There's a time that I remember, when I did not know no pain. When I believed in forever, and everything would stay the same.
Les cris se faisaient entendre à l'extérieur, troublant le calme relatif de la nuit. L'aube ne pointait pas encore, mais lorsque l'on est en guerre le gagnant est toujours celui qui est le plus réactif, et il ne fallait donc pas s'attarder en sommeil superflus. Isla s'éveilla dans les brumes de ses songes. Tout était déjà oublié mais elle gardait une désagréable sensation, comme un engourdissement qui ne voulait pas s'évaporer. Passant une main dans son épaisse chevelure raccourcie tout récemment elle s'empara de sa brosse avant de revêtir une tenue légère et courte de cuir. Dans le vent frais de cette fin d'hiver elle ne manquerait pas de trembler mais elle comptait surtout sur l'effet que produirait cette toilette, démarquant clairement ses intentions guerrières et surtout la rendant plus bien féroce qu'elle ne l'était en réalité. Tout choix avait son importance, en chaque circonstance il était nécessaire d'abattre ses cartes avec parcimonie et après une intense réflexion. Certes, tout ceci n'impressionnerait pas Rhaenys, et après tout ce n'était pas l'effet escompté, mais peut être en voyant Isla aussi déterminé cela lui permettrait d'avoir en elle-même un peu plus de force car elle ne serait pas seule dans cette nouvelle bataille. Déterminée et rafraichie par une rapide toilette, dans ces luxuriantes terres du Bief rien ne permet pourtant de faire plus, la demoiselle s'échappa de l'espace rassurant et protégé de sa tente, se redressant avec élégance dans une démarche déterminée. Cette posture l'accompagnait dans chacun des instants clés de son existence. Elle a choisit d'accompagner l'Impératrice, elle n'oserait pas se plaindre, elle avance pour elle.
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La première fois qu'Isla s'accapara cette marche altière et fière, ce fut sous les enseignements attentifs de sa mère. Lady Chyttering était une mère attentive, patiente et aimante. Tout le contraire de son époux, homme vicieux et colérique qui ne voyait en cette enfant qu'un affront des dieux envers lui. L'amour irradiait des gestes maternels autant que la haine et le dégoût pouvaient transparaître des paroles paternelles. Cette enfant, arrivée bien tôt dans un mariage célébré à peine neuf mois auparavant n'avait pas les traits appropriés pour plaire à son père. Tout du moins c'est ce que celui-ci imaginait dans sa paranoïa. Elle n'était pas de son sang, c'est ce dont il s'était persuadé pendant toute la durée de la grossesse, mais n'ayant aucune preuve tangible de ses soupçons il ne pouvait qu'endurer sa présence. Ayant connu son épouse à la cour quand elle était encore la fille aînée de la maison Cargyll, lignée prestigieuse par sa fortune amassée dans le commerce de perles et de denrées de pêche, il n'avait pas grande chance de pouvoir la conquérir. Néanmoins la frêle jeune femme avait une amitié étroite avec le prince héritier Aerion, partageant ses jeux d'enfants et peut être même plus, elle avait certainement dû se compromettre en de fâcheuses manières pour devoir être contrainte d'accepter sa proposition. Il avait d'abord été dupe, aux anges de se voir accorder le présent de la main de cet ange tombé du ciel, d'autant qu'elle l'assurait de son amour brûlant. Mais lorsque la nouvelle de la grossesse lui fut annoncé les soupçons grandirent en son cœur et lui dévoraient l'esprit. D'autant que ses amis le ralliaient sans discrétion, ils lui avaient ouvert les yeux d'une cruelle manière, son aimée était vite descendue de son piédestal.
Il ne fut donc pas enchanté de découvrir que ce fruit gâté était une fille, la malédiction étant double à ses yeux car elle signifiait qu'il devrait engager des frais pour marier un être dont il ne voulait pas. A son opposé, son épouse n'était que douces attentions pour sa première née. La comblant de caresses et opposant à la sévérité de son mari une complaisance toute maternelle, elle ne pouvait se résoudre à réprimander une enfant si calme et si éveillée. Isla n'avait que peu de latitude pour causer des ennuis et elle avait ce profil des enfants délicieusement calmes et silencieux, perdus dans leurs pensées et s'évadant dans des mondes garnis d'imaginaire, sans pour autant devenir aventureux par eux-mêmes. Douce et obéissante elle faisait le ravissement de la société côtoyée par les Chyttering. Une idyllique noble dame en devenir, elle n'attirait que compliments là où son père ne voyait que défauts. La demoiselle était consciencieuse dans ses leçons et faisait montre d'un esprit acéré dès son très jeune âge, ce qui au vue de la condition de son rang et de son sexe pouvait s'avérer dangereux.
Cette démarche lui vint donc de sa mère, elle la lui inculqua sans réellement le souhaiter car la petite fille mis simplement en pratique, par mimétisme, ce qu'elle observait chez sa principale référence parentale. Elle eut vite l'occasion de l'exercer car peu après l'annonce de la naissance de son petit-frère il lui fallut partir. Quitter à jamais ce qu'elle considérait comme son point d'ancrage, ce qui à ses yeux d'enfant était l'endroit où elle appartenait et laisser derrière elle le seul être qui l'aimait plus que tout. Lady Chyttering était l'instigatrice de ce départ, puisqu'elle avait elle-même suggéré l'idée d'envoyer son aînée à la cour des Targaryen pour y faire son apprentissage, par l'intermédiaire de vieilles connaissances qui se feraient un plaisir de prendre sous leur aile son enfant. Le roi Aerion le lui avait concédé de bon cœur, en souvenir d'une amitié sincère et fraternelle. Pourtant rien ne put plus bouleverser la douce enfant que l'annonce de cette séparation. Elle n'eut pas grand temps pour se faire à l'idée car le jour suivant elle se vit offrir le seul présent que son père daignerait jamais lui faire, une jument, noire tachée de blanc, avec laquelle elle l'accompagnerait jusqu'au château pour ne plus jamais être un fardeau pour lui. Il n'arrivait même pas à se départir du sourire de soulagement au moment de l'abandonner dans cette forteresse. C'est donc ce jour là qu'elle abandonna ce qui la caractérisait. C'est à cet instant qu'elle mis en pratique cette démarche faussement pleine d'assurance, sans laisser transparaître sur son visage nulle trace d'inquiétude ou de chagrin, elle avait déjà compris que faire semblant c'était déjà transformer en partie une situation désagréable en quelque chose de plus supportable. Elle ne conserverait de cette famille que son nom et une correspondance assidue avec sa mère, seule âme à se souvenir de son existence et qui viendrait lui rendre visite.
