the damned and the saved

Alysanne & Robyn
3e semaine, Mois 4, An 2

La chaleur était agréable et le vent léger permettait de ne pas souffrir trop de la température plus que clémente. Les murailles hautes étaient baignées par le soleil, levé depuis plusieurs heures déjà. Les hommes de garde patrouillaient sur les chemins de ronde, la lance au poing. Le château bourdonnait déjà d’activité. Lord Cuy devait être en la compagnie de son maître d’armes. Il s’entraînait tous les matins et ne dédaignait jamais mordre la poussière pour prouver qu’il était un homme accompli, digne d’être le nouveau lord. Etait-ce le chagrin qui lui donnait cette hargne ? Alysanne n’aurait pas été surprise que ce soit le cas. Elle était enveloppée d’une légère cape qui ondulait au vent mais sa robe aux teintes émeraude mettait ses yeux verts en valeur. Sa chevelure blonde comme les blés était libre bien qu’une petite tresse empêchât les mèches folles de venir fouetter son regard. Regard qu’elle portait sur l’horizon. Tant de pensées parasitaient son esprit, son âme. Les Sept savaient qu’elle était une femme pieuse, une femme digne. Et pourtant, elle avait affronté déjà tant d’épreuve. Et en cet instant, elle devait admettre qu’elle se sentait seule. Terriblement seule. Oh, ses enfants étaient à leurs leçons et ne la laissaient jamais bien longtemps seule. Mais tous ses proches étaient partis. Sa sœur, son autre elle-même, il y a bien longtemps. Son frère avait trahi la cause. Et sa Reine. Sa Reine de cœur, disparue avec son lord. Alysanne se demandait souvent où étaient-ils, tous ? Les ressentiments qu’elle pouvait avoir envers son frère et sa sœur se mêlaient au chagrin de les avoir perdus. Ils avaient été si proches, si soudés enfants. Et Tricia ? Si elle ne lui en voulait pas de son départ et qu’elle comprenait la fuite de son amie, il n’en restait pas moins qu’elle demeurait à présent seule.

Son esprit se posa un bref instant sur ses enfants. Selyse, son aînée, était à présent âgée de sept ans. Elle était d’une douceur exemplaire, calme et docile. Apprenant bien ses leçons, elle avait toujours à cœur de bien faire et de se comporter en dame. Nul doute qu’elle pourrait prétendre à un beau mariage le moment venu. Les jumeaux, eux, avaient des caractères bien différents de leur aînée. Agés de deux ans, Roland et Rohanne étaient toujours ensemble. Que ce soit le petit garçon ou la petite fille, ils avaient un tempérament de feu. Et c’était souvent Rohanne qui entraînait son frère dans les pires bêtises. La petite fille déclarait dans son charabia parfois difficilement compréhensible qu’elle serait un jour chevalier. Elle ne se privait pas d’ailleurs pour se rouler dans la poussière avec son frère jumeau pour lui montrer qu’elle aussi, elle savait se battre. Roland était lui dynamique et volontaire. Un peut tête brûlée également mais moins que sa sœur.

Un sourire doux s’attarda sur les lèvres à la pensée de ses enfants. Bien sûr qu’elle les aimait et qu’elle était prête à tout pour eux. D’ailleurs, elle avait été tentée de suivre sa reine et amie. Si elle ne l’avait pas fait, c’était pour eux. Son sourire disparut cependant de ses lèvres lorsque ses pensées volèrent vers son beau-fils, l’actuel lord Cuy. Simon était le fils de son époux, d’un premier lit. Fin stratège, il était puissant et fort de ses seize ans, il avait la force de la jeunesse. Elle ne pouvait pas dire qu’ils s’étaient bien entendu, c’était un euphémisme. Elle pouvait comprendre d’ailleurs que la mort de sa mère, le remariage de son père et son statut de belle-mère n’était pas évidents pour le jeune homme. Lorsqu’elle avait donné naissance à Selyse, les relations s’étaient encore refroidies. Mais c’était surtout lorsque Roland était venu au monde qu’elle avait vu une nette dégradation de ses relations avec Simon. Il craignait vraisemblablement pour sa position. Alysanne n’avait pas spécialement eu le temps de tenter de convaincre son époux de privilégier leur fils plutôt que Simon car son mari avait trouvé rapidement la mort l’année précédente. Elle demeurait pour l’heure à Solfoyer mais les relations étaient toujours tendues avec lord Cuy et elle ne savait trop ce que serait son avenir ici. Une veuve devait se remarier surtout quand, comme elle, elle était encore relativement jeune et surtout fertile.

