Les Jardins Aquatiques se sont grandement inspirés des temples et des pyramides d’Essos, se parent de mille et une mystères. Certains ont été oublié à travers les âges, d’autres ont été révélés aux mauvaises personnes et emportés au lieu. Pourtant, quelques secrets restent encore bien cachés, se transmettant d’une Princesse à une autre, d’un Prince à un autre, d’un loyal assassin à un autre …. Notamment, les couloirs cachés. A ce jour, Perle et moi étions les seules à pouvoir nous balader dans entre ces murs à la barbe et au nez des rares habitants – la Garde, ou les invités. Et c’est ainsi que nous arrivons à notre destination, mes appartements privés, sans être aperçues par quiconque.

Pourtant, les folies de la veille ou l’ivresse de la matinée disparaissent bien vite, lorsque je pose un pied en ce lieu hanté. La réalité me rattrape, me donnant de furieuses envies de rebrousser le chemin et de me réfugier à nouveau entre les bras de ce Nordien. L’absence de mes frères et de ma sœur pèse tant ! Et ce silence solennel m’insupporte au plus haut point ! Oh, que ne donnerais-je pas pour entendre quelques rires stupides ou disputes exaspérantes ! De folles idées traversent mon esprit, mais je les tais. Je ferme les yeux, pour me réfugier dans quelques doux souvenirs, et notamment ceux de la veille. Lorsque je les rouvre, le désespoir n’en est plus grand. Comment ai-je pu vivre aussi longtemps, et seule, entre ces couloirs fantômes ?

Si j’étais impatiente de retrouver le Roi du Nord, je m’en languissais maintenant.
Je soupire. Reposons-nous, et surtout, occupons-nous de quelques affaires urgences en cette matinée.

***

Le Roi de l’Ouest annonce son départ impromptu, me surprenant considérablement. J’avais espéré que les deux nymphes à son service sauraient le retenir assez longtemps et le mettre dans quelques dispositions favorables, voire généreuses, à l’égard de la Principauté. Je comprends vite mon erreur lorsqu’il fait référence au souhait de sa femme, qui soutiendrait que l’Ouest a grand besoin de son Souverain : il aurait été plus avisé de satisfaire les caprices de Jordane Lannister, plutôt que de celles de son époux. La matinée se voit chamboulée par les préparatifs pour le départ des Lions.

Sa cour met tant le branle-bas au sein du Palais – brisant toute la somnolence matinale du lieu et de ses habitants – , que je vois de nombreux représentants – voire souverains – de puissances étrangères au quai. Démonstratif, et un brin vantard, le Lion insiste pour saluer chacun, retardant encore son départ imminent de quelques poignées de minutes. Du coin de l’œil, je vois le Nordien et je m’en approche le pas tranquille. Je me contente de le saluer selon l’usage, en évitant de le gratifier d’un quelconque sourire complice ou aiguicheur. Je ne le connais pas assez pour oser m’aventurer dans ce genre de jeu. Il pourrait se fâcher, ou non, d'une telle action. J'opte donc pour la prudence et la mesure.

Je profite que tout le monde nous ignore pour lui glisser quelques mots, l’air de rien.

- Hors de la Capitale, une Dornienne chante, à vous enchanter les sens. Dans la Ville, elle danse, à vous retourner la tête. Et chez elle, elle inflige silence et torture du corps. Une bière du nord pourrait adoucir ses humeurs. Où votre Majesté souhaiterait s’aventurer, cet après midi ?

Loren approche, mettant fin à cette discussion en aparté. Il cherche à me charmer avec ses paroles, son sourire, sa chevelure dorée ou son allure altière. Malheureusement pour lui, il m’amuse et me flatte plus qu’il ne me séduit : mes pensées sont toutes tournées vers mon voisin, curieuse de connaître la réponse à ce semblant de charade que je lui ai offerte. Quel sera son choix ?