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Le château était immense et il lui sembla au début bien froid et terne. Pourtant dans ces longs couloirs aux innombrables salles, aucun Lord Chyttering ne l'attendait pour la réprimander sans raison, et bien vite les jours se firent plus doux et agréables. Lors de sa onzième année elle put élargir son univers par la découverte de la lecture et de l'écriture. Ces disciplines lui plaisaient énormément, tant qu'elle poursuivait les exercices et la pratique bien après la fin de la classe. Elle n'avait pas réussi à beaucoup se lier avec les autres enfants de la noblesse résidant au château et elle trouvait donc dans ces activités un bon moyen de combler sa solitude. A la fin d'une des leçons elle s'égara dans les dédales du château et son errance la mena au cœur de la bibliothèque royale, trésor d'archivages de divers ouvrages rares et pourvue d'une vaste collection traitant de plusieurs centaines de sujets différents. L'attrait des belles couvertures et sa curiosité naturelle la poussèrent à s'enquérir auprès du mestre de diverses questions enfantines. Le vieil homme, amusé par tant d'innocence n'eut pas le cœur de la repousser. Cet homme de savoir, amoureux de la connaissance ne pouvait manquer de voir son intérêt sincère pour les livres et pour les histoires. Aussi insolite que la chose pouvait être Isla s'en fit un ami, ce fut le premier qu'elle eut en son nouveau foyer. Il lui permis d'accéder à nombres de récits historiques qui la fascinait, lui offrant par la même occasion la passion des épopées anciennes et des légendes mystiques.
C'est grâce à sa nouvelle passion que la petite fille put se faire de nouveaux amis. Elle créait grâce à ses lectures des jeux inédits pour les enfants du château, elle leur narrait des aventures incroyables, que de vieux parchemins lui avaient fait découvrir, et qu'elle remanier pour créer de nouvelles fables tantôt amusantes, tantôt terribles. C'est lors d'une chaude journée, sur une des terrasses surplombants la mer que la petite blonde fit la connaissance des enfants royaux. Juchée sur la première branche basse d'un arbre décorant la petite cour elle s'employait avec vigueur à décrire la force et le souffle dévastateur d'un dragon sauvage dompté par un des tout premier fondateur de l'ancienne Valyria afin de mêler son sang au sien, donnant ainsi naissance à une alliance millénaire. Ses qualités de conteuse lui valurent la sympathie et l'écoute attentive du trio royal. Son histoire terminée elle fut agrippée par une petite princesse de son âge, qui était légèrement plus grande qu'elle, et qui de ses yeux violets l'empêcha de dire quoi que ce soit. Elle lui demanda instamment d'autres histoires et sous les yeux attendris et captivés de ses aînés elle s'installa sur un petit muret en entraînant Isla pour poursuivre son voyage dans des mondes imaginaires. C'est ainsi que débuta l'amitié qui marqua au fer rouge l'existence d'Isla. Cette enfant du même âge que le sien lui permis d'atteindre une vie sociale et culturelle bien plus riche que ce qu'elle aurait pu espérer. Ce soir là, lorsque la petite princesse prit congé d'elle, Isla arbora de nouveau cette démarche fière et digne, en s'en retournant dans ses quartiers, le monde venait de prendre pour elle un nouvel épicentre. Elle n'avait nullement besoin de feindre la confiance en soi et la tranquille assurance cette fois, car se voir gratifier d'un intérêt sincère l'avait comblée et elle se sentait la force d'elle aussi dompter des dragons.
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Le rythme fut un peu difficile à adopter. Isla n'avait jusqu'à présent jamais tellement côtoyé d'enfants de son âge et elle n'était pas douée dans les relations sociales, elle l'était nettement plus avec les personnes plus âgées qu'avec les turbulents êtres qui constituaient ses pairs. Cependant avec Rhaenys tout était différent. Elle prenait toujours le temps de se mettre à son niveau, de lui expliquer les choses qu'elle pouvait ne pas comprendre et en retour de donner une oreille attentive à tout ce que l'on pouvait lui expliquer. Elle initia Isla à nombre d'activités que la petite demoiselle n'aurait jamais tenté d'elle-même. En retour, la petite Chyttering s'appliquait à couvrir efficacement les traces de sa royale amie lorsque celle-ci échappait à la surveillance de ses gardes. La jalousie dominait parfois, lorsqu'Isla constatait toutes les demoiselles qui gravitaient dans l'entourage de Rhaenys et qui avaient le privilège d'être bien plus proches d'elles, ne serait-ce que par le sang. Isla n'était que de petite noblesse et elle n'avait aucun poids pour exiger quoi que ce soit de son amie princière. Les années lui apprirent la tempérance et l'acceptation de sa condition, sans pour autant la départir d'une certaine estime d'elle-même. Toujours particulièrement attirée par les ouvrages historiques, elle comblait les instants que Rhaenys lui refusait par de longues lectures passionnantes. Au fur et à mesure de sa découverte des rayonnages de la bibliothèque, elle vit son intérêt s'accrocher à une matière pourtant bien poussiéreuse aux yeux des autres, le droit et notamment celui de l'ancienne Valyria. Elle se prit de passion pour le concept de justice et d'équilibre sociétal. Elle se plongeait souvent dans les descriptifs de projets de lois très anciens, par des procès retentissants ou par des schémas traduisant la complexité des institutions juridiques et leurs comparatifs dans les différents royaumes. Un autre de ses loisirs était aussi l'apprentissage de la harpe, discipline ardue et exigeante qui lui demande de nombreuses heures d'entraînement. Pratique qu'elle exerçait souvent non loin de l'esplanade allouée pour les exercices de pratique de l'épée ou du combat au corps à corps. Elle se plaisait à regarder ces corps en action lors de ses instants de répétition, elle se berçait doucement de l'idée que son combat se livrait sur la partition et que son arme était faite de cordes tendues.
