L’Empire tremble, à ses fondements même. J’ai vent des colères de l’Impératrice et des nouveaux appartements assez rustiques et sommaires de l’Empereur. Je sais la situation sur les différents fronts – notamment en raison des demandes que l’on m’adresse, ou de mon entente avec différents représentants des Royaumes Fédérés. La situation est bien périlleuse et, pourtant, je vois enfin une opportunité de mettre fin à ces nombreuses années de guerre. Tant d’événements jouent en notre faveur, et notamment la désunion et le nombrilisme de nos ennemis : la défaite des forces coalisées du Val et du Bief, les frictions naissantes entre l’Ouest et le Grand Septon, la retenue des Dragons d’Essos et des Fer-nés, la multiplication des fronts autour du Bief. Je jubile. L’Empire tire sa force de son union, et nous allons écraser chacun – si ce n’est pas tous – avec celle-ci.

On m’interrompt à mon travail. Le Mestre et moi-même offrons un regard interrogateur au messager, cherchant à deviner quels sont les nouveaux besoins de l’Empereur, de l’Impératrice ou de nos Souverains fédérés. La surprise est grande lorsqu’il dit que je suis mandée, expressément et urgemment, auprès du Vieux Loup. Une telle urgence ne peut vouloir dire qu’une chose : quelque chose va mal. Si je manque de connaissances en terme militaire, je ne suis pas totalement étrangère à quelques principes. A moins que le Bief n’ait abandonné tout le front orageois, et apparaisse miraculeusement à Fort-Darion, qu’y a-t-il de si pressant ? Nous avons largement l’avantage sur le Trident, et sommes prêts à isoler et ferrer les Faucons et à nous abattre sur les Lions.

Je saisis quelques lettres, encres et feuilles vierges et suis le messager sans tarder. Il me propose un petit voyage douillet, mais je refuse. J’accroche mon sac à la bride, contenant ce dont j’ai besoin pour travailler, et monte sans aucune pudeur sur ce cheval. Je n’ai pas le temps de ménager les scrupules des Septons, Septas et autres noblesses rigides et moralisateurs. J’ai un très mauvais pressentiment, et je dois savoir si ce sentiment est justifié ou s’il est le produit d’un esprit maternel trop fertile et trop prompt à imaginer le pire pour les siens.

J’arrive enfin à destination et est invitée à entrer dans l’une des tentes. Je suis accueillie par un homme assez méconnaissable, aux yeux injectés de sang, à l’allure épuisé – à moins que ce ne soit la rage et la colère. Je ne pipe pas un mot, attendant tranquillement qu’il soit le premier à briser le silence. Il ne tarde pas et ses propos me frappent pour la véhémence – voire un brin d’audace. Cette impression que quelque chose cloche – n’étant pas à sa place – continue à me tracasser. Parle-t-il en étant pleinement conscient de la situation ? Ou confond-t-il vitesse et précipitation ? Je n’ai pas le courage de lui poser la moindre question. Il n’est pas d’humeur et je crains de gâter cette dernière davantage et être exclue de projets futurs qui nous impacteront tous. S’il manque de patience, ou de calme, alors j’apporterai ces éléments manquants.

- J’aime mes enfants plus que tout, et je ferais tout pour m’assurer qu’ils auront une longue et pérenne existence. Et, en espérant que je ne manque de respect ni à toi, ni à ton épouse, je tiens à tes enfants comme aux miens, répondis-je.

Ma voix ne tremble pas. Mon regard n’exprime rien d’autre que la curiosité et la détermination. Je ne dis rien de plus, ni que je suis heureuse de le revoir vivant et plus ou moins en bonne santé, ni que je suis très satisfaite de sa victoire sur notre ennemi. Je sais qu’il ne veut rien entendre de tel. Et je ne le gratifie pas plus d’un regard tendre, ou chaleureux : la Glace sera imperturbable et pourrait même chercher à geler et à tuer une quelconque passion, sympathie ou ardeur.

- En quoi puis-je t’aider ? , demandais-je, récupérant déjà un bout de papier, une plume et une encre pour prendre quelques notes. Les outils en main, je m’approche de cette table et me penche sur la carte.

Je n’apprécie pas particulièrement le ton ou la question de Torrhen.

Sa voix n’est que l’écho de sa propre âme : peine et désespoir. Le Vieux Loup est glacial que lorsqu’il est profondément blessé. Que s’est-il donc passé avec sa Reine, voire sa maitresse, pour qu’il passe de l’amant transit et incertain à ce souverain solitaire et esseulé ? Je sais que ce n’est pas la bataille – nous avons été victorieux et nous avons mis considérablement à mal notre plus urgent ennemi – et encore moins nos ennemis – nul assassinat traitre perpétré depuis celui à l’encontre des enfants impériaux.

Enfin, sa question me blesse. Doute-t-il de ma loyauté ? Croit-il qu’être mère m’a rendu pieuse, scrupuleuse ou craintive ? Pense-t-il que j’ai peur de tremper mes mains dans la boue et dans le sang, quand il est question de mes enfants ?  Plus vite cette guerre sera terminée, plus vite je pourrais extraire Benjen des affres des combats … Je tuerais dix, cent, milles et plus s’il faut, pour simplement protéger mes propres enfants. J’ai bien une limite – unique, et presque naturelle au vu de mon caractère.

- Tu ne sacrifieras pas tes enfants dans des plans hasardeux. Il en est de même pour moi. Je ne mettrai pas en danger sciemment mes enfants pour l’Empire, pour toi, pour moi, lui répondis-je avec franchise, sans ciller du regard, sans honte. Je ne dors pas lorsque Benjen, Walton et Jon sont au front. Je veux la fin des guerres, autant que toi, pour les tirer de là. Je m’inquiète pour Jeyne, avec Jordane Lannister dans les parages. Je veux voir la Lionne dans les cryptes des Lions que vivante. J’ai été aussi écœurée et aussi inquiète que toi lorsque tes enfants ont été l’objet d’un vil complot. Et je désire autant de gloire, de richesse et de grandeur pour mes enfants que toi pour les tiens. J'y travaille nuit et jour, jour et nuit pour. Je suis apte à mentir et à trahir des hommes et femmes honorables pour, s'il faut. J'en suis capable et j'ai déjà fait. Mes enfants, et ta famille etes les exceptions, ceux que je ne pourrais jamais trahir. Voilà ce que je suis, mais tu le sais déjà Torrhen.

Il peut rire, ou être offusqué, qu’importe. Lui, plus que quiconque, sait à quel point j’aime Benjen, Lyarra ou Kiran. Qu’il se rappelle quand je suis venue le retrouver pour me donner la chance de mettre au monde l’enfant de Rickard : j’étais désespérée oui, mais déterminée tout autant. Qu’il se souvienne de cette soirée, si récente et pourtant déjà lointaine, ou j’ai avoué mon amour tant pour lui que pour Lucan – Lyarra et Kiran étant ma chair mais, surtout, un souvenir de ce compagnon aimé et chéri. Qu'il n'oublie pas qu'ensemble, nous avons placé un batard à la tete d'une maison loyale et alliée à celle de la maison Stark. Il m’a accepté ainsi au sein de son Empire, et surtout de sa Maison. Ma position n’a pas changé et ne changera pas qu’importe les dangers.

- Les adversaires voient ce que tu vois, également, lui rappelais-je, tentant de retrouver quelques soupçons de l’Homme derrière Le Loup, ou le Soldat.