Les jours sont passés bien vite. Je dirais même trop vite. Ceux qui sont restés pour profiter des douceurs et de la chaleur de la Principauté se préparent pour retourner au sein de leurs terres. Certains sont heureux et rêveurs, ayant grande hâte de raconter tout ce qu’ils ont vu, entendu ou goûté à leurs proches ou amis. D’autres sont un brin plus sombre, quittant sûrement leur amante – et peut-être la future mère d’un enfant illégitime –, la mort à l’âme. Quant aux Dorniens, je sens bien la morosité ambiante, à moins que ce ne soit la crainte des jeunes ladys abandonnés par ces amoureux étrangers. On me rapporte que les guérisseuses et mestres ont croulé sous les commandes de thé de lune. Est-ce que ces pauvres filles savent, seulement, ce qu’elles font ? Savent-elles qu’elles pourraient trouver une oreille attentive et, surtout, une aide précieuse si elles se confient à moi ? N’ai-je pas suffisamment insufflé confiance dans le cœur de ces dames, lorsque je n’étais encore qu’une batarde, une conseillère parmi d’autres ? Je soupire.

Trois coups se font entendre derrière un portrait. Nullement surprise, je m’approche de la vieille peinture et glisse une main sur le côté, activant un mécanisme discret. Sans la moindre résistance, je pousse le cadre vers moi, révélant la bouche béante d’un tunnel étroit. En face, je vois Torrhen et Perle. Cette dernière nous quitte sans plus un mot, refermant le passage secret et me laissant seule avec le Nordien. Suis-je folle de révéler l’un des secrets des Jardins Aquatiques – notamment un accès secret à mes appartements même ? Assurément. Est-ce pure insouciance que de confier une telle information à un homme qui n’est pas un allié – et qui peut devenir ennemi dans les semaines, mois ou années à venir ? Evidemment. Et pourtant, nous voilà. S’il est fort amusant de se rencontrer dans les lieux les plus insolites pour éviter que des rumeurs courent à notre sujet, je suis bien lasse de le quitter à la hâte avant les premiers rayons du jour – ou qu’il le fasse lui-même.

- Bienvenue dans mes appartements, votre Majesté, dis-je, m’amusant encore à l’appeler ainsi, malgré l’absence de cour et de nos nombreuses rencontres. As-tu fait bon chemin entre les murs du Palais ? Je pense que les rats étaient de meilleure compagnie que Perle. Mais, tu es là maintenant, avec moi, ajoutais-je. Je n’ai, malheureusement, pas l’assassine la plus sociable. Elle et moi sommes le jour et la nuit : elle est tout ce que je ne suis pas, et inversement.

Habillée de tenues complexes, ou extravagantes – un mélange de coquetteries et d’exigences de la cour – et coiffée minutieusement, cela doit être la première fois que je me présente assez simplement. La chevelure n’est pas retenue par aucune épingle, se baladant allègrement jusqu’au bas du dos. Quant à ma robe, ce n’est qu’une robe de chambre sans manche. La seule extravagance que je garde est ce médaillon en or – accroché à une chainette en or également – arborant le symbole de ma Maison, et sur lequel est incrusté les noms Nymor, Arianne, Deria, Anders et Roward. C’est un présent du premier, rendant ce petit bijou bien plus précieux que tous mes bijoux réunis. Je ne le quitte jamais, le gardant toujours autour de mon cou ou dans la doublure d’une robe.

Et j’attends patiemment, scrutant attentivement son expression. Sent-il cette odeur qui émane de ma peau même ? Je ne saurais plus distinguer, pour ma part. Il semble que s’éponger de bière durant de longues heures atrophie considérablement notre odorat.

- Aimer n’est pas un péché au sein de la Principauté, lui répondis-je tranquillement.

Je le laisse s’approcher et poser ses mains sur mon bassin. Ses lèvres ne se contentent pas d’effleurer mon front. Ils se baladent déjà sur une joue, descendent sur ma mâchoire et terminent leur course au niveau du cou. Ses gestes malhabiles trahissent tout autant son impatience. Ses mains cessent de chercher la corde pour me mettre totalement à nue, préférant partir à la conquête de mon dos, de mes fesses ou de mes cuisses. Malgré moi, je me tortille contre lui, émettant quelques légers grognements.

- Je t’ai partagé ce secret pour que toi, ou moi, n’ayons pas à fuir avant les premiers rayons du jour. Je veux que nous nous aimions de tout notre soul, jusqu’à ce que nous soyons las de l’un et de l’autre, susurrais-je au creux de son oreille. Je ne peux pas m’empêcher de capturer ce lobe, ou de balader une langue. J’ai ouïe dire que les femmes du Nord accueillent leurs héros avec des bains de bière. J’avoue que j’ai voulu bousculer ces traditions. A défaut de me trouver suffisamment de bières pour un bain à deux, les nordiens et les dorniens ont apparemment grandement englouti les tonneaux, je me suis épongée patiemment avec de la bière de tes contrées toute l’après-midi.