Les années passèrent avec cette rapidité caractéristique des époques douces et sereines, de l'enfance heureuse, succédant à l'adolescence synonyme d'éveil des sens. L'intégration d'Isla au sein des enfants de la famille royale devint petit à petit une évidence, si elle ne partageait pas chaque instant de leur vie, elle en devenait un paysage régulier et apprécié. L'éveil de sa féminité et le désir peu à peu insidieux des plaisirs interdits s'insinuèrent en elle, lentement mais avec constance. Elle délaissait parfois ses ouvrages pour épier les garçons et notamment Orys Waters, bâtard du roi Aerion. Sans prendre garde elle racontait longuement à son amie Rhaenys toute la complexité de ses sentiments, couvant une véritable fascination pour ce jeune homme qu'elle ne connaissait que très superficiellement. Cependant dans son esprit cet homme avait le manteau de la vertu, il possédait des qualités qu'Isla ne pouvait qu'admirer comme la dévotion, le courage, la force, une beauté renversante.
Très butée la demoiselle mis énormément d'efforts et de constances dans ses ardentes approches. La séduction n'était pas un art dans lequel elle excellait, mais sa pratique lui plaisait, d'autant que si elle avait constaté n'être pas aussi jolie que les princesses, elle pouvait se targuer de quelques dons naturels agréables à l’œil. La joute ne fut pas facile mais elle finit par triompher du garçon et par le soumettre à ses désirs, le rendant coupable d'actes interdits avant toute unie. Isla n'en avait cure, elle se fichait bien des convenances et du carcan des obligations d'une membre de la noblesse, de la pression du socialement acceptable ou des rumeurs qui ne manqueraient pas de surgir. Elle était tout à la découverte de son corps et de celui de l'autre. Elle ne prit pas garde à se montrer discrète, tant elle était heureuse de pouvoir assouvir ses désirs avec un être plus qu'agréable à ses yeux. L'amour n'avait pas grand chose à voir là-dedans, ce n'était que jeux de séduction et plaisirs assouvis, si elle voyait Orys comme un preux chevalier très désirable Isla ne développa qu'un attachement superficiel à celui qu'elle ne voyait finalement que comme un compagnon de jeu. Malheureusement l'imprudence a toujours des conséquences. Une servante ne manqua pas de surprendre la demoiselle au lit avec le jeune homme dans ses appartements. L'information se répandit comme une traînée de poudre et la fureur de Lord Chyttering manqua de peu de s'abattre avec une force dévastatrice sur la jeune Isla. Au mieux aurait-elle pu espérer rejoindre une haute tour pour y être abandonnée dans la solitude, au pire aurait-elle certainement été jetée sur les routes, sans le sous et sans aucun appui. Fort heureusement, Rhaenys mis un point d'honneur à intervenir, affrontant sans sourciller le courroux d'un des vassaux de son père, annihilant la colère monstrueuse avant même qu'elle eut le loisir de s'exprimer.
Lors de cet incident Isla ne manqua pas de s'éloigner loin de son père avec cette même démarche, ne voulant pas lui faire le plaisir de lui montrer son effroi même si ses regrets et sa contrition était palpable. Elle ne voulait pas se faire pardonner d'avoir succomber aux délices de la chair, mais elle se repentait de son inconstance et de sa stupide frivolité quant à ses actes. Elle prit conscience qu'il lui était nécessaire de conserver une certaine image publique d'elle-même tant qu'elle était dans l'entourage proche de Rhaenys, pour ne pas tenir la royauté ni l'encombrer de scandales embarrassants. Elle s'éclipsa dans la dignité, mais se promis de ne plus jamais se compromettre dans de telles proportions.
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L'incident lui fit porter plus d'attention au comportement de Rhaenys, elle ne voulait pas voir dans les interactions qu'elles échangeaient la moindre gangrène d'une rancœur. C'est en appliquant cette attentive inspection qu'Isla remarqua les signes des sentiments que pouvait couver la princesse envers son demi-frère. Cette révélation troubla au plus haut point Isla, elle se repassa le fil de leurs anciennes conversations en se fustigeant d'avoir si précisément déclamé toute l'attirance qu'elle pouvait nourrir pour le garçon à son amie. Se promettant de ne plus continuer dans cette attitude certainement douloureuse pour la princesse Isla mis fin à la relation somme toute assez étrange qui l'unissait à Orys. Elle ne pouvait sciemment continuer de partager sa couche tandis que Rhaenys se meurtrissait d'amour pour lui. Elle ne pouvait vouloir sacrifier le lien si spécifique qui l'unissait à Rhaenys pour un amusement passager. Néanmoins Isla ne coupa pas complètement les ponts avec le Waters, elle continua toujours à le traiter avec cette petite connivence de ceux qui ont partagé une intimité charnelle, elle ne pouvait après tout pas faire comme si rien n'était jamais arrivé.
Entretemps, les chamboulements se bousculèrent au sein d'Isla. Le temps précieux qu'elle pouvait partager avec Rhaenys semblait se muer de couleurs bien différentes, se parant de frissons d'excitation qu'elle n'avait auparavant jamais ressentie. Ses rêves comme ses pensées se parèrent de désirs peu avouables et bien difficiles à assumer pour cette frêle jeune fille. Ce trouble se mua en une gêne, et cette réserve soudaine exprimée par Isla eut le don d'énerver complètement Rhaenys. Lors d'une journée ordinaire, alors qu'un débat passionné les animait, la conversation vrilla, et se transforma en une dispute furieuse qui nécessita l'intervention d'Aegon, le prince héritier de Peyredragon, pour séparer les deux furies. Suite à cela, alors que Rhaenys gardait le silence, un élan de remords assaillie Isla, qui ne peut s'empêcher de couvrir l'espace qui les séparait pour s'excuser. Alors qu'elle saisissait la main de la princesse, celle-ci se retourna vers elle, et la proximité de leur corps comme de leurs lèvres parurent soudain insupportable à Isla. Elle manqua de l'embrasser, mais Aegon se rappelant à leur bon souvenir lança une blague qui brisa la tension sexuelle qui était apparue entre elles. Elles se quittèrent comme à leur habitude, mais Isla ne put faire comme si rien ne s'était passé car il lui semblait que Rhaenys avait été réceptive à sa tentative.
