Le vrombissement tonitruant des cors sonnant la charge, les hennissements des montures se lançant au demi-galop. Au loin, les cris monstrueux de l’impressionnant Meraxès qui chargeait avec les Peyredragoniens. Le fracas des lances se fracassant contre la masse humaine formée par les rangs bieffois. Les hurlements et gémissements des blessés. Le précieux et chaud liquide vitale s’écoulant de sa plaie à la jambe. Puis un choc en pleine poitrine, perçant son armure. Une flèche, issue des rares archers Valois composant l’arrière-garde de Lord Lynderly, était venue le cueillir. Il avait manqué de chance, comme beaucoup trop de ses camarades. Il se souvient seulement du choc, de l’extrême douleur ressenti, de se sentir catapulter vers l’arrière. Il n’avait alors plus de force, un voile obscur se forma sous ses yeux avant qu’il ne percute le sol.

La mort l’avait-elle pris ? C’était donc la fin ? Était-ce cela l’après ? Tant de question, aucune réponse. Des formes se dessinèrent sous ses yeux, le visage de sa défunte femme. Celui d’un enfant qu’il aperçut au loin. Serait-ce celui qu’il aurait eu si Yesaminda n’avait pas été si sauvagement assassiné ? Probablement, il essaya de se concentrer pour percevoir plus en détail les traits de son visage, mais à chaque fois il s’éloignait davantage. Il finit par s’obscurcir complètement pour laisser place à des souvenirs familiers. Sa première rencontre avec la belle Braavienne dans les Terres de l’Orage, la promesse qu’il lui avait faite à leur arrivée à Fort-Darion, leur première nuit ensemble, leur mariage au Château Impérial, la nouvelle qu’elle portait le fruit de leur union. Une douleur naquit au creux de sa poitrine. Cette dernière devenait de plus en plus vive, oppressante. Peut-être parce qu’il savait le souvenir qui allait venir ensuite… L’annonce de la mort de Yesaminda. Le déchirement, le cri terrible qu’il avait poussé à en perdre son souffle.

La douleur se fit insupportable, il revoyait son visage déchirer par la douleur, son visage se calqua sur celui qu’il observait dans le souvenir. Le souvenir disparut alors, la douleur non. Ses yeux s’entrouvrirent alors, un voile flottait au dessus de sa tête, il y avait de l’agitation autour de lui. Il hurla, il avait l’impression qu’on trifouillait au niveau de sa poitrine, c’était horrible ! Mais c’était belle et bien le cas ! « C’est presque fini, Ser Goldwyne ! Tenez-le fermement ! » entendit-il, alors que ses épaules s’asticotaient , des mains vinrent le maintenir fermement pour qu’il ne bouge, on vint placer un morceau de bois entre ses dents. La pression exercée sur ce dernier était forte, il le mordait de toutes ses forces. La douleur disparut alors soudainement, comme cette vision de la réalité.

Une bannière flottait dans l’obscurité. Une main verte prédominante sur un fond blanc. Le blason de la maison Gardener. Maison à laquelle il avait juré fidélité et pour laquelle il avait tant donné. Il avait bouleversé  sa vie pour suivre dans l’inconnue l’héritier de cette maison ancestrale. Cela lui avait valu d’être considéré comme un traître, un briseur de serment. Est-ce là la seule chose que l’on retiendra de sa personne ? La bannière prit feu et tomba en lambeaux, comme ce fut le cas en réalité à la suite de la mort de Mern et Kevan Gardener, une maison royale tombée dans l’oubli.  La bannière unifiée du dragon Tricéphale et du loup de l’hiver apparue alors. Sa nouvelle appartenance, l’Empire qu’il servait. Il se sentait bercer par toutes les valeurs que lui inspiraient ce blason, cette entité. Il donnerait tout pour elle, ne l’avait-il pas prouvé à l’instant ?

Pourtant, il avait échoué dans son objectif. Et cela l’avait conduit dans cette situation, c’était un échec à ses yeux. Un de plus. Il avait été une déception, sa mort contenterait certainement certains esprits à n’en pas douter.  La douleur revint alors au niveau de la poitrine, sa cuisse droite le tiraillait également. La douleur se fit de plus en plus intense, la bannière plongea sur sa personne pour l’envelopper complètement. Le seuil de la douleur n’atteint pas celle de tout à l’heure, mais elle le faisait quand même terriblement souffrir. L’obscurité céda doucement sa place pour retrouver le voile rouge d’une tente au dessus de sa tête qu’on avait surélevé quelque peu. Il était dans une tente, le mestre et ses assistants s’affairaient à préparer des onguents et des bandages.

La douleur était intense, mais il était en vie, pour ce que ça valait. Il tenta un mouvement pour se redresser qui lui arracha un cri terrible, le mestre lui ordonna de rester allonger. Sa première question fut pour l’issue de la bataille. Plusieurs de ses officiers subalternes étaient présents dans la tente, dans l’attente du réveil de leur commandant, et pour certains d’entre eux probablement pour s’enquérir de son sort, s’il y avait bientôt des choses à pourvoir. Il était satisfait d’apprendre que la victoire était la leurre. Les questions fusèrent, le nombre de pertes, le sort des Valois. Le mestre l’incita au repos. Combien de temps avait-il était inconscient et où était-il précisément ? Il s’inquiéta de l’état de sa jambe, mais le mestre le rassura sur le fait qu’il n’allait pas lui couper et qu’il retrouverait sa pleine mobilité...Avec du temps.