Un bruit attira son attention. Sa dame de chambre venait de monter sur les remparts, le rose aux joues et le souffle court.

Ma Dame, un visiteur est arrivé au château. Lord Cuy lui a accordé l’hospitalité pour la journée et la nuit.
Qui est-il ?
Il se nomme lord Ashford
Lord Ashford ?

Un sourire réapparut sur les lèvres d’Alysanne. Ce nom ne lui était pas inconnu. Un chevalier de la Foi qu’elle avait rencontré il y a quelques années. Elle se hâta de suivre sa dame de compagnie et de descendre les marches des remparts pour aboutir dans la grande cour. Elle arriva rapidement dans la grande salle que son beau-fils quitta en ne lui adressant qu’un signe de tête. Alysanne s’avança vers la silhouette du jeune homme et se fendit d’une révérence.

Lord Ashford, quel plaisir de vous voir à Solfoyer. Que nous vaut l’honneur de votre visite ?

Elle était heureuse de voir un visage familier.  

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Alysanne & Robyn
3e semaine, Mois 4, An 2

Cela faisait très plaisir à la jeune femme de voir lord Ashford et elle ne le cachait pas. Son visage était souriant et respirait la joie. Bien sûr, elle restait dans la limite de la décence, elle était une dame et l’étiquette était pour elle importante. Mais elle restait spontanée et aimable car cela faisait partie de son caractère. Le jeune homme avait changé bien sûr, il avait mûri mais les années n’avaient pas dû l’épargner non plus, pas plus que les grossesses. Lord Ashford et elle avaient eu l’occasion de beaucoup discuter par le passé, notamment de leur foi respective et des dieux. Alysanne avait apprécié l’homme, même si elle l’avait trouvé à l’époque assez radical dans ses croyances. Elle était pieuse, certes, mais elle n’était pas pour autant prosélyte. La présence du jeune homme lui faisait du bien. Elle était ravie de voir enfin un visage qui n’était pas celui, fermé, de son beau-fils. Les relations ne s’étaient pas amélioraient et semblaient même empirer avec le temps. Pour preuve, au lieu de rester avec son hôte, lord Cuy avait prétexté des choses à faire pour s’éclipser. Mais Alysanne ne comptait pas se laisser déstabilisée et donner une mauvaise impression de ce qui restait sa maison.

C’est fort aimable de votre part d’avoir ainsi fait un détour pour me voir, je suis très touchée par la délicatesse de votre démarche.

Elle lui adressa un sourire sincère. Il était peu de domaines dans les environs et la curiosité poussait Alysanne à demander quel genre de travail avait amené le chevalier ici. Mais la bienséance la garda de poser pareille question. Elle attrapa le jeune homme par le bras et l’entraîna à sa suite, marchant d’un pas léger. Elle en profita pour détailler son visage. Il avait l’air en forme, et plus large d’épaules que la dernière fois qu’elle l’avait vu. Alysanne, elle, se sentait un peu perdue même si physiquement tout allait bien pour elle. Sa Reine, sa compagne et confidente l’avait quitté. Envolée. La nouvelle n’était plus secrète depuis quelques semaines. Lord Ashford était-il au courant ? Sûrement. Le regard du jeune homme s’était attardé un bref instant sur la porte qui avait englouti son beau-fils.

Oui, en effet… Mon époux est mort voilà plus d’un an. Il est tombé lors de la prise de Noirmont. C’est son fils qui est devenu lord, comme il se doit.

Elle eut un temps d’arrêt. Il n’était guère bienséant d’étaler ses tensions familiales devant lord Ashford. Mais les regards et les non-dits pouvaient être plus éloquents. Alysanne se contenta d’un sourire.

Je me porte fort bien, je dois dire. J’ai pendant un temps aidé à la gestion du domaine. A présent, je me consacre à mes enfants. Mon aînée a sept ans et mes jumeaux ont deux ans.

Elle continua de marcher en compagnie du jeune homme.

Et vous, mon cher ? Comment vous portez-vous ? Quelles nouvelles ?