Cet épisode dévasta grandement Isla, ne sachant comment réagir ni quelle attitude convenable il fallait adopter elle évita Rhaenys pendant quelques jours. Jusqu'à ce qu'une mystérieuse invitation d'Aegon fut glissée sous sa porte, dans les prémices du jour. Il la conviait dans sa chambre à la nuit tombée, et elle ne pouvait être dupe de la raison. Elle connaissait l'amour du prince dragon pour la beauté de la chair et elle n'était pas réfractaire à l'idée de faire partie de sa chasse. Cependant c'était un grand pas qui ne se faisait pas à la légère. Si elle choisit finalement d'honorer l'invitation, elle ne s'attendait pas du tout à ce que Rhaenys fasse partie des ébats partagés. Si la chose aurait pu être terriblement gênante, ce ne fut absolument pas le cas. Cette nuit fut la plus enivrante de l'existence d'Isla, elle fut d'ailleurs appelée à se répéter de nombreuses fois, et avec de multiples partenaires différents. Elle pénétra sans vraiment s'en rendre compte dans un univers fascinant de plaisirs partagés et de découvertes des sens.
Ce changement de dynamique dans leur relation marqua un renforcement de l'amitié unissant Isla et Rhaenys. Devenue conseillère de la princesse sur les questions juridiques Isla vécut la fin de son adolescence comme dans un rêve éveillé dont elle n'aurait jamais voulu se réveiller.
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Tous les rêves ont toujours une fin, même les plus beaux. La seule constante dans la vie c'est que rien n'est éternel. C'est par une lettre que tomba le couperet de ses instants d'insouciance. Son père, Lord Chyttering avait décidé de son sort, et avait estimé qu'elle devait unir son destin avec celui de Ronald Chelsted. Un soldat, déjà remarquable d'après la rumeur et pas désagréable à regarder, mais dont la culture ne valait pas grand chose. Si elle avait voulu hurler Isla devait se rendre au fatalisme, rien ne la sauverait de cette union et elle s'employa alors à faire semblant d'en être ravie. Elle entra dans son rôle de femme mariée à la perfection. Tous ne pouvaient que dire qu'elle devenait une femme épanouie par la conformité à un mode de vie plus traditionnel, et elle s'efforça avec désespoir à le faire croire, même à sa plus vieille amie et amante. Les lettres furent foisonnantes au tout début, lorsqu'il lui fallut quitter le château à regret pour une demeure modeste près du port de Peyredragon. Elle avait quantité de mensonge à servir pour calmer les inquiétudes de la Princesse et la rassurer sur son mode de vie et sur le fait qu'elle était combler. Isla avait des scrupules à mentir, et elle s'en voulu profondément pendant très longtemps. Mais elle ne pouvait avouer la terrifiante vérité. Elle ne pouvait briser la fragile mascarade qui lui permettait encore de se mouvoir dans les rues avec sa démarche digne et élégante. Être totalement honnête sur son quotidien la ferait à coup sûr s'effondrer car ce qu'elle affrontait manquait déjà de l'achever, elle ne pouvait compléter le processus en l'avouant totalement. Ronald n'avait rien d'un homme, c'était un animal, perclus de vices et d'un total désintéressement des sentiments de son épouse. Elle était son jouet, sa chose, dont il pouvait disposer à loisir et à qui il pouvait faire subir tout ce que ses désirs lui intimaient de faire. Isla souffrait, bien plus que ce qu'elle était prête à s'avouer à elle même. Elle était parfaitement consciente qu'il lui suffirait d'un mot sur un bout de papier, d'une confession à Rhaenys pour que tout change, que Ronald soit châtié et qu'elle puisse retrouver sa vie d'autrefois, mais elle se forçait au silence, ne pouvait se résoudre à causer du tracas à son ancienne amie. Le lien était désormais rompu, elle ne pouvait pas lui imposer cette responsabilité, d'autant que le chagrin l'accablait du fait de la perte de ses parents, laissant à Aegon le soin de devenir roi et à Rhaenys le devoir de le soutenir. La princesse n'avait tout simplement pas le temps de se préoccuper de problèmes extérieurs.
Cependant Isla ne manquait pas une occasion d'apercevoir les dragons qu'elle avait jadis côtoyé de près, guettant la moindre de leur apparition dans le ciel, se berçant des souvenirs de leurs voix et de leurs rires, vivant dans le souvenir du sourire de Rhaenys. Pour ne pas sombrer elle s'accrochait aux éclatants souvenirs de bonheur qu'elle avait pu vivre au château, idéalisant cette période à l'extrême.
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Le glas sonnent pour tous, mais lorsque les cloches annoncèrent le décès d'Aegon et de Visenya, Isla ne put en croire ses oreilles. La rumeur se répandait et elle était confirmée mais cela fut difficile à intégrer. Le noir fut alors la couleur de rigueur pour plusieurs mois. L'appréhension lui colla à la peau lorsqu'elle fit face à la nouvelle reine et à l'ancienne amie, elle manqua de la prendre dans ses bras pour qu'elles puissent pleurer toutes les larmes de leur corps. Elle ne put qu'avoir le cœur brisé de voir Rhaenys si désespérée sous ce masque de souveraine qu'elle se construisait. Tout comme son époux Isla renouvela ses vœux de fidélité à la maison Targaryen, avec une vibrante passion, mais ce furent les seuls mots qui purent passer ses lèvres avec les formules traditionnelles de condoléances, elle ne savait que dire de plus, elle ne pouvait saisir une occasion qu'elle avait par le passé trop de fois laissé s'envoler. Plus rien ne légitimait sa présence aux côtés de la nouvelle reine, et pourtant elle aurait tout donné pour pouvoir être un soutien à ses côtés dans l'ombre que la guerre dessinait sur le pays et dans les yeux furieux de la dragonne avide de vengeance. Par l'entremise d'Orys, devenu main de la reine, Isla parvint à légitimement proposer les services de son époux en soutien de la couronne. Ce dernier, lui fit la faveur de trouver à Ronald une place de choix dans l'armée de Peyredragon. Isla put ainsi assouvir deux objectifs, celui de soutenir au mieux la cause de son royaume et celui plus inavouable de se voir libérer de la tyrannique présence de son époux.
En apparence Isla se désola du départ de son mari pour la guerre, mais en réalité elle se désespérait de ne pouvoir faire plus pour soutenir Rhaenys et pour lui apporter son aide, et ce fut son départ à elle et celui d'Orys qui la plongèrent dans une angoissante solitude. Les mois passèrent bien trop lentement, sans trop de nouvelles du front ouvert contre la famille Hoare et dans l'hostilité affichée naturellement par les autres royaumes contre l'auto-proclamation de la reine de Peyredragon comme souveraine des sept couronnes. Les festivités du Conclave de Goëville avaient été vivement commenté dans la population Peyredragonienne, et Isla ne pouvait que se désoler d'avoir si peu de sources d'informations fiables sur ce qui pouvait se dérouler si loin de leur île. Si le fait d'être si éloigné du continent avait un avantage stratégique cela limitait aussi cruellement la concentration d'informations et malgré les nombreux contacts et amis qu'Isla pouvait conserver à la cour il lui était bien ardu d'avoir des nouvelles fiables sur les plans et l'état général de Rhaenys.