Il entendit un de ses officiers marmonnaient des choses de mauvaise augure sur le sort du Commandant et ce qui l’attendait de la part de l’Empereur. Un vétéran de l’armée mit un puissant taquet derrière la tête de ce crétin. Bien fait, il l’aurait fait lui-même s’il aurait pu. En parlant du loup, on en voit le bout du museau ! Le héraut impérial annonça l’arrivée du plus haut représentant de l’Empire. Deux gardes Demalion entrèrent dans la tête pour devancer l’Empereur qui fit son entrée. Les officiers et le personnel soignant ployèrent le genou. « Sire...» déclara Garlan en essayant d’être le plus respectueux possible, malgré son état. Il tenta encore une fois de se redresser, cela lui valu de lâcher un râle fort et torturé. Une main ferme vient avorter sa tentative pour le maintenir aliter. «  N’y pensez même pas, Ser ! »

Sa douleur le tiraillait de toute part, son corps le faisait souffrir atrocement. Il n’avait jamais été dans un tel état et pourtant il en avait déjà vu des vertes et des pas mûres. Combattant depuis qu’il était en âge. Sillonnant Bief et la frontière Dornienne sous le commandement de l’ancien Connétable des armées royales du Bief contre les ennemis de sa contrée d’origine. Protégeant ceux qui étaient incapable de se défendre à l’aide de son épée et de son bouclier. Il avait été maintes fois blessé plus ou moins gravement, que ça soit par des lances, des épées, flèches, poison et coutelas de toute sorte. Rien de comparable à ce qui lui avait été infligé. A chacune de ses blessures qui avaient laissé des stigmates indélébiles sur son corps, il avait retenu la leçon de ce qu’il apparentait à un échec.

Quelle leçon retiendrait-il de celle-ci ? S’il survivait bien entendu. Son excès de témérité ? De l’impatience ? Qu’est-ce qui avait coûté la vie à tous ses hommes ? En tant que commandant, il était assurément responsable. Son action, son plan, sa responsabilité. C’était le poids du commandement et il devait en porter le fardeau désormais. Il se sentait faible, il avait l’impression ses yeux voulaient rouler dans leurs orbites, il luttait pour rester éveiller. Il était hors de question qu’un malaise ne l’emporte alors que l’Empereur était présent. Mais en soit, le jeune homme n’y pourrait rien et il sombrerait dans un long sommeil. S’en réveillerait-il ? Cela était encore une autre affaire. S’il était prêt à mourir, il l’ignorait, il acceptait le risque, c’était la guerre, cela pouvait être une fatalité. Juste après la mort de Yesaminda, perdre la vie au combat lui aurait bien égal, cela aurait été une délivrance pour lui.

Il avait fais du progrès de ce côté-là si l’on peut dire, tourner une page à son deuil. Mais au vu de sa situation, ce n’était pas la première de ses préoccupations. L’Empereur avait fait son apparition dans la tente et le commandant s’était montré incapable de le saluer dignement. Le mestre l’avait bloqué avant qu’il ne parachève son mouvement, mais en soit il aurait été bien incapable de se redresser. Ils l’avaient remporté, la victoire était leur, mais à quel prix ? L’armée adverse a-t-elle été totalement anéantie ou une partie avait-elle réussie à s’extirper ? Quels avantages tireraient-ils de la situation ? Cela leur permettraient-ils de faire flancher le Val ou du moins à les faire hésiter à sortir de nouveau de leurs frontières ? Est-ce que leurs pertes valaient le gain remporté ? Les pertes et profits, on en revenait toujours au même.

« Mon devoir… Il sera achevé à la fin de cette guerre ou à mort… Pour le moment, ni l’un ni l’autre n’est encore arrivé…» Mais l’un pourrait arriver de façon foudroyante, on n’échappe pas à la mort et on ne puit la défier, elle finit toujours par vous rattraper.  « Mais il est vrai, Sire… Que j’aurai bien de la peine de l’accomplir… avant un certain temps » Il prenait le temps pour parler, chacun de ses mots étaient prononcés avec peine, il avait quand même reçu un projectile dans la poitrine. S’il survivait, il espérait que sa convalescence lui permettrait de reprendre rapidement du service, il détesterait être à l’écart de l’action aussi longtemps. Cela lui serait hautement insupportable ! C’était un guerrier, un homme d’action, rester sur le côté sans pouvoir participer et être acteur d’événements martiaux en cours, ce n’était pas envisageable à ses yeux. Il devrait s’y résoudre, faute de mieux.