Je ne dis plus rien, lui offrant tout le loisir de me couvrir de baisers ou non.

- Es-tu sûr de n’avoir pas faim, ou soif, avant de t’enivrer de moi ? , le tannais-je gentiment. Je ne veux pas être la seule qui se confie, qui susurre ou qui crie. Je veux que tu le fasses, aussi. Vos désirs seront de délicieux ordres, mon Roi, incitais-je.

Si l’impatience du premier jour m’a quitté, l’envie est toujours présente. Je ne me rue pas immédiatement dans des ébats furieux et fiévreux, par manque de temps ou par crainte d’être surprise. Je peux prodiguer autant de caresses et de baisers que je le souhaite – ou en recevoir en contrepartie –, jusqu’à ce que je ne résiste plus à une intimité plus étroite et plus chaleureuse. Enfin, et ce n’est pas des moindres, je suis dans le confort même de mes appartements. Il n’est plus question des surfaces rugueuses de tables, ou de murs ou je ne sais quel autre meuble ou support. Le lit est confortable, une douce odeur fruitée flotte dans l’air et une brise nocturne apporte un brin de fraicheur salvateur.

D’une main experte, je le défais de ses vêtements. En quelques jours, j’ai appris à habiller ou à déshabiller rapidement ce nordien. Pourtant, je suis toujours la première à être aussi nue qu’un ver. Un comble, lorsqu’on sait que je porte plus de bijoux, de tissus et d’accessoires sur moi. Débarrassé de l’essentiel, lui laissant le loisir de garder ou non quelques vêtements, je le traine jusqu’au rebord de cette couche même.

- Connais-tu le baiser du miel, par hasard ? , demandais-je avec un sourire taquin.

Je le quitte quelques instants pour me saisir d’un pot posé sur une table non loin. Je reviens, m’assoies sur ses genoux, trempe un doigt dans le liquide visceux. Alors, je pose cet index gluant à la comissure de ses lèvres, attendant toujours sa réponse.

- L’expression de l’amour n’est pas un péché, à mes yeux. Je préfère céder et soupirer avec de doux souvenirs, que de résister et être rongée de regrets, surenchéris-je, persuadée de la justesse de ma vision sur les choses de l’amour. Si je n’appliquais pas cette philosophie, je n’aurais pas osé céder à ses avances, voler des baisers ou lui arracher quelques râles. Il est difficile de se lasser de moi, mais ce n’est pas impossible, me moquais-je gentiment, persuadée de ma beauté, de mon charme ou de mes talents à subjuguer un homme.

Il hume ma chair parfumée. Apprécie-t-il mes tentatives de me plier aux traditions nordiennes – si elles m’ont été apportées proprement et correctement ? Dans le cas où l’on s’est moqué de moi, s’amuse-t-il de ce quiproquo ? Je ne pourrais pas le dire. Sa voix ne trahit pas aisément ses émotions, et son regard ne dévoile pas aisément les tréfonds cachés de son âme. Est-ce que le Nord est à son image, c’est-à-dire une terre couverte d’une neige épaisse, dissimulant et cachant mille et un trésors de vie ?

Je frissonne lorsque je sens sa barbe frôler ma peau. Le Nordien l’entretient suffisamment pour quelle ne soit pas une source pénible de douleurs ou désagréments lors de nos échanges. J’ai fini par m’y habituer, et même découvrir quelques nouvelles sensations à son contact. Naturellement, je gratifie d’une caresse ou de quelques baisers sur la commissure des lèvres ou sur la ligne de la mâchoire. Je sens que l’impatiente le gagne, par ses gestes, par son regard, voire par son souffle. Un sourire taquin s’étire sur mes lèvres.

- C’est un jeu qui exige un brin de patience, commençais-je. Les règles sont extrêmement simples. A tour de rôle, nous traçons un sillon de miel sur soi. L’autre devra venir déguster, de la façon qu’il le désire, expliquais-je tranquillement.