Plusieurs mois s'écoulèrent, avec notamment la nouvelle d'un grand massacre à Sombreval, mais les descriptions contradictoires des circonstances de cette ville incendiée par Méraxès étaient si différentes d'une bouche à l'autre qu'Isla se demandait presque si cela avait réellement eu lieu. Des rumeurs de rapprochement entre le dragon et le loup, de rivalité avec le lion et le faucon, couvaient mais sans que rien de concret ne vienne étayer ces affirmations. Isla rencontra par hasard la jeune Lady Daena Velaryon dans les ruse de la capitale. Elle avait accompagné Rhaenys dans sa campagne de conquête mais elle avait été sommé de retourner en lieu sûr lorsqu'elle s'était parjurée devant l'ennemi. La haine rosit les joues d'Isla qui prit garde cependant à ne pas manquer de respect à cette noble dame plus élevée en rang qu'elle. Néanmoins en voyant la contrition de celle qui fut une de ses rivales pour l'attention de Rhaenys la demoiselle sentit son coeur s'attendrir. Les erreurs n'étaient pas chose inconnue pour Isla et elle ne pouvait pas refuser sa compassion à celle qui l'avouait et s'en repentait sincèrement. Elle ne put donc pas éconduire cette adolescente sincèrement affligée. Elle accepta de l'instruire et de l'aider à racheter son honneur, faute de pouvoir un jour espérer le pardon royal. La jalousie et la rancœur d'autrefois se métamorphosa donc en une amitié sincère, les deux jeunes femmes comblant l'absence de leur ancienne amie royale par une compagnie autre.
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Le glas de cette amitié sera sonné par l'appel du devoir pour la jeune Velaryon. Si Isla était rassurée de la voir accepter avec bonheur cette union, la situation tourna bien vite au vinaigre. Le beau et charmant gentilhomme s'avéra dans l'intimité plus une brute qu'un véritable compagnon. A travers de longues et nombreuses lettres la demoiselle finie par devenir la confidente privilégiée de la jeune fille, terrassée par la peur et les mauvais traitements, ne sachant que faire ou vers qui se tourner. Sous les conseils d'Isla le silence devint la clé de voûte de ses conseils, car si Aylan Redwyne semblait le parfait miroir de Ronald Chelsted il avait en plus de la cruauté gratuite le goût du pouvoir, ce qui le rendait très dangereux. L'homme perclus d'ambition est toujours prompt à éliminer prestement la moindre poussière venant gripper l'engrenage parfait échafaudé pour sa réussite. Il fallut donc conseiller à la nouvelle épousée de sceller ses lèvres et lui apprendre à ne pas faire de vagues, bien que ce conseil ne fut pas aisé à donner, car Isla connaissait trop bien le poids du secret et la prison de la mascarade. Il lui était douloureux de voir sa propre situation se répercuter sur une âme si douce, n'ayant pour seul péché que l'excès de bonne volonté.
Dans le même temps la nouvelle du mariage à venir entre Orys devenu Baratheon et Deria Martelle, princesse dirigeante de Dorne, parvint à Isla. Si elle doutait de l'inclination d'Orys pour une autre femme que sa demi-sœur, elle pouvait apercevoir les rouages et les nécessités politiques derrière une telle annonce. Cependant, une telle décision laissait Rhaenys dans un état de solitude profond, car Orys constituait l'un des derniers appuis solides, une présence rassurante et une force de décision capable d'écoute et de conseils avisés, connaissance suffisamment sa reine pour que cette dernière l'écoute, même lors de ses légendaires colères. Lorsque le bruit se répandit et fut confirmé par une annonce officielle Isla prit la plume, elle écrit une, puis deux, puis trois lettres, modifiant le style, hésitant sur la formulation. Mais rien ne trouva grâce à ses yeux, car même en essayant de dissimuler au mieux les informations par des sous-entendus ou des figures de styles connues d'elles seules, il était toujours possible de retirer de cette missive des informations compromettantes. Par ses déductions Isla détenait des connaissances sur Rhaenys qu'il valait mieux ne pas ébruiter. Elle choisit donc de taire l'inquiétude qui la rongeait et renonça à envoyer son message mais cette décision ne fut pas facile.
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Les affrontements se poursuivirent apportant leurs lots d'âmes esseulées et meurtries à Peyredragon qui voyait revenir ses hommes en permission ou en convalescence, pour les plus chanceux seulement. Lady Chelsted n'avait pas à se plaindre d'un retour inopiné de son époux, car son poste prestigieux lui interdisait de se reposer aussi loin en arrière du front. Elle se retrouvait donc relativement préservée, malgré les restrictions alimentaires et la difficulté de trouver parfois des produits de première nécessité. La guerre se déchaînait sur l'ensemble du continent. Le plus important des changements fut apporté par un édit proclamé dans la grande salle du trône au sein du château de Peyredragon. Isla, représentant son époux parti livrer bataille, fut conviée à cette annonce. L'intendant avait fait les choses en grand, les circonstances l'exigeaient. Rhaenys Targaryen avait abandonné son nom, sa maison et même les prétentions sur son royaume pour s'élever au dessus des têtes couronnées dans la création d'un empire, une structure où l'idéal de justice et de solidarité régnait, où la roue des puissants qui écrasait les plus faibles pouvait être détruite par une puissance supérieure, contrôlant pour cela les velléités meurtrières de pouvoir et de richesses des souverains peu scrupuleux face au sort des hommes sous leur gouvernance. L'annonce de la fondation de la maison Braenaryon plongea Isla dans une certaine perplexité et elle mis quelques jours à digérer cette nouvelle. La fondation de l'empire appelait aussi l'alliance d'un nouvel allié, le loup du Nord, le roi invaincu, il avait un réputation peu flatteuse, mais Isla faisait confiance en son ancienne reine et amie, elle savait parfaitement définir ses envies et s'adjoindre un être de qualité qui lui permettrait de triompher. Ne plus savoir Rhaenys seule était réconfortant et tous ces changements apportèrent un espoir revigoré tant à la noblesse qu'au peuple.