Le commandant questionna l’Empereur sur plusieurs sujets : « Quelles sont nos…pertes, Sire ? La cavalerie ? L’armée du Val ? Et… Lord Lynderly ? »

La mort faisait parti de la vie du guerrier. Il la côtoyait au quotidien, il s’entraînait d’arrache-pied pour lui donner satisfaction et amonceler les cadavres qu’elle réclamait tant. Il la frôlait à chaque escarmouche et à chaque bataille, cette dernière pouvait survenir à tout moment, d’une flèche perdue, d’une chute de cheval, d’une frappe d’un morgenstern vous défonçant le crâne. Mais aussi des suites de vos blessures, la fièvre emportait bien plus de courageux et braves combattants que n’importe quelle arme. Garlan avait participé à tellement de combats qu’il ne les comptait plus aujourd’hui, il avait subi nombre de blessures. Mais il ne s’était jamais retrouvé dans cette posture si incertaine. Attendant de savoir s’il allait mourir. Était-ce la fin pour lui ? Ne serait-ce pas que justice après toutes les vies qu’il avait lui-même fauchées ? Combien de personnes avait-il tué exactement ? Il n’avait jamais entretenu ce macabre décompte, car jamais il n’avait trouvé de satisfaction à écourter une existence.

C’était son devoir, les ordres, on l’avait formé pour cela dès son enfance. Leur monde était un univers de brutes et de sauvages, la mort était finalement partout. Que cela soit sur le champ de bataille ou en dehors. Yesaminda avait fait sa rencontre après tout dans le château d’Accalmie. Pourquoi lutter contre elle alors ? Elle arrivait toujours à ses fins. Mais si ça devait être le cas, qu’attendait-elle pour venir le cueillir ? Il avait lutté toute sa vie, donnant le meilleur de lui-même pour réussir et survivre. Il ne pouvait pas s’imaginer finir ainsi. Non la fin de son histoire ne pouvait pas se terminer ici. Il avait commencé à surmonter le deuil de sa défunte épouse. L’officier se sentait pleinement investi dans ses nouvelles responsabilités dans l’armée Impériale, il voulait continuer à contribuer à étendre la puissance Impériale, cette dernière apporterait la paix sur le continent. Pour cela, ils devaient forcément passer par la guerre.

Il devrait lutter pour ne pas céder à la voie la plus facile, celle de se laisser dépérir et de laisser la mort le prendre. Il se battrait alors, c’était décidé ! Les Sept, il ne pensait plus croire à ces derniers, du moins il était perdu à ce sujet. Au vu du monde dans lequel ils évoluaient, s’il y avait une puissance divine qui régissait leur existence, pourquoi les laissaient-ils ainsi continuer ? Tout cela le laissait porter à croire qu’ils n’existaient pas, en proie au doute à ce sujet. Il trouverait plus un moment plus propice pour philosopher sur leur existence. Ses yeux entrouverts, il sent la main de l’Empereur se poser sur son épaule avant même de le percevoir. Ce dernier le rassure sur les pertes impériales, l’armée Valoise n’était plus un danger apparemment. Leur général, Lord Lynderly, avait préféré la mort à la reddition. Un choix honorable, bien qu’en retardant leur défaite, il avait provoqué la mort de centaines de ses hommes.

C’était le fardeau du commandement, une telle responsabilité qui reposait sur leurs épaules. Ils n’étaient que des Hommes, et pourtant de leurs décisions reposaient le destin d’un plus grand nombre. Garlan appréciait fortement le nouveau commandement qui lui avait été attribué, de se sentir utile et de contribuer à une étape importante de leur Histoire. Cependant, il devait encore apprendre à supporter la perte de ses camarades. Il devait éviter que cela ne le ronge totalement. Mais ne pas y penser lui était impossible, à part si on lui retirait tout ce qui faisait de lui un être humain. « Qu’en-est-il de ma cohorte… Sire ? » Même si l’Empereur lui avait confié le commandement de sa cavalerie pour cette campagne. Avant de quitter l’Orage, il l’avait nommé commandant d’une cohorte. Il avait cru apercevoir la silhouette d’une des officiers de sa cohorte dans la tente tout à l’heure quand il avait entrouvert les yeux. Mais le Bieffois était si faible qu’il divaguait probablement.

L’Empereur lui fit part du possible futur du Val. Ce dernier était dans une bien mauvaise posture, coupé de ses yeux, les choix qui lui restaient n’étaient pas légions. Il ne voudrait pas dans les bottes du roi du Val à l’heure actuelle, et au vu de son état, il n’appréciait même dans les siennes. Il tenta de sourire, mais ce dernier ressemblait plus à une grimace, son visage était défigurée par la douleur latente qui se faisait ressentir dans tout son corps. Il balbutia : « Essayez de ne pas…vaincre tous vos ennemis sans moi, Sire... » Il avait encore tellement à prouver… Cette conversation bien que courte l’avait épuisée. Après ces derniers mots, il fut pris d’une violente quinte de toux, il était encore marqué par les fumées inhalées des incendies de Herpivoie. Il cracha une gerbe de sang et un guérisseur s’approcha en glissant à proximité de l’Empereur pour le redresser légèrement et lui faire pencher la tête sur le côté. En arrière plan, le mestre intima aux officiers de se retirer pour le laisser prodiguer ses soins et pour que le Commandant puisse se reposer.