face du monde, était un peu en berne ces derniers temps. Arrivée sans son mari et roi à Winterfell, quittant par la même sa famille entière, devant s'intégrer dans un Royaume dont elle ne connaissait que peu les us et coutumes et qui même, jusque peu de temps auparavant, était un adversaire, le tout en réalisant que sa grossesse serait sans doute plus compliquée qu'attendu... Non, vraiment, cette parenthèse de légereté avec Lady Ardoise lui avait fait le plus grand bien. La Reine se releva alors de son siège, et vint poser une main sur celle que Khayley avait laissée posée sur un accoudoir en se redressant. Sur ce, Ma Dame, je vais vous laisser prendre vos marques dans vos appartements. Il est traditionnellement donné un repas de famille "élargie" dans la salle de banquet, tous les soirs. Vous y êtes naturellement conviée; cependant, si vous préférez rester vous reposer, vous en avez tout à fait le droit également.

Sur ces quelques mots, la brune prit alors congé de son invitée, non sans une mine des plus satisfaites. Cette première conversation en préfigurait bien d'autres.