Cette structuration du pouvoir avait le don de fasciner Isla, tant les questions techniques et pratique qu'elle posait concrètement étaient inédites. Afin d'assouvir sa curiosité mais aussi pour se rendre utile, à son impératrice comme à l'histoire, Isla réussit à réunir divers documents du mariage et des différentes modalités techniques de l'instauration de l'empire. Daena, du fait de sa nouvelle position l'y aida également, car elle avait réussi à s'intégrer de son côté à l'empire et à mettre ses talents à sa disposition. Cet état de fait était enviable aux yeux d'Isla car l'immobilisme auquel elle était contrainte la rendait folle un peu plus chaque jour. Elle ne pouvait que parcourir les rues de Peyredragon en trompant l'ennuie dans l'achat de manuscrits précieux ou de papiers pour y déverser ses pensées dans un journal intime qui l'aidait, tel un ancrage vital, à ne pas sombrer dans le désespoir et la rage. En toile de fond de son existence peu animée elle tendait l'oreille pour glaner la moindre information concernant l'équilibre des forces en Westeros et pour guetter l'instant où enfin elle pourrait se rendre utile à sa patrie mais surtout à sa souveraine.
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La délivrance se matérialisa les deux mois qui suivirent, elle prit l'apparence de deux lettres de la plus extrême importance. Tout d'abord la liberté lui fut accordée par le décès de son époux. L'épée de Damoclès qui pesait constamment sur son esprit, elle ne pouvait se départir de l'idée que Ronald Chelsted finirait bien un jour par revenir et peut être en étant plus affamé qu'auparavant, s'estompa sans un bruit. Elle mis plusieurs jours à réaliser que le veuvage lui avait été accordé et qu'elle pouvait à présent vivre par elle-même sa vie, car ni son père ni son mari ne pouvaient plus avoir d'emprise sur elle. Ronald Chelsted fut emporté par la mort, dans une bataille conséquente, Wayfarer, qui voyait se déchaîner les forces de Peyredragon, du Nord contre le Conflans aidé des perfides Lions Lannister. L'empereur Torrhen Braenaryon lui confirmait lui même le décès dans une missive cachetée du sceau impérial. L'éloge était accès sur les valeureuses qualités de ce combattant farouche qui avait donné sa vie pour l'empire. Lady Chelsted se demanda alors s'il s'agissait de formules de politesse ou de propos sincères, car elle ne pouvait se résoudre à admettre en cet homme une seule qualité qui trouverait grâce à ses yeux. L'honneur qui lui était ainsi accordé touchait Isla et elle ne manqua pas de donner une réponse à ce témoignage de respect et de sympathie, même si elle mis plusieurs jours à l'écrire. A partir de ce jour glorieux, Isla revêtit une nouvelle fois le noir, pour plusieurs mois, marquant ainsi aux yeux de tous un chagrin qui semblait sincère, mais les seules larmes qu'elle avait versé pour cette situation étaient plus l'expression d'un soulagement et d'une joie brutale de pouvoir enfin respirer librement.
Avec la plus extrême prudence et une grande discrétion Isla retrouva quelques vieilles habitudes, elle reprit l'exploration des plaisirs charnels là où elle l'avait laissé, se délectant temporairement dans les corps pour retrouver par procuration une époque plus heureux mais révolue.
La seconde missive lui parvint presque un mois jour pour jour après la première. Elle n'était pas de la main d'une altesse impériale mais l'auteur de celle-ci avait presque la même importance pour elle. Il s'agissait de Bâal Forel, un être protecteur et doux, serviteur fidèle et loyal à la famille Targaryen, il était devenu l'homme de confiance de Rhaenys et avoir de ses nouvelles était aussi incroyable qu'inespéré. Isla dû relire plusieurs fois les nombreuses lignes du courrier, tant l'excitation et l'angoisse lui tournaient la tête. Elle ne put déchiffrer totalement les propos de cette ancienne connaissance que lorsqu'elle prit sur elle de se calmer. Cette lettre était une invitation, une prière presque, afin qu'elle rejoigne sans tarder l'impératrice Rhaenys, qui était durement éprouvée par la solitude et surtout par une grossesse qui se déroulait assez mal. Sans évoquer les tentatives d'empoisonnement ni les manifestation de cet état de faiblesse, Isla réussit plus ou moins à lire entre les lignes et il ne lui fut pas compliqué de décrypter l'état de nécessité que traduisait ce message. La décision découlait naturellement du dévouement total d'Isla envers Rhaenys, au nom de leur ancienne relation privilégiée, au nom de l'amour qu'elle vouait envers sa souveraine, au nom de toutes ces occasions où Rhaenys avait su se dévouer pour elle, Isla ne pouvait pas refuser, elle n'y pensait même pas. L'avertissement de Bâal quant aux multiples dangers que comptait un voyage au sein de territoires contestés afin de les rejoindre n'attira pas plus l'attention d'Isla, elle était prête à braver des milliers d'épées pour pouvoir retrouver celle qui avait besoin d'elle. Après concertation avec de ses quelques relations proches à la cour, elle trouve trois alliées prêtent à tenter l'aventure avec elle. Abandonnant derrière elle toutes ses possessions elle en vendra la plupart pour se constituer une réserve suffisante pour financer son expédition et s'adjoindre la protection de quelques hommes armés. C'est avec sa même démarche de confiance et de prestance qu'elle quittera Peyredragon, ne lançant un regard d'adieu qu'au château qui avait bercé son enfance, ignorant totalement si elle pourrait un jour de nouveau poser son regard sur son architecture digne des dragons.
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Le voyage fut périlleux, presque fatal. Elle perdit une de ses compagnes par la fièvre, mais cette expérience lui permis de retrouver une certaine confiance en elle, une nouvelle force et elle ressortit des cendres de son être en une femme nouvelle. Jamais, elle n'avait quitté l'île de Peyredragon et elle cette épopée lui fit voir de nombreux paysages dont elle n'avait entendu parler que dans ses livres de jeunesse. Ses yeux s'ouvrirent complètement sur les atrocités des guerres et sur les souffrances du peuple, car elle dû de nombreuses fois s'accommoder des plus modestes lieux pour se reposer, se restaurer et s'orienter. Heureusement pour elle et ses compagnes l'impératrice se trouvait dans l'Orage, royaume voisin de celui de Peyredragon. Le territoire est néanmoins contesté et le cheminement très difficile, il lui faudra donc environ un mois pour parvenir à la capitale Accalmie et rejoindre enfin sa souveraine.