Ma mère m’a expliqué l’intérêt principal de ce jeu de chambre. Il n’est pas rare que certains cachent certains désirs, et n’osent pas l’exprimer pleinement. Le jeu du miel aide à briser ces tabous ou timidités inculqués par des parents, ou par une société, un brin trop rigide. Un beau jour, au détour d’une conversation avec une courtisane de ma mère, celle-ci m’a confié un tout autre usage du miel, révélant qu’il peut apporter des sensations tout autre si appliqué convenablement. Je me suis appliquée avec mes amants passés, et nous n’étions nullement mécontents de l’expérience. Au contraire, nous nous sommes bien amusés. Est-ce qu’il en sera de même avec ce cher Roi ? Est-ce que je prends trop de risque ? Il est impossible de le savoir sans s’essayer, n’est-ce pas ?

- Je vais débuter, soufflais-je, glissant ce doigt brillant sur ma lèvre inférieure. Je me contente de ce geste-ci. Ne l’avais-je pas prévenu que le jeu exigeait un brin de patience ? Ne s’était-il pas moqué de moi d’avoir été si vite épuisée, et comblée, lors de notre première nuit ? Ce soir, il était temps de prendre ma propre revanche. J’en profite pour te demander. A ton avis, pourquoi ai-je choisi toi et non un autre ?

Le miel est cueilli sur mes lèvres, avec délicatesse et attention. A nouveau, le loup se révèle plus doux que sauvage, plus agréable que rude, brisant davantage toutes ces rumeurs qui courent sur les Nordiens et leur caractère retord. Au fil de mes discussions avec Torrhen ou des avis de ces demoiselles qui m’entourent et qui se sont entichés d’un homme du Nord, il y a des similitudes. Ils sont moins expressifs qu’un Dornien, mais plus authentiques et honnêtes. Ils ne promettent pas monts et merveilles pour déguerpir au lendemain comme un voleur à la tire et ils ne jurent pas par tous les dieux pour aussitôt répéter ces mêmes litanies à d’autres. Ce souverain avait mille et une occasions de chercher quelques nouvelles douceurs dorniennes, comme tant d’autres de mes amants ont fait par le passé, mais il est revenu encore et encore, et uniquement vers moi. Une attention qui me touche sincèrement et profondément, et qui m’attache que davantage à lui.

- Tes lettres pour ma sœur et mes frères étaient pleine de sagesses et de courtoisies, mais dénuées d’émotions, commençais-je, profitant d’un instant pour pincer mes lèvres et enlever tout résidu de miel. Tes alliés comme tes ennemis t’attribuaient bien des surnoms flatteurs ou barbares. Mais, vois-tu, je n’aime pas juger un homme selon les dires des autres. Je veux faire mon propre avis. , continuais-je, en me pressant contre lui. Un rustre ne peut pas avoir ce regard ou faire de la poésie pour ses terres natales. Tu as un regard doux, et des paroles aussi délicieuses et dorées que ce miel, ajoutais-je, allant chercher ce miel à sa clavicule.

La trace est plus épaisse et plus longue que celle que j’avais tracé sur mes lèvres. En prime, le bon miel a commencé à couler davantage, sous l’effet de la chaleur du corps. Je parle trop, décidément. Un premier baiser se dépose, et un second. Il reste encore quelques traces, mais je ne m’y éternise pas. Le but n’est pas d’être aussi exigeante ou perfectionniste, mais s’amuser et impatienter un brin l’autre.

Je suis bienheureuse d’avoir rencontré un homme comme toi, saches-le, dis-je. Et je voudrais continuer à te connaître, malgré les distances qui vont nous séparer. Penses-tu qu’il est possible ? , glissais-je en même temps que la pointe de mon doigt sur mon épaule gauche. Celui-ci ne tarde pas à luire sous la flamme des bougies, marque du prochain défi du loup.

Comprenait-il ce que je désirais sous ces bons mots, c'est-à-dire une amitié qui va forcément unir nos deux royaumes ? Est-ce déplacé de proposer une telle chose à un tel instant ? Je ne saurais pas le dire. Le temps commence à nous manquer, et je ne me vois pas coucher de telles demandes sur du simple papier. Je veux les exprimer en face à face, loin de tous ces protocoles de la cour, là où nous n’avons pas à jouer ou à faire semblant. Il y a là une volonté d’être honnête avec lui. J'ose espérer qu'il ne va pas croire que toutes ces soirées n'ont été que subterfuges et tromperies et manipulations.

Je serais aussi mortifiée qu'insultée. Mais je n'en montrerai rien. J'ai été entrainée à subir bien des bêtises et humiliations.