Malheureusement pour Isla la déception entachera durablement ces retrouvailles, Rhaenys a terriblement changé et elle n'est plus la princesse éprise de liberté et maîtrisant son emploi du temps qu'elle a pu connaître. L'impératrice a nombre devoir et peu de temps à consacrer à celle qui n'est plus qu'une lointaine amie du passé. Pire est l'outrage de voir que d'autres femmes se trouvent à présents aux côtés de son ancienne amie, notamment Yesminda Forel, nièce de l'homme de confiance de Rhaenys. Cette étrangère a clairement remplacé Isla dans le cœur de l'impératrice et cela lui est insupportable dans les premiers temps. Manquant de rebrousser chemin Isla refuse cependant d'avoir affronté tant de périls pour un résultat si décevant. Elle décide de rester auprès de sa souveraine, dans un rôle secondaire, elle ravale sa jalousie et son ressentiment pour pouvoir avancer. Retrouvant Daena et d'autres personnages de la cour elle fait de son mieux pour se rendre utile, même dans des tâches très basses pour sa condition. Le labeur ne l'effraie pas et lui permet au contraire de défouler ses frustrations longtemps contenues dans un effort constructif. Elle reçoit l'honneur de rencontrer Ebryon, dont elle a raté la naissance, il est source d'une bouffée de nostalgie pour Isla, car si elle admire sa beauté, il lui rappelle cruellement des temps plus doux et heureux pour elle, lorsque Méraxès venait elle aussi d'éclore. Cela lui fait craindre de ne plus jamais retrouver de place privilégiée auprès de Rhaenys et la plonge dans une certaine tristesse. En parallèles Isla se lie avec un chevalier orageois expérimenté qui accepte de lui enseigner quelques rudiments du maniement des dagues. Son voyage périlleux l'ayant laissé de nombreuses fois dans des situations de vulnérabilité Isla ne veut plus jamais être une frêle femme fragile soumise aux pulsions des hommes. En échange de cet enseignement elle accepte de tenir compagnie à ce vétéran brisé par les combats. Elle développera un véritable attachement pour cet homme, mais se sentira trahi en croyant découvrir en lui un homme collectionnant les femmes pour son plaisir.
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Isla ne s'effraie pas d'accompagner Rhaenys où qu'elle aille. Les champs de bataille ne la rebutent pas et elle apprend même auprès de Daena quelques gestes de premier soin pour se rendre utile elle qui ne peut combattre. En l'absence de l'essosienne, Isla parvient à se rapprocher de Rhaenys pour renouer des liens avec elle. Faisant de son mieux pour lui apporter soutien et réconfort, répondant à la moindre de ses sollicitations elle se montre pourtant peut désireuse d'éclipser Yesminda, se rendant compte que cette présence a été déterminante pour Rhaenys lorsque la solitude se faisait insupportable, et elle finit par être reconnaissante envers la nièce de Lord Forel pour son dévouement à l'impératrice. Les conditions de vie et la dureté de l'environnement forge une nouvelle Isla, plus tranchante et secrète. Elle qui dans les pires moments a l'impression d'être abandonnée de tous se forge une carapace pour enfouir profondément toutes les déceptions de son existence et résister à toutes les visions traumatisantes qu'elle peut avoir à supporter. Dans le sillage de l'impératrice elle découvre le Conflans libre et s'éprend de la beauté de ses paysages. Elle découvre également toute la nouvelle complexité de Rhaenys que la guerre et ses actions ont profondément meurtrie et transformée. Loin d'être rebutée par cette impératrice plus cassante, plus guerrière et inspirant admiration comme crainte, Isla ne peut que constater tout ce que Rhaenys a dû abandonner pour poursuivre son idéal, son projet de créer un nouvel ordre harmonieux, elle se promet de tout faire pour l'aider à mener à bien cette aspiration et surtout de mettre tout en œuvre pour la protéger. Les anciennes amies finissent par se redécouvrir et leur relation se réchauffe, permettant à un nouveau lien de proximité d'éclore des cendres de leur ancienne relation.
L'annihilation de Harrenhal par Méraxès marque un tournant pour Isla. Cet acte de pure destruction lui fit étrangement énormément de bien, considérant que c'était une juste vengeance qui s'était presque trop fait attendre. Elle abandonna sur ce site devenu stérile son alliance de mariage, considérant qu'elle était à l'image de cette forteresse de noirceur à jamais effacée de tout avenir possible. Cet acte achèvera sa totale émancipation de l'ombre de Ronald Chelsted, lui enlevant définitivement le poids de ses traumatismes passés. Elle s'efforcera de rester dans le sillage de l'impératrice. Isla est de toute les excursions, même lorsque cela est réservé à une avant-garde réduite elle se refuse à quitter la proximité de Rhaenys dont la grossesse avance et devient quelque peu handicapante pour elle. Continuant l'entraînement à la dague par elle-même elle ne réussira pas vraiment à progresser mais cette activité lui permettra de se rapprocher quelque peu de Leslyn Raybrandt l'écuyère de la souveraine et de conserver une illusion de sécurité. La mort d'Harren Yoare vint conclure un chapitre de son existence, estimant que la vengeance était complète Isla soutenait néanmoins Rhaenys dans son désir d'éradiquer complètement tout membre de cette lignée qui s'opposerait à elle.
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La naissance des enfants impériaux intervient quelques mois plus tard, dans le secret de la forteresse nouvellement sortie de terre, Fort-Darion, sur les terres appartenant autrefois au Conflans. Isla n'assiste pas au travail, elle attendrait sagement dans le couloir, revêtant un masque de tranquille sérénité alors que tout son être bouillonnait d'angoisse. Elle s'efforcera d'être apaisante et rassurante pour les hommes et les proches présents non loin de la chambre. Elle a le bonheur d'entrapercevoir les enfants lors de leur présentation à leur père, elle est tout de suite fascinée et remplie d'amour pour ces êtres symbolisant le futur de l'empire. Elle s'éclipsera bien vite pour aller se reposer et laisser à la petite famille toute l'intimité nécessaire. Présente lors de la cérémonie officielle de présentation elle ne prend cependant pas beaucoup part aux festivités, en effet son corps est éprouvé par les longs mois de trajets difficiles, par les nuits blanches qu'elle passe sur les manuscrits et les études comparatives qu'elle fait sur les différents systèmes juridiques existants en Westeros et sur les solutions à apporter à différents problèmes de criminalité caractéristiques des temps de guerre. Elle ne fut pas surprise de voir Rhaenys rejoindre les festivités, s'y attendant grandement car elle pouvait se douter de l'amour maternel et de ce besoin impérieux de retrouver ses enfants qui devait agiter la jeune mère. Cette démonstration d'affection et de bonheur familial lui fit regretter toutes ces longues années d'un mariage malheureux, qui l'avait poussé plusieurs fois à prendre du thé de lune pour ne pas imposer à un être innocent un père monstrueux et abusif. Elle chassera ces idées en aidant Kora, fidèle servante de Rhaenys, à ramener l'impératrice dans ses appartements et en veillant à ce qu'elle puisse récupérer de son accouchement. C'est à partir de ce moment là qu'elle put constater le dévouement de Yesminda au service de Rhaenys et que son ressentiment et sa jalousie à son encontre s'évanouirent. Elle prit le temps d'essayer de la connaître d'avantage et s'évertua à se faire pardonner du comportement détestable qu'elle avait pu avoir avec elle auparavant. L'entreprise fut longue mais finalement un rapport amical naquît entre les jeunes femmes, sans pour autant qu'une réelle complicité puisse s'installer. Lady Chelsted décida d'abandonner sa nationalité Peyredragonnienne pour rejoindre totalement l'empire des royaumes fédérés, elle fit serment sur sa vie de chérir et protéger cet idéal, de se consacrer à son épanouissement et de ne jamais lui nuire.
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Les mois défilent auprès de l'impératrice, sans que les jours ne se ressemblent car Isla fait chaque jour face à un nouveau défi. Elle est loin d'avoir retrouvé la place qui était la sienne et elle se fait à l'idée que en un sens jamais elle ne la retrouvera, elle ne peut espérer que se forger une nouvelle complicité avec Rhaenys. Finalement, alors qu'elle avait réussi au fil des mois à s'intégrer dans la dynamique de l'entourage de l'impératrice l'équilibre de tout ce petit monde fut bouleversé. Comme un coup de pied donné dans une fourmilière l'équilibre de ce petit monde de femmes fut totalement détruit par une tentative d'assassinat de la progéniture impériale, au sein même du château d'Accalmie. Yesminda Forel et Leslyn Raybrandt y perdirent la vie, contribuant grandement à sauver le futur de l'empire. Isla a sincèrement pleuré ces âmes loyales, se désolant de ne pas avoir été plus mature et sage, de ne pas avoir profité de ce temps pour tenter de réellement les connaître. Elle les appréciait, chacun à sa manière et avait fini par les considérer comme les éléments essentiels du rouage permettant à Rhaenys de bénéficier d'appuis solides et stables. Elle s'efforce de demeurer aux côtés de Rhaenys, même si le chagrin la rend désagréable et peu réceptive à la compassion ou au réconfort. Isla s'évertue à lui démontrer que toute cette situation n'est pas sa faute, qu'elle n'est cause et la conséquence que la haine destructrice de puissances ne voulant pas d'un monde meilleur.
En parallèles les conflits s'accentuent à nouveau avec le retour des températures clémentes. Les armées du Bief et de ce qu'il reste du Conflans menacent toujours les frontières de l'Empire. L'Orage occupé depuis de longs mois s'apprêtent à vivre une nouvelle campagne militaire dévastatrice. Isla aiguise son esprit, reste à l'affût de chaque tâche lui permettant de se rendre utile et est cette ombre dans le sillage de l'Impératrice, veillant silencieusement à son bien-être tout en dispensant des conseils avisés lorsque ceux-ci lui sont demandés. Si elle ne veut pas céder à la peur et au découragement elle se prépare néanmoins pour affronter les pires cataclysmes, car personne à la guerre n'est jamais épargné ou protégé.
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L'océan de sang a fini par prendre fin pour Isla. Malgré les percées de l'Empire en territoire bieffois il a fallut rebrousser chemin, protéger la capitale et réorganiser les manœuvres dans le centre névralgique du pouvoir. La donne avait changé avec l'entrée en guerre du Val et de l'Ouest. Les perfides avaient fini par dévoiler leur véritable visage et par déclarer ouvertement la guerre aux impériaux. Isla n'en était pas réellement étonnée, le double jeu de la neutralité n'avait été qu'une manière de mieux se préparer pour des conflits à venir et c'était inquiétant. De nouveau il avait fallut passer par la mer, manquer de frôler la mort, mais en délicieuse compagnie. Fort-Darion c'était considérablement développée sous les soins de l'intendante Dame Omble. Ce nouveau château allait devenir sa nouvelle maison. Un foyer bien plus contrasté que la nostalgique forteresse de son enfance, mais bien plus agréable que la bâtisse de ses tourments. Les responsabilités se sont enchaînées en même temps que les mois. Sa relation privilégiée avec le couple impérial s'est incarné en une promotion, un titre plus que prestigieux mais porteur de lourdes conséquences. Isla n'est plus propriétaire de son temps, qui glisse entre ses doigts fins tel le sable ocre des sabliers. Au dehors des remparts les nouvelles fusent, tantôt acclamant les victoires héroïques des souverains, des dragons et des hommes valeureux qui défendent leur cause, tantôt distillant terreurs et trépas. Cette fois cependant la menace se rapproche. Une brèche s'est ouverte dans les défenses du royaume des rivières et des collines. Les épées venaient à nouveau à la rencontre des impériaux.
L'agitation s'empare de la capitale, mais Isla n'a pas peur. Elle conserve sa confiance en ses souverains, la nouvelle du retour de l'Empereur en ses terres se répand déjà tandis que les décisions se prennent et que la vie se poursuit. C'est la solitude qui pèse sur l'insulaire, alors que son amie est loin de ses soins, perdue dans les chaleurs de Dorne, enceinte et presque au terme. Une fois encore Isla a fait un choix qui l'a éloigné d'elle et elle le regrette. Elle n'a que peu de possibilité de s'enquérir d'elle et cela reste sa plus grande source d'inquiétude. Son esprit commence à être fatigué, non pas des difficultés de ses journées mais de son isolement social. Un besoin de distraction se fait sentir, mais cela lutte contre la culpabilité de l'oisiveté, contre la nécessité de se montrer toujours plus productive. Pour que la plumes soit aussi efficiente que l'épée, pour que sa contribution apporte la pierre des fondations d'un avenir meilleur.